Extrait du livre " Terres d'Afrique - Algérie
et Sahara "
du Père Rager DUVOLLET- 70360 SCEY-SUR-SAONE
-----MOUZAIAVILLE, riante cité de
la MITIDJA, a pris racine dans les fastes de la MAURÉTANIE romano
berbère (d'après reportage de Jean Verchin, Journal d'ALGER,
26, 27, 28 juillet1960). 1053-1865, deux dates mémorables de l'histoire
de MOUZAIVILLE, qui atteste un passé remontant à la grande
époque romano berbère. Sauf sur le littoral où de
modernes agglomérations se sont superposées à des
ruines phéniciennes et latines, la MITIDJA ne voit prospérer
que des villes ou des villages issus de notre civilisation française.
MOUZAÏAVILLE fait exception à cette particularité.
Les spécialistes de l'histoire de la Maurétanie Césaréenne
ne sont pas entièrement d'accord sur le nom de cette importante
cité. Son existence ne fait aucun doute; les ruines l'attestent,
le recoupement des textes historiques également; mais les historiens
ne se contentent pas de présomptions; il leur faut d'indiscutables
preuves.Il apparaît pourtant, avec de fortes raisons d'y croire,
que MOUZAIAVILLE se nommait autrefois: ELEPHANTARIA. Nom suggestif qui
laisse soupçonner de grandes choses qui se sont perdues sous les
injures du temps. Optons donc pour ELEPHANTARIA avec un minimum de risques
de nous tromper.
Le premier essor
-----Les rares textes qui
font état d'une cité de ce nom à l'endroit approximatif
où se trouve MOUZAIA VILLE, parlent d'une agglomération
importante et prospère à destination guerrière et
agricole; elle devait faire partie du " limes " d'alors, c'est-à-dire
du poste avancé vers le sud. De nombreuses ruines exhumées,
particulièrement au cours des années dernières, où
l'on se mit à effectuer des labours profonds, ont révélé
un nombre important d'habitations rurales à usage agricole et il
est fréquent en visitant les fermes françaises des environs
de MOUZAIA VILLE de voir exposés des pierres ou des chapiteaux
du premier ordre ainsi que des amphores à huile et des meules de
moulins.
-----Le IIIè siècle de notre
ère nous parait avoir été le point culminant de la
foi chrétienne à ELEPHANTARIA. Cette foi s' affirmait avec
une telle ardeur que les vandales, chrétiens aussi mais de rite
aryen, durent exiler l'évêque. Malheureusement, si nous avons
une inscription qui révèle qu'il fut assassiné en
493 par une incursion des Maures qui étaient descendus des montagnes
avoisinantes, elle ne nous fait pas connaître le nom de ce saint
et vaillant prélat; bien qu'il soit inexact d'attribuer au nom
d'évêque le sens que nous lui donnons actuellement. Le nom
de curé doyen nous paraît plus approprié.L'invasion
arabe des BENNI HILLAL en 1053.On peut supposer que cette date ait été
la fin de la grande prospérité d'ELEPHANTARIA et qu'elle
dut survivre malaisément jusqu'à la date fatidique de 1053
où se produisit l'invasion arabe des BENI HILLAL qui, arrivant
tout droit et affamés de leur ARABIE, pétrée originelle
et désertique, rasèrent tout ce qui avait une apparence
d'agglomération, décapitèrent le christianisme et
ruinèrent toutes les édifications, y compris celles provenant
des ARABES des invasions précédentes qui n'étaient
que des passagers, au demeurant fort tolérants pour la religion
du Christ, pourvu que ses adeptes consentissent à payer un léger
impôt pour en exercer les rites en toute tranquillité.Donc,
en 1053, ELEPHANTARIA plongea dans une thébaïde qui dura 800
ans.
MOUZAIAVILLE ressuscite
ELEPHANTARIA
-----Après des siècles
de néant MOUZAIA VILLE allait vivre sur les ruines d'ELEPHANTARIA.
Mais, si les occupants s'étaient dilués dans la glèbe,
celle-ci avait continué de vivre et contenait on son sein l'essence
de moissons nouvelles. A la fin de la période byzantine, une végétation
anarchique s'était épandue du pied de la montagne aux rives
précieuses du lac HALLOULA. Et, suivant les étages, proliféraient
des océans d'asphodèles, de jujubiers, de palmiers nains
et de broussailles. Les affleurements de tuf mettaient leur tâche
claire sur des verdoyances de printemps et ces fenaisons d'automne. Les
pierres errantes constellaient le sol à l'infini.
-----Vers 1842, un timide essai de colonisation
fut tenté et, sous la protection de la troupe, des émigrants
venus de BLIDA s'installèrent dans cette géhenne. Les fièvres
des marais eurent vite raison de la vingtaine de pauvres hères
qui n'ayant rien à perdre, avaient résolu de tout gagner.
