On l'a maintes fois dit : la grande pêche
algérienne est dans une situation difficile, voire angoissante
(Alger-Revue, mai-juin 1956). Résumons en les causes.
Le prolongement en mer du plateau continental algérien est, tout
au long des côtes, relativement très faible. Les zones chalutables
sont donc étroites... Par suite du manque de ports les chalutiers,
d'ailleurs de dimensions réduites, ne peuvent s'éloigner,
travaillent toujours dans les mêmes parages (sauf 4 mois d'interdiction
des chalutages dans les eaux nationales : juin à octobre) et finissent
par épuiser le stock de poissons vivant sur le plateau. Rareté
et cherté relative sont les conséquences de cet état
de fait.
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Schéma
représentatif d'une méthodede pêche au chalut
à grande profondeur, dont le " Louis-Boutan " fait
actuellement
la mise au point.
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Ainsi, l'économie de la pêche
algérienne est loin d'occuper le rang qui devrait normalement lui
revenir dans l'économie générale d'un pays qui comporte
1.300 km. de côtes. Elle ne saurait demeurer dans ce demi-marasme
sans graves dommages pour les intérêts de la corporation
et ceux des populations.
Toutefois, les ressources de la mer sont infinies. Au-delà du plateau
continental, dans les eaux internationales, la zone méso-abyssale
(zone des eaux profondes) révèle des richesses encore imparfaitement
connues. Au nombre de celles-ci s' inscrit la présence par quantités
énormes, de Pénaeidés, la grande famille des
crevettes (crevette blanche : Para penaens longirostris ; crevette
rouge : Aristeus antennatus et Aristeomorpha foliacca).
Pour la plupart de belle raille, ces crevettes sont d'une commercialisation
facile, surtout depuis que leur conservation pat les procédés
modernes de réfrigération a atteint une quasi-perfection.
Ce qui précède conduit tout naturellement à attirer
l'attention des chalutiers sur les grands fonds (300 à 700 m.)
où vivent la plupart de ces crevettes, les rouges surtout, et à
dévier la pêche vers cette zone mésoabyssale, encore
peu exploitée.
Cependant l'empirisme traditionnel, riche d'expérience et de "
secrets " transmis de père en fils, dont s'inspiraient jusqu'ici
les patrons de chalutiers, ne peut plus suffire à assurer un rendement
convenable à la pêche en grands fonds.
De toute évidence, il est nécessaire de bien connaître
cette zone profonde, de savoir quels sont les habitants de ce milieu,
d'étudier leurs déplacements ainsi que la nature des vases
du substrat. Bref, d'en cerner étroitement tous les éléments
de rendement au point de vue chalutage.
Ce travail scientifique a été amorcé depuis des années
par la Station expérimentale d'aquiculture et de pêche de
Castiglione qui a publié divers ouvrages à ce
propos : cartes des prospections, Inventaire de la faune, Etudes sur la
microfaune (Foraminifères) et recherches minéralogiques
des vases de fond. Editions de cartes.
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Vue en coupe
et en plan des aménagements spéciaux du " Louis-Boutan"
(conçu et réalisé par M. Marc Plasaules, des
Ateliers Terrin d'Alger).
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Il faut signaler que tous ces travaux ont
été effectués avec des moyens de fortune : location
de chalutiers, examen de fonds de chalut., etc. Un bateau de recherches
scientifiques propre à la station de Castiglione s'avérait
de plus en plus indispensable à leur poursuite rationnelle.
La création de cet outil de travail fut enfin décidée
le 30 mars 1954 par l'Assemblée Algérienne. Rappelons à
ce sujet l'exposé des motifs de la proposition que faisait déjà
en 1953 le directeur de l'Inscription maritime à la Commission
des pêches créée auprès du Commissariat au
Plan :
" L'Algérie aurait besoin d'un chalutier bien équipé
pouvant servir aux recherches biologiques sur les animaux marins ainsi
qu'aux expériences pratiques de pêche.
