Les Barricades d'Alger (1+2+3)
24-31 janvier 1960
"On a triché avec l'honneur" Pierre Lagaillarde*
Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui janvier 2000 n°108 - 10- - 110

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La fin de l'insurection d'Alger - Une des dernières photos de Pierre Lagaillarde avant sa reddition -01-02-1960
La fin de l'insurection d'Alger - Une des dernières photos de Pierre Lagaillarde avant sa reddition -01-02-1960
Les Barricades d'Alger
24-31 janvier 1960

"On a triché avec l'honneur" Pierre Lagaillarde*

Le 1er février 1960, alors que les "insurgés " quittaient le périmètre des Facultés d'Alger où pendant une semaine ils avaient tenu tête au gouvernement du général De Gaulle et montaient dans les camions du 1" REP pour rejoindre Zéralda, paraît dans "France Soir" un éditorial de Pierre Lazareff qui provoque quelque sensation : "Si l'on approuve que le pardon soit accordé aux hommes abusés qui rejoindront "l'ordre national", écrit-il, on ne comprendrait pas que les coupables qui se voulaient usurpateurs Ortiz, Lagaillarde et leurs lieutenants immédiats échappent au juste châtiment de leurs fautes... On connaît aujourd'hui le sombre complot dans lequel ils ont tenté d'entraîner des patriotes sincères, complot dont on découvre les ramifications jusque dans la métropole et qui était destiné à changer le régime par la force".
Pendant une semaine, avec un acharnement et une progression dans l'odieux qui révèle une minutieuse et machiavélique préparation, la presse française va "enrichir" cette interprétation de la révolte du peuple d'Alger en la pimentant de toutes les épices dont l'opinion est friande depuis la fin de la guerre 1939-1945...
La presse française
Ainsi, le 2 février, René Andrieu dans l'Humanité souligne que si l'on ne veut pas que le "complot" connaisse de nouveaux rebondissements, "il faut vider l'abcès".
Le lendemain, Georges Oudart, dans le Journal du Parlement, précise à propos des affidés du prétendu complot : "Leur anti-gaullisme des jours de Vichy, mélangé d'anticommunisme hitlérien, les rendent capables de se porter aux pires excès pour se venger de s'être si dramatiquement trompés, il y a vingt ans ".
Le jeudi 4, on peut lire dans France Nouvelle sous la plume de Louis Aragon : " je dis que tout le monde sait, et savait, que le nommé Ortiz était le chef de ces contre-terroristes dont l'action a tendu à déshonorer la France à la face des Nations. Je dis que l'insurrection d'Ortiz et consorts est avant tout l'insurrection du bourreau ".
Cette campagne de dénonciations calomnieuses, reprise par la presse de province, ne manque pas de porter ses fruits. Ainsi le 10 février, dans l'Humanité, Alain Guérin dresse un premier bilan de la répression du "complot" qui s'établit à 78 perquisitions à Paris, à 24 mandats d'amener et à 18 inculpations, et il ajoute que 200 ultras et nervis sont en fuite. Le même jour Libération précise que les "Barricades d'Alger " ont été que le fruit d'un complot fasciste permanent dont les chefs sont Tixier-Vignancour, le docteur Martin, Georges Sauge, Yves Gignac, Pierre Sidos et le docteur Lefèvre, un rassemblement d'anciens cagoulards et d'anciens miliciens, tous professionnels de l'anticommunisme ".
Et publiquement, devant le Garde des Sceaux, Edmond Michelet, venu l'installer comme nouveau procureur général d'Alger, Robert Schmelck, au cours de la cérémonie déclare " L'émeute a été préparée de longue date, savamment provoquée, délibérément entretenue ".
Déclaration qui provoque les sourires des quelques membres qui ont accepté d'assister à cette curieuse " intronisation", tant elle paraît ridicule, même avec la caution du ministre de la Justice, un des plus proches du général-président... Mais le comble du ridicule revient à l'ineffable François Mauriac qui, dans son carnet de l'Express du 4 février, livre ses états d'âme : " Chrétien, je me suis senti quant à moi confirmé dans ma certitude Charles De Gaulle n'est pas l'homme du destin, il est l'homme de la Grâce ! "
Ainsi soit-il.


