TREMBLEMENT DE TERRE A PHILIPPEVILLE
LE 20 AOUT 1856
Dans la nuit de jeudi à vendredi 20
et 21 août, une violente secousse de tremblement de terre, qui a
duré environ 30 à 40 secondes, a jeté l'épouvante
dans la population. Il était dix heures et demie.
Ce soir-là on jouait au théâtre, et aux premières
oscillations, le public en proie à la plus grande frayeur, se mit
en mesure d'évacuer la salle.
L'empressement avec lequel chacun se précipita vers les portes
de sortie pouvait occasionner de graves malheurs ; la panique qui poussait
tous les spectateurs vers les issues de la salle était bien grande
; mais le tremblement nerveux que chacun éprouvait semblait clouer
les personnes à leur place et les arrêtait dans leur fuite.
C'est peut-être à cette circonstance qu'on doit de n'avoir
à déplorer aucun évènement fâcheux.
On en fut quitte, pendant la nuit, pour quelques petites oscillations,
et le lendemain à midi moins vingt minutes, une nouvelle commotion
plus forte que celle qui avait eu lieu la veille à dix heures et
demie du soir, se fit encore ressentir. Heureusement elle fut de plus
courte durée ; néanmoins chacun s'empressa d'abandonner
sa demeure, et en un instant les places publiques furent couvertes de
femmes désolées et d'hommes consternés. Les bruits
les plus exagérés ne tardèrent pas à circuler,
et déjà on ne parlait de rien moins que de l'écroulement
de rues entières ; mais, lorsque le calme se fit, on a été
heureux d'apprendre que le mal, bien que très grand, était
moins sérieux qu'on ne l'avait craint.
Plusieurs maisons ont été lézardées, d'autres
ont eu toutes leurs cloisons intérieures abattues, on aura à
constater des dégâts très nombreux. " A Grima
deux magnifiques immeubles de 100 à 150 000 francs ont été
ébranlés ".
Le bruit court que sur la hauteur plusieurs maisons se sont écroulées.
On manque encore de détails à ce sujet.
Dans l'après-midi de vendredi, on a encore ressenti quelques petites
commotions, et la population voyait avec inquiétude la nuit s'avancer.
On s'attendait à une violente commotion, et par conséquent
à quelque horrible catastrophe, car il était bien certain
qu'un nouveau tremblement devait amener la chute d'un grand nombre de
maisons.
Aussi en vue des évènements qui pouvaient arriver, les autorités
ont fait publier un avis par lequel elles engageaient les habitants à
ne pas passer la nuit dans les maisons, et on a fait distribuer à
la population toutes les tentes qu'elles ont pu se procurer. Les hôpitaux
ainsi que les casernes avaient été évacués
; les bureaux de la place, de la police, de la sous-préfecture
et de la subdivision, campaient en plein air. Tout le monde était
couché sur les places publiques, attendant dans une anxiété
mêlée d'épouvante, le lever de la lune. A onze heures
tous les yeux se dirigeaient vers cet astre, qui pouvait amener de grands
malheurs : on s'attendait à voir les maisons crouler, la terre
s'entrouvrir, et le terrible souvenir des désastres de la Guadeloupe
et de Brousse étaient présents dans le souvenir de tous.
Mais grâce au ciel, la nuit a été bonne ; on parle
bien de quelques secousses, mais elles n'ont eu aucune conséquence
funeste, et même tout le monde ne les a pas ressenties.
Au nombre des établissements qui ont le plus souffert, nous pouvons
citer l'hôtel du commandant supérieur, qui a été
très endommagé ; le fronton du clocheton de l'église
est tombé, abimant les corniches inférieures ; quant au
clocher il est complétement ébranlé.
Enfin après deux jours et deux nuits d'angoisse et de pénibles
émotions, le calme commence à renaître, le temps s'est
rafraichi et il pleut. On espère que cette terrible épreuve
est terminée et que chacun rentre chez soi.
Le télégraphe annonce que Constantine et Bône ont
ressenti des commotions qui n'ont pas occasionné beaucoup de dommages.
Nous sommes enfin assez heureux pour vous annoncer que nous n'avons pas
appris qu'il y ait eu des victimes.
Il s'est produit quelques phénomènes assez extraordinaires
: ainsi sur la route de Philippeville à Constantine, le sol s'est
crevassé en divers endroits, et de ces crevasses l'eau a jailli
; l'eau d'un puits s'est élevée à la hauteur de un
mètre cinquante, et un moment après il était recouvert
par deux mètres de sable.
Tiré d'un article paru dans le journal
" L'Illustration " du 6 septembre 1856
Décidemment la date du 20 août n'a jamais été
favorable aux Philippevillois, quatre- vingt-dix-neuf ans, jour pour jour
après ce tremblement de terre, nous devions vivre le terrible massacre
d'El Halia, un des moments les plus cruels que nous ayons connu, d'une
sauvagerie sans nom, et qui reste gravé dans nos mémoires.
Albert BRASSEUR
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