Montgolfier et sa médaille

De création toute récente Montgolfier, en effet, n'a cessé de croître et d'embellir. Parti du néant, puisque rien n'existait aux lieux où il fut édifié, il abrita une population de plus de deux mille habitants,

pnha n°46 mai 1994
sur site le 15/02/2002...déplacé ici en octobre 2012

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-------I1 y a une vertu dans les noms. Celui des célèbres inventeurs de l'aérostat, précurseurs de la navigation aérienne, a porté bonheur au centre qui le porte et dont la devise pourrait être celle de Fouquet de Belle-Isle : "Quo non ascendam ?" De création toute récente Montgolfier, en effet, n'a cessé de croître et d'embellir. Parti du néant, puisque rien n'existait aux lieux où il fut édifié, il abrita une population de plus de deux mille habitants, européens ou indigènes, et posséda cinquante maisons de commerce, deux banques, trois écoles prospères, une Justice de paix à compétence étendue, une Société musicale qui s'est maintes fois distinguée dans les concours, enfin diverses associations agricoles.
-------Faut-il dire que ce magnifique développement est dû, en grande partie, à son premier maire M. L'Héveder ?
-------Ancien sous-officier du service de la Remonte, M. L'Héveder avait connu le pays une dizaine d'années avant sa fondation ; il devina la fertilité de ses terres, remarqua l'excellence de son climat, et fut des premiers à solliciter une concession de terrains. Nommé adjoint le 15 janvier 1911, au moment de l'érection du centre en commune, il fut ensuite élu maire et l'est demeuré longtemps donnant toute son intelligence, toutes ses forces à cette jeune cité qu'il a vue surgir du sol vierge, et qu'il voulut toujours plus riche, plus belle et plus grande.
-------C'est en 1905 que fut décidée la création de ce centre qui reçut le vocable de Montgolfier. Son parrain le Gouverneur général Jonnart, marié à la fille du député Aymard, de Lyon, avait ainsi voulu perpétuer un peu plus le nom de famille de sa belle-mère, née de Montgolfier.
-------L'administration situa judicieusement le nouveau village entre Zemmora et Tiaret, au milieu d'une région encore inculte. En même temps furent créés Waldeck Rousseau, Burdeau et Les Abdellis, non moins heureusement situés, et qui forment, dans les annales souvent malheureuses de la colonisation, une "promotion" de choix.
-------Le nom arabe de l'emplacement choisi était la Rahouïa, qui vient de raha, nom des pierres spéciales employées à la fabrication des moulins indigènes. Une carrière de ces grès y existait, en effet, exploitée probablement depuis les temps les plus reculés. Le peuple conquérant n'a rien changé à la fabrication de ces lourdes meules coniques, dont on rencontre tant d'exemplaires en Algérie, auxquelles les Romains attachaient jadis des esclaves aux yeux crevés, et que le grand poète Plaute tourna lui-même deux longues années, si l'on en croit la légende.
-------On sait que, vers 1870, des quantités d'Alsaciens préférèrent émigrer, quitter leur pays natal, vendre leurs biens, que de se soumettre à la domination allemande. Beaucoup vinrent s'établir en Algérie avec des succès divers, et après avoir contribué à la formation de plusieurs villages dans nos départements, il y en eut encore qui s'installèrent à Montgolfier, avec d'autres colons provenant de la Savoie et de la Franche-Comté.
-------Comme toujours, sous le climat inconstant de l'Afrique du Nord, les débuts furent pénibles. Plusieurs concessionnaires abandonnèrent ou revendirent leurs lots. Ceux qui eurent le courage de demeurer, qui persévérèrent jusqu'au bout dans l'effort en furent longuement récompensés. Et les temps d'épreuve développèrent parmi eux un admirable mouvement de solidarité.
-------Ces premiers colons, venus principalement de Savoie, s'installèrent et le développement du pays prit une cadence accélérée, tenant du prodige. Peu après le début de la colonisation, les archives de la paroisse nous apprennent que les premiers actes de catholicité étaient signés de l'abbé Hourcade, curé de Zemmorah, suppléé parfois par celui de Tiaret ; mais ces desservants, très éloignés et ne pouvant utiliser que des moyens de communication précaires, ne venaient que rarement. Il n'y avait point de chapelle. Une personne dévouée, Madame Joseph Gex, enseignait le catéchisme aux enfants. Quant au culte, il passait de maison en maison, au gré des circonstances. C'est en 1917 que se révéla l'action apostoliquement bienfaisante du vénéré Mgr Légasse. Celui-ci, frappé de la prospérité matérielle qui contrastait singulièrement avec la pénurie de moyens d'action religieuse, résolut d'encourager à Montgolfier l'érection d'une église en nommant un curé à poste fixe. Le regretté prélat s'y connaissait en hommes et son choix très heureux se porta sur un jeune vicaire de Mostaganem, qui devait à sa formation salésienne de réussir dans la direction du patronage Saint-Jean Baptiste. Ce prêtre était l'abbé Pommiès, qui avait connu, au temps de la loi sur les congrégations en 1903, les rigueurs de l'exil en Espagne. C'est ainsi que devint officielle le 3 mai 1919 la nomination du nouveau curé à Prévost-Paradol, avec comme annexe Montgolfier. En juillet, les circonstances firent que le nouveau curé fut amené à se fixer à l'annexe de Montgolfier où il prit possession d'un logis misérable ; cette situation dura six ans. Malgré tout, ce fut sans trop tarder et après de laborieuses négociations, l'acquisition à ses frais, du terrain où devait s'élever la nouvelle église. D'heureux concours se manifestèrent. Eugène Etienne, sénateur d'Oran s'intéressa à l'oeuvre. Une souscription s'ouvrit, où la première somme inscrite (3555,50 F) fut celle recueillie par le curé de Zemmorah, alors qu'il desservait le centre. Et c'est à ce moment qu'intervint le rôle magnifique d'Abel Pansard, président du conseil de fabrique, qui, jusqu'à son éloignement de Montgolfier, demeura pour l'abbé Pommiès le meilleur et le plus dévoué des collaborateurs.

