PHILIPPEVILLE
En 112 ans, Philippeville a surclassé Rusicade

par Claude Maurice ROBERT
Echo du 13-5-1952 - Transmis par Francis Rambert

En 112 ans, Philippeville a surclassé Rusicade

Si Philippeville, en cent douze ans, a surpassé en importance son aïeule Rusicade, qui vécut cinq cents ans, cette prospérité n'est pas un don gratuit ; elle ne fut pas spontanée. Née d'un chaos de ruines causées par les hommes et les siècles, la création " ex nihilo " de cette cité maïeure de 80.000 âmes a demandé de durs efforts et de longs sacrifices, avec beaucoup de volonté et beaucoup d'intelligence.
Il faut, comme je le fais, étudier l'Algérie page a page et pas à pas, s'arrêter dans chaque village et dans chaque ville du littoral et de l'intérieur des terres, comme dans chaque oasis ; connaître ce qui était avant notre venue, pour mesurer l'amplitude de l'œuvre accomplie par la France.
Cela, insistons-y, à peine en plus d'un siècle, en moins d'un siècle en certains cas, et malgré les trois guerres qui ralentirent notre action.

L'œuvre française en Afrique égale et dépasse celle de Rome
Cette confrontation impose cette constatation : si belle et vaste que fut l'action de Rome en ce pays, la nôtre, d'ores et déjà, l'égale et la dépasse. Et si certains monuments laissés par les Anciens : un cirque, un capitole, un forum, frappent l'imagination et méritent l'admiration, ne soyons. pas les dupes de cette ostentation, De multiples réalisations, moins spectaculaires mais plus humaines, rachètent l'humilité de nos architectures. Un exemple : l'importance actuelle de l'assistance sociale et de l'éducation populaire.
Jamais nos archéologues ne nous ont signalé une ruine de Maternité, d'Hôpital dans les cités antiques, ni d'établissements scolaires, lesquels occupent tant de place de nos jours en Algérie. Dans toutes les villes mortes exhumées, on a reconnu une seule bibliothèque publique : celle de Timgad. Et elle est grande comme ma chambre à coucher ! Et elle était le don d'un citoyen à sa ville !

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Jean Fredy Falligé alias Jean Simonet Falligé, Alain Gervan(n)e et Jehan Dotreval, auteur, né en 1909 (d'après la BnF), a écrit des pièces radiophoniques et des romans policiers (les aventures du commissaire Girodon dans la collection Espionnage-Aventures-Police des éditions des Roses, dirigée par Jean Campocasso "et écrite par des spécialistes des S.R."). Ce serait également le même Simonet qui aurait écrit de petits romans d'aventures pour la jeunesse dans la collection Junior des éditions des Remparts/STAEL, à la fin des années 1940/début des années 1950. Il habitait Philippeville en Algérie.

mise sur site :février 2024

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PHILIPPEVILLE CITÉ MAJEUREEn 112 ans, Philippeville a surclassé Rusicade
En 112 ans, Philippeville a surclassé Rusicade

Si Philippeville, en cent douze ans, a surpassé en importance son aïeule Rusicade, qui vécut cinq cents ans, cette prospérité n'est pas un don gratuit ; elle ne fut pas spontanée. Née d'un chaos de ruines causées par les hommes et les siècles, la création " ex nihilo " de cette cité maïeure de 80.000 âmes a demandé de durs efforts et de longs sacrifices, avec beaucoup de volonté et beaucoup d'intelligence.
Il faut, comme je le fais, étudier l'Algérie page a page et pas à pas, s'arrêter dans chaque village et dans chaque ville du littoral et de l'intérieur des terres, comme dans chaque oasis ; connaître ce qui était avant notre venue, pour mesurer l'amplitude de l'œuvre accomplie par la France.
Cela, insistons-y, à peine en plus d'un siècle, en moins d'un siècle en certains cas, et malgré les trois guerres qui ralentirent notre action.

