jean pico

Jean Pico, luthier algérois
A-T-IL TROUVE LE SECRET DES VIOLONS CELEBRES ?
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, janvier 1950, n°12. Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot, Alger
sur site le 15-9-2005

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----------COMME l'oeuvre d'art, l'instrument de l'artiste a ses secrets. Pourquoi tel piano est-il plus propre qu'un
autre à l'exécution de tel morceau ? Pourquoi deux
violons, sortis la même année des mains du même
facteur peuvent-ils avoir des qualités de son très différentes ? Parce qu'il y a au moins quatre manières d'accorder un piano (selon qu'on adopte la gamme tempérée, la gamme de Pythagore, la gamme naturelle ou la gamme de Meerens), que chacune de ces quatre manières est traitée différemment, selon l'oreille ou les préjugés de l'accordeur, et qu'en conséquence on peut dire qu'il y a peut-être un seul piano au monde qui soit, par la vertu d'un accord miraculeusement heureux, parfaitement adapté à l'exécution d'un morceau déterminé ; parce que les bois de deux violons jumeaux joueront différemment, parce que l'enduit qui les recouvre séchera plus ou moins vite, connaîtra une transformation chimique différente, selon la température et le degré d'humidité de l'air ambiant. L'instrument idéal sera donc le produit d'un heureux hasard. " Il y a, dit Valéry, science des choses simples, et art des choses compliquées ". Dans la matière qui nous intéresse, la complication est telle, que l'heureuse, la miraculeuse solution, dépend en grande partie du hasard. Qui tracera les frontières de l'art, du miracle, et du hasard ?

----------Il est reconnu aujourd'hui que l'exceptionnelle beauté de son des violons signés de Stradivarius, Guarnerius, Amati, Lu-pot et de quelques autres tient à la nature de l'enduit qui les recouvre. La formule du fameux vernis italien est perdue. On peut dire que depuis deux siècles ç'a été la hantise de générations de luthiers que de la retrouver.

----------Le vernis qui recouvre les violons n'a pas seulement un rôle d'embellissement et de protection. Il constitue une table sonore supplémentaire, dont les vibrations se combinent avec celles du bois et sont susceptibles de changer du tout au tout le timbre et le caractère de la sonorité, de donner à l'instrument une plus ou moins grande facilité d'émission.

----------Il est d'ailleurs impossible de juger immédiatement de la valeur d'un vernis : la partie volatile de celui-ci s'évapore progressivement et la sonorité de l'instrument s'améliore généralement en même temps.

 

  ---------Du point de vue technique, la découverte de M. Pico a consisté à trouver un solvant qui permît de traiter à froid une gomme dont les qualités étaient bien connues, mais qu'on était obligé jusqu'à présent de dissoudre à chaud, ce qui diminuait la qualité du vernis.

----------Plusieurs expériences avaient permis à M. Pico d'établir les qualités du nouvel enduit. Nous en relaterons une, qui fut particulièrement concluante : une série de cercles de bois, pré-parés avec des éclisses, avaient été enduits de différentes variétés de vernis. Il s'est trouvé que seul le cercle revêtu du vernis qui avait attiré l'attention de M. Pico put reprendre exacte-ment, après plusieurs semaines, sa forme linéaire primitive : il était ainsi démontré que le vernis en question conservait au bois absolument toute sa souplesse.

----------En ce qui concerne la perte de la formule ancienne, M. Pico pense que les luthiers italiens, et particulièrement Stradivarius, préoccupés surtout des formes et des dimensions de l'instrument, (auquel il a donné sa physionomie définitive) avaient peut-être utilisé un enduit provenant d'une source extérieure, en ne lui accordant qu'une importance secondaire. Or sait en effet que c'est seulement un siècle environ après leur fabrication, après le séchage complet du vernis, l'allègement de l'instrument qui en résultait, et sans doute d'autres phénomè nes, que les extraordinaires qualités des " Stradivarius " com mencèrent à ressortir.

----------M. Pico continue ses expériences. Il a appliqué son vernisà des violons neufs. Sa modestie est très grande. " Il faut attendre maintenant l'épreuve du temps et la confirmation de la qualité du son des violons " nous a-t-il dit.

----------Il nous semble que, dès maintenant, ce valeureux artisat mérite largement les chaleureuses félicitations qui commencen à lui parvenir des personnalités les plus autorisées de France et d'Algérie.

H. M.