Alger, les mosquées
Ces textes de A.Berque ( administrateur Principal de Commune Mixte détaché au Gouvernement Général de l'Algérie) datent de 1930
sur site le 18/11/2002

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-----Une centaine de mosquées à Alger, à la fin du XVIè siècle, d'après Haëdo ; en 1830, suivant Devoulx, 13 grandes, 109 petites, 32 chapelles et 12 zaouïas. Mais le bon Devoulx ajoute qu'il ne faut pas chercher de " riches mosaïques, de merveilleuses broderies, de fines arabesques sur ces bâtiments sans élégance, sur ces minarets lourds et massifs : " ils étaient œuvre de maçons et non d'artistes " Ainsi définit-il les oratoires antérieurs au XVIIè siècle. Alger, à cette époque, n'est qu'un pauvre village berbère.
Mosquée d'Ali Bitchnin
-----Piccinino-Ali Bitchnin, renégat italien, armateur de galères pour la course où il employait trois mille de ses esclaves, fonda en 1622 la Mosquée devenue l'Église de Notre-Dame des Victoires. Elle se composait d'une grande nef carrée. Du côté ouest des galeries. Le mihrab, au milieu dit mur oriental, encadré d'une arcade en fer à cheval plein cintre. Le minaret quadrangulaire, haut de 15 mètres, fut abattu en 1860 pour cause de sécurité publique. A l'intérieur, pas de décoration.
La mosquée de la Pêcherie
-----Djama El-Djedid, de la place du gouvernement à Alger.
-----Construite en 1070 (1660 de J.-C.) par ordre de la milice. " Que Dieu, dit une inscription, arrête ses regards sur les " soldats victorieux et donne à chacun mille récompenses ". Ainsi, ces janissaires à moustaches bourrues, terreur des citadins, pensaient au salut de leur âme! C'est ici l'un des très rares exemples de la fondation d'une mosquée par une collectivité. L'usage musulman abandonne ces initiatives aux princes ou à quelques particuliers riches d'intentions et de pécule.
-----Le monument s'oriente du Nord-Ouest au Sud-est, sur une longueur de 39m50 et une largeur de 24m. Le plan, en forme de croix latine, évoque une église avec nef, coupole centrale, transept et chevet.
-----De là, sans doute, la légende de l'esclave chrétien chargé de diriger les travaux. Dans une pieuse pensée, il disposa la grande coupole au point crucial des quatre voûtes en berceau. En fait, il ne fit que reproduire le type des mosquées turques. Mais il est inscrit au martyrologe.
-----Une nef centrale de 9 mètres flanquée de deux nefs latérales de 5m50 et de 6m. Le mihrab, tapissé de céramique creuse le mur sud-est. Sur son ogive: " Louange à Dieu unique. Que Dieu répande ses grâces sur notre Seigneur Mohammed. Ensuite, que Dieu vous accorde sa miséricorde. Celui qui s'est occupé, avec zèle et assiduité, de " la construction de cette mosquée, l'adorateur de Dieu, " qui espère l'indulgence de son Maître et qui se consacre " à la guerre sainte pour l'Amour de Dieu, c'est El-Hadj -Habib, que Dieu lui soit en aide! " Noter une chaire en marbre et un magnifique manuscrit du Coran, envoyé à un pacha d'Alger par un Sultan de Constantinople.