L'œuvre française en Afrique égale et dépasse celle de Rome
Cette confrontation impose cette constatation : si belle et vaste que fut l'action de Rome en ce pays, la nôtre, d'ores et déjà, l'égale et la dépasse. Et si certains monuments laissés par les Anciens : un cirque, un capitole, un forum, frappent l'imagination et méritent l'admiration, ne soyons. pas les dupes de cette ostentation, De multiples réalisations, moins spectaculaires mais plus humaines, rachètent l'humilité de nos architectures. Un exemple : l'importance actuelle de l'assistance sociale et de l'éducation populaire.
Jamais nos archéologues ne nous ont signalé une ruine de Maternité, d'Hôpital dans les cités antiques, ni d'établissements scolaires, lesquels occupent tant de place de nos jours en Algérie. Dans toutes les villes mortes exhumées, on a reconnu une seule bibliothèque publique : celle de Timgad. Et elle est grande comme ma chambre à coucher ! Et elle était le don d'un citoyen à sa ville !
C'est beau, l'Arc de Triomphe silhouetté sur le vide immense de l'horizon, mais la petite infirmerie d'une " mechta " de l'Aurès, l'humble école de Kabylie et l'auto sanitaire qui va soigner les trachomes des oasiens du Sud sont bien plus belles encore !
Admirons l'œuvre de Rome, admirable pour son temps, mais sachons que la notre ne lui est pas inférieure. Moins monumentale et moins orgueilleuse, elle a plus d'âme et plus de cœur, elle est plus vraie et plus humaine. En bref, elle est chrétienne. Et cela nonobstant les défaillances de détail que je n'ai pas l'hypocrisie de minimiser ni de nier, ce qui ne les supprimerait pas. Ici encore, elle est humaine. '

Paludisme, tempêtes, choléra, tremblement de terre
La première construction française à Philippeville, ce fut un hôpital, ce que Rusicade n'avait jamais connu. Car si Rome édifiait des temples à Esculape, le dieu de la Santé, elle lui laissait le soin de guérir les malades ! Dès notre installation, le paludisme décima nos troupiers, par suite du voisinage des malais adjacents infestés d'anophèles. C'est alors que fut construite la première infirmerie.
Les fiévreux centuplèrent lorsque l'on entreprit l'assèchement des marécages issus des divagations des oueds Saf-Saf et Zéramna et la création des villages de Jemmapes, El-Arouch, Gastonville, Saint-Antoine, Valée..., en sorte que les pionniers venus pour féconder les terres y laissèrent leurs squelettes, et que leur contingent - comme dans la Mitidja - fut plusieurs fois renouvelé.
La terre n'était pas seule à se déclarer hostile à notre établissement.
La mer elle-même se ligua contre nous. En 1842, une tempête si sauvage se décharna que, sur les trente et un navires qui se trouvaient ancrés dans la rade de Stora, vingt-
huit furent fracassés et jetés à la côte. En 45, récidive : vingt-deux batiments sont de nouveau détruits.
Quatre ans plus tard, en,1849, l'année de l'installation du premier sous-préfet, ce fut le choléra, suivi d'un tremblement de terre. Tout ce qui était debout fut renversé d'un coup, y compris le clocher à peine achevé de l'église.
Parmi les habitants, ce fut une hécatombe : " Il ne restait plus personne ", a écrit Ledermann, un annaliste local. Il exagère, puisque cette même année 1849. lorsque le
duc d'Orléans visita Philippeville,aprés le passage des Portes de Fer, il y avait pour l'accueillir 4.000 habitants civils,

Le triomphe de la vie
Comme le clamera Déroulède après 1870 :
La mort n'est rien ; vive la tombe ! Si le pays en sort vivant.
Malgré les fléaux, les désastres, les sinistres, Philippeville continue. On comble le ravin du cimetière des éléphants qui occupait l'emplacement du boulevard Clemenceau ; on restaure les citernes cimentées par les Romains pour l'alimentation de la ville ; on bâtit des casernes ; on remet en état l'antique route impériale de Rusicade à Cirta et ouvre celle de Collo ; on améliore le petit port de Stora ; on entoure la ville d'un rempart ; on plante des arbres... Et, en 1864, la population s'élève à 10.304 habitants : en quinze ans, elle a plus que doublé. Et elle continuera sans jamais ralentir.
Une date faste : en 1865, Napoléon III débarque à Philippeville, d'où il se rend à Constantine.
J'ai oublié d'indiquer dès 1845, la naissance de la première gazette locale : " le Courrier de Philippeville ", que remplacera le " Saf-Saf ", enfin le " Zéramna ".

