---------SAVORGNAN
de Brazza est enterré à Alger (note
du Déjanté, webmaster: Cimetière
Européen du Boulevard BRU...Son
tombeau y est-il encore?), où il
s'était retiré avec sa famille, et où son souvenir
est resté particulièrement vivant. Il s'imposait donc
de lui rendre en cette ville un hommage solennel. Ce devoir a été
bien facile à remplir, puisque sur l'initiative du général
de Chambrun, la famille de l'explorateur a fait don de sa villa au Gouverneur
général de l'Algérie, à la condition que
celui-ci en fasse un musée. C'était sans doute la meilleure
façon d'honorer cet ardent Français qui fut de 1a race
des grands missionnaires.(note du Déjanté,
webmaster: le musée
lui-même existe-t-il ou sert-il de résidence à un
ponte quelconque?)
La
villa qu'habitait Savorgnan de Brazza
transformée en musée
---------Comment
concevoir ce musée dans une villa qui n'était guère
faite pour contenir des collections de souvenirs et d'objets de toute
nature, y compris des gravures et des tableaux ? Grâce à
l'intelligence et à l'ingéniosité de M. M.-H. Christofle,
aidé de M. Tailhant, le premier étage de cette villa a
été parfaitement adapté à sa nouvelle fonction,
et les pièces ont été heureusement aménagées
pour y loger des uvres d'art. Quant au rez-de-chaussée
et au sous-sol, on s'est contenté de les consolider et de les
rajeunir car il était indispensable de conserver son aspect d'autrefois
à cette partie de l'appartement que tant d'Algérois ont
connue et fréquentée.
---------Ainsi se définissait assez nettement
l'utilisation de cette villa où Savorgnan de Brazza avait vécu
pendant environ sept ans, et que sa veuve et sa famille avaient continué
à habiter. D'accord avec le général de Chambrun
et avec M. Charles de Brazza, le sous-sol a été consacré
aux souvenirs des explorations à travers le Congo. Des panneaux
que M. Charles de Brazza a brossés, en s'entourant de documents
nombreux, font revivre les régions que parcourut l'ancien officier
de marine. On voit réunis, autour de la tente qui l'accompagnait
partout son lit de camp, ses cantines, sa table, ses deux chaises, ses
hamacs, ses instruments d'astronomie et de topographie (sextants, boussoles,
podomètre). Tous ces souvenirs ont, dans leur simplicité,
une grande force évocatrice et on peut qu'être ému
par tout ce qu'ils représentent à nos yeux.
---------On
a conservé au rez-de-chaussée un précieux document
photographique où l'on voit celui qui, les pieds nus, et presque
vêtu de haillons, semble être un nouveau pèlerin
d'Afrique. Quelle étonnante destinée ! Car voici que maintenant
on pénètre dans la demeure où il a passé
une partie de son existence de chercheur. Le cadre est complètement
différent, et l'ancien salon s'enorgueillit encore d'un très
beau mobilier vénitien XVIIIè siècle qui nous rappelle
l'origine frioulane des, ascendants de Savorgnan de Brazza. Quelques
tableaux qui sont restés sur les murs, aux endroits mêmes
où ils ont toujours été, évoquent l'Italie
où naquit l'explorateur. Le contraste entre le sous-sol et ce
milieu de grande civilisation apparaît ici de façon saisissante.
Ajoutons-y de très nombreux souvenirs, documents, concernant
la famille de Brazza, et de Mme de Brazza, ainsi que plusieurs portraits
de l'explorateur, dont le plus curieux est peut-être celui de
Corabeuf, qui a été donné au musée par la
famille italienne du conquérant pacifique du Congo. L'attitude
est quelque peu romantique et les traits apparaissent comme ceux d'un
être d'élite, fin et racé. Le tableau où
il est représenté vêtu de son uniforme de haut-commissaire
nous le montre ayant davantage le sens de l'autorité et du commandement,
mais il conserve toujours ce côté humain et cet air de
bonté qui lui donnent une physionomie tout à fait à
part dans l'histoire coloniale du XIXè siècle.
---------Ces
trois salles du rez-de-chaussée où se mêlent les
souvenirs historiques et certaines notes d'art sont sans doute celles
où revit avec le plus d'intensité la personnalité
si séduisante de Savorgnan de Brazza ; à quelques mètres
de la photographie jaunie dont nous venons de parler, le voici au milieu
de sa famille vénitienne, ou à côté de la
comtesse Papafava, sa sur, à qui il donne une leçon
de géographie, ou non loin de son frère, Antonio de Brazza,
grand-maître de l'ordre de Malte.
