En présence de MM. BRUNE, DE CHEVIGNÉ,
LÉONARD et DE HAUTECLQOQUE
Ouargla a célébré avec éclat le cinquantenaire
des Compagnies sahariennes
" L'avenir du Sahara
français s'inscrit dans le sens de la prospérité
future de l'Algérie et de la collectivité nationale ".
M. BRUNE
" Des richesses minérales enfouies sous ses terres austères
peuvent bouleverser l'économie, la stratégie à l'échelle
mondiale " M. DE CHEVIGNÉ
" Longtemps encore, les compagnies sahariennes resteront indispensables.
Les populations plus que jamais, auront besoin de leur affectueuse tutelle
" M.Roger LÉONARD
Ouargla, perle du désert,
a célébré avec faste le cinquantenaire des Compagnies
sahariennes qui ont remporté sur le cur des nomades leur
plus sûre victoire.
Le chef-lieu du territoire des oasis méritait l'insigne privilège
de servir de cadre à ces grandioses et émouvantes manifestations.
Orgueilleuse d'un passé que la légende fait remonter à
Salomon, Ouargla fut, face à la haute mer de sable, le port d'où
s'élancèrent pour d'héroïques entreprises, les
missions qui traversèrent récemment et pacifiérent
l'immense Sahara.
La prise d'armes
A 9 h. 30, MM. Brune, ministre de l'Intérieur ; de Chevigné,
secrétaire d'État à la Guerre ; Roger Léonard,
gouverneur général de l'Algérie, étaient accueillis
à leur descente d'avion par le colonel Thiriet, commandant le territoire
des Oasis.
Un imposant cortège se formait alors pour gagner un immense terre-plein
situé au delà de l'oasis de Ouargla.
Dans ce décor féerique, les compagnies sahariennes venues
de tous les points du désert, du Fezzan, du Hoggar.
des confins du Rio del Oro, offraient un spectacle d'une incomparable
grandeur.
A la tribune d'honneur, on notait aux cotés de MM. Brune, de Chevlgné,
Léonard et du général Calliés, M. de Hauteclocque,
résident général de France en Tunisie, le général
Chevillon, représentant le général Guillaume, résident
général de France au Maroc ; M. Laquière, président
de l'Assemblée algérienne, de nombreux parlementaires, délégués
a l'Assemblée algérienne, élus des trois départements.
Après avoir passé les troupes en revue, M. de Chevigné
donna lecture de la citation à l'ordre de l'armée des compagnies
sahariennes, et agrafa à leur étendard la croix de guerre
avec palme.
Ce fut ensuite l'échange solennel et traditionnel de l'étendard.
Le porte-fanion de la compagnie de du Touat, encadré de méharistes
en grande tenue blanche, transmit l'oriflamme au porte-fanion de la compagnie
de la Saoura, qu'encadraient deux reguibats vêtus de gandourahs
bleues, des tribus de Mauritanie.
Puls M. Brune remit la plaque de grand officier de la Légion d'honneur
au général Meynier et la cravate de commandeur au colonel
Nabal et à M. Fontenaud, un des derniers survivants de la mission
Foureaun-Lamy.
Le discours de M. LÉONARD
Après avoir salué le ministre l'intérieur "
venu témoigner de sa sollicitude pour ces terres lointaines d'Algérie
, le secrétaire d'État à la guerre " qui vient
de rentrer, il y a eu quelques jours à peine. d'Indochine où
se défend la liberté du monde ", les parlementaires
,. délégués à l'Assemblée algérienne
et élus, M. Roger Léonard s'adressa à tous ceux qui
représentent la France dans ces régions : officiers, médecins.
instituteurs, missionnaires.
" Les Sahariens, dit-il, sont aujourd'hui à l'honneur C'était
une justice à leur rendre. car ils sont bien souvent à la
peine dans leur quotidienne existence de solitude et de silence, ces militaires
au prestigieux képi bleu qui assurent la sécurité
du désert à la tête de leurs pelotons mobiles ou qui,
avec des moyens réduits, assument la tâche complexe et souvent
délicate d'administrer les populations déshéritées
des oasis. "
Puis le gouverneur général rappela la glorieuse épopée
des compagnies sahariennes, depuis leur création en 1902, évoquant
les noms des Flatters, Fourreau, Lamy, Joalland, Meynier. Gentil, Pein-Flamand,
Laperrine, Gardel, Lehureaux, Clavery, jusqu'à la prise de Ghat.
