Musée Savorgnan de Brazza
par Jean Alazard, doyen de la faculté de lettres d'Alger
Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, mars-avril 1952.Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 11-12-2004

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---------SAVORGNAN de Brazza est enterré à Alger (note du Déjanté, webmaster: Cimetière Européen du Boulevard BRU...Son tombeau y est-il encore?), où il s'était retiré avec sa famille, et où son souvenir est resté particulièrement vivant. Il s'imposait donc de lui rendre en cette ville un hommage solennel. Ce devoir a été bien facile à remplir, puisque sur l'initiative du général
de Chambrun, la famille de l'explorateur a fait don de sa villa au Gouverneur général de l'Algérie, à la condition que celui-ci en fasse un musée. C'était sans doute la meilleure façon d'honorer cet ardent Français qui fut de 1a race des grands missionnaires.(note du Déjanté, webmaster:
le musée lui-même existe-t-il ou sert-il de résidence à un ponte quelconque?)
La villa qu'habitait Savorgnan de Brazza transformée en musée
La villa qu'habitait Savorgnan de Brazza transformée en musée

---------Comment concevoir ce musée dans une villa qui n'était guère faite pour contenir des collections de souvenirs et d'objets de toute nature, y compris des gravures et des tableaux ? Grâce à l'intelligence et à l'ingéniosité de M. M.-H. Christofle, aidé de M. Tailhant, le premier étage de cette villa a été parfaitement adapté à sa nouvelle fonction, et les pièces ont été heureusement aménagées pour y loger des œuvres d'art. Quant au rez-de-chaussée et au sous-sol, on s'est contenté de les consolider et de les rajeunir car il était indispensable de conserver son aspect d'autrefois à cette partie de l'appartement que tant d'Algérois ont connue et fréquentée.

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Ainsi se définissait assez nettement l'utilisation de cette villa où Savorgnan de Brazza avait vécu pendant environ sept ans, et que sa veuve et sa famille avaient continué à habiter. D'accord avec le général de Chambrun et avec M. Charles de Brazza, le sous-sol a été consacré aux souvenirs des explorations à travers le Congo. Des panneaux que M. Charles de Brazza a brossés, en s'entourant de documents nombreux, font revivre les régions que parcourut l'ancien officier de marine. On voit réunis, autour de la tente qui l'accompagnait partout son lit de camp, ses cantines, sa table, ses deux chaises, ses hamacs, ses instruments d'astronomie et de topographie (sextants, boussoles, podomètre). Tous ces souvenirs ont, dans leur simplicité, une grande force évocatrice et on peut qu'être ému par tout ce qu'ils représentent à nos yeux.

---------On a conservé au rez-de-chaussée un précieux document photographique où l'on voit celui qui, les pieds nus, et presque vêtu de haillons, semble être un nouveau pèlerin d'Afrique. Quelle étonnante destinée ! Car voici que maintenant on pénètre dans la demeure où il a passé une partie de son existence de chercheur. Le cadre est complètement différent, et l'ancien salon s'enorgueillit encore d'un très beau mobilier vénitien XVIIIè siècle qui nous rappelle l'origine frioulane des, ascendants de Savorgnan de Brazza. Quelques tableaux qui sont restés sur les murs, aux endroits mêmes où ils ont toujours été, évoquent l'Italie où naquit l'explorateur. Le contraste entre le sous-sol et ce milieu de grande civilisation apparaît ici de façon saisissante. Ajoutons-y de très nombreux souvenirs, documents, concernant la famille de Brazza, et de Mme de Brazza, ainsi que plusieurs portraits de l'explorateur, dont le plus curieux est peut-être celui de Corabeuf, qui a été donné au musée par la famille italienne du conquérant pacifique du Congo. L'attitude est quelque peu romantique et les traits apparaissent comme ceux d'un être d'élite, fin et racé. Le tableau où il est représenté vêtu de son uniforme de haut-commissaire nous le montre ayant davantage le sens de l'autorité et du commandement, mais il conserve toujours ce côté humain et cet air de bonté qui lui donnent une physionomie tout à fait à part dans l'histoire coloniale du XIXè siècle.

---------Ces trois salles du rez-de-chaussée où se mêlent les souvenirs historiques et certaines notes d'art sont sans doute celles où revit avec le plus d'intensité la personnalité si séduisante de Savorgnan de Brazza ; à quelques mètres de la photographie jaunie dont nous venons de parler, le voici au milieu de sa famille vénitienne, ou à côté de la comtesse Papafava, sa sœur, à qui il donne une leçon de géographie, ou non loin de son frère, Antonio de Brazza, grand-maître de l'ordre de Malte.

