TEXTE COMPLET SOUS
L'IMAGE.
A Alger
Le monument aux morts de la guerre
Combien de fois déjà,
accédant au chantier dit square Laferrière, n'ai-je pas
assisté à la rude bataille que de nombreux praticiens,
ciseau et masse en main, livraient à la matière. Guidés,
conseillés par M. Landowski et M. Bigonnet, ces artisans s'occupaient
à donner de la vie à un bloc de pierre dans un fouillis
de lignes, de gestes, d'expressions, ils réalisaient un peu plus
chaque jour ce qui demain sera le monument aux morts de la guerre.
Ce matin, dégagé de ses échafaudages, éclatant
de blancheur, son formidable ensemble se détache, s'élance,
inscrivant sur le roc et dans l'azur: léger du ciel nord-africain
l'héroïsme de toute une cité.. Car c'est lui en effet
qui a le privilège de résumer pour la postérité
les espoirs et les luttes épiques, les communes souffrances,
la gloire incontestée des combattants de la grande épopée.
Aux abords du parvis où viendra communier, prier, se recueillir,
la foule des grands jours, voici les noms des morts inoubliables qui,
sur les bas-côtés de l'édifice altier sont gravés
dans des entablements ornés de lauriers. Plus haut des bas-reliefs,
véritable livre sculpté, nous content la guerre. Au départ
enthousiaste des zouaves, des turcos, des spahis marchant vers la frontière,
a succédé la vie dans les tranchées. Le retour
au foyer rappelle l'accueil attendri des enfants, des épouses,
des mères, la joie grave des hommes après le devoir accompli.
Plus haut encore, cependant que l'infirmière s'efforce d'apaiser
la douleur d'une veuve éplorée entourée du vieillard
kabyle et du colon français, les vertus légendaires des
poilus algérois s'exaltent dans une apothéose. Encadrant
la victoire, deux frères d'armes dressés sur leurs chevaux
de pierre élèvent au pavois le héros inconnu de
la Ville d'Alger.
A part le terre-plein qui laisse l'impression d'être un peu étriqué,
surtout si l'on, songe aux jours de commémoration, tel quel,
le monument de MM. Landowski et Bigonnet a vraiment belle allure. Il
nous change d'avec toutes ces productions affadies et médiocres
encombrant, déshonorant parfois, l'emplacement qu'elles devaient
embellir.
Au jour de l'inauguration le spectateur profane qui contemplera cette
grande masse cernée d'une bague très ornée sera
frappé par son impérieuse beauté. Il subira, je
pense, le charme invincible du rythme souverain. Les yeux mouillés,
s'il comprend le symbole, peut-être ne pourra-t-il pas analyser
d'emblée les innombrables accords qui sont là orchestrés,
par deux maîtres, dans cette symphonie de lignes, de profils,
de volumes, de plans. Mais sans doute l'homme averti s'émerveillera-t-il
davantage en constatant comment MM. Landowski et Bigonnet maintiennent
énergiquement dans la pleine lumière de leur conscience
leur idée d'ensemble, pour y ramener sans cesse et y relier étroitement
les moindres détails de leur uvre ; comment aussi s'épousent,
se suivent sans solution de continuité apparente les différents
bas-reliefs ; comment enfin se juxtaposent ou s'opposent les figures
grandes et petites, les accessoires nécessaires, à l'action,
les saillants et les rentrants, les arêtes et les rondes bosses
de ce monument d'où la vie, subissant une impulsion intérieure,
surgit, fleurit, s'épanouit du dedans au dehors.
Et certes, le technicien sera bien plus étonné encore
car MM. Landowski et Bigonnet ont défié la difficulté
tant ils se sont efforcés à mettre d'accord, avec pleine
réussite, les éléments destinés de prime
abord à s'exclure. Le carré joue avec le cercle et le
pentagone, les surfaces rentrantes avec les masses débordantes,
les lignes de vie avec celles de la géométrie, le style
avec la fantaisie, le calcul avec le lyrisme frémissant, à
un tel point que tout le monde y trouvera son compte : l'artiste en
quête d'émotion devant l'accord parfait de la pensée
et de la matière qu'elle anime, l'intellectuel avide d'un symbole
parlant à son cerveau, le passant qui veut simplement, pour achever
le boulevard, une statue qui plaise à son regard.
Commencé il y a tout au plus onze mois, le monument entièrement
aménagé sera inauguré le 11 novembre prochain,
par un ministre assure-t-on. La pierre qui le compose est identique
à celle qui servit aux Romains pour la Maison carrée de
Nîmes, surtout qu'on ne s'offusque pas de sa blancheur présente.
Avec le temps elle se patinera admirablement et deviendra aussi dure
que du marbre.
Des parterres entoureront le monument, immense tapis fleuri sur lequel
il semblera reposer.
Les jardiniers bêchent, remuent la terre, plantent...
Ils travaillent avec fièvre, faisant appel, à toute leur
imagination, tendant, tous leurs efforts à " faire beau
"
Ils s'ingénient à trouver les dispositions les plus diverses,
les teintes les plus heureuses.
C'est ainsi qu'une énorme croix de guerre entièrement
composée en fleurs naturelles, attirera particulièrement
l'attention du public.
Le coléus de Verschaffelt donnera un vermeil saisissant, reproduisant
fidèlement le rouge du petit ruban porté par plus d'un
ancien poilu.
Pour terminer, signalons que l'exécution du plus important monument
de France (en tant que groupes de sculpture) n'a rencontré aucune
difficulté. Le mérite en revient non seulement aux deux
statuaires et à leurs excellents praticiens, mais encore à
M. Christofle, architecte chargé de la direction des travaux
qui, possédant en main toutes les maquettes, n'a ménagé
ni son temps, ni sa peine.
Aux noms déjà cités il convient d'associer celui
de M. Marcelin Grégori, le sympathique entrepreneur algérois
chargé de réaliser la partie construite de l'uvre
consacrée aux morts de la guerre.