---A
la satisfaction de tous, confirmée par le succès aujourd'hui
incontestable qu'elle connaît, la revue "Pieds - Noirs d'Hier
et d'Aujourd'hui" s'est donnée pour mission de transmettre
et de sauvegarder, pour l'avenir, la Mémoire de ce que fut l'Algérie
française. A cet effet, elle s'efforce de recueillir les échos,
les témoignages, les récits les plus divers. La convergence
de ces recherches et de ces travaux construit, pierre par pierre, l'édifice
indestructible de la vérité historique. Ainsi cette revue
devient - elle le trait d'union entre tous, et le réceptacle
de ceux et de celles qui écrivent et témoignent depuis
tant d'années. Jean - Marc Lopez, artisan de ce noble projet,
a bien voulu m'inviter à ouvrir une nouvelle rubrique destinée
à associer l'oeuvre des Pieds - Noirs et des Français
de souche Nord Africaine, à celle des soldats de la métropole
appelés pour défendre notre province menacée. Combien
j'apprécie cette initiative qui va permettre de rétablir
le contact entre la communauté Pieds - Noirs et l'Armée
d'Algérie, provoquant, à n'en pas douter, des retrouvailles
enrichissantes pour tous
Les Gars du Contingent
------Entre 1954 et 1962, ils furent plus
de 2 millions cinq cents mille, ces jeunes garçons de France, à
quitter leur village, leur usine, leur bureau, leurs études, leur
familles (1).
------Ignorant tout de l'Algérie,
de son climat, de ses ressources, de ses populations, et méconnaissant
surtout - pour la plupart d'entr'eux - l'enjeu que représentait
cette province pour la France et pour l'Occident, ils quittèrent
Marseille dans une terrible ambiance de démoralisation et de défaitisme,
à l'égard de cette "guerre
inutile vers laquelle on les entraînait" !
------Jeune capitaine à l'époque,
au coeur de l'Oranie, je recevais, contingent par contingent, ces garçons
qui arrivaient à mon Escadron, offrant au service du pays, deux
ou trois ans de leur jeunesse.
------ Ainsi en était -il sur cet
immense territoire (2), aux aspects très divers, étalé
entre la côte méditerranéenne et le grand Sud, et
flanqué par les frontières marocaine et tunisienne.
------Je puis attester, après six
ans de présence là - bas, que la disponibilité, l'intelligence,
la souplesse et le courage de ces "appelés du Contingent"
furent exemplaires. Et pourtant... leur solde misérable ne leur
permettait pas de s'acheter la moindre petite canette de bière,
après douze heures d'opération dans le djebel...
------Le soldat français, dans tous
les conflits, s'est averré remarquable, dès lors qu'il comprenait
le sens de la lutte engagée. La première mission de l'officier
consistait précisément à le lui expliquer. Alors,
tout devenait plus facile... La camaraderie d'unité de base, la
fraternité du combat, l'égalité devant l'épreuve,
et surtout les crimes du FLN faisaient naturellement le reste.
Le Contingent et les Pieds - Noirs
------Mais comment vaincre le FLN ? Comment
parvenir à rétablir la sécurité et l'espérance,
sans la compréhension et l'appui des populations d'Algérie,
de toutes les populations ?
------Qui n'a gardé en mémoire
le souvenir des fermes incendiées, du cheptel éventré,
des familles assassinées dans les pires conditions, au cours des
terribles nuits rouges des années 55, 56, 57 ? Le FLN coupait,
tuait, assassinait. L'homme du contingent se trouvait sans cesse projeté
dans l'horreur de la guerre terroriste révolutionnaire et ne pouvait
s'empêcher de penser à sa ferme, à son village, à
son quartier, à sa famille. En quelques instants s'effritaient
toutes les propagandes aussi mensongères que malfaisantes et éclatait,
aux yeux du soldat, la justification de sa présence et de sa mission
de défenseur du droit.
------Alors s'établissait entre lui
et le colon, pourtant si décrié en métropole, les
liens naturels d'une mystérieuse complicité, puis d'une
solidarité de tous les instants dans l'épreuve commune.