La mosquée de Sidi Abderrahmane Et-Taalbi
-----Sidi-Abderrahmane, le patron d'Alger. Ne le croyez pas
l'un de ces infatigables voyageurs de piété, comme l'Islam en a tant connu, qui vont de ville en ville mendier bribe à bribe la science. Ils reviennent ensuite au pays natal. La pacotille théologique de leur besace, leur doctrine toute de haillons mal cousus, éblouissent la foule. Sidi Abderrahmane ne fut pas de ceux-là : sa fièvre d'ascétisme, sa foi, sa culture lui ont conservé, dans l'hagiographie algérienne, une place de choix.
-----La mosquée funéraire qui porte son nom et abrite ses cendres vient du Dey El-Hadj Ahmed El-Euldj, l'ancien cuisinier: " ô toi qui interroges dans le but de savoir la " vérité, je l'ai placée avec ardeur dans cette poésie... " An mille cent huit ".- 1 108, soit 1696 de notre ère. Peut-être ne s'agit-il que de la réfection d'un monument plus ancien : quelques chapiteaux portent le décor familier à l'art saâdien du Maroc (XVIè siècle). Imitation? Importation? Utilisation d'une ancienne colonne venue de Merrakech ou de Fez? L'exemple, nous l'avons vu, n'est pas rare en Algérie de ces vieux fûts entrés dans l'ornementation d'un bâtiment neuf. Ces vétérans, pour la plupart éclopés, reprennent du service.
-----L'ensemble comprend dépendances, oratoire, minaret, un cimetière à sépultures de choix, parmi lesquelles celle d'Ahmed, le dernier bey de Constantine, et enfin la salle de prières où repose le Saint. La coupole a huit pans; chacun porte trois fenêtres disposées en triangle et saillant sur l'extérieur. Au fond et dans le cadre du mihrab, céramiques persanes. Minaret carré avivé de faïences: sur chaque face, trois défoncements entre des arcades plein cintre

Mosquée de Sidi Mohammed Bou Qoubrin
-----Sidi Mohammed ben Abderrahmane, Bou Qoubrin, né dans le Djurdjura vers 1728, ancien élève de la fameuse Université égyptienne d'El-Azhar, est le fondateur de l'Ordre religieux kabyle, les Rahmania.
-----A sa mort, en 1790, on l'inhuma dans son pays natal. Mais les Turcs, astucieux politiques, se défiaient de ces marabouts qui, une fois en terre, jouent à l'administration des tours du plus mauvais goût.
-----Nuitamment, ils se saisirent des restes du saint homme et l'ensevelirent à Alger. Vous croyez sans doute que les fidèles en restèrent quinauds ? Inépuisable imagination berbère! Elle attribua aussitôt au bienheureux Bou Qoubrin deux corps et deux tombeaux, l'un en Kabylie, l'autre à Alger. De là, le surnom de Bou Qoubrin (l'homme aux deux sépultures).
-----L'épigraphie dédicatoire, sur plaque de marbre, affirme que " celui qui visitera cette mosquée avec intention sera " au nombre des heureux dans les deux vies, s'il plaît à Dieu. Et la construction bénie a été faite en l'année " 1206 ", soit 1792 de J-C. L'édifice est un groupe de deux salles à trois nefs. La principale dresse, en avant du Mihrab, une coupole octogonale; le tombeau du saint est à droite.

Mosquée Ketchaoua
-----Construite en 1794, complètement remaniée pour devenir la cathédrale d'Alger, elle était couverte d'une vaste coupole dont chaque pan ouvrait, comme à Sidi Abder. rahmane, trois fenêtres en triangle. La salle de prières mesurait 20mx 24m. Nef carrée, entourée de colonnes de marbre venues d'Italie; le mihrab à l'Orient, et, du côté opposé, comme à Bitchnin, deux galeries. Arcs en fer à cheval brisé.
-----Suivant Devoulx, " des peintures et des inscriptions ornaient cet intérieur fort coquet et fort élégant " . A signaler la porte en bois sculptée par Ahmed ben Lablatchi, amin de la corporation des menuisiers, transportée ensuite à la mosquée d'Ali Bitchnin et qui figure aujourd'hui au Musée des Antiquités.