" Maintenant, les Sahariens ont repris leur travail obscur et quotidien
soit que, cheminant pendant de longues heures à l'allure balancée
de leur méhara, ils aillent à la tête de leurs pelotons
vers les campements les plus reculés, soit que, dans leurs bureaux,
ils écoutent patiemment les doléances de leurs administrés,
soit que, sur les chantiers, ils dirigent les travaux des maçons
et des terrassiers.
Le Sahara, poursuit-il est impitoyable pour les faibles, il durcit et
élève les torts. Dans ce pays implacable, les Sahariens
ont, dans tous les domaines, accompli une uvre à laquelle
on doit rendre hommage. Soldats, ils se sont battus quand cela s'imposait.
Mais c'est surtout dans leur tâche pacifique qu'ils ont donné
leur mesure. Ils furent souvent des savants, ou du moins des collaborateurs
précieux pour les savants. "
Et le gouverneur général souligna les réalisations
administratives de ces bâtisseurs :
" De ces populations, confiées à leur garde, ils mettent
leur point d'honneur à développer l'hygiène et à
diminuer la mortalité. Avec le même esprit que leur grand
ancien des bureaux arabes, le duc d'Orléans qui écrivait
: " je mettrai plus d'ambition à la conquête d'un matelas
et d'un toit pour des malades qu'à la prise d'une place forte "
ils ont construit les infirmeries et les dispensaires où leurs
camarades, les médecins des territoires du Sud, accomplissent avec
une rare abnégation leur si belle mission. Grâce à
leur action conjuguée avec celle des médecins, les épidémies
les plus mortelles sont en régression et, dans certaines régions
comme celle d'Ouargla, le paludisme a disparu.
L'ignorance et l'analphabétisme tendent eux aussi à disparaître
devant les écoles qui s'ouvrent dans le désert, grâce
aux Sahariens. Bâtiments clairs et vastes demeures confortables
pour les maîtres, qu'ils construisent jusque dans les plus petits
centres, nomades qu'ils incitent à envoyer leurs enfants au "
taleb " français, par tous les moyens, leur action tend à
développer l'instruction et ils sont fiers de voir les jeunes de
plus en plus nombreux parler notre langue et nous aimer plus, nous connaissant
mieux. "
M. Roger Léonard conclut :
" Et maintenant. l'oeuvre des Sahariens est-elle terminée
? Les képis bleus doivent-ils disparaître du Sahara qui leur
doit tant ?
Assurément non, alors même que certaines régions présahariennes
en raison du degré d'évolution où ils ont su les
conduire, passeraient à l'administration civile ".
Aujourd'hui, et sans doute pour longtemps encore, les grandes étendues
sahariennes devront demeurer leur domaine. Ils y resteront d'indispensables
chefs, d'irremplaçables guides, même et surtout si les prospections
géologiques actuellement entreprises au Sahara y font naître
des activités nouvelles, Les techniciens auront besoin de leur
expérience, les populations plus que jamais auront besoin de leur
affectueuse tutelle.
Les Sahariens sont, dans le désert, la représentation sensible
de la France, de cette France qui, a travers eux, parait, selon les termes
du petit-fils de Renan, ancien méhariste, " vertueuse, pure
simple casquée de raison, cuirassée de fidélité.
Puis M. Lehureau, délégué à l'Assemblée
algérienne pour les Territoires du Sud, retraça à
son tour l'existence de ceux parmi lesquels ii vécut durant de
nombreuses années. M. de Chevigné apporta ensuite aux Sahariens
l'hommage de son ministère et conclut :
" Le rôle de ces unités dont nous louons et récompensons
le passé est loin d'être terminé. Il devra certes
s'adapter au rétrécissement de l'espace qui caractérise
notre temps. Le Sahara est devenu un des carrefours du monde moderne.
Il requiert des gardiens éprouvés et attentifs.
Des richesses minérales enfouies sous ses terres austères
peuvent bouleverser l'économie, la stratégie même
à l'échelle mondiale, le tirer de son isolement. Nous devons
donc rester vigilants et perfectionner l'instrument au passé prestigieux.
Ce passé nous assure que demain les compagnies sahariennes sauront
faire race aux tâches qui les attendent encore ".
Dans une courte allocution, M. Charles Brune donna aux compagnies sahariennes
le salut du gouvernement. Parlant des futures richesses du Sahara, il
dit : " c'est grâce à vous que ces richesses sont connues.
C'est de tout ce passé, c'est de tout ce présent, de tout
ce que nous espérons de l'avenir, que je vous exprime. au nom du
gouvernement de la République. une inaltérable gratitude
".