Une cité claire et gaie
En 1952, Philippeville est une ville moderne, claire et gaie, vivante et saine, avec des immeubles gratte-ciel, de belles rues à arcades, de fastueux magasins, des faubourgs animés, des avenues ombragées, des plages populeuses, de grandes écoles, un vrai forum enfin, qui est cette place de Marqué sous laquelle est ensevelie la fontaine ornementale dont je parlais mardi dernier, que l'on a remplacée par un kiosque à musique, l'inéluctable " ornement " de toute sous-préfecture...
Surélevée, vaste, bien éclairée, cette place d'où l'on voit la mer, est le rendez-vous de toute la jeunesse du pays. Belle Jeunesse, vigoureuse et joyeuse, qui est le gage que Philippeville n'a pas fini de croître ni de nous émerveiller.
Une seule chose manque encore à la cité de Louis-Philippe : un hôtel de tourisme, c'est-a-dire confortable, sans tapage ni odeurs…

Deux chefs-d'œuvre d'architecture
J'ai réservé deux bâtiments officiels : la Gare et l'Hôtel de Ville, dont la double présence, pimpante sous le ciel bleu et la lumière ambrée, fait regretter que le fameux " style Jonnart " (celui de la Poste et de la Préfecture d'Alger) ne soit pas généralisé, car quoi qu'en pensent certains esthètes, il est encore ce qui existe de plus plaisant en Algérie, celui qui s'harmonise le mieux au décor de nature..
L'Hôtel de Ville surtout est un joyau d'architecture. J'ai eu la chance, à. deux reprises, de faire une conférence dans sa salle des mariages.
Toute lambrissée de marbre et plafonnée de stuc, on se croit l'hôte de Boabdil ou de Haroum-t-Rhachid.
Le cabinet du maire est une autre merveille. Lui aussi, miroite de marbres numidiques extraits du Fil-Fila, et l'ancien maire, le sénateur Paul Cuttoli, père de ce monument
et de la cité nouvelle, y règne en effigie, cependant que son successeur, M. le colonel Cordina, directeur de la Compagnie de navigation mixte, est attentif et zélé à poursuivre son œuvre. Lourde tâche, chacun le sait, mais dont M. Cordina, homme d'expérience et de conscience, de cœur aussi - et qui fait oraison - s'acquitte exemplairement.

Le Syndicat d'initiative dans un écrin de marbre
J'aurai garde d'omettre le Syndicat d'Initiative, qui intéresse directement les lecteurs de cette chronique. Il est là, attenant à la maison commune et du même style
radieux. Ici comme là, tout chatoie, sourit, et resplendit. Nous sommes dans un écrin, j'allais écrire un tabernacle, de céramique et de marbre aux coloris chauds et gais. Instinctivement la main s'appuie à cette noble matière, rendue plus précieuse encore par un travail d'ornemaniste qui l'a ciselée et guillochée, gaufrée et vermiculée. L'impression d'intimité est si douce et impérieuse que l'on voudrait ne plus partir. S'asseoir là et songer, respirer ce jardin persan en contre-bas, et oublier les hommes dans un émerveillement des yeux et de l'esprit...
Dans ce décor de féerie, nous devions rencontrer une fée. La voici, en la personne de la Présidente de l'Essi, Mme Paul Bianco, dont la grâce et l'avenance ajoutent aux
sortilèges de ce cadre enchanteur.

Promenades périphériques
Dans la périphérie les promenades ne manquent pas, à pied, en voiture, en bateau. Ma préférée est Stora, germe, comme. je l'ai dit, de Rusicade et Philippeville, et dont l'histoire est plus vieille que l'Histoire. Dominée par la Montagne des Singes toute verte de fourrés, sa route en corniche est d'une prenante poésie. Village de pêcheurs
comme on n'en voit plus guère, j'aime ses barques coloriées, ses remailleurs de filets et cette odeur complexe et salubre de " marine " qui excite l'appétit. Heureusement. il y a la " Voûte Romaine ", restaurant réputé et qui mérite de l'être, où les meilleurs poissons avec les meilleurs vins vont nous être servis.
Outre le Fil-Fila et sa carrière de marbre, il y a le Saf-Saf, le " Thapsa flumen " antique, dont les hautes eaux et les berges feuillues rappellent les bords de la Marne Regrettons toutefois qu'un pont à superstructure agressive fasse une macule sur cette image.
A proximité - comme à Biskra - il y a le Jardin Landon, créé par le même comte Landon de Longeville, et qui est, comme son pendant du Sud. une oasis exotique, ce qui, ici,
contraste avec le paysage, plus sahélien que saharien. Et cette opposition ajoute à sa beauté.