---------Après avoir ainsi évoqué son passé et sa vie dans la brousse, n'était-il pas intéressant de caractériser, d'une façon aussi précise que possible, la civilisation au milieu de laquelle il vécut comme haut-commissaire, et qui était si différente de celle dont il s'était nourri pendant sa jeunesse ? C'est au premier étage que l'on peut vivre un instant, loin de la Méditerranée, en pleine Afrique noire, grâce à des tableaux d'une aussi grande puissance de coloris - que ceux de Maurice Loutreuil, peints au Sénégal vers 1924, peu avant la mort de cet artiste, qui fut un des plus originaux du début du XXè siècle. Des toiles de Jean Launois, d'André Lhote, de Sabine René Jean, de René Jean Clot, etc... forment un ensemble au milieu duquel resplendit une belle tête de Sénégalais du sculpteur François Caujan, dont la brillante destinée fut, hélas ! si tôt et si brutalement interrompue !

--------Enfin, ceux qui aiment l'exotisme trouveront de quoi satisfaire leur curiositédans 1a galerie qui fait face à 1'hôtel Saint-George. Elle a été, en effet, aménagée en musée d'art nègre ; Mme Robert Randau et M. Maurice Reygasse ayant bien voulu prêt plusieurs pièces importantes de leurs collections, fonds déjà constitué grâce aux crédits de la direction de l'Intérieur et des Beaux-Arts a pris de l'ampleur. Statues baoulé, antilopes bambara, bronzes du Bénin, têtes pahouine ou buyu donnent une idée déjà remarquable de l'art de l'Afrique noire. Ainsi s'ouvre une section nouvelle dans les musées d'Algérie ; et est tout naturellement placée sous les auspices du grand colonisateur pacifique, qui fut le défenseur et l'ami des nègres.

---------Tel est, dans ses grandes lignes, le musée qui porte aujourd'hui le nom de Savorgnan de Brazza. Ceux qui le visiteront apprendront à y admirer une des individualités les plus nobles que l'époque moderne ait connues. Il ne faut pas voir en lui le seul découvreur du Congo, mais aussi le grand politique qui a pressenti le rôle essentiel que devait jouer l'Afrique dans les vicissitudes internationales. Il croyait à l'avenir de ce continent qui a provoqué des vocations aussi héroïques (le mot n'est pas trop fort) que la sienne, ou celles d'un Père de Foucauld et d'un Albert Schweitzer. Les nombreuses missions qu'il a remplies au Congo sont à la base même du développement d'un territoire où son action fut d'autant plus décisive qu'elle était pacifique.

---------Car c'est par la noblesse de son idéal que Savorgnan de Brazza est particulièrement digne d'admiration. Il a prouvé que l'on peut faire une grande oeuvre coloniale par la seule force de la bonté et de la persuasion. C'est un extraordinaire enseignement que nous donne une existence dominée par le sentiment latin de la dignité humaine : et cet enseignement, on le trouvera désormais dans ce musée où sont réunis les objets dont il était entouré au Congo et à Alger, les documents qui racontent les hauts et les bas de cette vie parfois douloureuse. On saura aussi comment naquit et se développa la plus irrésistible des vocations et, en étudiant le milieu dans lequel ce Méditerranéen d'origine vénitienne se trouva brusquement transplanté, on pourra méditer sur les curieux contrastes que comporte une pareille destinée.

---------Mais ce qui domine tout, c'est la leçon d'humanité qui découle de l'ensemble des documents de toute nature qui sont réunis dans ces salles où la pensée de Savorgnan de Brazza est toujours présente. Ceux qui ont pu approcher cet être d'élite savent quels étaient le rayonnement de son esprit et la bonté de son cœur.

---------On voit dans ce musée son activité se développer dans bien des domaines et aboutir à une œuvre immense qui fait honneur à l'Italie, où il est né, et à la France, sa patrie d'adoption. Comment cette œuvre ne s'imposerait-elle pas avec force aux générations présentes et futures par la noblesse de son idéal et son exceptionnelle grandeur morale

Jean ALAZARD.

-LE 15 FÉVRIER 1952
ALGER A COMMÉMORÉ LE CENTENAIRE
DE LA NAISSANCE DE BRAZZA

---------L' ÉPITAPHE est bien connue du tombeau de Pierre Savorgnan de Brazza : " Sa mémoire est pure de sang humain ". Elle résume dans sa simplicité la nature profonde d'un héros qui sut rester un homme, d'un conquérant qui fut pacifique.
---------Ses parents, ses amis, ses biographes, tous ceux qui l'ont connu et approché sont d'accord pour saluer en lui le sens de la fraternité, un respect de la dignité humaine qui s'exprimaient en une grandeur d'âme, une bonté de coeur, une largeur d'esprit efficientes et discrètes. Son destin est exemplaire parce qu'il est de ces hommes pour qui l'idéal n'est pas l'occasion de déclamations vaines, mais une réalisation de chaque jour patiente, tenace. Une popularité et une gloire précoces n'évitèrent pas à Brazza les difficultés et les incompréhensions dans la poursuite d'une entreprise aussi noble que téméraire ; ni les unes ni les autres n'eurent raison de lui et lorsque l'ingratitude officielle vint assombrir ses dernières années, il garda le silence le plus digne, n'hésitant pas à user le peu de forces qui lui restaient lorsque les pouvoirs publics lui demandèrent de remettre de l'ordre, là où son départ avait entraîné les exactions qu'il avait redoutées.