Ils gagnèrent le cercueil rustique ou la malaria désagrégeante.
Leurs noms n'ont même pas été retenus et leur sacrifice
éphémère rejoignit celui de tant d'autres qui étaient
venus avec eux pour tenter la fortune sur de nouveaux rivages. Paix à
leurs cendres. Après quelques mois de répit, l'administration
considéra qu'un essai malheureux ne prouvait pas que la chose fut
impossible et de nouveaux héros prirent la place des morts à
côté des fiévreux. Cette fois, on fit mieux les choses,
un fossé délimita la nouvelle agglomération et sous
leur protection on put y vivre des instants moins oppressants. Des baraques
on bois remplacèrent les tentes militaires: une ordonnance du 22
décembre 1846 créa officiellement le centre de MOUZAIAVILLE
sous le contrôle de l'autorité militaire. Le 16 août
1848, elle devint territoire civil. Si ces deux promotions ne changeaient
pas grand-chose à la précarité de la condition des
habitants, elles démontraient la volonté supérieure
de persévérer.L 'an goissan t problème de l'eau
-----Défrichant avec l'aide d'une
compagnie de Zouaves, les nouveaux colons allaient subir l'épreuve
de la pénurie d'eau. Jusqu'en 1848, les puits creusés de
ci de là avaient tant bien que mal suffi à l'alimentation
générale. C'est à partir de cette date que les ressources
on eau allèrent on s'amenuisant du fait d'années de plus
on plus sèches. Même le grand puits qui se trouvait à
la place de l'actuel Monument aux Morts ne fournit plus qu'une boue malsaine.
Les familles à bout de courage allèrent se réfugier
dans les colonies militaires. La situation était telle que le Préfet
d'ALGER ordonna la construction immédiate d'un canal qui amènerait
à MOUZAIAVILLE les eaux des oueds EL-HAAD et BEN-CHAOUCH. Ce travail,
qui fut terminé on 1851, coûta la somme de 46.000 francs.
Rassurés, les colons regagnèrent leurs foyers abandonnés
et l'avenir leur apparut sous des couleurs moins sombres.
Ce n'est qu'à la fin de 1848, à la suite de l'arrivée
du contingent de déportés dola révolution de juillet,
que la population augmenta considérablement. Les 72 habitants initiaux
se muèrent on 350 et en 1849, 130 ha étaient convenablement
mis on valeur. Les logis avaient été améliorés
et des toitures de diss avaient remplacé les planches disjointes.
Pourtant certaines intempéries altérèrent ces constructions.
Outre les méfaits du ciel et la maladie, il y avait les HADJOUTHS,
des célèbres pillards qui hantaient la région et
ne respectaient rien. Il fallait travailler dans les champs sous la protection
de la 4' Compagnie du 1" Zouaves, dont les effectifs disponibles
les aidaient aux travaux de défrichement.
-----L'opiniâtreté des efforts
des colons fut connue on haut lieu et le 10 décembre 1840 le Préfet
d'ALGER décerna un éloge officiel à la population
de MOUZAIA VILLE où il magnifiait l'accord et l'énergie
des habitants.
-----Nous avons relevé sur les registres
la première naissance et le premier décès de MOUZAIA
VILLE. Nous y avons lu que le 28 septembre 1848, M. FAIVRE Antoine faisant
fonction d'officier d'état civil, le jeune Auguste, fils de M.
Edmond BERTRAND, et de son épouse née Marie TRIBES, était
né ce jour-là. Le 1e décembre de la même année,
mme Maria KEIR, née en Hollande, était décédée
à MOUZAIAVILLE à l'âge de 60 ans.
-----Sur ces mêmes registres nous relevons,
aux mêmes époques, les noms de MM. BAILLY, SCHMITT-RAYMOND,
GIRAUD, LJRRE, MORAND, MAGUJN, DIOTT, LIEBGOTT? AMILE, PERREAU, GABROT.
Nombreux sont les anciens de MOUZAIA VILLE qui reconnaîtront dans
cette courte énumération les noms de certains de leurs ancêtres.
Dans les tous premiers nous avons cité le nom de M. RONCHAUD. Il
s'agit de l'arrière grand-père du président du Tribunal
civil de BLIDA, magnifique titre de noblesse dont il peut s'enorgueillir.
-----Sitôt après la construction
du canal salvateur, le génie blidéen construisit des maisons
on dur selon une architecture aussi solide que dénuée de
fioritures: rez-de-chaussée recouvert de tuiles rondes. La peinture
des portes et des fenêtres était d'un brun uniforme et ce
n'est que vers 1860 que les habitants furent autorisés à
peindre aux couleurs de leur gré: conquête qui nécessita
autant d'opiniâtreté que celle qu'ils avaient développée
sur les barricades du Faubourg St-Antoine et qui leur avaient valu d'être
les artisans de notre épopée africaine.