Il n'y a pas eu de complot
Des sinistres procureurs de Moscou aux grandes voix chrétiennes, la cause est entendue, l'Histoire est écrite... Eh bien, non!
" Il n'y a pas eu de complot du 24 janvier 1960 ", comme l'ont très justement écrit Serge et Merry Bromberger dans "Barricades et Colonels ", et pourtant ce sont des spécialistes. N'en avaient-ils pas trouvé treize (complots) le 13 mai 1958... Un peu moins justement, ils poursuivent "Il y en avait eu un à l'automne. Il s'en montait un pour le printemps (Ce qui est une toute autre histoire !) Mais ce jour-là, il n'y en avait pas... Et c'était, dans un sens, beaucoup plus sérieux... Ce qui s'est passé à Alger, le 24janvier, c'est un coup de flamme. Dans une chaudière portée au rouge, un seau d'eau n'apaise pas la fournaise. Il déchaîne l'explosion, un crachement de feu...".
"S'il y a complot, qu'on le prouve " s'exclame Georges Bidault dans "Carrefour" du 17 février, et il rappelle à l'intention des amateurs de romans " S'il y a des complots, s'il y a des preuves, des textes, des témoignages, qu'on en fasse état et qu'on dévoile, mais autrement que sous la forme d'une vague rhétorique, les coupables et leurs crimes...".
Or, plus de trente ans après les événements, nous attendons toujours les preuves, les textes, les témoignages, et pour cause.
En revanche il apparaît avec évidence que s'il n'y a pas eu de complot, il y a bien eu une conspiration. Celle fomentée par le pouvoir, pour l'intention, et par des éléments à son service, pour la réalisation, en vue d'utiliser et d'exploiter la révolte du peuple algérois et de ses amis pour porter un nouveau coup - car depuis le 1e juin 1958, la conspiration du pouvoir est permanente - un mauvais coup à la France, un coup que le pouvoir aurait voulu décisif.
Déjà, le 8 février, le diable laisse percer l'oreille. Lors de la visite à Alger des ministres, Chatenet, Messmer et Michelet, les hauts fonctionnaires du Gouvernement Général avaient connaissance de ce que les trois ministres n'avaient pas caché au Délégué général, Paul Delouvrier, et au commandant en chef, le général Maurice Challe, que " l'épuration " justifiée par l'insurrection du 24janvier était pour le chef de l'Etat une occasion quasi inespérée de " casser politiquement " les partisans irréductibles de l'intégration. C'est Michelet, particulièrement, le ministre de la Justice, qui leur a révélé les "ficelles politiques" de l'épuration avec le cynisme et... l'imprudence dont il était coutumier.
En réalité ce sont tous les artisans de la radieuse victoire de la France, le 13 mai 1958, qui devaient être non seulement écartés de notre province d'Algérie mais sanctionnés, bâillonnés et privés de tous moyens qui pourraient gêner le pouvoir dans sa criminelle volonté d'abandon. Il ne faut quand même pas oublier et ne cesser de le remettre en mémoire aux Français qu'il s'agit bien d'un acte criminel commis par le chef de l'Etat qui est à l'origine de la révolte du 24janvier 1960. Ainsi, le 12 février, alors que le Conseil des ministres vient de décider la dissolution des Unités territoriales et surtout celle du 5è bureau de l'armée, ce qui équivalait à priver celle-ci de son arme la plus efficace dans la guerre révolutionnaire qui lui est imposée en Afrique Française du Nord, un petit événement passé inaperçu alors qu'il est essentiel pour la compréhension de l'histoire.