L'abbé Pommiès

Premier curé d'une paroisse inexistante, l'abbé Pommiès, pied-noir, né à Oran, fut d'abord prêtre à Oran et à Eckmühl, puis vicaire de l'église Saint-Jean Baptiste à Mostaganem où lui succéda un autre prêtre dynamique et courageux, l'abbé Jaubert. Combattant héroïque et émérite du 2è Tirailleurs en 1914-18, démobilisé en 1919, il fut désigné par son évêque pour se rendre à Montgolfier où faute d'église, de prêtre et d'enseignement chrétien, la religion catholique avait été, depuis la fondation du centre au début du siècle, complètement délaissée. Après avoir établi l'exercice du culte dans une grange et réuni les quelques habitants n'ayant pas renié leur fois, le prêtre se fit bâtisseur et les premiers travaux commencèrent en vue de doter la commune d'une salle paroissiale, d'un presbytère et d'un clocher pour achever l'ouvrage. L'abbé Pommiès, voyant qu'il ne parviendrait pas sur place, à trouver les fonds nécessaires, résolut alors, infatigable et tenace, de gagner la métropole et d'y prononcer une série de sermons en faveur de sa future église... Sans cesse l'abbé Pommiès s'inquiéta à trouver nouvelle manière de faire rebondir l'afflux des dons, multipliant les quêtes, créant le slogan du "Kilo de blé par quintal", dîme bien légère pour une population obtenant un des plus gros pourcentages de l'Oranie. Avec en caisse 45 000 francs, audacieusement, la construction fut décidée en 1923. Le projet fut l'oeuvre des architectes Flahaut et Coignard d'Oran, foeuvre confiée à M. Barras, entrepreneur de travaux publics à Oran. Un premier projet fut adopté, avec l'espérance d'une baisse de prix des matériaux ; mais en présence, au contraire, de la hausse et de la non réalisation de ressources escomptées, à la suite d'années excessives de mauvaises récoltes, le comité de l'église, d'accord avec l'autorité diocésaine, en adopta un nouveau, comportant une seule nef, au lieu de trois, mesurant 27 m de longueur par 9 de largeur, avec un clocher de 33 mètres de hauteur, fondations en béton armé, des fermes apparentes délicatement ouvragées, la toiture formant voûte. Le devis fut estimé à cent mille francs... sans compter les imprévus. La première pierre fut bénite le jour de Noël 1923.
-------Le 25 décembre 1924 eut lieu la prise de possession solennelle de l'église, placée sous la protection de Notre-Dame de l'Assomption, en attendant les honneurs de la bénédiction par Mgr Durand, qui se fit sept ans plus tard, le 23 avril 1931. Ce n'est qu'en 1929 que le clocher put être érigé. Les cloches, complétées d'un carillon, le tout mû par l'électricité dès leur installation, méritent une mention spéciale. C'est le 8 juin 1930, à l'occasion du centenaire qu'eut lieu le baptême.

