-----Où se trouve la Consulaire
?
-----A l'Ouest d'Alger, sur les hauteurs
de Saint-Eugène
dont il (ou elle) fait partie, se trouve ce quartier très
mal connu , mais combien attrayant et agréable .
Le
Grand Séminaire et Notre-Dame d'Afrique
photo de Marc Stagliano
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Il domine le couvent des Clarisses, le grand séminaire et la Basilique
de
Notre-Dame d'Afrique!, et offre un panorama incomparable sur
l'entrée de la baie d'Alger jusqu'à Cap Matifou;on voit
les soirs de temps clair, clignoter le signal du phare de Cap Djinet,
plus à l'est.
-----De cet endroit, un des seul d'Alger,
les matins d'hiver, je m'amusais à regarder le soleil se lever
derrière les montagnes enneigées du Djurdjura : c'était
un spectacle rare et grandiose et inoubliable !
-----Après la basilique, pendant environ
1 kilomètre 800, la route appelée
Vallée des Consuls ou Avenue Général Laquière
La
Vallée des Consuls
|
(1855/1928 ) serpentait agréablement entre talus et ravins, sous
les contreforts maritimes de la Bouzaréah
, pour finir devant l'entrée de la propriété du dit
général, l'entrée du Fort Duperré et au pied
du lotissement, c'est-à-dire devant chez moi.
-----Des clarisses au fort , trois ravins
fortement encaissés se rejoignaient en s'étranglant à
quelques mètres après l'église de Saint- Eugène
-----Dans l'un de ses ravins , quelques algéroises
principalement venaient le lundi se recueillir dans la petite Chapelle
champêtre de Notre-Dame du Ravin, tenue par les surs clarisses
-----Le lotissement s'est construit au fil
des années le long de la propriété LAQUIERE qui commençait
au fort Duperré et montait jusqu'au sémaphore . Le chemin
romain servait de limite naturelle.
-----Dans ce " chemin " les eaux
parfois torrentueuses descendaient vers les ravins et la mer . Le long
de l'unique route de terre battue, les maisonnettes en dur et les gourbis
entourés de haies de figuiers de barbarie ou d'amandiers, cohabitaient
en formant trois balcons fuyant vers le sommet .
-----En plein milieu , la maison des ZAHRA,
style chalet suisse ,
La
maison des "Zahra"
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donnait une note montagnarde à notre colline . Il a fallu plusieurs
années avant qu'elle ne soit terminée. Je m'y sentais aussi
bien que chez moi ; je les accompagnais souvent dans leurs sorties, car
ils avaient une voiture .
-----Sur une petite placette, Mr SCOTTO ,
le forgeron, savait mieux que quiconque faire chanter son marteau sur
l'enclume et tordre les tiges de fer en de gracieuses volutes.
-----Mon coin préféré
c'était la propriété Laquière, tout près
de chez moi. Je n'ai pas passé un jour sans aller dans cette propriété
. Je prenais l'allée de terre bordée sur le côté
chemin romain d'aloès et d'oliviers , puis de petits bosquets de
plantes exotiques, telles qu' aloès du cap, yuccas , et de talus
tapissés de plumbago, sous de grands pins parasol ; d'eucalyptus,
d'un caroubier aux gousses délicieuses lorsqu'elles étaient
mûres à point.
-----Avec ANNIE et JACKY STAFRADJ, qui logeaient
dans une maisonnette au milieu des champs nous investissions deux arbres
que je suppose être des pandanus et dans lesquels nous passions
des heures et des heures à jouer chacun sur assis sur une branche
épaisse et ronde, dans l'ombre des longues feuilles effilées,
tranchantes comme des rasoirs.. Mais ce que nous préférions
c'était aller jouer autour de la belle maison mauresque inhabitée
, ; elle était l'objet de toutes nos investigations.
-----Bâtie derrière un tertre,
invisible aux rares promeneurs, elle était précédée
de trois gigantesques eucalyptus ; Envahie par la bignonia et la glycine
centenaire qui la couvrait à demi. ; la blancheur de ses murs paraissait
encore plus éclatante au milieu de toute cette verdure.
-----Dans l'avant-cour il y avait un jardin
d'été ouvert à tous vents avec sur le côté
une petite pièce fermée, ( c'était le bureau du général
) des bancs de mosaïque étaient les seuls ornements avec les
grilles des ouvertures béantes.
-----La maison de style mauresque était
imposante et agréable ; une petite porte de bois sombre cloutée
avec un judas grillagé semblait presque minuscule au fond l'immense
porche vouté.