Les insurgés d'Alger, véritables défenseurs de la République
Le juge d'instruction Monzein convoque en son cabinet Georges Calzant, directeur de l'Hebdomadaire "Aspects de la France" et l'inculpe d'offenses au chef de l'Etat pour avoir publié sous sa signature au lendemain de la diffusion du discours présidentiel du 16 septembre 1959 un article intitulé " EN HAUTE COUR, M. DE GAULLE ! " Le nouvel inculpé déclarera d'ailleurs au magistrat qu'il n'a rien à retrancher à son propos car le Président de la République aurait dû être effectivement déféré à la Haute-Cour, pour avoir, dans son discours du 16 septembre " proposé la sécession à un groupe de départements français ".
Ainsi, les véritables défenseurs de la République " en danger " - et de sa Constitution - ne sont pas les grévistes qui défilent le 1" février dans les rues de Paris, avec la bénédiction du gouvernement, mais bien les insurgés d'Alger. Les fauteurs de guerre civile ne sont pas derrière les barricades mais bien à l' Elysée et à Matignon. Pour ne pas avoir été fidèles aux institutions de la République et avoir accepté le viol de leur Constitution, les Français ont été condamnés à devenir les habitants d'un pays de seconde zone et à subir, encore aujourd'hui, les conséquences des crimes auxquels ils se sont associés plus ou moins consciemment.
Il apparaît clairement que le temps est venu de le dire.
Pour de Gaulle " l'intégration ", depuis que le mot avait été prononcé, n'a jamais été qu'une "sottise" qui n' arrêterait pas la guerre en Algérie et qui n'apporterait que des complications au pays.
La fraternisation du 13 mai 1958, n'avait en rien changé son opinion.


De GauIIe, résolu à brader l'Algérie
Son caractère, sa conception de la "raison d'Etat", le rendaient tout à fait imperméable aux choses du cœur. Toutefois, il n'est pas sûr qu'il ait eu, dès son retour au pouvoir, une idée très précise sur l'avenir de l'Algérie. Ses seules certitudes se résumaient en deux points : l'Algérie était une construction factice de la France, et l'Algérie, y compris ses populations, ne valait rien. La seule et la meilleure des solutions était donc de s'en débarrasser au plus tôt. Comment ? Peu importe... l'événement favorable viendra, la lassitude de l'opinion publique en métropole, les manœuvres de Washington et de Moscou qui rêvent de l'héritage, l'aideront...
Aussi pendant seize mois, il laisse les choses se décanter et surtout son pouvoir s'affermir suffisamment. Certes il utilise ce délai pour se débarrasser de tout ce qui pourrait entraver sa volonté et particulièrement de tous ceux qui ont été les artisans du 13 mai 1958 et qui par la même occasion l'ont remis au pouvoir... Ils seront les premières victimes de la conspiration, puisqu'il s'agit bien de menées secrètes contre l'Etat et contre des tiers... La première victime a été le général Salan auquel il a enlevé son proconsulat d'Alger par un subterfuge qui, pour le moins, manque d'élégance. Peu à peu il a écarté tous les chefs militaires qui avaient appuyé le sursaut de la population. Seul le général Massu est resté en place, c'est l'ultime garantie auprès de la population. A vrai dire pendant cette période, sa présence bénéfique auprès des Français d'Algériea été plus favorable à De Gaulle qu'inquiétante.
