L'exhumation de l'Archevêché
L'entassement excessif des citadins, en grappes humaines, s'accrochant
au même point central, est un mal qui a sévi dans toutes
les villes ; quelques-unes en sont mortes. A qui veut s'assurer une
cellule à l'endroit convoité, rien n'est sacré.
Il existe à Paris, à Lyon, ailleurs, partout, des monuments,
des églises surtout, dont les formes extérieures avaient
ainsi disparu sous les écailles imbriquées des boutiques
de marchands et d'artisans. Le fait s'est produit à Alger ; l'Archevêché,
ce beau monument historique, dégagé une première
fois par la chute de la Djenina, avait été sur trois façades
enrobé d'affreuses bâtisses sans grâce, sans ordre,
édifiées en matériaux inconsistants qui devaient
bientôt menacer ruine.
A Paris, on a heureusement pris la décision de dégager
certains de ces monuments, l'Église St-Sernin par exemple. On
a été récompensé par la beauté simple
et sévère de ces édifices exhumés, enfin
réapparus à la lumière. 11 faut se féliciter
de voir aussi tomber à Alger ces masures sordides qui depuis
deux lustres menaçaient de mort leurs habitants. Le monument
de l'Archevêché apparaît enfin - il va apparaître
du moins quand on pourra enlever ces ruines de ruines qui sont encore
utiles pour épauler le bâtiment.
Mais quelle n'a pas été la stupeur générale
quand on apprit que l'on devait aussitôt rétablir un masque
devant ce monument historique ; une haute bâtisse, moitié
bureau, moitié usine, pour loger toute la mécanique des
téléphones du quartier, en façade sur la place
du Gouvernement, en écran devant l'Archevêché !
Des protestations fusèrent ; des vux mesurés et
motivés furent présentés notamment par la Fédération
des Syndicats d'Initiative et par le Conseil Municipal.
L'Assemblée Communale demande que lui fut remis l'emplacement
des vieilles masures pour lui permettre d'y dessiner un jardin qui dégagerait
les plans arrières du monument. Quelques cyprès, des bougainvillées,
une vasque de marbre élégante sous un jet d'eau et de
fines mosaïques feraient au monument un écrin qui mettrait
ses lignes en valeur. On a bien voulu en haut lieu donner immédiatement
un avis favorable qui a paru, à certains, une profanation du
caractère sacré de l'Administration.
Le Service des P.T.T. intéressé a compris de suite cependant
que l'appareillage acoustique peut se loger ailleurs ; il demande justice
et la Ville l'offrira volontiers.
Souhaitons vivement que tout s'arrange ainsi, car ce petit projet, si
heureux en soi, fait corps avec le grand projet de transformation du
quartier de la Marine. Cette petite place avec son jardin se fondra,
en effet, avec la Place du Gouvernement qui, elle-même, sera agrandie
vers le Nord et vers l'Est jusqu'au double de sa surface actuelle et
s'étendra encore sur l'emplacement de la Chambre de Commerce
à réédifier à l'intérieur du quartier.
Ainsi sera dessinée une place magnifique ornée de trois
beaux monuments historiques arabes : les deux anciennes mosquées
d'Abou Tachfin reliées par un beau jardin et l'Archevêché,
à l'autre extrémité, le tout encadré de
verdure.
Respectons pieusement dans notre vieille ville tout ce qui est respectable.