------Seule une oeuvre lente et profonde
de contacts avec les couches populaires les plus déshéritées,
dans les douars les plus reculés, les faubourgs les plus crasseux,
permit de faire comprendre notre volonté d'évolution et
d'expansion de l'Algérie nouvelle en gestation. L'appelé
devenait souvent infirmier, instituteur. bâtisseur, conseiller,
ami de chaque jour.
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Le Contingent en Algérie,
Victime de la Désinformation en France
------Mais cette double mission de combat
et d'action humanitaire auprès des populations fut ignorée
par la Nation française à laquelle ne fut jamais révélé
par radio, par télévision ou par film, la guerre contre
- révolutionnaire que nous menions quotidiennement, face aux bandes
armées et au terroris me systématique du FLN.
------Comment les Français auraient
- ils pu comprendre nos missions et surtout nos motivations profondes,
dès lors que Paris interceptait systématiquement nos documents
et occultait les informations que les services spécialisés
d'Alger réalisaient et rassemblaient au profit de la métropole
? Cette action psychologique de désinformation, calculée
et sciemment entretenue, s'inscrivait malheureusement dans le plan d'ensemble
qui, malgré les promesses et les engagements pris, consistait à
couper davantage, d'année en année, la France de sa province
d'Algérie. La destruction volontaire du cordon ombilical qui, depuis
près d'un siècle et demi, reliait Paris à Alger,
fut, sans aucun doute, l'action la plus redoutable que nous ayons eue
à subir, huit années durant.
Les Sacrifices du Contingent
------Vingt cinq mille hommes ne sont pas
revenus de cette guerre contre - révolutionnaire. Cent mille sont
rentrés blessés, malades. Beaucoup ne se sont réadaptés
que lentement et difficilement à la vie normale, dans un environnement
de totale incompréhension,
sinon de rejet. Ils se sont tus, trois décennies durant.
Trente Ans Après...
------Aujourd'hui, bien des situations ont
changé. Le prix de la déchirure de 1962 commence à
paraître aux yeux de tous. La facture s'avère très
lourde et meurtrière pour nous. De l'autre côté, l'Algérie
sombre dans un chaos général et une nouvelle guerre fratricide
quotidienne. Les réalités et la vérité des
faits succèdent au mensonge et aux illusions. Les Français
commencent à comprendre pourquoi les "gars du contingent"
se sont battus là - bas.
------Nombreux seront ceux qui, maintenant
cinquantenaires, ne manqueront pas de répondre à l'appel
de "Pieds - Noirs d'Hier et d'Aujourd'hui" pour retrouver les
amitiés de cette époque déjà lointaine, où
ils devinrent des hommes. Avant que ne parvienne à la direction
de la revue le courrier et les appels des anciens d'Algérie qui
vont affluer de toute part, je me permets d'ouvrir le feu de l' opération
"Souvenirs et retrouvailles",
par un message opérationnel lancé vers mon ancien régiment:
"Allo Allo ? ici 29ème Hussards - Stop - Rétablir contact
- Stop - Rochambeau appelle tous azimuth anciens de tout grade pour opération
souvenir - Stop - Branchement immédiat 5/5 sur Pieds - Noirs d'Hier
et d'Aujourd'hui - Terminé.
Capitaine Moinet.
(l) Age du service militaire à l'époque : 21 ans. Pour les
sursitaires, l'appel pouvait être retardé jusqu'à
26 ans environ. Le Contingent a représenté 65 % des effectifs
engagés dans cette guerre de 54 à 62.
(2) L'Algérie comptait deux millions trois cent mille km2 et représentait
82 % du territoire national depuis la Constitution de 1848. Des unités
d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, du train et du génie,
ont quadrillé l'ensemble de ce territoire et assurèrent
l'installation et la mise en oeuvre des deux barrages électrifiés
à l'Ouest et àl''Est, interdisant toute pénétration
des .fellaghas à partir de fin 1957.
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