La création de " ROCIO "
à l'Opéra d'Alger
Maurice PÉREZ, compositeur algérien
La prochaine création
de Rocio, opéra de Maurice Pérez, à l'Opéra
d'Alger, va replacer sur le plan de l'actualité locale, le nom
de ce compositeur algérien.
Enfant de Mascara, Maurice Pérez est des nôtres et la jeune
génération l'ignore
sans doute.
C'est que ce charmant musicien ne défraye pas la chronique à
tout propos et du moins ne fait-il parler de lui qu'en des circonstances
qu'il juge valoir la peine.
Nous l'avons connu à ses débuts, alors qu'il sortait des
mains de Jean Gallon, professeur d'harmonie, de contrepoint et de fugue,
au Conservatoire national de Paris. Mélodiste né, il avait
déjà composé ses célèbres Mélodies
arabes sur des poèmes extraits du " Jardin des Caresses
" de Franz Toussaint, qui avaient fortement attiré l'attention
sur lui. Deux quatrains d'Omar Khayyam allaient compléter cette
veine mélodique de caractère oriental que soutenaient
les plus subtiles harmonies. Des poésies d'Albert Samain, d'Émile
Verhaeren confirmèrent son inspiration créatrice et sa
qualité de musicien vocal.
Les meilleurs artistes de l'époque dont le jeune compositeur
était l'ami, en furent les interprètes Claire Croizat,
Jane Bathori, Jane Montfavet, Germaine Féraldi, Ninon Vallin,
le ténor Rogatchewsky. Encouragé, Maurice Pérez
écrit de la musique de
chambre religieuse et notamment un O Salutoris pour soli et chur,
chanté à Saint-Philippe du Roule à Paris et à
Saint-Augustin à Alger.
Au moment du centenaire de l'Algérie française, il reçoit
un premier Grand Prix de l'" Association des artistes africains
" pour une symphonie Algéria qui est exécutée
sous la direction du maître Francis Thibaud, au cours d'un grand
festival.
Mais c'est vers le théâtre que se tourne délibérément
le jeune compositeur algérien. L'Opéra-comique monte en
1934 son Tout-Ank-Amon qui fit grand bruit. Le directeur d'alors, P.-B.
Gheusi s'exprime ainsi : " L'originalité, la fraîcheur
de Pérez font certainement de lui le musicien du théâtre,
que le théâtre lyrique attend depuis longtemps ".
D'une manière générale, la partition par ses qualités
musicales est dégagée d'un sujet qui, pour l'époque
et le lieu où il était représenté, était
jugé trop licencieux.
L'Opéra-comique en a bien vu d'autres depuis, et nous pensons
aux Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc.
Maurice Pérez ne s'en tiendra pas là. ll cherchera un
nouveau sujet d'ouvrage lyrique et le trouvera dans celui dramatique
de Rocio que lui présentera son ami, l'auteur bien connu, André
de Badet. Rocio fut créé le 15 février 1949 au
Théâtre municipal de
Mulhouse avec une distribution exceptionnelle : Mme Ninon Vallin dans
le rôle de Rocio, Mme Renée Doria, de l'Opéra, le
ténor André Séguin, de l'Opéra-comique,
le baryton Jean Borthayre, de l'Opéra. Le succès fut éclatant.
Alger se devait, sans tarder, de rendre hommage au compositeur qui honore
si grandement l'Algérie. M. Gustave Grangheon qui nous avait
promis Rocio tient sa promesse. L'uvre de Maurice Pérez
sera créée sur notre scène municipale, samedi prochain
3 mai, en soirée.
Nous avons pu rencontrer Maurice Pérez venu s'installer à
Alger pour veiller aux répétitions de cet important ouvrage.
Notre sympathique ami se déclare très satisfait des concours
qu'il a trouvés sur place. D'abord en MM. Léandre Brouillac,
directeur de la musique, et Georges Lanet, directeur de la scène
; ensuite de tous leurs collaborateurs de l'orchestre et du plateau.
