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y a une vertu dans les noms. Celui des célèbres inventeurs
de l'aérostat, précurseurs de la navigation aérienne,
a porté bonheur au centre qui le porte et dont la devise pourrait
être celle de Fouquet de Belle-Isle : "Quo non ascendam ?"
De création toute récente Montgolfier, en effet, n'a cessé
de croître et d'embellir. Parti du néant, puisque rien n'existait
aux lieux où il fut édifié, il abrita une population
de plus de deux mille habitants, européens ou indigènes,
et posséda cinquante maisons de commerce, deux banques, trois écoles
prospères, une Justice de paix à compétence étendue,
une Société musicale qui s'est maintes fois distinguée
dans les concours, enfin diverses associations agricoles.
-------Faut-il
dire que ce magnifique développement est dû, en grande partie,
à son premier maire M. L'Héveder ?
-------Ancien
sous-officier du service de la Remonte, M. L'Héveder avait connu
le pays une dizaine d'années avant sa fondation ; il devina la
fertilité de ses terres, remarqua l'excellence de son climat, et
fut des premiers à solliciter une concession de terrains. Nommé
adjoint le 15 janvier 1911, au moment de l'érection du centre en
commune, il fut ensuite élu maire et l'est demeuré longtemps
donnant toute son intelligence, toutes ses forces à cette jeune
cité qu'il a vue surgir du sol vierge, et qu'il voulut toujours
plus riche, plus belle et plus grande.
-------C'est
en 1905 que fut décidée la création de ce centre
qui reçut le vocable de Montgolfier. Son parrain le Gouverneur
général Jonnart, marié à la fille du député
Aymard, de Lyon, avait ainsi voulu perpétuer un peu plus le nom
de famille de sa belle-mère, née de Montgolfier.
-------L'administration
situa judicieusement le nouveau village entre Zemmora et Tiaret, au milieu
d'une région encore inculte. En même temps furent créés
Waldeck Rousseau, Burdeau et Les Abdellis, non moins heureusement situés,
et qui forment, dans les annales souvent malheureuses de la colonisation,
une "promotion" de choix.
-------Le
nom arabe de l'emplacement choisi était la
Rahouïa, qui vient de raha, nom des pierres spéciales
employées à la fabrication des moulins indigènes.
Une carrière de ces grès y existait, en effet, exploitée
probablement depuis les temps les plus reculés. Le peuple conquérant
n'a rien changé à la fabrication de ces lourdes meules coniques,
dont on rencontre tant d'exemplaires en Algérie, auxquelles les
Romains attachaient jadis des esclaves aux yeux crevés, et que
le grand poète Plaute tourna lui-même deux longues années,
si l'on en croit la légende.
-------On
sait que, vers 1870, des quantités d'Alsaciens préférèrent
émigrer, quitter leur pays natal, vendre leurs biens, que de se
soumettre à la domination allemande. Beaucoup vinrent s'établir
en Algérie avec des succès divers, et après avoir
contribué à la formation de plusieurs villages dans nos
départements, il y en eut encore qui s'installèrent à
Montgolfier, avec d'autres colons provenant de la Savoie et de la Franche-Comté.
-------Comme
toujours, sous le climat inconstant de l'Afrique du Nord, les débuts
furent pénibles. Plusieurs concessionnaires abandonnèrent
ou revendirent leurs lots. Ceux qui eurent le courage de demeurer, qui
persévérèrent jusqu'au bout dans l'effort en furent
longuement récompensés. Et les temps d'épreuve développèrent
parmi eux un admirable mouvement de solidarité.
-------Ces
premiers colons, venus principalement de Savoie, s'installèrent
et le développement du pays prit une cadence accélérée,
tenant du prodige. Peu après le début de la colonisation,
les archives de la paroisse nous apprennent que les premiers actes de
catholicité étaient signés de l'abbé Hourcade,
curé de Zemmorah, suppléé parfois par celui de Tiaret
; mais ces desservants, très éloignés et ne pouvant
utiliser que des moyens de communication précaires, ne venaient
que rarement. Il n'y avait point de chapelle. Une personne dévouée,
Madame Joseph Gex, enseignait le catéchisme aux enfants. Quant
au culte, il passait de maison en maison, au gré des circonstances.
C'est en 1917 que se révéla l'action apostoliquement bienfaisante
du vénéré Mgr Légasse. Celui-ci, frappé
de la prospérité matérielle qui contrastait singulièrement
avec la pénurie de moyens d'action religieuse, résolut d'encourager
à Montgolfier l'érection d'une église en nommant
un curé à poste fixe. Le regretté prélat s'y
connaissait en hommes et son choix très heureux se porta sur un
jeune vicaire de Mostaganem, qui devait à sa formation salésienne
de réussir dans la direction du patronage Saint-Jean Baptiste.