Philippeville cité intellectuelle
Un autre attrait de Philippeville et un autre mérite, c'est d'être un centre culturel riche en amateurs d'art et de littérature, mème d'écrivains authentiques, qui ont
fourni des œuvres qui prouvent qu'ils auraient pu faire une carrière littéraire.
En premier lieu je citerai la doyenne, Mme Anna Colnat, dont le roman " Virginie Duparc ", paru vers 1935, à la saveur croustilleuse de " l'Hôtel du Sersou " de Truphémus.
Œuvres de force inspirées par la réalité algérienne, ces deux livres méritaient d'obtenir le prix Goncourt.
Est-ce pour cela qu'ils n'eurent pas celui de l'A1gérie?
Me Paul Blanco, bâtonnier du conseil de l'Ordre des avocats, auteur de l'" Homme sans Joie ", est d'une autre planète. Subtil et nuancé, morbide un peu, sentimental ironique
et blasé, il est de la lignée de Baudelaire et de Jules Laforgue. On m'annonce qu'il prépare un roman du conflit spirituel africain : " Le Signe de Tanit "›. Tous ses amis l'attendent avec une impatience affectueuse. .

Un best-seller algérien : Jean Simonet
Maintenant, le benjamin, qui n'est pas le moins doué, surtout le moins fécond, M. Jean Simonet, que la grande presse, qui le découvrit récemment, qualifia à coups de cymbales et d'olifant : " le best-seller inconnu ".
- J'ai écrit cinquante-deux romans, m'a confié Jean Simonet : d'amour, d'aventures, d'espionnage et policiers, de 4.000 à 8.000 lignes. J'en suis donc à deux millions et demi d'exemplaires publiés.
J'admire en bloc. car une telle fécondité est une manière de génie, et l'Algérie posséderait en Simonet son Simenon, son Pierre Benoit et son Caldwel, son Gardener et son Bernard Shaw, si M. Simonet consentait à plus d'exigence. Je le voudrais plus ambitieux. Préférant personnellement Mérimée à Dekobra et Gide à Decourcelle, je lui reproche de préférer la quantité à la qualité, le pinard épais au cru d'origine,
le quartz au diamant. Je voudrais que sa devise fût " Pauca, sed bona " : peu, mais bon. Hélas! J'ai beau lui rappeler cette vérité éternelle: " le temps ne respecte pas
ce qui se fait sans lui " et le vers de Leconte de l'Isle :
Qu'est-ce que tout cela qui n'est pas l'[éternel ?
il se refuse jovialement à l'idéal de perfection qui tyrannise et stérilise.
J'ajoute que Simonet est trop intelligent pour être enflé par ses sucrés faciles. " Je ne me fais, sur mes œuvres, aucune illusion. me dit-il. Mais puisque les éditera les vendent, je continue. " Et comme il est sympathique et qu'il plaît, on l'a vu, à des millions de lecteurs, on l'excuse de continuer...
Parmi les Philippevillois qui tiennent la plume ou l'ont tenue, je n'ai pas le droit de taire l'historien Charles Féraud,(Laurent-Charles Féraud né le 5 février 1829 à Nice et mort le 19 décembre 1888 au Maroc, est un arabisant français. Impliqué comme interprète dans la colonisation militaire de l’Algérie puis diplomate, il est considéré comme un référent historique important du Constantinois). auteur abusivement pillé de nombreuses, précieuses et probes monographies sur tout le Constantinois ; Fenek, qui pieusement transcrivit les " Acta diurna ", fastes et tragiques, de la Cité naissante ; Ledermann enfin, auteur d'un compendium sur " Philippeville et ses environs " plein d'enseignements et de renseignements, dans lequel j'ai moi-même abondamment puisé.

Un proviseur stimulateur
Je termine cet aperçu de la vie intellectuelle à Philippeville, trop succinct à mon goût, mais que la nécessité me contraint à réduire, en signalant l'action féconde de M.
Vialla, proviseur du lycée Luciani, qui est le stimulateur écouté et révéré de maints cercles d'études et groupements artistiques, tels que " l'Association Guillaume Budé " (laquelle me fit l'honneur de patronner ma dernière conférence) et " le Ciné-Club ". Enfin, en dépit de ses fonctions ardues, M. Vialla, dont la bienveillance est inusable, trouve toujours le loisir d'accueillir dans son bureau, avec une courtoisie qui rassure les plus timides, les pèlerins de la Poésie, de la Nature et de l'Art qui viennent heurter son huis.
J'ajoute que M. Fernand. Grech, candidat perpétuel à l'Académie française, est né à Philippeville. Pierre Blanchard, le comédien, aussi, et aussi noire ami et confrère Edmond Brua, poète du " Cœur à l'école " et de " Souvenirs de la Planète " lequel, me dit Jean Simonet, " a sucé le lait des chèvres du Béni-Melek ! "
Que de titres - et j'en passe - à notre reconnaissance !