Comme nous étions du même âge qu ' ARESKY, le fils
de la gardienne, nous franchissions quelques fois, cette porte si attirante
et mystérieuse, derrière laquelle ,après un demi
palier, nous pouvions admirer la cour intérieure pavée de
mosaïque, avec au centre une belle fontaine aux larges vasques .Autour,
de fines colonnades torsadées bordaient une galerie aux murs recouverts
au trois quarts de beaux carrelages colorés, sur laquelle s'ouvraient
les appartements du rez de chaussée . Un grand escalier conduisait
à l'étage ,les chambres et le salon aux vitraux multicolores
donnaient sur un péristyle de fer forgé. Nous étions
émerveillés par tant de beauté .
-----Cette maison était un consulat
du ROYAUME UNI avant d'appartenir à la famille LAQUIERE.
-----A l'arrière , il y avait la ferme
. Nous étions une vingtaine d'enfants de tous âges à
attendre tous les soirs avec notre petit bidon de fer blanc, le bon lait
frais ; - " frais " est un euphémisme, car il était
encore tout chaud des mamelles des vaches !. Mr PAUL FRIEDLI, le fermier
suisse nous laissait entrer les soirs d'hiver, dans l'étable nous
réchauffer et le regarder traire ce bon lait. Il avait une trentaine
de vaches, quelques chevaux que son fils GEORGIE attelait parfois au cabriolet
( la générale s'en servait aussi pour ses courses et chercher
son petit fils au collège des Jésuites). Je n'ai jamais
connu ni la générale ni son mari mais ces faits m'ont été
rapportés par deux de leurs petits enfants auprès desquels
je me suis renseignée.
-----Dans les ravins couverts presque totalement
de lentisques et d'épineux, nous jouions à la guerre avec
pour armes des sarbacanes faites dans des roseaux que nous trouvions sur
place, pour munitions les fruits rouges ou verts du lentisque que nous
stockions dans la bouche, avec toute la poussière et autres araignées
et bestioles ! nous n'avions aucun souci de l'hygiène !
La
maison de Monique
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-----Devant notre maison, était l'endroit
idéal pour le départ des courses de charrettes à
roulements à billes.
-----Une pente de cinquante mètres
environ se terminait par un large virage légèrement remontant.
Les enfants du coin rivalisaient d'ingéniosité pour fabriquer
avec trois planches et quatre clous, trois ou cinq roulements et de la
ficelle, des carrioles sur lesquelles la meilleure façon de freiner
c'était de mettre les pieds ou de foncer dans le talus. Combien
de courses se sont terminées par des carambolages ! des plaies
! des pugilats ! des pleurs ! des insultes de tous genres : en français,
en arabe ! et c'était sous notre balcon que les réparations
se faisaient avec pour outils : une pierre et un canif, au grand dam de
mon père qui ne pouvait faire sa sacro-sainte sieste !
Vue
sur Notre-Dame d'Afrique...et plus loin encore !
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-----J'étais la seule fille à
jouer avec les garçons à la toupie, pas celle sur laquelle
on appuie dessus pour qu'elle tourne, non, la nôtre était
une boule de bois terminée par un clou, on entourait savamment
la ficelle autour de ce clou, et hop, d'un mouvement sec du poignet, on
lançait la toupie qui tournait comme une folle, il fallait aussi
la faire rentrer sur la paume de la main, les doigts écartés,
pour qu'elle continue encore à tourner !
----Comme j'étais une petite vagabonde,
les jours de solitude, j'empruntais la route du fort, longeais les hauts
murs, et m'asseyais au bord du chemin de chèvre- dont j'ai appris
seulement cette année qu'il s'appelait " chemin BOU AMAR "
qui débouchait en face de la PHARMACIE du FORT . J'aimais contempler
la
mer d'en haut ; on voyait bien en plein été ,les mouvements
des nageurs dans l'eau claire , près des rochers , sous le boulevard
Pitolet.
-----Après le fort il y avait une
dernière propriété " LA SIMONETTE ", juste
au-dessus de l'entrée des
Deux Moulins, entourée de terrains incultes en pentes
abruptes ; ces champs étaient quadrillés de haies de roseaux,
pour retenir la terre et c'est là que fleurissait à profusion,
au printemps le lin jaune
-----Dans les moindres recoins poussait l'oxalis
jaune dont nous mastiquions la tige fleurie au goût acide, appelée
" vinaigrette "
-----Après le repas de NOEL, nous
faisions une balade traditionnelle avec toute la famille ZAHRA Nous traversions
la propriété en diagonale et passions la belle et inutile
grille de fer forgé, derrière la ferme , aboutissant au-dessus
de la " simonette "
Par un mauvais chemin , sur environ deux ou trois kilomètres, dans
les plis et replis de la colline toujours plus haut, nous allions jusqu'aux
grands réservoirs de retenue des eaux qui alimentaient tout le
littoral.
