-Alger,
Une heureuse disparition
Destruction d' immeubles masquant l'Archevêché et la Cathédrale.

Il y a peu de jours, une animation sans précédent donnait aux abords de la place du Gouvernement, déjà si houleuse en temps ordinaire, une physionomie particulière.

Que se passait-il donc ?

J'en fus informé par la rumeur publique d'abord. Des avis contradictoires étaient émis au sein de la foule.
—« C'est un accident.
—« Mais non, c'est un déménagement !
—« Un déménagement ?
—« Eh ! oui. on expulse tous les locataires de ce petit pâté de maisons.

Les immeubles masquant l'Archevêché et la Cathédrale étaient ainsi désignés.
—« Mais pourquoi ?
—« Il paraît que tout ca va tomber, c'est vermoulu, percé, lézardé, enfin ça ne tient plus debout.

Dédaignant le pittoresque de ce changement de pénates précipité et qui semblait à première vu3 déjà une nécessité, je fus aux renseignements officiels.
—« Mais il y a déjà longtemps nue ces masures auraient dû être mises à bas. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu à déplorer de catastrophe !
—« Je ne pensais pas qu'il en fut ainsi.
—« Si vous voulez bien vous en rendre compte par vous-même ?...
—« Volontiers.

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Afrique illustrée du 26-11-1932 - Transmis par Francis Rambert
sur site :mai 2021

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Une heureuse disparition

Il y a peu de jours, une animation sans précédent donnait aux abords de la place du Gouvernement, déjà si houleuse en temps ordinaire, une physionomie particulière.

Que se passait-il donc ?

J'en fus informé par la rumeur publique d'abord. Des avis contradictoires étaient émis au sein de la foule.
—« C'est un accident.
—« Mais non, c'est un déménagement !
—« Un déménagement ?
—« Eh ! oui. on expulse tous les locataires de ce petit pâté de maisons.

Les immeubles masquant l'Archevêché et la Cathédrale étaient ainsi désignés.
—« Mais pourquoi ?
—« Il paraît que tout ca va tomber, c'est vermoulu, percé, lézardé, enfin ça ne tient plus debout.

Dédaignant le pittoresque de ce changement de pénates précipité et qui semblait à première vu3 déjà une nécessité, je fus aux renseignements officiels.
—« Mais il y a déjà longtemps nue ces masures auraient dû être mises à bas. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu à déplorer de catastrophe !
—« Je ne pensais pas qu'il en fut ainsi.
—« Si vous voulez bien vous en rendre compte par vous-même ?...
—« Volontiers.

Me voilà donc enjambant des boiseries de portes arrachées des cloisons, patnuzeant dans des platras, nu'une pluie fine linuéfie lentement. Vision de démolition tout à fait normale jusqu'ici.

Voici maintenant un escalier tortueux et sombre dont les marches en bois vermoulu fléchissent sous les pieds. Des odeurs de poussière et de cafards, de vieux papiers et de plâtre humide se mélangent, s'amalgament, donnant la nausée. Enfin, après être passé entre des étais, me voici
derechef en pleine lumière, sur la terrasse. —« Voyez ceci...

Je regarde une sorte de grosse gouttière bien évidée. Elle est en bois ; j'en puis juger par une poussière ténue semblable aux déchets faits par les vers, et aussi par quelques brindilles surnageant dans l'eau de pluie.
—« C'est une poutre maîtresse...

Je demeure ébahi à cette révélation, car ce bois en décrépitude complète ressemble davantage à une pirogue creusée par des indigènes du centre de l'Afrique qu'à une poutre destinée à porter une terrasse de plusieurs tonnes.

Plus loin, il en est encore une, identique à la première et jointe à celle-ci par des chevrons en aussi bel état.
—« Mais alors ? qu'est-ce donc qui tenait la terrasse ?
Un geste évasif est la seule réponse et je dois me contenter de ce point d'interrogation.
—« Si cette pluie était tombée quelques jours plus tôt, elle entraînait la terrasse qui, après avoir pourfendu, enfoncé, pulvérisé les étages au-dessous serait tout bonnement venue applatir les commerçants du rez-de-chaussée avec leur clientèle.

Je frémis à l'idée d'une telle catastrophe et revois un instant la fameuse maison de la rue des Consuls de sinistre mémoire.

Au-dessus de ma tête dans le chambranle d'une porte, un carré de maçonnerie, détaché des boiseries, repose sur deux angles. Je me sens mal à mon. aise et file avec rapidité afin de m'ôter de dessous cette épée de Damoclès d'un nouveau genre.
—Il était temps en effet...

Les murs sont lézardés de partout, les terrasses percées comme une écumoire, pleurent par des centaines d'yeux ; les carrelages se boursouflent et craquent comme la peau d'un poulet qui rissole...
— Et penser que les locataires crient au scandale parce qu'on a encore trop attendu pour leur éviter la mort par l'écrasement ! Il a fallu des années et des années de procédure, (les palabres interminables, enfin les forces de police pour les extraire encore vivants d'une tombe certaine !»

Applaudissons donc sans réserve à une telle disparition et souhaitons que de nombreuses autres suivent sans délai. Ainsi verrons-nous des taudis infects et dangereux n'ayant aucun cachet pittoresque, faire place à (les édifices indispensables, permettant l'ouverture de rues larges et aérées. Pour le cas cité ci-dessus, la vieille masure sera remplacée par un central téléphonique automatique et la rue du Divan va se trouver élargie de quatre mètres. Enfin !