---------Après
avoir ainsi évoqué son passé et sa vie dans la
brousse, n'était-il pas intéressant de caractériser,
d'une façon aussi précise que possible, la civilisation
au milieu de laquelle il vécut comme haut-commissaire, et qui
était si différente de celle dont il s'était nourri
pendant sa jeunesse ? C'est au premier étage que l'on peut vivre
un instant, loin de la Méditerranée, en pleine Afrique
noire, grâce à des tableaux d'une aussi grande puissance
de coloris - que ceux de Maurice Loutreuil, peints au Sénégal
vers 1924, peu avant la mort de cet artiste, qui fut un des plus originaux
du début du XXè siècle. Des toiles de Jean Launois,
d'André Lhote, de Sabine René Jean, de René Jean
Clot, etc... forment un ensemble au milieu duquel resplendit une belle
tête de Sénégalais du sculpteur François
Caujan, dont la brillante destinée fut, hélas ! si tôt
et si brutalement interrompue !
--------Enfin, ceux
qui aiment l'exotisme trouveront de quoi satisfaire leur curiositédans
1a galerie qui fait face à 1'hôtel Saint-George. Elle a été,
en effet, aménagée en musée d'art nègre ;
Mme Robert Randau et M. Maurice Reygasse ayant bien voulu prêt plusieurs
pièces importantes de leurs collections, fonds déjà
constitué grâce aux crédits de la direction de l'Intérieur
et des Beaux-Arts a pris de l'ampleur. Statues baoulé, antilopes
bambara, bronzes du Bénin, têtes pahouine ou buyu donnent
une idée déjà remarquable de l'art de l'Afrique noire.
Ainsi s'ouvre une section nouvelle dans les musées d'Algérie
; et est tout naturellement placée sous les auspices du grand colonisateur
pacifique, qui fut le défenseur et l'ami des nègres.
---------Tel
est, dans ses grandes lignes, le musée qui porte aujourd'hui le
nom de Savorgnan de Brazza. Ceux qui le visiteront apprendront à
y admirer une des individualités les plus nobles que l'époque
moderne ait connues. Il ne faut pas voir en lui le seul découvreur
du Congo, mais aussi le grand politique qui a pressenti le rôle
essentiel que devait jouer l'Afrique dans les vicissitudes internationales.
Il croyait à l'avenir de ce continent qui a provoqué des
vocations aussi héroïques (le mot n'est pas trop fort) que
la sienne, ou celles d'un Père de Foucauld et d'un Albert Schweitzer.
Les nombreuses missions qu'il a remplies au Congo sont à la base
même du développement d'un territoire où son action
fut d'autant plus décisive qu'elle était pacifique.
---------Car
c'est par la noblesse de son idéal que Savorgnan de Brazza est
particulièrement digne d'admiration. Il a prouvé que l'on
peut faire une grande oeuvre coloniale par la seule force de la bonté
et de la persuasion. C'est un extraordinaire enseignement que nous donne
une existence dominée par le sentiment latin de la dignité
humaine : et cet enseignement, on le trouvera désormais dans ce
musée où sont réunis les objets dont il était
entouré au Congo et à Alger, les documents qui racontent
les hauts et les bas de cette vie parfois douloureuse. On saura aussi
comment naquit et se développa la plus irrésistible des
vocations et, en étudiant le milieu dans lequel ce Méditerranéen
d'origine vénitienne se trouva brusquement transplanté,
on pourra méditer sur les curieux contrastes que comporte une pareille
destinée.
---------Mais
ce qui domine tout, c'est la leçon d'humanité qui découle
de l'ensemble des documents de toute nature qui sont réunis dans
ces salles où la pensée de Savorgnan de Brazza est toujours
présente. Ceux qui ont pu approcher cet être d'élite
savent quels étaient le rayonnement de son esprit et la bonté
de son cur.
---------On
voit dans ce musée son activité se développer dans
bien des domaines et aboutir à une uvre immense qui fait
honneur à l'Italie, où il est né, et à la
France, sa patrie d'adoption. Comment cette uvre ne s'imposerait-elle
pas avec force aux générations présentes et futures
par la noblesse de son idéal et son exceptionnelle grandeur morale
Jean ALAZARD.
-LE
15 FÉVRIER 1952
ALGER A COMMÉMORÉ LE CENTENAIRE
DE LA NAISSANCE DE BRAZZA
---------L' ÉPITAPHE
est bien connue du tombeau de Pierre Savorgnan de Brazza : " Sa
mémoire est pure de sang humain ". Elle résume
dans sa simplicité la nature profonde d'un héros qui sut
rester un homme, d'un conquérant qui fut pacifique.
---------Ses
parents, ses amis, ses biographes, tous ceux qui l'ont connu et approché
sont d'accord pour saluer en lui le sens de la fraternité, un respect
de la dignité humaine qui s'exprimaient en une grandeur d'âme,
une bonté de coeur, une largeur d'esprit efficientes et discrètes.
Son destin est exemplaire parce qu'il est de ces hommes pour qui l'idéal
n'est pas l'occasion de déclamations vaines, mais une réalisation
de chaque jour patiente, tenace. Une popularité et une gloire précoces
n'évitèrent pas à Brazza les difficultés et
les incompréhensions dans la poursuite d'une entreprise aussi noble
que téméraire ; ni les unes ni les autres n'eurent raison
de lui et lorsque l'ingratitude officielle vint assombrir ses dernières
années, il garda le silence le plus digne, n'hésitant pas
à user le peu de forces qui lui restaient lorsque les pouvoirs
publics lui demandèrent de remettre de l'ordre, là où
son départ avait entraîné les exactions qu'il avait
redoutées.