---------De l'enfant imaginatif qui s'obligeait à passer des heures dans un cimetière pour vaincre sa frayeur de la nuit au Commissaire général du Congo français, le même courage tranquille, le même enthousiasme ont animé cet aristocrate qui alliait à l'audace de l'explorateur, l'habileté du diplomate, les vues de l'homme d'État et, surtout, la bonté agissante d'un véritable missionnaire.

---------Dès sa première mission, son étonnante intuition de l'âme indigène lui acquit la sympathie des nègres qui, le considérant avec vénération, l'appelaient " le juste ", " le père des esclaves ". A son retour en France, où l'attendait la sympathie générale, il pouvait dire : " Nous avons appris aux riverains du Congo à reconnaître et à respecter le nom de la France ". Au cours des missions qui suivirent, puis comme Commissaire général du Congo français, Brazza fut toujours sur la brèche, payant partout de sa personne, étendant sans cesse notre zone d'influence.

---------" ... L'extension territoriale qu'il réussit à donner à la nouvelle colonie sans rien coûter à la métropole paraît si inconcevable que Stanley lui-même la considérait comme un miracle et non pas comme le travail d'un homme sans l'appui des millions... ", écrit le général de Chambrun. C'est cependant pour une mesquine histoire de budget qu'il dut quitter le Congo où il ne revint que pour mourir, ayant eu la douleur d'avoir vu bafoués par l'âpreté mercantile les principes sur lesquels il avait bâti son oeuvre civilisatrice.

---------Le 15 février 1952, Alger où il vécut les dernières de sa vie, a solennellement célébré le souvenir de Brazza. Après une messe dite en l'église Saint-Charles où S.E. Mgr Leynaud, archevêque d'Alger, prononça une allocution émue, les personnalités se rendirent à la tombe de Brazza devant laquelle le général Deschamps, président du Souvenir français, et M.le préfet Gazagne, maire d'Alger, prirent la parole, pus à la villa Dar-es-Sangha. Celle-ci, transformée en musée, fut remise par Charles de Brazza, fils du grand homme , et le général Chambrun, son beau-frère, à M. Roger Léonard, Gouverneur général de l'Algérie. Parlant après le général de Chambrun et le commandant Lehuraux représentant le président de l'Assemblée algérienne, le Gouverneur général salua la puissante individualité de Brazza, puis, prenant possession de la villa au nom de l'Algérie, il constata en conclusion : " Ce musée, cette maison, ce n'est pas seulement le musée, la maison de Brazza. C'est un de ces hauts lieux où s'affirme la France et où se rend manifeste son génie. Elle rappellera à ceux qui veulent le méconnaître le sens de sa présence en terre africaine... ".

---------Sous la conduite de M. le doyen Alazard, de M. Berton directeur de l'Intérieur et des Beaux-Arts, et de la famille de Brazza ce fut ensuite la visite du musée où ont été rassemblées outre les émouvants souvenirs personnels de Brazza, des oeuvres d'art nègre ainsi que de belles toiles d'Afrique noire, d'André Lhote, Jean Launois, Maurice Loutreuil, Jacques Marjorelle, René Jean Clot, Sabine René Jean.

Au musée de Brazza, M.le Gouverneur Général Léonard dévoile la plaque commémorative.(Photo G.Tolila)
Au musée de Brazza, M.le Gouverneur Général Léonard dévoile la plaque commémorative.(Photo G.Tolila)


---------L'inauguration, par M. le Gouverneur général Léonard de l'avenue Général Reibell, clôture la matinée. M. Faivre,maire, de Birmandreïs, parla du grand soldat, puis le commandant Lehuraux, en retraçant sa carrière, rendit un vibrant hommage à la mémoire des grands Français d'Afrique.

---------L'après-midi, toujours en présence du Gouverneur général et d'un grand concours de personnalités, le général Meynier, président du Comité d'Alger du centenaire de Brazza, M. Casimir Maistre, l'un des compagnons d'exploration de Brazza, M. Deloncle disant le discours du général de Chambrun), le Gouverneur général Reste, ancien Gouverneur général d'A.-E.F., et le doyen Alazard (lisant un message du docteur Schweitzer) évoquèrent, à tour de rôle, la noble figure d Brazza et les principaux aspects de son œuvre. La cérémonie, entrecoupée d'intermèdes musicaux, se termina par la présentation du film " Pirogue sur l'Ogooué " qui montra quelques-uns des paysages devant lesquels Brazza dut méditer, où il connut ses plus grandis souffrances, mais aussi ses plus grandes joies.

---------Comme le disait le docteur Schweitzer dans son message " L'humanisme est l'élément constitutif de la vraie civilisation. Oeuvre de Brazza prend de ce fait une importance particulière. L'histoire l'a chargé d'un message pour notre temps. Laissons-nous impressionner et édifier par lui ".