-------Sept cloches, dont cinq formant carillon. Un bourdon de 550 kilos, offert par les frères de Montgolfier ; une seconde de 325 kilos ; une troisième de 180 kilos. Les quatre dernières pesant respectivement 103, 74, 61 et 41 kilos. Toutes sortirent des ateliers Paccard d'Annecy. Le carillon faisait entendre l'Ave Maria de Lourdes à toutes les heures sonnant à l'horloge à trois cadrans, ornant le clocher.

L'Echo de Montgolfier

-------Cherchant à rester en constante communion avec tous ses paroissiens, l'abbé Pommiès eut l'idée de lancer en 1920 une revue mensuelle L'Echo de Montgolfier. Débutant assez modestement, comme il convenait, et selon les ressources disponibles, la revue devint, avec le temps, une brochure luxueuse qui recueillit partout des éloges mérités.

Notre-Dame de Montgolfier

-------Dès le début de son ministère, le nouveau curé comprit qu'il fallait un idéal concrétisant son oeuvre et autour de laquelle graviteraient tous ses efforts. Cet idéal, il le trouva dans la création du vocable de Notre-Dame de Montgolfier, en souvenir des premiers aéronautes dont le nom était attaché au centre. Le modèle de l'image fut réalisé par le statuaire Albert Pierson (de Vaucouleurs), et en 1928, Mgr Durand, qui avait bien voulu conseiller son curé dans le choix du modèle, bénissait la remarquable statue qui s'érigeait au-dessus du maître-autel.
-------Texte relevé sur un prospectus, distribué en 1932
-------"Notre-Dame de Montgolfier, protectrice-née de l'aéronautique française de par son vocable et son origine, hier encore inconnue, est aujourd'hui vénérée non seulement en Algérie et dans la métropole, mais encore à l'étranger. C'est dire avec quelle sympathie son patronage a été accepté dans les milieux aéronautiques. Sa protection assurée est tout naturellement invoquée par tous ceux qui empruntent la voie des airs pour leurs voyages. Son patronage qui découle de son propre nom en fait la gardienne attitrée de la vie des voyageurs de l'air. Aussi bien les aéronautes, les aérostiers, les aviateurs, pilotes, navigateurs et passagers de l'air ont intérêt à se munir de l'insigne de la protection de notre Madone et à orner leurs machines aériennes de l'artistique plaquette pour avions, ceuvre de la réputée maison Mellerio dit Meller, de Paris.
-------Les faveurs signalées obtenues jusqu'à ce jour par l'intercession de Notre-Dame de Montgolfier attestent que cette dévotion vient à son heure et qu'elle est appelée à favoriser le mouvement de plus en plus conséquent qui pousse de nombreux voyageurs à user de la nouvelle voie des déplacements rapides.
-------L'aéronautique française aura tout à gagner en se mettant sous sa protection, car d'une pierre, elle aura fait deux coups. Tout en exaltant en effet l'esprit scientifique et audacieux des frères Montgolfier, ces hardis pionniers et précurseurs des voies de l'air, elle perpétuera leur souvenir dans les cours des enfants de la France, en attachant leur nom immortel à la radieuse et puissante évocation de la Reine des Airs, saluée par tous les aéronautes, aviateurs et voyageurs de l'air, comme leur patronne et leur gardienne attitrée sous le vocable si attrayant, si français, et si chevaleresque de Notre Dame de Montgolfier... "
Signé : Jules Pommiès, curé de Montgolfier (Oran-Algérie).

-------Sur la même "publicité" on trouvait proposés : -------Plaquettes pour avions et insignes pour les voyageurs de l'air. ouvre de la maison Mellerio dit Meller, de Paris, ces plaquettes, d'un symbolisme .saisissant, sur fond émail présentent un cachet vraiment artistique qui s'ajoute à leur évidente utilité.
-------Les demander dans les principaux magasins de piété et à M. le Curé de Montgolfier. Prix de la plaquette : 30 francs. L'insigne : 7 francs. Demandez également à la même adresse : Statuettes artistiques de NotreDame de Montgolfier, en plâtre durci, hauteur 32 cm. Polychromées, riches en filets or, 83,50 francs, ou ton ivoire uniforme : 70 francs. Images en teinte bistre, la douzaine franco 2,65 francs ; en héliogravure, la
douzaine franco 3,50 francs. Médailles en métal oxydé, vieil argent, 21 mm ; l'unité : 1,20 francs, la douzaine : l3 francs, envoi franco...