Les maquettes des décors et des costumes, brossés et dessinés
par M. José de Zainora, pour les représentations de Mulhouse,
seront fidèlement reconstitués à Alger. Les danses
de caractère ibérique et arabo-berbère sont l'objet
des soins de Mme Mona Gaillard, maîtresse de ballet.
Deux des créateurs de Rocio seront là : Mme Renée
Doria, l'exquise chanteuse légère,dans le rôle de
la fille, et M. Jean Borthayre, le beau baryton de l'Opéra, dans
celui de Gonzalo, tous deux connus et fort appréciés à
Alger. C'est Mlle Georgette Camard, soprano dramatique de l'Opéra,
qui chantera le rôle de Rocio, la mère, car il s'agit d'un
conflit passionnel pour le même-homme entre une mère et
sa fille. Le rôle du ténor sera tenu par M. Guy Montserra.
De sa musique, Maurice Pérez, a la pudeur de n'en point parler.
Musicien méditerranéen, par excellence, il lui fut sans
doute aisé de décrire les passions d'un tel conflit sentimental,
d'en recréer l'atmosphère où il se déroule.
ll reconnaît seulement que l'uvre de " caractère
moderne reste directe et très mélodique ". A son
sens, rien ne doit dans Rocio déconcerter les auditeurs algérois.
Interrogé sur ses projets, Maurice Pérez ne nous a pas
caché son intention d'écrire une partition sur Le Simoun,
cette pièce forte qui se situe dans le Sud algérien, de
Henri Lenormand. Très beau sujet, en effet, et bien dans les
cordes de ce musicien
algérien. D'autre part, un poème du colonel Furnari, président
de " l'Algérienne " à Paris, sur le " Tombeau
de la Chrétienne ", lui fournirait un sujet de ballet. Maurice
Pérez est donc bien susceptible de produire des uvres musicales
essentiellement africaines et nous ne saurions trop l'y encourager.
Une création à l'Opéra d'Alger
ROÇIO
opéra du compositeur algérien Maunce Perez, obtient un
éclatant succès
Pour nous, Algérois,
assujettis au répertoire traditionnel d'Opéra et d'Opéra-comique,
nous aurons éprouvé une double joie, celle d'entendre
une uvre lyrique nouvelle, portant la marque de notre époque
par les enrichissements de l'écriture, et le fait qu'elle soit
d'un musicien essentiellement algérien.
Notre ami Maurice Pérez dont j'ai, il y a une semaine, rappelé
la carrière, ne m'en voudra pas de rendre hommage, avant tout
autre appréciation, à celui qui mena son uvre au
succès et dans un minimum de temps de préparation : M.
Léandre Brouillac, directeur de l'orchestre municipal.
Cette partition nouvelle, importante, difficile d'exécution à
l'orchestre comme sur le plateau, où tout était à
apprendre, à régler, à mettre au point, M. Léandre
Brouillac l'a assimilée d'emblée grâce â ses
profondes connaissances musicales, son autorité de
chef et son énergique intervention. Le public ne s'est pas trompé
et avant même de faire l'ovation méritée au compositeur,
à ses interprètes, acclamait notre valeureux chef à
chacune de ses apparitions au pupitre.
Ayant trouvé dans le livret de Rocío que lui présenta
M. André de Badet, un sujet à sa mesure et répondant
à ses aspirations de musicien de théâtre, Maurice
Pérez aura enri chi le répertoire d'une partition authentiquement
inspirée mais tenant compte des exigences de la scène.
Le sujet offrait deux perspectives, le drame passionnel particulièrement
douloureux entre une mère et sa fille, et l'atmosphère
populaire dans lequel il se déroule. Partagé par des tendances
diverses, le compositeur fit un choix rationnel : emprunt au folklore
ibérique - l'action se passe aux îles Baléares -
qui lui apportait couleur et rythmes dans les danses, les churs,
certaines mélopées en manière de récitatifs.