Ce prêtre était l'abbé Pommiès, qui avait connu,
au temps de la loi sur les congrégations en 1903, les rigueurs
de l'exil en Espagne. C'est ainsi que devint officielle le 3 mai 1919
la nomination du nouveau curé à Prévost-Paradol,
avec comme annexe Montgolfier. En juillet, les circonstances firent que
le nouveau curé fut amené à se fixer à l'annexe
de Montgolfier où il prit possession d'un logis misérable
; cette situation dura six ans. Malgré tout, ce fut sans trop tarder
et après de laborieuses négociations, l'acquisition à
ses frais, du terrain où devait s'élever la nouvelle église.
D'heureux concours se manifestèrent. Eugène Etienne, sénateur
d'Oran s'intéressa à l'oeuvre. Une souscription s'ouvrit,
où la première somme inscrite (3555,50 F) fut celle recueillie
par le curé de Zemmorah, alors qu'il desservait le centre. Et c'est
à ce moment qu'intervint le rôle magnifique d'Abel Pansard,
président du conseil de fabrique, qui, jusqu'à son éloignement
de Montgolfier, demeura pour l'abbé Pommiès le meilleur
et le plus dévoué des collaborateurs.
L'abbé Pommiès
Premier curé d'une paroisse inexistante,
l'abbé Pommiès, pied-noir, né à Oran, fut
d'abord prêtre à Oran et à Eckmühl, puis vicaire
de l'église Saint-Jean Baptiste à Mostaganem où lui
succéda un autre prêtre dynamique et courageux, l'abbé
Jaubert. Combattant héroïque et émérite du 2è
Tirailleurs en 1914-18, démobilisé en 1919, il fut désigné
par son évêque pour se rendre à Montgolfier où
faute d'église, de prêtre et d'enseignement chrétien,
la religion catholique avait été, depuis la fondation du
centre au début du siècle, complètement délaissée.
Après avoir établi l'exercice du culte dans une grange et
réuni les quelques habitants n'ayant pas renié leur fois,
le prêtre se fit bâtisseur et les premiers travaux commencèrent
en vue de doter la commune d'une salle paroissiale, d'un presbytère
et d'un clocher pour achever l'ouvrage. L'abbé Pommiès,
voyant qu'il ne parviendrait pas sur place, à trouver les fonds
nécessaires, résolut alors, infatigable et tenace, de gagner
la métropole et d'y prononcer une série de sermons en faveur
de sa future église... Sans cesse l'abbé Pommiès
s'inquiéta à trouver nouvelle manière de faire rebondir
l'afflux des dons, multipliant les quêtes, créant le slogan
du "Kilo de blé par quintal", dîme bien légère
pour une population obtenant un des plus gros pourcentages de l'Oranie.
Avec en caisse 45 000 francs, audacieusement, la construction fut décidée
en 1923. Le projet fut l'oeuvre des architectes Flahaut et Coignard d'Oran,
foeuvre confiée à M. Barras, entrepreneur de travaux publics
à Oran. Un premier projet fut adopté, avec l'espérance
d'une baisse de prix des matériaux ; mais en présence, au
contraire, de la hausse et de la non réalisation de ressources
escomptées, à la suite d'années excessives de mauvaises
récoltes, le comité de l'église, d'accord avec l'autorité
diocésaine, en adopta un nouveau, comportant une seule nef, au
lieu de trois, mesurant 27 m de longueur par 9 de largeur, avec un clocher
de 33 mètres de hauteur, fondations en béton armé,
des fermes apparentes délicatement ouvragées, la toiture
formant voûte. Le devis fut estimé à cent mille francs...
sans compter les imprévus. La première pierre fut bénite
le jour de Noël 1923.
-------Le
25 décembre 1924 eut lieu la prise de possession solennelle de
l'église, placée sous la protection de Notre-Dame de l'Assomption,
en attendant les honneurs de la bénédiction par Mgr Durand,
qui se fit sept ans plus tard, le 23 avril 1931. Ce n'est qu'en 1929 que
le clocher put être érigé. Les cloches, complétées
d'un carillon, le tout mû par l'électricité dès
leur installation, méritent une mention spéciale. C'est
le 8 juin 1930, à l'occasion du centenaire qu'eut lieu le baptême.