-------En août 1933, le pape Pie XI, dans une audience particulière réservée à l'abbé Pommiès, daigna agréer l'hommage de la plaquette en vermeil de Notre-Dame et accorda sur le champ une bénédiction spéciale à tous les bienfaiteurs de l'église de Montgolfier. Plus tard en décembre, Notre Dame de Montgolfier participait à la "Croisière Noire", de fameuse renommée, à bord de l'avion du général Vuillemin.

Grotte Notre-Dame de Lourdes

-------Entre le presbytère et la salle paroissiale, on trouvait une vaste représentation, aussi fidèle que possible, de la grotte de Lourdes, d'un saisissant aspect, qui fut ouverte à la piété mariale le 15 août 1939 et dans les parois de laquelle se voyait encastré un morceau de pierre venu directement de Massabielle. Dans la grotte, un petit autel permettait d'y célébrer le culte.

1953. Décès du chanoine Pommiès

-------La paroisse de Montgolfier rendit, le 29 avril, au chanoine Pommiès son fondateur, et son pasteur depuis 34 ans, un suprême et juste hommage. La municipalité et son chef, toute la population européenne et des musulmans en grand nombre, des paroissiens de Prévost-Paradol et d'ailleurs accompagnèrent pieusement sa dépouille mortelle à l'église puis au cimetière. Une vingtaine de prêtres prirent également part aux obsèques.

-------La veille, Mgr Lacaste, en tournée pastorale dans la région, était venu prier auprès du défunt. Depuis de longs mois, le chanoine Pommiès, naguère bien connu pour son activité qui prenait les expressions les plus variées, n'était plus que l'ombre de lui-même : on avait peine à le reconnaître dans le vieillard qui n'avançait plus qu'à pas comptés. Le jour vint où il dut s'avouer impuissant à tenir sa paroisse qu'il ne voulait pourtant pas quitter, et où le père Raimondi lui fut adjoint. II surprit néanmoins par sa longue résistance devant la mort à laquelle il s'était préparé en bon prêtre. Ce curé de campagne, comme il lui plaisait de se nommer, avait plus d'une corde à son arc. Cet ancien directeur de maîtrise était resté bon musicien, devenant compositeur à l'occasion. Jadis en Espagne où il avait rencontré l'abbé Breuil, il s'était épris de préhistoire ; il fut encore en Oranie, notamment pour les fouilles de Saint-Roch, le collaborateur du savant M. Doumergue, dont les travaux parurent dans le Bulletin de la Société d'Histoire et de Géographie d'Oran. Il aimait l'histoire locale et beaucoup regrettèrent qu'il n'ait pas publié toutes ses notes sur "Les Oeuvres salésiennes en Oranie". Il fut même poète à ses heures : témoins ses "Souvenirs de Jeunesse et d'exil" dans un genre de poèmes en prose que Mme Henriette Charasson jugea "beaux, vrais et spontanés". Malgré un franc-parler qui lui causa quelques ennuis au cours de sa carrière, le chanoine Pommiès eut d'innombrables amis et fut le plus accueillant des curés, réalisant à la lettre ce qu'il promettait.

22 avril 1961. Dernière visite pastorale de Mgr Lacaste.

-------La première halte, dans la montée vers Tiaret, est pour Notre Dame de Montgolfier, l'église à laquelle feu l'abbé Pommiès a donné d'emblée sa forme définitive ; qu'il avait construite assez vaste pour contenir une population d'un tiers au moins plus nombreuse que celle d'aujourd'hui... Sera-t-elle trop vaste désormais ? Le nouveau curé eut le courage d'arriver à Montgolfier en plein mois de juillet 1960 : il ne pouvait guère voir la paroisse se ranimer avant l'automne... Certaines oeuvres reprirent alors leur activité ; d'autres guère florissantes, n'ont pas encore bougé. "Telles sont, déclare l'abbé Gaillard, les constatations de ces premiers mois. J'ai découvert un pays et ses habitants, leur courage, leur ténacité, la gentillesse de leur accueil, leur désarroi aussi... C'est dans ce climat d'inquiétude qu'une journée comme celle?ci vient s'insérer, nous apportant son réconfort".

Sources : Les Eglises d'Oranie de J. Grandini; Oran], Journal hebdomadaire illustré.