Les mosquées d'Ali Bitchnin et de Ketchaoua, d'autres encore de même période, mais d'intérêt secondaire, se caractérisent par la salle centrale, généralement carrée, surmontée d'une coupole à huit pans. Dispositif entièrement nouveau, importé de Turquie. Nous voilà loin de l'oratoire moresque, avec ses nefs sensiblement égales, ses nombreux piliers, ses travées étroites.
-----La mosquée de la Pêcherie réalise un type exceptionnel à Alger.
-----Enfin, celles de Sidi-Abderrahmane et de Bou Qoubrin entrent dans un troisième groupe : elles sont des qoubbas utilisées comme salles de prières.
-----Beaucoup de mosquées, surtout en Oranie, restèrent fidèles à l'ancienne formule maghrébine. Celle du " Campement, à Oran (XVIIè siècle), conserve un décor traditionnel. Mais elle emprunte à la toile de fond du paysage un charme étrange. C'est Santa Cruz et sa croûte blonde, l'échancrure séparant des Planteurs le pic d'Aïdour, la poussière de perles broyées qui, vers le crépuscule, tombe sur la ville. Oran est là, entre cette mosquée turque et sa forteresse ibérique, Oran avec ses saveurs de tabac maure et d'anis, ses quais parfumés de blé et de soleil, ses malaguénas désespérées, le pouls de sa vie voluptueuse. L'art hispano-mauresque prolongea ici ses dernières cadences. Pas une âme ne reste insensible au double appel de la mosquée et de Santa Cruz, sous ce ciel mobile, ce vent aigu, cette lumière qui, à grands éclats d'ombre et d'or, sculpte la vieille montagne espagnole.
-----Ne critiquons pas trop l'architecture religieuse de la Régence. Elle a algérianisé un type de mosquée nouveau dans le pays. Un délicat évoquera les finesses de Cordoue, de Grenade et le bruissement continu que fait dans les oratoires de Tlemcen la vie nombreuse des arabesques. Le minaret hispano-moresque attire et concentre le fluide mystique de l'époque; il le restitue aux foules par secousses électriques; son magnétisme passe aux fidèles à l'heure de la prière. Le minaret turc, lui, a une destinée plus apaisée, une vocation moins ardente; il est gouvernemental, administratif, allais-je dire. Oui, le grand art a disparu. Mais la faute en est-elle aux Turcs? A ce Dey qui s'inquiète des hurlements des janissaires exigeant leur solde, il n'est guère opportun de demander une coupole à stalactites, un beau mihrab, une inscription amoureusement contournée.
----- Convenons-en: la courbure d'un arc devient en somme secondaire, quand les trognes à yatagan montent à l'assaut de la Kasbah. Et rien ne vous écarte plus de l'art qu'un café de saveur bizarre, déjà prometteur de l'autre monde.


L'architecture civile
-----Les meilleures œuvres de l'époque sont les palais citadins et les villas des champs. Le charme d'Alger, la douceur de son rivage, la grâce onduleuse du Sahel enchantent les raïs qui, entre deux expéditions, goûtent en hâte l'heure fuyante et légère. Ne se balanceront-ils pas demain, cravatés d'une corde de chanvre, à la plus haute vergue d'un navire ? Position assez gênante pour jouir de la Méditerranée. Vus des coteaux de Mustapha, les jeux brillants de la mer latine paraissent beaucoup plus humains. Pour ces bons corsaires, chaque minute est une goutte d'or. Ils veulent épuiser toutes les voluptés. Et leur premier soin est de se ménager un palais tranquille, où se savoure à lentes gorgées les délices de la nonchalance.
-----Le palais du Bey de Constantine, El Hadj Ahmed, construit de 1826 à 1835, est d'un réel intérêt artistique. L'exécution en fut confiée à El Hadj Djabri de Constantine et au Kabyle El Khettabi, tous deux réputés pour leur expérience et leurs talents.
-----Les bâtiments meublent un vaste rectangle, avec deux grands jardins et cours intérieures. Le pavillon favori du Bey, entre les deux jardins, est une pièce de 14m x 6m éclairée par 15 fenêtres. Galeries très spacieuses, bordées d'arcades en fer à cheval brisé que soutiennent des colonnes en marbre. Faïences sur les murs.
-----L'architecture civile sema à Alger de luxueux édifices comme l'Archevêché (Dar Aziza bent el bey), la Bibliothèque Nationale (Dar Mustapha pacha), l'Hôtel de la Division (Dar es-Soul), l'Hôtel du Premier Président, etc...
-----Depuis Haëdo qui l'a décrite, la grande maison turque n'a guère varié. Ne la jugez pas rébarbative; elle exprime deux choses: d'abord, le soin jaloux dont l'Orient préserve son intimité, portes massives, pièces d'attente, souci de mettre le gynécée à l'abri des regards; ensuite, le goût du confort paisible, de la fraîcheur mélodieuse d'un jet d'eau, entre d'amusantes faïences et des galeries qui apaisent le soleil. Allez par un lourd après-midi de juillet à la Bibliothèque Nationale d'Alger, vous comprendrez le dilettantisme exquis...



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