TREMBLEMENT DE TERRE A PHILIPPEVILLE
LE 20 AOUT 1856

Texte issu , avec autorisation, de la revue"A.F.N. Collections" n° 74, janvier 2013,
http://afn.collections.free.fr/pages/bulletin.html

sur site : février 2013

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TREMBLEMENT DE TERRE A PHILIPPEVILLE
LE 20 AOUT 1856

Dans la nuit de jeudi à vendredi 20 et 21 août, une violente secousse de tremblement de terre, qui a duré environ 30 à 40 secondes, a jeté l'épouvante dans la population. Il était dix heures et demie.

Ce soir-là on jouait au théâtre, et aux premières oscillations, le public en proie à la plus grande frayeur, se mit en mesure d'évacuer la salle.
L'empressement avec lequel chacun se précipita vers les portes de sortie pouvait occasionner de graves malheurs ; la panique qui poussait tous les spectateurs vers les issues de la salle était bien grande ; mais le tremblement nerveux que chacun éprouvait semblait clouer les personnes à leur place et les arrêtait dans leur fuite. C'est peut-être à cette circonstance qu'on doit de n'avoir à déplorer aucun évènement fâcheux. On en fut quitte, pendant la nuit, pour quelques petites oscillations, et le lendemain à midi moins vingt minutes, une nouvelle commotion plus forte que celle qui avait eu lieu la veille à dix heures et demie du soir, se fit encore ressentir. Heureusement elle fut de plus courte durée ; néanmoins chacun s'empressa d'abandonner sa demeure, et en un instant les places publiques furent couvertes de femmes désolées et d'hommes consternés. Les bruits les plus exagérés ne tardèrent pas à circuler, et déjà on ne parlait de rien moins que de l'écroulement de rues entières ; mais, lorsque le calme se fit, on a été heureux d'apprendre que le mal, bien que très grand, était moins sérieux qu'on ne l'avait craint.

Plusieurs maisons ont été lézardées, d'autres ont eu toutes leurs cloisons intérieures abattues, on aura à constater des dégâts très nombreux. " A Grima deux magnifiques immeubles de 100 à 150 000 francs ont été ébranlés ".

Le bruit court que sur la hauteur plusieurs maisons se sont écroulées. On manque encore de détails à ce sujet.

Dans l'après-midi de vendredi, on a encore ressenti quelques petites commotions, et la population voyait avec inquiétude la nuit s'avancer. On s'attendait à une violente commotion, et par conséquent à quelque horrible catastrophe, car il était bien certain qu'un nouveau tremblement devait amener la chute d'un grand nombre de maisons.

Aussi en vue des évènements qui pouvaient arriver, les autorités ont fait publier un avis par lequel elles engageaient les habitants à ne pas passer la nuit dans les maisons, et on a fait distribuer à la population toutes les tentes qu'elles ont pu se procurer. Les hôpitaux ainsi que les casernes avaient été évacués ; les bureaux de la place, de la police, de la sous-préfecture et de la subdivision, campaient en plein air. Tout le monde était couché sur les places publiques, attendant dans une anxiété mêlée d'épouvante, le lever de la lune. A onze heures tous les yeux se dirigeaient vers cet astre, qui pouvait amener de grands malheurs : on s'attendait à voir les maisons crouler, la terre s'entrouvrir, et le terrible souvenir des désastres de la Guadeloupe et de Brousse étaient présents dans le souvenir de tous.

Mais grâce au ciel, la nuit a été bonne ; on parle bien de quelques secousses, mais elles n'ont eu aucune conséquence funeste, et même tout le monde ne les a pas ressenties.

Au nombre des établissements qui ont le plus souffert, nous pouvons citer l'hôtel du commandant supérieur, qui a été très endommagé ; le fronton du clocheton de l'église est tombé, abimant les corniches inférieures ; quant au clocher il est complétement ébranlé.

Enfin après deux jours et deux nuits d'angoisse et de pénibles émotions, le calme commence à renaître, le temps s'est rafraichi et il pleut. On espère que cette terrible épreuve est terminée et que chacun rentre chez soi.

Le télégraphe annonce que Constantine et Bône ont ressenti des commotions qui n'ont pas occasionné beaucoup de dommages.

Nous sommes enfin assez heureux pour vous annoncer que nous n'avons pas appris qu'il y ait eu des victimes.

Il s'est produit quelques phénomènes assez extraordinaires : ainsi sur la route de Philippeville à Constantine, le sol s'est crevassé en divers endroits, et de ces crevasses l'eau a jailli ; l'eau d'un puits s'est élevée à la hauteur de un mètre cinquante, et un moment après il était recouvert par deux mètres de sable.

Tiré d'un article paru dans le journal " L'Illustration " du 6 septembre 1856

Décidemment la date du 20 août n'a jamais été favorable aux Philippevillois, quatre- vingt-dix-neuf ans, jour pour jour après ce tremblement de terre, nous devions vivre le terrible massacre d'El Halia, un des moments les plus cruels que nous ayons connu, d'une sauvagerie sans nom, et qui reste gravé dans nos mémoires.

Albert BRASSEUR