Longuement applaudis, les pelotons défilèrent alors devant
la tribune officielle. Parmi les uniformes blancs classiques des méharistes
on distinguait ceux plus caractéristiques des tribus de Mauritanie
en gandourahs bleues et les uniformes noirs des Touareg du Hoggar et du
Tassili.
Puis l'on vit revenir du fond de l'horizon, tous les pelotons méharistes
alignés sur un rang et qui s'arrêtèrent à une
centaine de mètres de la tribune, saluant les autorités.
Le cortège officiel se reforma aussitôt, après et,
sous un soleil implacable, rejoignit le centre de l'oasis.
Le discours de M. BRUNE
A l'issue du banquet servi au cercle Commandant-Noël, MM. Tidjanl,
délégués l'Assemblée algérienne ; Laquiere,
président de l'Assemblée algérienne, et Bengana,
député, prirent successivement la parole. Ils s'élevèrent
en particulier contre le projet actuellement à l'étude du
rattachement des Territoires du Sud d'une manière directe à
la métropole.
Prenant, la parole, M, Brune déclara :
" C'est l'épopée légendaire des compagnies sahariennes
qui a valu à la France d'étendre sa souveraineté
sur cet immense domaine saharien, d'y instaurer l'ordre et la sécurité,
non seulement par le prestige de ses armes, mais encore par le rayonnement
de ses bienfaits.
Là, où régnaient, au début de ce siècle
anarchie, pillage et misère, là où les populations
sédentaires étaient prostrées sous le rude joug des
guerriers nomades qui vivaient exclusivement du profit de leurs rezzous,
nous avons accompli ce miracle de faire régner la paix presque
sans effusion de sang, complétant par la persuasion et la diplomatie
l'action militaire ; là où régnait, la loi du plus
fort et du plus cruel, nous avons garanti la sécurité des
personnes et des biens, nous avons instauré le règne de
la. justice et de la liberté ; là où des tribus affamées
tentaient de vivre sous les rigueurs d'un climat implacable qui n'épargne
ni les hommes, ni les bêtes, ni les plantes, nous avons prodigué
les
bienfaits de notre science et de notre technique, nous avons apporté
aux malades l'assistance du médecin et de nos dispensaires. creusé
des puits, fait jaillir des sources génératrices de vie,
irrigué et fécondé des terres, créé
de nouveaux centres de culture, développé des palmeraies,
amélioré l'élevage par l'aménagement des points
d'eau sur les parcours de transhumance, ouvert des écoles,
multiplié les centres artisanaux, amélioré l'habitat.
Avant tout, la France peut s'enorgueillir d'avoir délivré
les tribus de l'envoûtement de la soif, de la faim et de la peur.
Le sceau de notre protection et de notre sollicitude est marqué
ici comme ailleurs. Le progrès démographique atteste l'efficacité
de notre présence : plus de 650.000 âmes peuplent maintenant
cet immense et inexorable désert qui ne laissait naguère
aux vivants qu'une infime parcelle de chance.
Quelle autre nation, parmi celles qui nous prodiguent leurs remontrances,
peut se flatter d'avoir accepté pareille mission. de l'avoir remplie
avec courage, avec honneur et désintéressement, dans le
plus pur esprit d'apostolat ?
Puis le ministre de l'Intérieur retraça l'uvre admirable
de Laperrine qui donna un empire de deux millions de kilomètres
à la France.
LA PART DE L'ALGÉRIE
" L'Algérie a pour sa part, dit M. Brune bien mérité
de l'action saharienne. Elle a fourni des hommes, des cadres, des moyens,
des bases ; elle a prélevé une part appréciable de
ses ressources pour l'accomplissement de cette uvre de civilisation.
Pour sa sauvegarde, comme dans un sentiment de profonde solidarité
humaine , elle comprit d'emblée sous l'impulsion de ses gouverneurs
généraux et du service des affaires indigènes, la
nécessité de consentir une contribution à l'effort
qu'imposant, dans l'ordre administratif, économique et social,
la situation de ses territoires sahariens.
L'intégration des Territoires du Sud au budget de l'Algérie,
qu'a prononcée la loi organique du 20 septembre 1947 n'a donc fait
que consacrer l'étroite communauté qui existait déjà
entre l'Algérie et ses prolongements sahariens.
