PERRÉGAUX
LE BARRAGE DE L'OUED FERGOUG
Il n'était pas envisagé de
créer un centre de colonisation sans étudier au préalable
le problème vital de l'eau, dans une région où l'été
est synonyme de sécheresse.
Alimenté par l'Oued Fergoug, la plaine de l'Habra était
constituée de terres marécageuses qu'il fallait assainir
et irriguer. Cette opération s'inscrivait dans le cadre d'un projet
gigantesque, insufflé par les premiers colons installés
à Perrégaux.
Parmi les pionniers de 1863, on note un certain Dupré de Saint-Maur
qui donna son nom au petit barrage situé au nord-ouest de Perrégaux.
Cette même année, Monsieur Dupré de Saint-Maur, riche
concessionnaire de la société de l'Habra, propose au conseil
général la construction d'un barrage dans la plaine de l'Habra
sur l'oued Fergoug. Le colonel Deligny, commandant la province, estime
le projet peu urgent et inique. Dupré de Saint-Maur ne se décourage
pas et ouvre une souscription dans l'écho d'Oran, afin de construire
le barrage aux frais des volontaires. L'autorité militaire, s'estimant
outragée, fit passer en justice l'instigateur du projet et l'imprimeur.
Monsieur Dupré de Saint-Maur était concessionnaire dans
la société de l'Habra. Il était aussi propriétaire
de 2 000 hectares à Harbal près d'Oran. "Je ne viens
pas chercher fortune, affirmait-il, je viens ici risquer une fraction
de la mienne. Il est digne de savoir exposer ses capitaux pour rendre
productive une terre arrosée du sang de tant de Français
".
Enfin la construction du barrage débuta en 1865.
L'ouvrage construit de 1865 à 1871, était un barrage-poids
en maçonnerie hydraulique de 316 mètres de long flanqué
en rive droite d'un mur de 30 mètres faisant un angle de 120°
avec l'ouvrage central, et en rive gauche d'un déversoir de 125
mètres de long faisant un angle de 35° avec le prolongement
de l'axe du barrage. Le déversoir était fait de deux murs
verticaux réunis par un glacis en pente ; sa crête était
à 1,60 mètre en contrebas de la plate-forme du barrage.
La hauteur au dessus du thalweg était de 35 mètres ; la
hauteur totale au dessus du point le plus bas des fondations était
de 43 mètres, la largeur maximum des fondations atteignait 33 mètres.
La capacité totale de la cuvette était évaluée
à 30 millions de mètres cubes. Le déversoir est un
des éléments nécessaires d'un barrage réservoir
; son but est de servir à l'écoulement des eaux de crues
lorsque le réservoir est plein. Il est construit en fonction du
volume des grandes eaux. Sur l'Habra, le débit des crues était
estimé entre 4 et 500 m3/s.
Le 10 mars 1872, une crue exceptionnelle
estimée à 700 m3/s provoqua la rupture du déversoir
en créant une brèche de 55 mètres de longueur sur
12 mètres de hauteur. Le débit d'eau sortant de la brèche
fut évalué à 5 600 mètres cubes par seconde
et plus de 200 000 m3 de déblais furent entraînés.
Il fut reconstruit sous forme d'un mur unique, profilé pour éviter
les affouillements, basés sur de solides fondations après
remplissage des excavations découvertes dans le rocher, et définitivement
terminé en mai 1873.
Le 15 décembre 1881, le barrage
cédait à nouveau. Une crue de 850m3/s emporta 125 mètres
du barrage sur la rive droite. Deux cent cinquante personnes furent noyées,
ponts, et maisons emportés par les flots déchaînés.
La reconstruction du barrage dura deux années, de 1883 à
1885, avec modification du profil et coûta 1.300. 000 Fr.
Le barrage étant à nouveau détruit en cette fin d'année
1981, monsieur Louis Laurent, alors maire de Perrégaux et Monsieur
Jules Duforest, conseiller général, obtiennent à
Paris les fonds et l'assurance de la reconstruction du barrage.
LA RUPTURE DU BARRAGE EN 1927
Il avait plu toute la semaine et en ce vendredi 25
Novembre 1927, le niveau de l'eau ne cessait de monter obligeant
les responsables du barrage à ouvrir les vannes d'évacuations
à leur débit maximum. Cette opération ne suffit pas
à diminuer la pression qui s'exerçait sur le barrage-poids.
En 22 heures et 20 minutes, le plan d'eau s'éleva de 27m85 !
Le samedi matin, à 10h.45, le barrage de l'Oued Fergoug, de 32m
de hauteur, se mettait à vibrer.
Soudain le barrage fléchissait dans son milieu, s'ouvrait, et une
énorme trombe d'eau jaillissait au point de rupture.
Le barrage est rompu. Une brèche de 16m de hauteur sur 200 mètres
de largeur, s'est formée au milieu du barrage. Une vague gigantesque
se précipite vers Perrégaux emmenant avec elle les cinq
à six mille mètres cubes de maçonnerie arrachés
au barrage. Le débit de ce raz de marée terrestre atteint
2 500 mètres cubes à la seconde. L'Ingénieur subdivisionnaire
Avargues put prévenir par téléphone le Maire de Perrégaux,
Monsieur Pascal Serres, qui fit donner l'alarme. Les cloches de l'église
Saint-Martin résonnaient sans cesse ainsi que le sifflet du dépôt
de chemin de fer.
