L'INAUGURATION OFFICIELLE DU THÉÂTRE
MUNICIPAL D'ORAN
Jeudi soir, à huit
heures et demie, a eu lieu l'inauguration officielle du Théâtre
municipal d'Oran. Le Maire et ses dévoués collaborateurs,
heureux de donner à cette solennité artistique tout l'éclat
et toute l'ampleur désirables, n'avaient rien négligé.
Admirablement secondés par MM. Portal et Grazi, les sympathiques
directeurs, qui surent composer un programme des mieux choisis, grâce
aussi à des artistes de réelle valeur qui prêtèrent
si gracieusement leur concours et qui nous promettent une saison que
nous envieront certainement beaucoup de grandes scènes de la
Métropole, la Municipalité d'Oran a atteint pleinement
son but en démontrant qu'elle avait enfin doté la ville
d'un théâtre digne de son importance.
Des huit heures et demie, sur la place d'Armes illuminée à
giorno par les hardies ampoules électriques qui dessinent de
gracieux festons de feu, embrasant le monument de Sidi-Brahim, une foule
compacte se presse, témoignant ainsi que la population ne demeure
pas indifférente à cette grandiose manifestation. Ceux
qui sont là, attendant le passage des plus privilégiés,
ont fort bien compris que les places du théâtre sont comptées
et qu'il a été impossible de donner satisfaction à
tout le monde. Aussi, pour que la joie soit générale,
les trois sociétés de musique, toujours dévouées
et qui ne manquent jamais l'occasion de se prodiguer, donneront-elles,
durant les entractes, des auditions justement ovationnées.
D'ailleurs, la population est dignement représentée à
la cérémonie par les autorités, les chefs de service
des administrations et services publics, les bureaux des syndicats,
sociétés et amicales conviés au gala. Par une délicate
attention aussi, les ouvriers qui prirent part à l'édification
du monument ont été invités et sont heureux et
fiers d'assister à la consécration de leur uvre.
Le Théâtre est brillamment pavoisé et ses lignes
gracieuses, adoucies encore par la lumière teintée de
mauve que déversent les grands arcs électriques, se profilent
dans un ciel qui semble nous montrer lui aussi de nouvelles étoiles.
La Musique civile, l'Association Artistique, la Fanfare des Sapeurs-Pompiers
et les Trompettes Oranaises arrivent aux sons de leurs marches entraînantes,
conduites par leurs habiles chefs. Puis, les trois premières,
groupées sous la magistrale baguette de M. Damaré, accueillent,
aux accents joyeux de la Marseillaise, M. César Trouin, député;
M. le Préfet, les généraux Lyautey, Wetzel, Espinasse
et Vigy, le capitaine de frégate Conrat Bruat, commandant la
défense mobile, arrivent successivement.
Au haut de l'escalier d'honneur, le Maire, entouré de ses adjoints,
reçoit les invités. Puis. Mme et le docteur Colombani
font les honneurs de la loge municipale, décorée luxueusement.
Y prennent place : M. César Trouin, député; le
Préfet, Mme et Mlles de Malherbe ; le général Lyautev,
accompagné de son officier d'ordonnance le capitaine Poéymireau
; le Président du Tribunal de Commerce et Mme Navarre ; le Président
du Tribunal civil et Mme Royère.
Messieurs les Adjoints recevaient également dans leur loge
M. Vurret, 1er adjoint : le Général Wetzel, le Secrétaire
général de la Préfecture et Mme Garobv.
M. Bartibas, 2ème adjoint : le Général Espinasse,
le Secrétaire général de la Préfecture attaché
aux affaires indigènes et Mme Pognon.
M. Béranger, 3ème adjoint : le Capitaine de frégate
frégate Contat Bruat ; M. Etiennot, directeur des Postes et Télégraphes
; M. Stephanopoli, vice-président du Conseil de Préfecture.
M. Fraizet, 4ème adjoint : M. Leloutre, ingénieur en chef
des Ponts et Chaussées ; M. le Directeur des Domaines.
Les loges et fauteuils sont réservés aux autorités
consulaires, civiles et militaires. L'aspect de la salle est féerique
: les superbes toilettes de nos élégantes donnent à
cette soirée comme une note de vernissage.
Après l'ouverture par la Musique civile qui exécute correctement
une fantaisie sur Faust, la toute gracieuse Mlle Barroud, 1ère
chanteuse légère, 1er prix du Conservatoire, lit, avec
une diction et un sentiment qui font impression, cet exquis à-propos
en vers d'une forme et d'une inspiration remarquables du jeune poète
oranais Eugène Cruck, l'auteur si apprécié du Jardin
des Chrysanthèmes, dont la renommée a déjà
franchi la Méditerranée.
C'est un appel touchant aux musiciens et poètes épris
du beau et aux muses leurs inspiratrices : l'appel sera certainement
entendu, Mlle Barroud ayant eu des accents sublimes.
De nombreux applaudissements ont récompensé l'interprète
et l'auteur ; celui-ci, réclamé par l'assistance, a dû
se présenter sur la scène. Tout ému, il remercie
Mlle Barroud, à qui une gerbe de fleurs est offerte, puis il
va recevoir les félicitations de M. Trouin, député,
du Préfet et du Maire.
M. Wirth, deuxième ténor, se fait ensuite entendre dans
la romance de Mignon et l'on peut ainsi apprécier la souplesse
de l'organe de l'artiste qui incarnera tour à tour Des Grieux,
Werther, Wilhelm Meister.
Saint-Mars, de Gounod, chanté par Mlle Kintzler, deuxième
dugazon, est un succès pour cette artiste qui parait allier aux
meilleurs dons de cantatrice les qualités d'une parfaite musicienne.
M. Garrus, baryton d'opéra-comique, se fait entendre dans Benvenuto
Cellini, où son organe chaud et coloré se trouve à
son aise.
Le Fabliau de Manon fournit à Mlle Barroud l'occasion de faire
apprécier de nouveau sa méthode sûre et son exquis
timbre de voix.
Après l'exécution du Pays du Rêve, par l'Association
Artistique, M. Cateyssous, fort ténor, interprète un passage
de Sigurd, qui convenait parfaitement à ses moyens vocaux.
M. Malherbe, excellent dans Le Cor, de Flégier; puis, Mme Rambly-Malherbe,
non moins bonne dans le grand air de la Reine du Saba, terminent la
deuxième partie.
L'excellente fanfare des Sapeurs-Pompiers, très applaudie dans
une fantaisie sur la Dame Blanche, ouvre la troisième partie,
qui se continue par l'audition de Mlle Billault, 1ère dugazon,
dans un air de Cavalleria Rusticana, dont elle traduit avec un bel élan
de passion, la fougue amoureuse et l'expression artistique.
M. Mangane. basse chantante, fait preuve de qualités sérieuses
dans Pensée d'Automne, et son partenaire, M. Rocca, ténor
léger de l'Opéra-Comique, montre, en chantant un air de
la Tosca, que sa réputation n'est nullement usurpée.
L'interprétation des uvres inscrites au programme fut parfaite,
les artistes ont eu les honneurs du bis. Le piano était tenu,
avec maestria, par le sous-chef d'orchestre, M. Suès.
Durant les entractes, les uvres du peintre Cortès, panneaux
et fresques, et celles du sculpteur Fulconis, " La Source ",
étaient très entourées et admirées.
La cérémonie terminée, les invités, après
avoir manifesté leur satisfaction et remercié chaleureusement
la Municipalité de ce régal artistique, se retirent et
le flot s'écoule lentement, comme à regret, malgré
les accents guerriers de Sambre-et-Meuse exécutée par
les sociétés réunies.