â l'orchestre comme thèmes générateurs, fort
habilement incorporés dans une harmonisation riche et subtile,
discrète ou éclatante, et un apport tout personnel dans
la traduction des sentiments multiples qui agitent les quatre personnages
du conflit. C'est là où la veine mélodique du compositeur
nous apparut dans la jolie courbe de son dessin, toujours sincèrement
expressive, d'un style élevé et sans autre concession
que celle de servir des grandes voix de théâtre. A l'orchestre,
nous trouvions la réplique d'une ambiance souvent pittoresque,
parfois âpre, tendre ou douloureuse. et les pages créatrices
de certains airs dévolus à chacun des héros, des
colloques à deux, trois ou quatre voix et notamment la scène
entre Rocio et Milagros â la fin du deuxième acte, qui
a bouleversé toute la salle, donneront à l'uvre
de Maurice Pérez une place durable dans la production de ce temps.
Rocio était défendue par quatre interprètes de
qualité. Deux faisaient partie de la création à
Mulhouse en 1949, Mlle Renée Doria, Milagros la jeune fille,
et M. Jean Borthayre, le douanier Gonzalo. Une nouvelle venue de l'Opéra
de Paris, Mme Georgette Camart, chantait le rôle écrasant
de Rocio. En découvrant ce personnage
pathétique, nous reconnaissions en cette jeune artiste, une tragédienne
lyrique de grande classe. Douée d'un soprano lyrique de beau
volume et de belle transparence, elle ajoutait un jeu d'une bouleversante
humanité. Disons simplement qu'elle fut, et cela se devait, la
triomphatrice de la soirée.
Au rôle de Milagros, Renée Doria confère grâce,
coquetterie et farouche résolution, une voix de chanteuse légère
que nous admirons et qui ne cesse d'évoluer vers le lyrique.
Nous connaissons sa musicalité, son talent de comédienne.
Elle eut à en faire preuve dans ce rôle aussi tendre que
déclamé.
M, Jean Borthayre, un de nos plus beaux barytons actuels, dans un rôle
de réserve et de mesure, eut surtout un duo avec Rocio au 2°
acte et un fort bel air au dernier acte qu'il chanta avec style et émotion.
Un ténor encore inconnu de nous, M. Guy Montserra chanta Ramiro,
le contrebandier, objet du drame. Rôle difficile, partagé,
plein de feintes et d'hésitations que le jeune ténor au
physique représentatif, a soutenu avec de beaux élans
vocaux, notamment ou
deuxième acte.
Pour les danses de caractère arabo-berbère, Mme Mona Gaillard
a bien su en dégager le style, créant un compromis valable
pour un spectacle d'opéra. A M. Christian Claudel fort bien,
et Mlle Marcelle Alvarez, fort belle, étaient réservées
lignes et mouvements arabo-berbères ; à Mlle Muzard, les
pas espagnols stylisés. L'ensemble des ballerines se partageaient
les deux tendances. C'est peut-être ce fragment de la partition
qui accuse une certaine faiblesse par rapport au reste dont j'ai dit
l'élévation. Bizet, Chabrier, Ravel, en empruntant au
folklore ibérique, ne l'auraient pas moins transcendé.
Je pense que notre cher Maurice Pérez ne doit pas avoir moins
d'ambitions. Si, à tort, il ne se croit pas l'un d'eux - on connaît
son exquise modestie - il n'est pas, sûrement, M. Francis Lopez
ou M. José Padilla, cela dit sans perfidie.
Dans des décors-maison, habilement agencés par M. Georges
Lanet, pourvus de tous les arguments nécessaires et s'approchant,
autant que cela se pouvait, de ceux conçus par M. José
de Zamora pour la création, Rocio s'est déroulé
å la satisfaction d'une
belle salle de grande première qui sut réagir à
tout propos, prouvant qu'elle était directement touchée
par l'uvre sincère, éminemment lyrique du sympathique
compositeur algérien.
Le rideau tombé, les interprètes reportèrent sur
l'auteur et M. Léandre Brouillac, appelés sur scène,
les acclamations unanimes d'une assistance vibrante, dont ils ne se
sentaient plus l'objet.