BOURKIKA VILLAGE DE
REGROUPEMENT
Le village de Bourkika nouvelle manière qui est représenté
ci-dessus, ne remplace pas l'ancien. Il le complète pour une période
à priori de courte durée. Il a été créé
en 1958 ou 1959 ; c'est-à-dire à une époque de grande
insécurité, surtout pour les populations montagnardes. Il
a sans doute été abandonné par les regroupés
peu après l'indépendance acquise en 1962. Mais je ne puis
rien affirmer péremptoirement : ce n'est que l'hypothèse
la plus probable.
Toutefois la nature de l'urbanisme, avec ses petites maisons
à cour fermée familiale, avait été conçue
pour pouvoir durer un " certain temps ". Ce n'était pas
un village de tentes, même s'il semble y en avoir quelques unes
en périphérie, mais un village en dur. Ceci étant,
ce devait être tout de même, ne serait-ce qu'à cause
de la promiscuité, un vrai bouleversement des conditions de vie
en plus de la perte de toute les ressources traditionnelles de la culture
et de l'élevage.
Ce village est très officiellement un village de
regroupement de piémont situé tout près de la plaine
de la Mitidja, dont on aperçoit à gauche quelques rangées
de vigne. Il a été établi à l'écart
des terrains de culture trop chers à exproprier ; et sur un petit
plateau. C'est un site d'oppidum sans les solides fortifications qui l'accompagnent
généralement. Il faut dire que son aménagement a
dû prendre quelques semaines tout au plus : cette hâte est
due à des préoccupations militaires.
Les alignements ont une rigueur toute militaire. Les cours
intérieures sont justifiées par le désir de ne pas
trop perturber les fellahs qui avaient dû laisser dans la montagne
leur maison, leurs champs et peut-être leur bétail. Mais
c'était le prix à payer pour éviter les menaces et
les exactions des rebelles ; voire la mort par égorgement. La maison
couvre 20m2 (deux pièces et un coin cuisine) et avec la cour 50m2.
J'ai compté 156 maisons semblables, de quoi loger
entre 600 et 800 réfugiés. Le village est entouré
d'une protection légère ; des rouleaux de barbelés
vite posés, je suppose. Il y a aussi deux tours : mirador ou château
d'eau ? Un mirador est plus vite et plus facile à construire.
J'imagine que les bâtiments blancs à droite
de la photo regroupent quelques commodités collectives et d'abord
les bureaux du responsable militaire, chef de la SAS (section administrative
spécialisée) ; et de quoi loger l'officier, un lieutenant
le plus souvent, et ses adjoints.
Le village est traversé par une bonne piste aménagée
tout exprès.
Notule sur les
regroupements
Cette appellation officielle a été
inventée en 1957 pour désigner ce cas particulier
de personnes déplacées collectivement vers un refuge
créé et protégé par l'armée.
Ce déplacement est presque toujours contraint et accompli
dans l'urgence.
Les antécédents. Il avait eu dès
1955 des " recasements " et des " resserrements ",
les uns et les autres spontanés. L'initiative était
privée, mais la raison était déjà le
désir de fuir les dangers et les exigences des rebelles.
Un recasé allait chercher refuge chez un frère ou
un cousin vivant en zone considérée comme sûre,
pour un temps ; ou dans un bidonville des environs d'Alger, pour
toujours. Les resserrés, tout en restant dans leur commune,
se " regroupaient " à l' endroit de la commune
le plus rassurant ; près d'une gendarmerie ou d'un poste
militaire par exemple.
La chronologie. Le regroupement, décidé
par les autorités françaises et conduit par l'armée,
devient systématique en 1958 dans toutes les zones où
nous voulons enlever aux rebelles le " gourbi, le couscous
et le chouf ". Il s'agit de gêner la vie et les informations
des rebelles. Le toit c'est l'abri pour la nuit, le couscous c'est
la nourriture et le chouf c'est le guetteur.
Il s'agit aussi de permettre aux populations d'échapper à
l'emprise de la rébellion sans les obliger à prendre
parti pour la France. En d'autres termes on n'a enrôlé
comme supplétifs que les volontaires.
Il est arrivé parfois que la zone évacuée soit
ensuite déclarée interdite d'accès : décision
applicable le jour grâce à la surveillance aérienne,
mais pas la nuit.
En novembre 1959 est publiée la première directive
officielle.
En mai 1960 est créée une Inspection Générale
des Regroupements.
En 1961 on cesse, sans le proclamer, de créer de nouveaux
villages de regroupés.
NB. La meilleure étude des regroupements
que je connaisse, se trouve dans les annales de géographie
: volume 71 en 1962. C'est un long article signé Henri Baulig
|
.
|