Extrait d'un rapport exceptionnel
et inédit sur « Le drame des disparus en Algérie »(février
1964)
C'est par milliers que des Français d'Algérie, musulmans,
chrétiens et israélites, ont été enlevés
par le F.L.N. quelques-uns entre le 1er novembre 1954 et les Accords d'Évian
(18 mars 1962) mais la plus grande partie entre le 18 mars 1962 et l'indépendance
de l'Algérie (1er juillet 1962) ou pendant les semaines qui ont
suivi.
Si, à ce jour, les enlèvements massifs d'Européens
ont à peu près cessé, en raison même de l'exode
de cette population, des " rapts" isolés, surtout de
femmes, se produisent encore à l'heure actuel le.
Il est extrêmement difficile d'avancer un chiffre rigoureusement
exact; en ce qui concerne les musulmans, on estime ,grosso modo, à
10.000 le nombre des disparus. Ce chiffre s'ajoute aux 150.000 musulmans
assassinés au moment de l'indépendance.
Notons, au passage, que ce chiffre de 150.000 morts résulte de
renseignements recueillis par les autorités militaires françaises
et qu'il est vérifiable en faisant le compte village par village,
douar par douar, ville par ville, des " veuves de la Libération
", c'est-à-dire des femmes dont les maris ont été
abattus dans des conditions souvent atroces et barbares, lors des jours
et des semaines qui ont précédé cette proclamation
de l'indépendance.
Citons deux chiffres à cet égard : BOGHARI, petite sous-préfecture
du département du TITTERI dans l'Algérois, compte 700 "
veuves de la Libération ",AIN BOUCIF, village voisin en compte
400.
Ces " veuves de la Libération " ne perçoivent
plus d'allocations familiales parce que ce sont " des femmes de traîtres
". Quant à leurs enfants, qualifiés fils et filles
de traîtres, ils ne sont pas admis dans les établissements
scolaires " pour des motifs d'ordre public ".
En ce qui concerne les chrétiens et les israélites, les
chiffres sont très variables. Le Prince de BROGLIE, secrétaire
d'État aux affaires algériennes du gouvernement français
a donné deux chiffres : le 7 mai 1963 devant l'Assemblée
Nationale, il indiquait: 3.080 disparus. 1er novembre 1963 devant le Sénat,
il donnait : environ 1.800 personnes disparues.
Le 19 novembre, le sénateur DAILLY déclara devant le Sénat
(Journal Officiel page 2571):
" Il est maintenant certain que 2.100 personnes civiles ont été
enlevées après les accords d'Évian après les
400 militaires dont 50 ont été enlevés, eux aussi
après les accords d'Evian ".
Revenant sur le chiffre de 3.080 qu'il avait donné le 7 mai 1963
devant l'Assemblée Nationale en réponse à une question
de M. René PLEVEN, M. de BROGLIE affirme aujourd'hui qu'il y a
environ 1.800 personnes disparues. Ce chiffre correspond à celui
des cas enregistrés par l'Association de Défense des Droits
des Français en Algérie qui n'a, cependant, pas la prétention
d'avoir pu faire un recensement complet, certaines familles étant
demeurées en Algérie, et d'autres n'ayant pas voulu se faire
connaître. Il semble que le chiffre produit par le ministre soit,
véritablement, un minimum.
Aucun contrôle n'ayant été exercé
par la France au moment de l'exode des Français d'Algérie,
il est impossible de connaître à 50.000 unités près,
le nombre de personnes dont on est encore sans nouvelles. Or, si le Comité
International de la Croix Rouge peut donner, à dix unités
près, le nombre des Hongrois ayant quitté leur pays au moment
des événements de Budapest, ou celui des Nord-Coréens
ayant gagné le sud après Pan-Mun-Jong, il est dépourvu
de tous moyens d'estimation en ce qui touche les Français d'Algérie...
On se bornera à souligner deux faits:
- C'est après les accords d' Evian et souvent même
après la proclamation de l'indépendance algérienne
que plus de 2.000 personnes ont été enlevées, séquestrées,
torturées, soumise à des traitements dégradants et
souvent assassinées.
Cette constatation permet d'apprécier à
sa juste valeur la thèse selon laquelle les accords d'Evian, geste
de sage politique du plus haut degré, ont jeté les bases
d'une coopération confiante entre la France et le nouvel État
algérien.
2 - Un millier d'hommes et de femmes vivent encore (ou
vivaient encore il y a quelques semaines) dans des camps de travaux forcés,
dans des mines ou dans des maisons de prostitution.
Le gouvernement français préfère
nier obstinément ce fait et laisser sans suite les ouvertures dues
à des initiatives non officielles, qui auraient pu conduire à
la libération de quelques-uns de ces infortunés.
La conscience du monde civilisé qui s'émeut
à juste titre quand les droits de la personne humaine sont violés
où que ce soit sur la terre, continuera-t-elle à opposer
un silence honteux à la tragédie des disparus d'Algérie.
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