-------Sept
cloches, dont cinq formant carillon. Un bourdon de 550 kilos, offert par
les frères de Montgolfier ; une seconde de 325 kilos ; une troisième
de 180 kilos. Les quatre dernières pesant respectivement 103, 74,
61 et 41 kilos. Toutes sortirent des ateliers Paccard d'Annecy. Le carillon
faisait entendre l'Ave Maria de Lourdes à toutes les heures sonnant
à l'horloge à trois cadrans, ornant le clocher.
L'Echo de Montgolfier
-------Cherchant
à rester en constante communion avec tous ses paroissiens, l'abbé
Pommiès eut l'idée de lancer en 1920 une revue mensuelle
L'Echo de Montgolfier. Débutant assez modestement, comme il convenait,
et selon les ressources disponibles, la revue devint, avec le temps, une
brochure luxueuse qui recueillit partout des éloges mérités.
Notre-Dame de Montgolfier
-------Dès
le début de son ministère, le nouveau curé comprit
qu'il fallait un idéal concrétisant son oeuvre et autour
de laquelle graviteraient tous ses efforts. Cet idéal, il le trouva
dans la création du vocable de Notre-Dame de Montgolfier, en souvenir
des premiers aéronautes dont le nom était attaché
au centre. Le modèle de l'image fut réalisé par le
statuaire Albert Pierson (de Vaucouleurs), et en 1928, Mgr Durand, qui
avait bien voulu conseiller son curé dans le choix du modèle,
bénissait la remarquable statue qui s'érigeait au-dessus
du maître-autel.
-------Texte
relevé sur un prospectus, distribué en 1932
-------"Notre-Dame de Montgolfier,
protectrice-née de l'aéronautique française de par
son vocable et son origine, hier encore inconnue, est aujourd'hui vénérée
non seulement en Algérie et dans la métropole, mais encore
à l'étranger. C'est dire avec quelle sympathie son patronage
a été accepté dans les milieux aéronautiques.
Sa protection assurée est tout naturellement invoquée par
tous ceux qui empruntent la voie des airs pour leurs voyages. Son patronage
qui découle de son propre nom en fait la gardienne attitrée
de la vie des voyageurs de l'air. Aussi bien les aéronautes, les
aérostiers, les aviateurs, pilotes, navigateurs et passagers de
l'air ont intérêt à se munir de l'insigne de la protection
de notre Madone et à orner leurs machines aériennes de l'artistique
plaquette pour avions, ceuvre de la réputée maison Mellerio
dit Meller, de Paris.
-------Les faveurs signalées
obtenues jusqu'à ce jour par l'intercession de Notre-Dame de Montgolfier
attestent que cette dévotion vient à son heure et qu'elle
est appelée à favoriser le mouvement de plus en plus conséquent
qui pousse de nombreux voyageurs à user de la nouvelle voie des
déplacements rapides.
-------L'aéronautique
française aura tout à gagner en se mettant sous sa protection,
car d'une pierre, elle aura fait deux coups. Tout en exaltant en effet
l'esprit scientifique et audacieux des frères Montgolfier, ces
hardis pionniers et précurseurs des voies de l'air, elle perpétuera
leur souvenir dans les cours des enfants de la France, en attachant leur
nom immortel à la radieuse et puissante évocation de la
Reine des Airs, saluée par tous les aéronautes, aviateurs
et voyageurs de l'air, comme leur patronne et leur gardienne attitrée
sous le vocable si attrayant, si français, et si chevaleresque
de Notre Dame de Montgolfier... "
Signé : Jules Pommiès, curé de Montgolfier (Oran-Algérie).
-------Sur
la même "publicité" on trouvait proposés
: -------Plaquettes pour avions et insignes pour les voyageurs de l'air.
ouvre de la maison Mellerio dit Meller, de Paris, ces plaquettes, d'un
symbolisme .saisissant, sur fond émail présentent un cachet
vraiment artistique qui s'ajoute à leur évidente utilité.
-------Les
demander dans les principaux magasins de piété et à
M. le Curé de Montgolfier. Prix de la plaquette : 30 francs. L'insigne
: 7 francs. Demandez également à la même adresse :
Statuettes artistiques de NotreDame de Montgolfier, en plâtre durci,
hauteur 32 cm. Polychromées, riches en filets or, 83,50 francs,
ou ton ivoire uniforme : 70 francs. Images en teinte bistre, la douzaine
franco 2,65 francs ; en héliogravure, la
douzaine franco 3,50 francs. Médailles en métal oxydé,
vieil argent, 21 mm ; l'unité : 1,20 francs, la douzaine : l3 francs,
envoi franco...
