Le parler pied-noir
Le parler PATAOUÈTE
Dossier "Sabir, pataouète et Cie"

extraits du numéro 72 , 2ème trimestres 2019 , de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
L'article comprend 3 illustrations non reproduites ici
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sur site : sept.2020

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Qu’est-ce que le pataouète ? Un moyen de communication dans la polyphonie des premières immigrations et de la population locale ? Une revendication identitaire ? Une création littéraire ?

Le vocable, à l’origine, désigne moins le langage que son locuteur. Pour l’Algérien du début du 20ème siècle, le pataouète est un personnage mal dégrossi, usant d’un français chaotique et vulgaire, dont il est convenu de se moquer entre gens de bonne compagnie. Le glissement sémantique inverse a habillé la langue en question du nom de Cagayous, héros babelouédien d’Auguste Robinet, dit Musette. Ainsi les pionniers du cru parlèrent-ils sans le savoir le cagayous avant le pataouète, puisque cette dernière application appliquée à la langue n’apparaît que vers la fin des années 30.

Le dictionnaire « Le Pataouète », aux éditions Gandini, renvoie à une explication étymologique par la racine catalane patuet (patois). L’hypothèse, phonétiquement séduisante, répond par ailleurs à notre première question, si l’on considère qu’un patois peut être une « langue mixte » (Le Robert), et que, à ce titre, les premières générations de la colonisation y ont apporté ou trouvé, ainsi qu’en une auberge espagnole, des éléments disparates de communication élémentaire.

Sur l’étymologie proposée il semble qu’Edmond Brua ait été d’un avis différent, si l’on en juge par l’extrait suivant d’un texte sur « l’idiome algérien » datant de 1974 :

Il est peu vraisemblable que cette racine (patuet) air servi à la création d’un terme de Bab-el-Oued. Elle est trop « savante ». À mon sens l’origine du mot doit être cherchée dans « Le Papa Louette », titre d’un journal satirique créé et rédigé par Henri Fiori, futur député d’Alger (et dit « Fiori l’Anisette » parce qu’il avait fait campagne, comme homme politique, pour le rétablissement de la liberté de vente de cette boisson alcoolisée). Papalouette se serait ainsi déformé en pataouette ou pataouète, sous l’influence du préfixe pata, qui a un sens caricatural (patache, pataquè,….).

Sur le langage proprement dit, il n’est pas dans notre propos de jouer au savant de la fable bônoise, si riche que soit la matière phonétique et linguistique pour un observateur extérieur (C’est merveille, dit-il de les ouïr parler ?).

On se bornera au rappel du constat de trois caractéristiques utiles à la « dégustation » du pataouète de vieux fût débondé pour ce travail.

L’ACCENT : il est le produit, inégalement synthétique, de sonorités méditerranéennes dominées par la gutturalité arabe. Par un étrange retour des choses, le français de bonne tenue parlé en Algérie d’aujourd’hui reste imprégné de la prononciation Pieds Noirs des années 1950-1960.

LE VOCABULAIRE : fut, jusqu’à sa « fermeture » de 1962, le carrefour des mots et expressions de l’immigration, brassés avec une si forte proportion de langue locale que près d’un tiers d’entre elles sont, soit marqués par une racine arabe, soit totalement empruntés, tel : aouah ! (pas possible), bessif (par force),flouss (argent), fartas (chauve), rabia (colère)….. Pour les dérivés on citera : laouère (de auer : mal-voyant) ; louette (de louhat : malin).., mais il y en a beaucoup d’autre, notamment dans le registre de l’injure obscène.

LA SYNTAXE : Il a une certaine provocation à nommer syntaxe l’organisation du discours pataouète, dans la mesure où celui-ci fonctionne à contre-sens de l’ordre établi. Il ne faut pas moins lui reconnaître une logique de distorsion, dont Edmond Brua, dans ses notations dur « l’idiome algérien » a relevé quelques singularités : l’inversion de l’attribut (fou je viens, malade il est), la forme du conditionnel (si j’aurais su, si je serais toi), le pléonasme sujet-pronom (ma mère elle m’a crié).

Dans le même élan, le pataouète s’affranchit sans complexe, ni remords, des contraintes de l’intimidant subjonctif (je veux qu’elle vient demain), de l’accord du participe (qué des histoires qu’i z’ont pas fait), de la diction (liaison, h aspirés….)

Accord du participe, diction, avez-vous dit ? Mais alors, le pataouète n’est pas mort et enterré avec l’Algérie française ? Pléonasme et redondances compris, ce sont bien ses formules les moins respectueuses du « bon français » qui émaillent chaque jour les journaux télévisés (les jeu’ olympique, l’esteu de la France, aujOrd’hui….) mais sans la distance, ni la fantaisie, d’un langage « parallèle » qui savait se moquer de ses propres travers. Le pataouète, comme toutes les marques déposées, souffre mal les imitations. Sans l’excuse de la dérision, ni l’alibi d’un accent qui annonce la couleur, la faute fait tache. Il n’est de bon pataouète que celui qui se parle ou s’écrit en tant que tel, naturellement ou par jeu, entre gens « qui connaissent la musique ».

Bréviaire caravanier

Comme on dit à chez nous qu’on connaît la misique :

« Laiss’ les chiens qu’i z’aboyent et les p’tites mouch’s qu’elles piquent,

Quâmêm’ la caravane elle arriv’ra à l’heure ! »

Patience et bonne année ! Si t’i’as peur, n’as pas peur !

La vérité, ou’allah, c’est comm’ le dromadaire :

Au plussell’ roul’ sa bosse, au moins elle en a l’air.

Baiss’ le chèch’ quand ça souffl’ un peu fort les tchaleffes

Et tap’ le bras d’honneur aux sercheurs de zouzgueffs !

D’après « Quérabia ! »

Ou « L’humour de Dodièze » par Jean Brua

Marie-Annick GIBERGUES

Extrait du Mémoire Vive n°72