Le 16 septembre 1959, en proclamant l'autodétermination, dix-huit mois après son retour au pouvoir, De Gaulle a mis fin à l'équivoque sur laquelle s'est instaurée la Vè République et, du même coup, à l'immense espoir qu'avait fait naître le "miracle" du 13 mai pour notre province algérienne mais aussi pour toute la France. Alger entre en ébullition. Tous les regards se tournent une fois de plus vers l'armée, vers Massu et le leader civil qui passe pour avoir reçu de lui des assurances, Jo Ortiz, le président du Front National Français. Des bruits de soulèvement recommencent à courir, le nom du général André Zeller y est associé, il est chef d'état-major de l'armée de terre. Le 15 octobre, le général Zeller est mis à la retraite. Dans les jours qui suivent, De Gaulle donne l'ordre au général Challe de faire cesser la campagne officielle de l'armée pour l'intégration. Onze compagnie de CRS sont amenées en renfort de Paris à Alger. Le 10 novembre, dans une conférence de presse, le chef de l'Etat confirme avec insistance " droit à l'autodétermination".,.
Encouragé par toutes ces décisions, le FLN qui a vu ses forces bousculées, disloquées, quasiment anéanties par les grandes opérations du général Challe, pour "casser" le moral des Français et en même temps "torpiller" le cessez-le-feu, reprend l'action terroriste et les attentats personnalisés. En décembre, en trente jours, vingt deux assassinats sont commis aux portes d'Alger. Comme aux plus mauvais jours de 1956, la population menace de faire sa propre justice. Tout le travail de pacification des cœurs réalisé depuis trois ans est systématiquement détruit. Par petites touches sont recréées les conditions d'une situation irréversible.
Au début du mois de janvier, Antoine Pinay, le ministre des Finances, l'homme qui donne confiance aux Français, pour avoir osé évoquer les problèmes de Défense devant le Général-Président, est brutalement limogé. A Georges Bidault qui souhaite effectuer une tournée de conférence sur l'amitié franco-musulmane, il est interdit, sans explication, de se rendre en Algérie... jusqu'au 2 février, curieuse précision qui révèle plus d'une méticuleuse préparation que d'une simple coïncidence vraiment très "prophétique". Enfin une conférence qui réunira tous les grands responsables civils et militaires d'Algérie est annoncée pour le 22 janvier à Paris.
L'émotion est à son comble à Alger où on s'attend au pire...