-------En
août 1933, le pape Pie XI, dans une audience particulière
réservée à l'abbé Pommiès, daigna agréer
l'hommage de la plaquette en vermeil de Notre-Dame et accorda sur le champ
une bénédiction spéciale à tous les bienfaiteurs
de l'église de Montgolfier. Plus tard en décembre, Notre
Dame de Montgolfier participait à la "Croisière Noire",
de fameuse renommée, à bord de l'avion du général
Vuillemin.
Grotte Notre-Dame de
Lourdes
-------Entre
le presbytère et la salle paroissiale, on trouvait une vaste représentation,
aussi fidèle que possible, de la grotte de Lourdes, d'un saisissant
aspect, qui fut ouverte à la piété mariale le 15
août 1939 et dans les parois de laquelle se voyait encastré
un morceau de pierre venu directement de Massabielle. Dans la grotte,
un petit autel permettait d'y célébrer le culte.
1953. Décès
du chanoine Pommiès
-------La
paroisse de Montgolfier rendit, le 29 avril, au chanoine Pommiès
son fondateur, et son pasteur depuis 34 ans, un suprême et juste
hommage. La municipalité et son chef, toute la population européenne
et des musulmans en grand nombre, des paroissiens de Prévost-Paradol
et d'ailleurs accompagnèrent pieusement sa dépouille mortelle
à l'église puis au cimetière. Une vingtaine de prêtres
prirent également part aux obsèques.
-------La veille, Mgr Lacaste, en tournée pastorale dans la région,
était venu prier auprès du défunt. Depuis de longs
mois, le chanoine Pommiès, naguère bien connu pour son activité
qui prenait les expressions les plus variées, n'était plus
que l'ombre de lui-même : on avait peine à le reconnaître
dans le vieillard qui n'avançait plus qu'à pas comptés.
Le jour vint où il dut s'avouer impuissant à tenir sa paroisse
qu'il ne voulait pourtant pas quitter, et où le père Raimondi
lui fut adjoint. II surprit néanmoins par sa longue résistance
devant la mort à laquelle il s'était préparé
en bon prêtre. Ce curé de campagne, comme il lui plaisait
de se nommer, avait plus d'une corde à son arc. Cet ancien directeur
de maîtrise était resté bon musicien, devenant compositeur
à l'occasion. Jadis en Espagne où il avait rencontré
l'abbé Breuil, il s'était épris de préhistoire
; il fut encore en Oranie, notamment pour les fouilles de Saint-Roch,
le collaborateur du savant M. Doumergue, dont les travaux parurent dans
le Bulletin de la Société d'Histoire et de Géographie
d'Oran. Il aimait l'histoire locale et beaucoup regrettèrent qu'il
n'ait pas publié toutes ses notes sur "Les Oeuvres salésiennes
en Oranie". Il fut même poète à ses heures :
témoins ses "Souvenirs de Jeunesse et d'exil" dans un
genre de poèmes en prose que Mme Henriette Charasson jugea "beaux,
vrais et spontanés". Malgré un franc-parler qui lui
causa quelques ennuis au cours de sa carrière, le chanoine Pommiès
eut d'innombrables amis et fut le plus accueillant des curés, réalisant
à la lettre ce qu'il promettait.
22 avril 1961. Dernière
visite pastorale de Mgr Lacaste.
-------La
première halte, dans la montée vers Tiaret, est pour Notre
Dame de Montgolfier, l'église à laquelle feu l'abbé
Pommiès a donné d'emblée sa forme définitive
; qu'il avait construite assez vaste pour contenir une population d'un
tiers au moins plus nombreuse que celle d'aujourd'hui... Sera-t-elle trop
vaste désormais ? Le nouveau curé eut le courage d'arriver
à Montgolfier en plein mois de juillet 1960 : il ne pouvait guère
voir la paroisse se ranimer avant l'automne... Certaines oeuvres reprirent
alors leur activité ; d'autres guère florissantes, n'ont
pas encore bougé. "Telles sont,
déclare l'abbé Gaillard, les constatations de ces premiers
mois. J'ai découvert un pays et ses habitants, leur courage, leur
ténacité, la gentillesse de leur accueil, leur désarroi
aussi... C'est dans ce climat d'inquiétude qu'une journée
comme celle?ci vient s'insérer, nous apportant son réconfort".
Sources : Les Eglises d'Oranie
de J. Grandini; Oran], Journal hebdomadaire illustré.
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