Musée du Bardo

Algeria et l'Afrique du nord illustrée, revue mensuelle, noël 1952, n°29. Édition de l'Office Algérien d'Action Économique et Touristique (OFALAC), 26 bd Carnot ou 40-42, rue d'Isly, Alger
sur site le 18-9-2005

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---------Élégante villa, datant vraisemblablement du XVIIIè siècle, le Bardo dissimule ses murs blancs parmi les frondaisons d'un parc exotique. Cette belle résidence où un prince tunisien aurait abrité son exil, est le type même de ces maisons des champs que les riches citadins d'El-Djezaïr aimaient à se faire bâtir. Ses propriétaires successifs eurent le bon goût de respecter l'harmonieuse ordonnance de son architecture, aussi lorsqu'à l'occasion du centenaire de l'Algérie l'Etat en fit l'acquisition pour y établir un musée de préhistoire et d'ethnographie, son cadre se révéla-t-il un décor idéal où le professeur Marçais put reconstituer des scènes familières la vie musulmane.
---------La cour, dallée de marbre blanc et noir, charme par la grâce de ses proportions ; les sveltes colonnades de trois portiques, les feuilles des strélizias et le fût noir d'un cyprès s'y reflètent dans un miroir d'eau; seul le ruissellement discret d'un jet d'eau dans une vasque souligne le calme ambiant.
---------Un café maure, décoré de naïves enluminures, aligne ses tasses et ses verres sur une étagère faïencée ; des jeux de cartes, de dominos, de dames s'étalent sur sa banquette recouverte de nattes... Dans une salle voisine sont rassemblés des panoplies d'armes, des instruments de musique, divers ornements cultuels.
---------Sur le vestibule s'ouvre une pièce étroite et longue dont les murs s'ornent d'une magnifique collection de faïences de Delft.
---------Montant à l'étage, le visiteur débouche dans un patio dont les huit arcs sur colonnes torsadées supportent une coupole octagonale ; son regard est tout de suite sollicité par la scène " Femmes d'Alger dans leur intérieur " qui, librement inspirée de la célèbre toile d'Eugène Delacroix évoque jusque dans le détail un intérieur algérois aux environs de 1830, ses meubles, ses bibelots au milieu desquels des femmes en costumes d'époque conversent autour d'une table de goûter Dans une autre pièce, l'on trouve, sous vitrines, des mannequins habillés de costumes de différentes régions et de différentes époques, des chaussures, des coiffures, l'outillage de artisans du costume. Tous ces documents ethnographiques sont d'autant plus intéressants qu'ils perpétuent le souvenir de modes qui se perdent ou ont évolué sensiblement. Une petite salle est réservée aux costumes tunisiens, une autre à divers type. de poteries berbères. Ailleurs des lances, poignards, boucliers, selles, bijoux et jouets rappellent les moeurs et coutumes du Sahara et, plus particulièrement, du Hoggar.. C'est là qu'ont été réunis colliers et autres accessoire trouvés à Abalessa, dans le monument de Tin Hinan, oi l'on pense qu'aurait été inhumée la première reine du Hoggar, vers le temps où régnait Constantin.
---------Mais le fonds le plus important du musée est, sans conteste, constitué par les cinq salles de préhistoire qui, aménagées dans les anciennes écuries, contiennent outre les belles collections de M. Reygass (conservateur du musée depuis sa création) , les résultats de plus récentes découvertes.
---------Au fil des salles, l'on découvre des séries d'une valeur exceptionnelle de pièces du paléolithique inférieur de l'Afrique du Nord (entre autres, l'admirable collection d'outils acheuléens
d'El-Ma-el-Abiod) , du paléolithique moyen (moustérien, atérien, S'Baikien, dont les plus nombreux spécimens connus sont ici rassemblés), du paléolithique supérieur que représentent des milliers de pièces de l'industrie capsienne provenant de la région de Tébessa, des civilisations néolithique et mégalithique
---------Une vitrine est consacrée au mobilier funéraire trouvéé
dans les tumuli et dolmens de l'Afrique du Nord. Tous ces noms, familiers aux savants, laissent rêveur le visiteur profane, lui ouvrent d'étonnantes perspectives sur les premiers âges du monde et de l'humanité. Mais ce qui ne peut manquer de retenir son attention, de la toucher plus directement, ce sont les reproductions de gravures rupestres du Sud oranais et des gravures et des peintures de l'oued Djerat, en pays touareg Ajjer. ---------Ces oeuvres, très remarquables, apportent des précisions sur le peuplement primitif du Sahara, alors que dans des temps très reculés il était moins inhabitable.