(à suivre)
Yves Gignac
ED. LaTable Ronde,Janvier 1961.

Les Barricades d'Alger-(suite 2)
24-31 janvier 1960

C'est dans cette situation explosive qu'éclate la bombe Massu !
On ne saura sans doute jamais avec certitude qui en a été " l'artisan ". Les historiens du siècle prochain pourront cependant toujours recourir - avec précaution - au vieil axiome " is fecit cui prodest "... Qui a jeté dans les bras de Massu le journaliste allemand Hans Ulrich Kempski, ancien officier parachutiste de l'armée d'Italie, envoyé du quotidien 'Suddeutshce Zeitung", vivement recommandé auprès du Quai d'Orsay ?... Qui a fait affecter, quelques jours plus tôt, comme officier des services de presse du commandement en chef, cet officier qui par ailleurs jouit de toute la confiance du ministre des Armées et qui sera chargé de contrôler les déclarations du général ?... Qui...
Et le général Massu a parlé avec la franchise du vieux soldat, il a parlé avec son cœur, avec ses convictions : on ne doit pas quitter l'Algérie et moi j'ai la confiance de la population...
Le 19 janvier quand l'interview est publiée, une courte dépêche parait dans les journaux :"La 6è Flotte américaine a reçu l'ordre de se rassembler à Barcelone, elle offrira son aide à De Gaulle pour bloquer l'éventuel débarquement de l'armée d'Algérie en métropole "
L'interview de Massu a paru si énorme qu'on n'y a pas cru à Paris. Le général Challe alerté par Matignon fait publier un démenti.
- Massu est tombé dans un piège tendu par les ultras, dit-on à l'Elysée.
- Massu est tombé dans un piège tendu par l'Elysée, expliquent les activistes.
La certitude du complot
Quant à Massu, il a lui-même la certitude d'avoir été victime d'un complot : " L'entourage du chef de l'État ou du Premier Ministre a cherché le moyen de l'écarter d'Alger en me mettant dans mon tort. "
l.'interview de Kemp ski a été machinée. Convoqué par son ministre, quand il débarque à Paris. il dira simplement aux journalistes : " j'ai été pigeonné ! " Mais il n'est pas autrement ému, persuadé qu'il reviendra car il est le seul a pouvoir empêcher l'insurrection d'éclater. Et personne ne peut vouloir qu'elle éclate et que le sang coule.
Challe en est tellement convaincu qu'il réunit ses adjoints pour appliquer le plan " Balancelle" qui prévoit de ramener à Alger la 10e division parachutiste. l'ancienne division de Massu. Avec elle c'est le maintien de l'ordre en souplesse. Certes il peut y avoir un danger : la trop grande intimité de paras avec la Ville Blanche qui peut entraîner une " fraternisation "... Mais c'est un moindre danger. Sinon c'est la manière forte. Arrestation immédiate des chefs activistes, renvoi en métropole des quelques vingt généraux et colonels qui soutiennent l'agitation, rappel à Alger des unités " sûres ". Cest l'épreuve de force, avec toutes ses conséquences et le sang peut couler...
À Paris, le 20 janvier, le ministre Guillaumat dira à Massu : " Je vous ai défendu au maximum. Je voulais vous garder à Alger. Et je vous dis brutalement pourquoi je ne pense pas qu'on ait tiré de vous tout ce qu'on pouvait en tirer (à savoir pour amener les Français d'Algérie à composition...) "
Massu tombe de haut. On lui fait rédiger un communique, une sorte de démenti qu'il assortit de conditions tant bien que mal.
La conférence prévue pour le 22 se réunit. Il y a vingt-trois participants. Massu attend devant la porte. Quelques minutes avant l'ouverture, le Ministre Guillaumat vient lui lire une lettre de De Gaulle Massu n'assistera pas à la conférence, il ne rentrera pas à Alger.
De Gaulle a été intraitable : Massu restera à Paris!
En Algérie, c'est la colère. On se tourne vers le général Faure qui assure l'intérim du commandement du corps d'armée d'Alger. On le sait favorable à l'Algérie française. Il se trouve en Kabylie. Prévenu de la décision qui a été prise d'organiser le dimanche 24 janvier une grande manifestation à Alger dont tout le monde espère qu'elle sera un nouveau 13 mai, le général promet son concours et se met en route. Avant de partir, il envoie un message à ses amis de Paris pour les informer du mouvement fixé au dimanche. Par suite d'une erreur d'interprétation, à l'arrivée le message est compris comme une annulation de toute manifestation... Le général Faure ne recevant pas la réponse de l'accord de Paris, rebrousse chemin...