---------De
l'enfant imaginatif qui s'obligeait à passer des heures dans un
cimetière pour vaincre sa frayeur de la nuit au Commissaire général
du Congo français, le même courage tranquille, le même
enthousiasme ont animé cet aristocrate qui alliait à l'audace
de l'explorateur, l'habileté du diplomate, les vues de l'homme
d'État et, surtout, la bonté agissante d'un véritable
missionnaire.
---------Dès
sa première mission, son étonnante intuition de l'âme
indigène lui acquit la sympathie des nègres qui, le considérant
avec vénération, l'appelaient " le juste ", "
le père des esclaves ". A son retour en France, où
l'attendait la sympathie générale, il pouvait dire : "
Nous avons appris aux riverains du Congo à reconnaître et
à respecter le nom de la France ". Au cours des
missions qui suivirent, puis comme Commissaire général du
Congo français, Brazza fut toujours sur la brèche, payant
partout de sa personne, étendant sans cesse notre zone d'influence.
---------"
... L'extension territoriale qu'il réussit
à donner à la nouvelle colonie sans rien coûter à
la métropole paraît si inconcevable que Stanley lui-même
la considérait comme un miracle et non pas comme le travail d'un
homme sans l'appui des millions... ", écrit le
général de Chambrun. C'est cependant pour une mesquine histoire
de budget qu'il dut quitter le Congo où il ne revint que pour mourir,
ayant eu la douleur d'avoir vu bafoués par l'âpreté
mercantile les principes sur lesquels il avait bâti son oeuvre civilisatrice.
---------Le
15 février 1952, Alger où il vécut les dernières
de sa vie, a solennellement célébré le souvenir de
Brazza. Après une messe dite en l'église Saint-Charles où
S.E. Mgr Leynaud, archevêque d'Alger, prononça une allocution
émue, les personnalités se rendirent à la tombe de
Brazza devant laquelle le général Deschamps, président
du Souvenir français, et M.le préfet Gazagne, maire d'Alger,
prirent la parole, pus à la villa Dar-es-Sangha. Celle-ci, transformée
en musée, fut remise par Charles de Brazza, fils du grand homme
, et le général Chambrun, son beau-frère, à
M. Roger Léonard, Gouverneur général de l'Algérie.
Parlant après le général de Chambrun et le commandant
Lehuraux représentant le président de l'Assemblée
algérienne, le Gouverneur général salua la puissante
individualité de Brazza, puis, prenant possession de la villa au
nom de l'Algérie, il constata en conclusion : " Ce
musée, cette maison, ce n'est pas seulement le musée, la
maison de Brazza. C'est un de ces hauts lieux où s'affirme la France
et où se rend manifeste son génie. Elle rappellera à
ceux qui veulent le méconnaître le sens de sa présence
en terre africaine... ".
---------Sous
la conduite de M. le doyen Alazard, de M. Berton directeur de l'Intérieur
et des Beaux-Arts, et de la famille de Brazza ce fut ensuite la visite
du musée où ont été rassemblées outre
les émouvants souvenirs personnels de Brazza, des oeuvres d'art
nègre ainsi que de belles toiles d'Afrique noire, d'André
Lhote, Jean Launois, Maurice Loutreuil, Jacques Marjorelle, René
Jean Clot, Sabine René Jean.
Au
musée de Brazza, M.le Gouverneur Général Léonard
dévoile la plaque commémorative.(Photo G.Tolila)
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---------L'inauguration,
par M. le Gouverneur général Léonard de l'avenue
Général Reibell, clôture la matinée. M. Faivre,maire,
de Birmandreïs, parla du grand soldat, puis le commandant Lehuraux,
en retraçant sa carrière, rendit un vibrant hommage à
la mémoire des grands Français d'Afrique.
---------L'après-midi,
toujours en présence du Gouverneur général et d'un
grand concours de personnalités, le général Meynier,
président du Comité d'Alger du centenaire de Brazza, M.
Casimir Maistre, l'un des compagnons d'exploration de Brazza, M. Deloncle
disant le discours du général de Chambrun), le Gouverneur
général Reste, ancien Gouverneur général d'A.-E.F.,
et le doyen Alazard (lisant un message du docteur Schweitzer) évoquèrent,
à tour de rôle, la noble figure d Brazza et les principaux
aspects de son uvre. La cérémonie, entrecoupée
d'intermèdes musicaux, se termina par la présentation du
film " Pirogue sur l'Ogooué " qui montra quelques-uns
des paysages devant lesquels Brazza dut méditer, où il connut
ses plus grandis souffrances, mais aussi ses plus grandes joies.
---------Comme
le disait le docteur Schweitzer dans son message "
L'humanisme est l'élément constitutif de la vraie civilisation.
Oeuvre de Brazza prend de ce fait une importance particulière.
L'histoire l'a chargé d'un message pour notre temps. Laissons-nous
impressionner et édifier par lui ".
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