sur site le 03/02/2002
-Soldats de France et Communauté Pieds - noirs
PNHA n°31, décembre 1992.

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---A la satisfaction de tous, confirmée par le succès aujourd'hui incontestable qu'elle connaît, la revue "Pieds - Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui" s'est donnée pour mission de transmettre et de sauvegarder, pour l'avenir, la Mémoire de ce que fut l'Algérie française. A cet effet, elle s'efforce de recueillir les échos, les témoignages, les récits les plus divers. La convergence de ces recherches et de ces travaux construit, pierre par pierre, l'édifice indestructible de la vérité historique. Ainsi cette revue devient - elle le trait d'union entre tous, et le réceptacle de ceux et de celles qui écrivent et témoignent depuis tant d'années. Jean - Marc Lopez, artisan de ce noble projet, a bien voulu m'inviter à ouvrir une nouvelle rubrique destinée à associer l'oeuvre des Pieds - Noirs et des Français de souche Nord Africaine, à celle des soldats de la métropole appelés pour défendre notre province menacée. Combien j'apprécie cette initiative qui va permettre de rétablir le contact entre la communauté Pieds - Noirs et l'Armée d'Algérie, provoquant, à n'en pas douter, des retrouvailles enrichissantes pour tous

Les Gars du Contingent
------Entre 1954 et 1962, ils furent plus de 2 millions cinq cents mille, ces jeunes garçons de France, à quitter leur village, leur usine, leur bureau, leurs études, leur familles (1).
------Ignorant tout de l'Algérie, de son climat, de ses ressources, de ses populations, et méconnaissant surtout - pour la plupart d'entr'eux - l'enjeu que représentait cette province pour la France et pour l'Occident, ils quittèrent Marseille dans une terrible ambiance de démoralisation et de défaitisme, à l'égard de cette "guerre inutile vers laquelle on les entraînait" !
------Jeune capitaine à l'époque, au coeur de l'Oranie, je recevais, contingent par contingent, ces garçons qui arrivaient à mon Escadron, offrant au service du pays, deux ou trois ans de leur jeunesse.
------ Ainsi en était -il sur cet immense territoire (2), aux aspects très divers, étalé entre la côte méditerranéenne et le grand Sud, et flanqué par les frontières marocaine et tunisienne.
------Je puis attester, après six ans de présence là - bas, que la disponibilité, l'intelligence, la souplesse et le courage de ces "appelés du Contingent" furent exemplaires. Et pourtant... leur solde misérable ne leur permettait pas de s'acheter la moindre petite canette de bière, après douze heures d'opération dans le djebel...
------Le soldat français, dans tous les conflits, s'est averré remarquable, dès lors qu'il comprenait le sens de la lutte engagée. La première mission de l'officier consistait précisément à le lui expliquer. Alors, tout devenait plus facile... La camaraderie d'unité de base, la fraternité du combat, l'égalité devant l'épreuve, et surtout les crimes du FLN faisaient naturellement le reste.

Le Contingent et les Pieds - Noirs
------Mais comment vaincre le FLN ? Comment parvenir à rétablir la sécurité et l'espérance, sans la compréhension et l'appui des populations d'Algérie, de toutes les populations ?
------Qui n'a gardé en mémoire le souvenir des fermes incendiées, du cheptel éventré, des familles assassinées dans les pires conditions, au cours des terribles nuits rouges des années 55, 56, 57 ? Le FLN coupait, tuait, assassinait. L'homme du contingent se trouvait sans cesse projeté dans l'horreur de la guerre terroriste révolutionnaire et ne pouvait s'empêcher de penser à sa ferme, à son village, à son quartier, à sa famille. En quelques instants s'effritaient toutes les propagandes aussi mensongères que malfaisantes et éclatait, aux yeux du soldat, la justification de sa présence et de sa mission de défenseur du droit.
------Alors s'établissait entre lui et le colon, pourtant si décrié en métropole, les liens naturels d'une mystérieuse complicité, puis d'une solidarité de tous les instants dans l'épreuve commune.
------Seule une oeuvre lente et profonde de contacts avec les couches populaires les plus déshéritées, dans les douars les plus reculés, les faubourgs les plus crasseux, permit de faire comprendre notre volonté d'évolution et d'expansion de l'Algérie nouvelle en gestation. L'appelé devenait souvent infirmier, instituteur. bâtisseur, conseiller, ami de chaque jour.

Le Contingent en Algérie, Victime de la Désinformation en France
------Mais cette double mission de combat et d'action humanitaire auprès des populations fut ignorée par la Nation française à laquelle ne fut jamais révélé par radio, par télévision ou par film, la guerre contre - révolutionnaire que nous menions quotidiennement, face aux bandes armées et au terroris me systématique du FLN.
------Comment les Français auraient - ils pu comprendre nos missions et surtout nos motivations profondes, dès lors que Paris interceptait systématiquement nos documents et occultait les informations que les services spécialisés d'Alger réalisaient et rassemblaient au profit de la métropole ? Cette action psychologique de désinformation, calculée et sciemment entretenue, s'inscrivait malheureusement dans le plan d'ensemble qui, malgré les promesses et les engagements pris, consistait à couper davantage, d'année en année, la France de sa province d'Algérie. La destruction volontaire du cordon ombilical qui, depuis près d'un siècle et demi, reliait Paris à Alger, fut, sans aucun doute, l'action la plus redoutable que nous ayons eue à subir, huit années durant.

Les Sacrifices du Contingent
------Vingt cinq mille hommes ne sont pas revenus de cette guerre contre - révolutionnaire. Cent mille sont rentrés blessés, malades. Beaucoup ne se sont réadaptés que lentement et difficilement à la vie normale, dans un environnement de totale incompréhension,
sinon de rejet. Ils se sont tus, trois décennies durant.

Trente Ans Après..
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------Aujourd'hui, bien des situations ont changé. Le prix de la déchirure de 1962 commence à paraître aux yeux de tous. La facture s'avère très lourde et meurtrière pour nous. De l'autre côté, l'Algérie sombre dans un chaos général et une nouvelle guerre fratricide quotidienne. Les réalités et la vérité des faits succèdent au mensonge et aux illusions. Les Français commencent à comprendre pourquoi les "gars du contingent" se sont battus là - bas.
------Nombreux seront ceux qui, maintenant cinquantenaires, ne manqueront pas de répondre à l'appel de "Pieds - Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui" pour retrouver les amitiés de cette époque déjà lointaine, où ils devinrent des hommes. Avant que ne parvienne à la direction de la revue le courrier et les appels des anciens d'Algérie qui vont affluer de toute part, je me permets d'ouvrir le feu de l' opération "Souvenirs et retrouvailles", par un message opérationnel lancé vers mon ancien régiment: "Allo Allo ? ici 29ème Hussards - Stop - Rétablir contact - Stop - Rochambeau appelle tous azimuth anciens de tout grade pour opération souvenir - Stop - Branchement immédiat 5/5 sur Pieds - Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui - Terminé.


Capitaine Moinet.


(l) Age du service militaire à l'époque : 21 ans. Pour les sursitaires, l'appel pouvait être retardé jusqu'à 26 ans environ. Le Contingent a représenté 65 % des effectifs engagés dans cette guerre de 54 à 62.
(2) L'Algérie comptait deux millions trois cent mille km2 et représentait 82 % du territoire national depuis la Constitution de 1848. Des unités d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, du train et du génie, ont quadrillé l'ensemble de ce territoire et assurèrent l'installation et la mise en oeuvre des deux barrages électrifiés à l'Ouest et àl''Est, interdisant toute pénétration des .fellaghas à partir de fin 1957.