Le parler
pied-noir
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Quest-ce que le pataouète ? Un moyen de communication dans la polyphonie des premières immigrations et de la population locale ? Une revendication identitaire ? Une création littéraire ? Le vocable, à lorigine, désigne moins le langage que son locuteur. Pour lAlgérien du début du 20ème siècle, le pataouète est un personnage mal dégrossi, usant dun français chaotique et vulgaire, dont il est convenu de se moquer entre gens de bonne compagnie. Le glissement sémantique inverse a habillé la langue en question du nom de Cagayous, héros babelouédien dAuguste Robinet, dit Musette. Ainsi les pionniers du cru parlèrent-ils sans le savoir le cagayous avant le pataouète, puisque cette dernière application appliquée à la langue napparaît que vers la fin des années 30. Le dictionnaire « Le Pataouète », aux éditions Gandini, renvoie à une explication étymologique par la racine catalane patuet (patois). Lhypothèse, phonétiquement séduisante, répond par ailleurs à notre première question, si lon considère quun patois peut être une « langue mixte » (Le Robert), et que, à ce titre, les premières générations de la colonisation y ont apporté ou trouvé, ainsi quen une auberge espagnole, des éléments disparates de communication élémentaire. Sur létymologie proposée il semble quEdmond Brua ait été dun avis différent, si lon en juge par lextrait suivant dun texte sur « lidiome algérien » datant de 1974 : Il est peu vraisemblable que cette racine (patuet) air servi à la création dun terme de Bab-el-Oued. Elle est trop « savante ». À mon sens lorigine du mot doit être cherchée dans « Le Papa Louette », titre dun journal satirique créé et rédigé par Henri Fiori, futur député dAlger (et dit « Fiori lAnisette » parce quil avait fait campagne, comme homme politique, pour le rétablissement de la liberté de vente de cette boisson alcoolisée). Papalouette se serait ainsi déformé en pataouette ou pataouète, sous linfluence du préfixe pata, qui a un sens caricatural (patache, pataquè, .). Sur le langage proprement dit, il nest pas dans notre propos de jouer au savant de la fable bônoise, si riche que soit la matière phonétique et linguistique pour un observateur extérieur (Cest merveille, dit-il de les ouïr parler ?). On se bornera au rappel du constat de trois caractéristiques utiles à la « dégustation » du pataouète de vieux fût débondé pour ce travail. LACCENT : il est le produit, inégalement synthétique, de sonorités méditerranéennes dominées par la gutturalité arabe. Par un étrange retour des choses, le français de bonne tenue parlé en Algérie daujourdhui reste imprégné de la prononciation Pieds Noirs des années 1950-1960. LE VOCABULAIRE : fut, jusquà sa « fermeture » de 1962, le carrefour des mots et expressions de limmigration, brassés avec une si forte proportion de langue locale que près dun tiers dentre elles sont, soit marqués par une racine arabe, soit totalement empruntés, tel : aouah ! (pas possible), bessif (par force),flouss (argent), fartas (chauve), rabia (colère) .. Pour les dérivés on citera : laouère (de auer : mal-voyant) ; louette (de louhat : malin).., mais il y en a beaucoup dautre, notamment dans le registre de linjure obscène. LA SYNTAXE : Il a une certaine provocation à nommer syntaxe lorganisation du discours pataouète, dans la mesure où celui-ci fonctionne à contre-sens de lordre établi. Il ne faut pas moins lui reconnaître une logique de distorsion, dont Edmond Brua, dans ses notations dur « lidiome algérien » a relevé quelques singularités : linversion de lattribut (fou je viens, malade il est), la forme du conditionnel (si jaurais su, si je serais toi), le pléonasme sujet-pronom (ma mère elle ma crié). Dans le même élan, le pataouète saffranchit sans complexe, ni remords, des contraintes de lintimidant subjonctif (je veux quelle vient demain), de laccord du participe (qué des histoires qui zont pas fait), de la diction (liaison, h aspirés .) Accord du participe, diction, avez-vous dit ? Mais alors, le pataouète nest pas mort et enterré avec lAlgérie française ? Pléonasme et redondances compris, ce sont bien ses formules les moins respectueuses du « bon français » qui émaillent chaque jour les journaux télévisés (les jeu olympique, lesteu de la France, aujOrdhui .) mais sans la distance, ni la fantaisie, dun langage « parallèle » qui savait se moquer de ses propres travers. Le pataouète, comme toutes les marques déposées, souffre mal les imitations. Sans lexcuse de la dérision, ni lalibi dun accent qui annonce la couleur, la faute fait tache. Il nest de bon pataouète que celui qui se parle ou sécrit en tant que tel, naturellement ou par jeu, entre gens « qui connaissent la musique ». Bréviaire caravanier Comme on dit à chez nous quon connaît la misique : « Laiss les chiens qui zaboyent et les ptites mouchs quelles piquent, Quâmêm la caravane elle arrivra à lheure ! » Patience et bonne année ! Si tias peur, nas pas peur ! La vérité, ouallah, cest comm le dromadaire : Au plussell roul sa bosse, au moins elle en a lair. Baiss le chèch quand ça souffl un peu fort les tchaleffes Et tap le bras dhonneur aux sercheurs de zouzgueffs !
Daprès « Quérabia ! » Ou « Lhumour de Dodièze » par Jean Brua Marie-Annick GIBERGUES Extrait du Mémoire Vive n°72
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