-----La population ne cessait de s'accroître
et, on 1855, MOUZAIAVILLE comptait 578 habitants, le nombre d'hectares
cultivés atteignait 800 et la culture du tabac couvrait une dizaine
d'hectares.
Avec l'amélioration de l'habitat, la mortalité du début
diminua considérablement et, de 13 % on 1849, elle tomba à
5 % en 1852.
Le 31 décembre 1856, le village fut érigé on commune
de plein exercice avec trois sections: EL-AFFROUN, BOU-ROUMI et LA CHIFFA.
-----En 1857 surgirent de terre l'église
St-Athanase qui fut consacrée le 22juin, tandis qu'une école
pour 60 élèves était ouverte on présence du
Préfet d'ALGER.
-----Et les jours s'écoulaient entre
le labeur et les petites joies qu'il procure. Il semblait que dans un
ciel clair, l'avenir était écrit on lettres roses. Mais
le destin et ses insondables mystères y veillaient.
Détruite par
le séisme de 1867
-----La nuit du 1er au 2janvier
1867 s'achevait dans un lourd sommeil qui suit les journées de
liesse, car nombreux étaient ceux qui avaient célébré
l'entrée dans une année que l'on désirait bénéfique.
L'aube venait de naître, il était 7h15, lorsque le village
se mit à osciller comme un navire sur une mer inclémente.
La population affolée se rua hors des maisons dont les poutres
craquaient: les tuiles rondes pleuvaient dans la rue avec un bruit de
vaisselle, et les murs se lézardaient.
-----Les secours s'organisèrent sous
la pluie battante. A 9h35, le sol parut se stabiliser progressivement
et les habitants regagnèrent leurs demeures délabrées.
Hélas ce n'était qu'une trêve. Vers i h du matin,
alors que beaucoup s'étaient assoupis, une forte secousse rejeta
dans la rue la population apeurée. Quelques minutes après,
un ébranlement d'une extrême violence coucha sur le sol tout
ce qui tenait encore debout. Cinquante personnes qui s'étaient
attardées dans leurs maisons payèrent de leur vie cet acte
de témérité. Il ne restait de MOUZAIAVILLE qu'un
monceau de décombres. Le même jour, à la même
heure, BLIDA était détruite à 65 %.
-----Après le compréhensible
désarroi causé par ce cataclysme qui annihilait des efforts
parfois inhumains, la vie reprit ses droits et, avec le secours du génie
blidéen et des troupes envoyées sur place pour le déblaiement
des décombres, l'activité de tous les jours recommença
de régner. En 1869, il ne restait plus aucune trace du séisme,
et la terre continua de tenir ses promesses.
-----En 1871, il y eut encore une épreuve
pour MOUZAIA VILLE : la canalisation d'arrivée d'eau, infestée
par les serpents et les crapauds, fournit une eau malsaine; la maladie
s'abattit à nouveau sur le village et fit des coupes sombres dans
la population.
Nous ne citerons que pour mémoire les invasions
de sauterelles de 1859, 1862, 1874, 1883. Pour mémoire aussi, les
épidémies de choléra de 1860 et 1863; épreuves
douloureuses, mais passagères, qui ne firent pas faiblir la volonté
des habitants de faire de cette terre écartelée, une oasis
triomphante. Les hommes un instant surpris, reprenaient le mancheron de
la charrue et MOUZAIA VILLE repartait crânement vers son destin.
-----Tous ceux, et ils sont légion, qui passent par MOUZAIAVILLE
ont remarqué cette cité coquette et bien tracée,
deux fois détruite au cours de notre ère. Si la première
fois fut suivie d'un long assoupissement, la fois dernière elle
se redressa très rapidement dans l'ambiance créatrice de
la paix française. Elle a continué d'emprunter d'un pied
sûr la route tracée par les pionniers de 1842.
ELEPHANTARIA renaît dans MOUZAIA VILLE après des siècles
d'obscurité.Un mur d'enceinte remplaça en 1848 le fossé
primitif: ceci fut fait sur l'ordre de M. BOSELLI, directeur des Affaires
Civiles du moment. Dans ces limites vivaient assez médiocrement
72 habitants. Parmi ceux-ci nous avons relevé les noms de MM. RABEY,
MIRAVAL, BELLON, MEYNET, KLENE, NICOLET, ENGEL, MASSAU, RONCHAUD. Ils
venaient du Dauphiné, d'Auvergne, d'Alsace et de Franche-Comté.
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