On connaît la suite.
Colére du peuple
Le 24janvier 1960. sur le Plateau des Glières, devant le Monument aux Morts, à 18h30, on décompte six morts, vingt-six blessés, dont deux graves, du côté des Algérois, quatorze morts, cent vingt-trois blessés du côté des forces de l'ordre... Depuis le retour du général Salan à Paris, j'étais "interdit" en Algérie et, par les bons soins de Maurice Papon, le préfet de Police, " doté " d'une surveillance quasi permanente de deux inspecteurs de la 2è section des Renseignements généraux. Une voiture de police stationnait en permanence sous les fenêtres de l'hôtel des Invalides où siège le gouvernement militaire de Paris qu'occupait le général Salan. Le maréchal Alphonse Juin qui a ses bureaux au rez-de-chaussée, bénéficiait de la même attention... Une situation bien incommode pour monter un complot, s'il en avait été question...
Le jeudi 21, je reçois un appel téléphonique de mon ami Robert Martel qui désire connaître l'état d'esprit qui règne à Paris. Il éprouve la même impression que nous. Les initiatives de De Gaulle se succédent et se multiplient à une telle cadence qu'elles prennent l'allure de véritables provocations. Aussi Martel nous informe qu'il se refuse à participer à tout projet de manifestation, ce qui lui vaut de nombreuses critiques à Alger. Je fais part de sa position à quelques amis qui m'appellent de province et qui partagent nos inquiétudes.
Le dimanche 24, je fête mon quarantième anniversaire... Dans l'après-midi je me rends aux Invalides pour prendre des nouvelles de Madame Salan dont l'état de santé s'est terriblement aggravé depuis quelques jours. Le général est très inquiet car le médecin-colonel Soulage qui la soigne, lui laisse peu d'espoir... Avec le capitaine Crittin, l'aide de camp, et le Docteur nous suivons le général dans son bureau où il allume son poste radio qui donne un reportage en direct d'Alger. Presque aussitôt, dominant la voix du reporter, des coups de feu puis quelques rafales... Le général a blêmi, il se lève et d'une voix blanche, comme parlant à lui-même : " C'est épouvantable, ils ont fait couler le sang entre Français... C'est terrible. J'avais toujours évité cela. Comment a-t-on pu en arriver à ce drame... Si on voulait empêcher la manifestation, il ne fallait pas s'y prendre ainsi... Ce n'est pas possible, c'est à croire qu'on a voulu l'affrontement.. ".
Il paraît atterré, puis peu à peu se ressaisit
" Il faut que je dise au général De Gaulle ce que je pense. Il faut qu'il prenne ses responsabilités dans cette affaire...Je vais lui écrire ".
Une conversation s'engage, le général retient quelques idées que Crittin met sur le papier. La lettre sera rédigée le lendemain, puis montrée au général Jouhaud qui propose de la signer conjointement, et au maréchal Juin qui se contente de l'approuver mais dit au général Salan : " Je vous comprends trop bien, mais je connais De Gaulle, il va être furieux et va vous foutre à la porte La lettre sera portée à l'Elysée le mardi 26 par le colonel Juille. Le lendemain, le général est convoqué par le ministre des Armées, Pierre Guillaumat, puis par le Premier Ministre Michel Debré, qu'il trouve complètement désemparé. Tous deux lui disent que le Président de la République ne changera rien à ses projets et que sa mise à la retraite a été évoquée. Le ministre des PT.T. Cornut-Gentille fait prévenir le général que ses communications téléphoniques sont écoutées et enregistrées...
La surveillance dont il est l'objet semble se resserrer. Aussi lorsque je viens lui rendre compte de la réunion du comité de la Fondation Maréchal de Lattre où je le représente, et qui s'est tenue la veille, il me conseille vivement de prendre le large et de disparaître de la circulation jusqu'à ce que le calme soit revenu.