A Perrégaux, la population s'est réfugiée sur les
hauteurs de la colline des planteurs, ou dans les étages des maisons
qui lui paraissait être suffisamment solides pour résister
à un tel cataclysme.
Enfin, trois quarts d'heure après l'annonce de la rupture du barrage,
les flots torrentiels déferlaient dans les rues de Perrégaux,
dans un vacarme assourdissant et angoissant.
La vague, puissante et dévastatrice, emporte sur son passage le
pont métallique du chemin de fer ; au dépôt des chemins
de fer de l'état, les locomotives et les wagons sont soulevés,
renversés, transportés jusque dans les rues de la ville.
Les routes sont coupées, les vergers arrachés, les récoltes
anéanties. L'eau submerge et dégrade la route de Perrégaux-Oran.
Dans la ville, une cinquantaine de maisons n'ont pas résisté
et se sont effondrées sous le choc et la poussée de cette
force naturelle que l'on avait essayé de maîtriser. Dans
les rues, la hauteur des eaux boueuses atteint deux mètres. Grâce
à l'appel téléphonique de l'ingénieur du barrage,
mais aussi du fait que la catastrophe se soit déroulée de
jour, il n'y eut pas de victime à Perrégaux. On dénombra
cependant quelques noyés dans la plaine, des indigènes essentiellement.
Dans la plaine, la vague a perdu de sa puissance et sa hauteur n'est plus
que d'un mètre. Sa puissance s'est affaiblie en rencontrant sur
son parcours différents obstacles : les routes et les voies de
chemin de fer surélevées de Perrégaux à Mostaganem
et à Sahouria, ont fait office de barrages tout au long de sa progression.
Finalement le flot s'étale sur 20 km de largeur, couvrant la plaine
de l'Habra d'une épaisse couche de limon. En ville, l'eau s'est
retirée. La boue et la vase ont recouvert les rues, ont envahi
les caves et les rez-de-chaussée dont les planchers se sont écroulés.
Les secours s'organisent. Le 32e bataillon du génie de Hussein-Dey,
prévenu à 17 heures, envoie à Perrégaux, sur
ordre du Général commandant le 19e corps d'armée,
un détachement constitué d'un chef de bataillon, de trois
officiers et de 150 hommes. Le 28 novembre, le détachement est
rejoint par des télégraphistes et des sapeurs du 45e bataillon
du génie. Le lendemain, le 29 novembre, la compagnie de pionniers
du le Régiment Etranger arrive à Perrégaux et cantonne
sur wagons.
La légion Etrangère et une compagnie du 15e Génie
remettent en état la voie entre Perrégaux et Bou-Henni.
Le Génie travaille à la remise en état de la gare
de l'Etat.
Voie ferre de PERRÉGAUX rendant les Inondat:ons
Il pleut depuis huit jours en ce 30 décembre 1927 ; à Perrégaux,
l'oued Habra coule à pleins bords. Le pont du chemin de fer menace
d'être emporté d'un moment à l'autre. Par crainte
d'une catastrophe, la compagnie P.L.M. a cessé dès le matin
toute exploitation entre Perrégaux et Bou-Henni. Elle a en conséquence
arrêté à 9h50, en gare de Bou- Henni, l'express Oran-Alger
;
Le 31 décembre une nouvelle crue enlève le pont mixte constitué
de route et rail sur 55m de longueur et 15 m de large. Les télégraphistes
rétablissent les communications, en particulier sur la ligne Perrégaux
Mascara où elles sont coupées sur 2 Km.
Le 31 décembre, le barrage de St-Maur, à 2 Km en aval de
Perrégaux, cède à son tour.
Dès le 31 décembre, on décide de construire sur l'Habra
deux ponts distincts. A l'emplacement de l'ancien pont, on projette de
construire 3 travées de pont Pigeaud, expédiées de
métropole. Mais la rivière emporte une des deux culées
du pont le 6 janvier 1928, puis l'autre le 26 janvier. La brèche
atteint alors 370m.
Le pont portant le nom de Tesson, en béton armé, a tenu
bon malgré une brèche de 16 mètres derrière
la culée de la rive droite. En 10 jours, les sapeurs réalisent
un pont sur pilotis, seul lien de communication terrestre avec Oran en
attendant les ponts Pigeaud.
Le premier pont Pigeaud est construit 500 m en amont de l'ancien pont,
sur une partie de l'oued dont la largeur est de 77 m. Les travaux débutent
le 15 janvier et le premier pont est terminé le 23 mars 1928.
Le 29 mars 1928, le pont route construit sur l'Habra par le 32e bataillon
est terminé et la compagnie PLM reprend l'exploitation de la ligne
Alger-Oran avec transbordement à Perrégaux.
Quant aux Perrégaulois très éprouvés par ces
graves catastrophes à répétition, l'heure était
à la reconstruction et au nettoyage de la ville envasée
par des tonnes de boue et de débris de toutes sortes.
Pour la petite histoire, dans les années 80, le barrage fut réaménagé
par un entreprise d'un pays de l'Est.
Jean-Marc LABOULBENE
BIBLIOGRAPHIE :
GUIDE JOANNE - Itinéraire de l'Algérie par Louis Piesse-
1879 Site et monuments de l'Algérie - 1902
L'illustration N° 4423 du 10 décembre 1927
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