 

---------Les gravures relevées dans le sud oranais, au trait profond, souvent poli, représentent en grandeur naturelle des animaux ; caractérisées par le réalisme de leur style, elles semblent, d'après les observations faites, appartenir à la période néolithique.
---------Les gravures archaïques de l'oued Djerat proviendraient, les unes du paléolithique supérieur, les autres du néolithique : les plus anciennes, qui ne représentent que des animaux de la faune tropicale, sont l'oeuvre de populations primitives restées au stade de la chasse et de la cueillette ; les autres, par la présence d'animaux domestiques, apparaissent comme l'oeuvre de
pasteurs.
---------Les reproductions des peintures rouges, blanches ou noires découvertes dans des abris sous roches, au Tassili des Ajjer, frappent par la justesse des proportions et des formes, le sens de l'observation qu'elles révèlent (fresque aux autruches, girafes, éléphants stylisés) . Le dépouillement de leur graphie, l'austérité des couleurs en font de véritables chefs-d'oeuvre auxquels on se plaît souvent à comparer certaines des oeuvres les plus caractéristiques de l'art moderne.
---------Le musée possède encore la seule série de bétyles néolithiques anthropomorphes et zoomorphes découverte au Sahara (idole en pierre polie de Tabelbalet, tête de bélier de l'oasis de Tamentit, tête de gazelle d'Imakassen) .
---------L'ensemble des collections du Bardo est unique au monde et, pour mieux les mettre en valeur, un plan de réorganisation et de modernisation du musée a été établi après la guerre. M. le professeur Balout, maître de conférence à l'Université, chargé de mission à la direction des Antiquités, a été détaché au musée afin d'en poursuivre la réalisation. Certaines salles, complètement rééquipées avec des vitrines bronzées, éclairées par des rampes lumineuses, ont soulevé l'admiration des nombreux savants français et étrangers venus dernièrement assister au IIè Congrès panafricain de Préhistoire. Leur réaménagement fait contraste avec les anciennes installations encore en place et donne une idée très nette de ce que sera, dans un proche avenir, l'ensemble du musée.
---------D'autre part, la nécessité s'imposait d'adjoindre au musée, organisme de conservation, un centre de recherches orienté vers le progrès scientifique. A cet effet, l'on a édifié, au cours de l'année 1950, à l'est des salles de préhistoire, un bâtiment qui s'intègre harmonieusement à l'ensemble du Bardo : il renferme un laboratoire, une salle de collections anthropologiques, une salle de travail, un bureau et une salle de dessins ; son sous-sol abrite un magasin et un atelier. Avec la bibliothèque, agréablement aménagée par le peintre Fernez, en 1952, ce centre de recherches s'avère être l'instrument indispensable aux étudiants qui peuvent y faire des exercices pratiques, aux chercheurs qui ont la possibilité de préparer et d'étudier les documents provenant des fouilles. L'on s'efforce de restaurer scientifiquement la quantité considérable de documents anthropologiques réunis. En outre, le
laboratoire a entrepris la publication d'une série de " Travaux du laboratoire d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques du musée du Bardo ". Ainsi le Bardo, depuis sa fondation l'un des musées les plus importants en son genre, est en train de devenir le centre de recherches des plus appréciables qui fait honneur aux traditions culturelles de notre pays.