" En dehors de l'équipage il y aurait place pour 2 naturalistes.
" Les activités de ce bateau seraient les suivantes :
1) Recherche et prospection de nouveaux fonds de pêche en eau profonde
jusqu'à 1.000 m. (sondages, dragages, inventaires des fonds).
2) Essais de divers filets pélagiques pour les crevettes.
3) Recherches sur les thonidés. Lieux de pontes, larves, pêche.
4) Recherches sur les clanéidés. Pêche à la
senne tournante, coulissante, échos poissons.
5) Hydrologie "
Sur
la plage arrière : les deux tambours du treuil déroulent
chacun 3.000 m. de crible de 12, 5
m/m
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Le chalutier " Louis-Boutan ",
construit en conformité de la décision de l'Assemblée
Algérienne, par les Etablissements Turin, répond aux objectifs
précités et aux préoccupations, maintes fois exprimées,
des organismes intéressés aux études en faveur du
développement des industries de la pêche. Mis à l'eau
fin juin 56, son équipement et la mise au point des appareils ne
furent achevés qu'en mai dernier. Il a été, à
cette date, placé à la disposition de l'Inspecteur technique
des pêches en Algérie.
Les quelques 150 chalutiers de la côte algérienne, même
ceux de 50 tonneaux, sont en bois. Dans leur modernisation, ils ont abandonné
la vapeur pour les moteurs diésel, après avoir abandonné
la voile, mais ils ont gardé la coque en bois.
Or, l'innovation pour le bateau scientifique au service de la pêche
c'est la coque en acier, tôles d'acier doux Siémens-Martin.
Voici les caractéristiques : longueur hors tout, 23 rn. 40 ; largeur
hors tout, 5 m. 80 ; creux au milieu de la quille, 2 m. 85. Déplacement
en charge : 95 tonnes environ.
La propulsion est assurée par un moteur diésel Martin Duvant,
type 4 VHKM, 4 cylindres, 4 temps simple effet, développant la
puissance de 200 CV à la vitesse de 600 tours-min., équipé
d'un inverseur réducteur 600/392 et manchon d'accouplement semi-élastique,
avec compresseur d'air. Deux soutes longitudinales contiennent 6.000 litres
de gaz-oil en plein.
Sur le pont est disposé le treuil de pêche entraîné
par le moteur principal et pouvant comporter sur chacun de ses tambours
3.000 mètres de câble de remorouage du filet. Ce qui rend
possibles des chalutages jusqu'à plus de 1.000 mètres de
fond.
Les aménagement nécessaires comportenr le roof comprenant
la cabine du chef de mission, la timonerie et la cuisine.
Le poste d'équipage à l'avant est prévu pour 7 hommes.
Une cambuse, une armoire frigorifique et un magasin à matériel
sont sur l'avant.
Le poste arrière est réservé aux deux naturalistes,
aménagé en carré et en laboratoire d'études.
Le chalutier est équipé d'un émetteur récepteur
radio, d'un radiogonio à lecture de relèvement direct ;
d'un sondeur enregistreur moderne permettant les sondages jus-qu'aux grandes
profondeurs.
Cet équipement moderne permet les recherches scientifiques, les
expériences, les essais de dragages, de remorqu:ege de tout engin
de pêche.
Ce qui permet de prévoir que ce premier chalutier en fer, si bien
organisé pour travailler sur nos côtes et bien outillé
pour la pêche dans lit zone mésoabyssale, sera un prototype.
Quoique son équipement complet n'ait été achevé
que depuis peu, le " Louis-Boutan a entrepris ses premiers travaux
: dragages, sondages, chalutages d'essai. Ils ont porté surtout
sur la baie d'Alger et la baie de Mostaganem.
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Le " Louis-Boutan"
amarré au môle de pêche. On voit les 2 potences supports
des câbles de fond (v. schéma), les panneaux de chalut et
les filets avec les flotteurs.
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