-----Ces réservoirs étaient
situés sous le sémaphore. Nous descendions ensuite un petit
chemin rocailleux jusqu'au fond du " Ravin des Crabes ". Personne
à ma connaissance n'y a jamais vu un seul crabe !
-----Un filet d'eau cristalline coulait de
la roche, nourrissant un pauvre cresson, vite jaunit aux premières
chaleurs.
-----Tous ces endroits évoquent pour
moi un parfum, une couleur, une plante , une personne
-----Les belles de nuit et le jasmin me rappellent
surtout Marcel et Robert ZAHRA, mes aînés de quelques années,
il me faisaient des colliers de ces fleurs en été, et le
miel de leurs ruches que leur maman tartinait si généreusement
sur nos tartines.
-----Quand je pense aux ravins autour des
clarisses, je pense à l'odeur forte des sumacs et des ricins ,
aux beaux ormeaux et aux chatons parfumés des trembles ;
-----Au couvent ce sont les grands mûriers
bordant l'allée principale, qui donnaient de si belles feuilles
pour mes vers à soie, et à mes amies MARIE CLAIRE et HENRIETTE
BAEZZA ,qui y habitaient avec leurs parents, avec qui j'avais beaucoup
de complicité. Nous allions souvent acheter à Notre Dame
d'Afrique ,pour nos surs aînées, le journal à
la mode de l'époque -madrigal- ; nous lisions le feuilleton en
marchant. et en nous disputant le journal pour mieux lire !
-----Le patronage des surs de Saint
Vincent Paul qui occupait le côté gauche du lotissement ,
tout en escaliers, évoque les chants et les jeux avec les petites
filles venues de La Basseta , de
BAB el OUED, passer les jeudis et les belles journées
de vacances, et leur dénonciation, le jour où, avec JEANNOT
GOMEZ ( sa sur OLGA, s'était mariée cette année
là avec mon frère ) ; nous étions partis, main dans
la main, pour nous marier !
-----Pour la ferme et la villa si riches
en odeurs et en couleurs, c'est le subtil parfum des fleurs des orangers
amers qui reste le plus vivace.
-----Au fort, c'est l'immense eucalyptus
d'au moins trente mètres de haut , aux énormes cabochons
que nous cueillions pour faire des fumigations et soigner nos gros rhumes
!
-----Enfin, le sémaphore me rappelle
ma première énigme : une petite plante découverte
alors que nous étions montés chercher les épis d'une
lavande : lavandula Stoechas pour le couscous de la maman d'ARESKY. Cette
petite plante, cachée dans l'humus, sous les buissons de cistes
, de romarin , était particulièrement jolie avec son corselet
de velours sombre et ses petites zébrures dorées .. Je l'ai
cueillie pour la mettre entre les pages de mon dictionnaire . " (sacrilège
") Après de longues recherches , j'ai découvert qu'il
s'agissait d' une ophrys- abeille !
-----Il y a une autre énigme que je
n'ai pas encore résolue. Et je pose cette question :
-----Qui était cette famille , "
montant " de Saint- Eugène par le chemin de chèvre,
empruntant le chemin romain , jusqu'au sémaphore peut-être,
composée de plusieurs enfants, filles et garçons tous blonds
comme les blés, que je suis censée être la seule à
avoir vue ? (D'après Marc Stagliano
: la famille blonde me parait être celle des Champion. Le fils d'un
des frères Champion, Thierry (31/08/66), a fait une carrière
exceptionnelle en tennis professionnel. Il a même atteint une demi-finale
de Rolland Garros.)
-----J'espère que ce récit
vous rappellera aussi vos jeux d'enfants, si simples, si sains. Que j'aurai
réussi à faire revivre quelques
souvenirs , et peut-être même ,vous rappeler que vous êtes
passés par là, dans ce quartier si loin de la ville, un
jour , pour une promenade dominicale.
-----Je dois à la famille MILLA, qui
m'a élevée, ma famille de cur, qui est pour moi, ma
seule , ma vraie famille, une éternelle reconnaissance pour tout
ce qu'elle m'a donné avec tant de générosité
et tant d'amour.
MONIQUE MILLA
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