Or en même temps qu'elle établissait ainsi l'unité
budgétaire de l'ensemble algérien, la lol a posé
un problème complexe, celui de l'extension de l'administration
civile et de la réorganisation territoriale des régions
sahariennes,
Ce changement; de structure administrative a fait l'objet, après
étude approfondie du pouvoir central et du gouvernement général,
après consultation de l'Assemblée algérienne et des
conseils généraux, d'un projet de loi soumis à l'Assemblée
nationale. Les travaux des commissions parlementaires compétentes
approchent actuellement de leur terme Le gouvernement souhaite ardemment
qu'un décision législative intervienne prochainement_
Celle-ci après les consultations étendues qui l'auront précédée,
s'inspirera sans nul doute aussi bien des possibilités réelles
d'aménagement des territoires que du degré d'évolution
des populations et du souci dominant qui fut toujours la règle
d'or de notre action : favoriser le progrès dans le respect des
traditions et des croyances.
A quoi servirait-il en effet de brûler les étapes, an risque
d'aller à l'encontre du but recherché et d'aboutir à
une organisation dangereusement inadaptée aux réalités
géographiques et humaines ?
Certes les perspectives économiques que l'on commence à
entrevoir dans ces régions apparemment déshéritées
méritent de retenir notre attention : les ressources minières
et pétrolières que le Sahara algérien recèlerait
sous l'aridité de ses sables et_de ses roches appellent d'ores
et déjà un vigoureux effort de prospection entrepris sur
une vaste échelle ainsi qu'une large mobilisation de capitaux et
de moyens techniques. Mais ne serait-il pas excessif
- voire imprudent- de subordonner à ces ressources encore hypothétiques
une réforme de structure territoriale aussi considérable
?
Souhaitons en tous cas que ces recherches - que les pouvoirs publics entendent
entourer de toutes les sauvegardes nécessaires - se révèlent
bientôt positives et que les richesses ainsi mises à jour
nous libèrent de certaines entraves et contribuent à un
plus grand essor de l'Algérie.
Ne serait-il pas injuste que celle-ci qui fut à l'avant-garde des
investigations de son sous-sol n'en fut pas le principal bénéficiaire
au sein de la collectivité nationale ?
Car sans les patientes études des services techniques et des organismes
spécialisés qu'elle a créés à cet effet,
que serait aujourd'hui le Sahara ? - Une terre brûlée de
mirages et d'illusions, rien d'autre qu'un terrible désert - celui
à propos duquel un homme d'État étranger se réjouissait
en 1890 " d'avoir donné au Coq gaulois de quoi gratter jusqu'à
s'user les ergots ".
L'avenir du Sahara français s'inscrit donc dans le sens de la prospérité
future de l'Algérie et de la collectivité nationale. Cette
interdépendance qui existe déjà dans la nature des
choses est précisément celle qu'a voulu traduire le législateur
de 1947.
RIEN NE DOIT ÊTRE NÉGLIGÉ
POUR ACCROÎTRE LE POTENTIEL DE L'ALGÉRIE
Aussi. rien ne doit-il être négllgé pour accroître
le potentiel de l'Algérie dont le prochain programme de modernisation
et d'équipement soulignera l'impérieuse nécessité.
Bien que les prévisions annoncées concernant les crédits
d'investissement du prochain exercice soient supérieures aux crédits
consentis en 1952, elles n'ont pas, je le sais, répondu pleinement
à votre attente, tant il est vrai que vous mesurez avec autant
de réalisme que moi-même les conséquences financières
qu'entraînent inévitablement les réalisations du progrès
social à mesure que l'équipement se développe.
Cette considération ne serait pas étrangère à
l'intention que, sur mes instances personnelles et celles de M. Léonard,
a manifesté mon collègue et ami M. André Marie, ministre
de l'Éducation nationale, de prendre dans l'avenir, sur son budget
propre, une partie des dépenses de scolarisation de l'Algérie.
Je veux espérer qu'une aide complémentaire appréciable
pourra être trouvée là et qu'ainsi se poursuivra,
selon le rythme des nécessités, en tenant compte des priorités
immédiates et vitales, le développement culturel et social
de ce pays en même temps que son évolution économique,
contribuant ainsi à rapprocher plus étroitement encore notre
province algérienne de la mère patrie.
Le destin de l'Algérie est plus que jamais indissolublement lié
à celui de la France ", conclut le ministre de l'Intérieur.
La diffa
Les ministres et leur suite visiterent ensuite Ouargla, tandis que les
fêtes folkloriques attiraient de nombreux spectateurs.
Le soir, une diffa monstre et une fête de nuit clôturaient
ces imposantes cérémonies.
|