Réactions policières
Je pars donc pour Bordeaux le mercredi afin de rencontrer mon vieux camarade Jean Maury qui assume les fonctions de premier vice-président de l'A.C.U.F. C'est pendant un séjour à Bordeaux que j'apprends les perquisitions qui ont été effectuées jeudi au siège de l'association et chez plusieurs de nos responsables à travers toute la France. Néanmoins, je rentre chez moi, à La Courneuve, le samedi soir, pour y apprendre par ma femme que mon domicile n'a pas échappé aux perquisitions mais que les policiers n'ayant rien trouvé à saisir sont repartis sans donner d'autres indications.
Le dimanche matin à 8 heures, nouvelle descente de police et nouvelle perquisition tout aussi infructueuse que la première, mais les inspecteurs me demandent de les accompagner pour signer le procès-verbal... Je suis alors conduit dans les locaux de la 1è brigade territoriale, rue du faubourg-Saint-Honoré, où, à ma grande surprise, je trouve le général Touzet du Vigier, président du Comité Inter-Fédéral des Amicales Régimentaires, le général d'armée aérienne Lionel Chassin, le contrôleur de l'armée Bourdoncle de Saint-Salvy, que je connais bien, les deux derniers étant membres du comité directeur de l'A.C.U.F. Il y a la également un ancien préfet M. Valère Peretti della Rocca qui nous explique qu'il a été arrêté car il était en relations avec Philippe de Massey et que celui-ci serait en fuite à la suite de la découverte à son domicile de documents compromettants"... Ce qui nous est confirmé un peu plus tard à l'arrivée d'une jeune fille, Nicole Dion, qui était la secrétaire de Philippe de Massey. Je me souviens alors qu'avant mon départ pour Bordeaux, ma propre secrétaire m'avait fait part d'une demande de rendez-vous du délégué régional de notre association pour le Nord, Philippe de Massey, que je n'avais pu rencontrer en raison de mon départ précipité.
Le général du Vigier nous raconte alors que les policiers ont saisi à son domicile son vieux revolver d'ordonnance oublié depuis sa mise à la retraite, quinze ans avant, dans un fond de tiroir où il aurait été bien incapable de le retrouver ... Nous passâmes ainsi la journée du dimanche dans une ambiance de vieux collégiens, à la conscience parfaitement tranquille. Le lundi nous fûmes interrogés les uns après les autres avec beaucoup de ménagements sur nos activités durant la semaine écoulée. Et le mardi matin, après l'expiration des délais de "garde à vue" nos "hôtes" nous mirent gentiment à la porte non sans nous avoir offert le café matinal. Seule, Nicole Dion était retenue pour supplément d'enquête...
Je rentrai chez moi et repris mes activités à l'association. Par la presse j'apprenais alors les motifs des poursuites engagées contre de Massey. Il était accusé d'avoir préparé une 'action" dans la région du Nord en vue d'appuyer en métropole l'insurrection d'Alger... Je n'en fus nullement étonné car il s'agissait d'une activité "permanente" de tous les groupements nationaux favorables à "l'Algérie Française"... Ce qui était un peu plus inquiétant c'est que les révélations de la presse parlaient d'une action "armée". Connaissant bien d'une part les affabulations en usage dans ce domaine, du style "Le général en retraite cachait chez lui des armes de guerre , et d'autre part, les possibilités en la matière des divers mouvements nationaux en France, je n'y attachai pas d'importance. Je regrettais cependant d'avoir manqué le rendez-vous demandé par de Massey, quoique connaissant sa disponibilité et son sens politique, je ne m'inquiétais pas outre mesure.
J'avais le tort aussi de considérer que la fin des 'barricades" marquait la fin de cette affaire.
En effet, le dimanche 7 février, à la levée du jour, nouvelle invasion policière de mon domicile, perquisition dans les règles... Comme je manifestais mon étonnement devant un acharnement aussi ridicule, l'inspecteur Martinez qui semblait diriger l'opération me répondit qu'il s'agissait d'un autre service de police que les précédents déjà intervenus, A l'issue de cette nouvelle perquisition aussi infructueuse que les deux autres, je suis invité à accompagner ces "messieurs" pour signer le procès-verbal. Ce ne sera pas long m'est-il affirmé. Cette fois, je suis conduit à la direction de la Police judiciaire, rue des Saussaies, dans l'immeuble jouxtant celui du ministère de l'Intérieur. Les bureaux sont pratiquement vides. Le responsable qui doit contresigner le P.V. n'est pas arrivé. Je l'attendrai toute la journée. Enfin , dans la soirée je suis pris en charge par deux inspecteurs, MM Delarue et Pouzolles qui me préviennent que je dois rester à leur disposition car il est nécessaire qu'ils s'entretiennent avec moi et qu'il est trop tard. Le lendemain ils reviennent accompagnés d'un troisième personnage, l'inspecteur Riffet qui m'amène au service anthropométrique. Nous y restons un assez long moment car mon identification pose quelques problèmes... Dont "la solution" me permet d'entrevoir les arcanes de ce service.

(à suivre)
Yves Gignac

Les Barricades d'Alger-3-
24-31 janvier 1960


A notre retour au bureau, c'est l'inspecteur Delarue qui me prend à son tour en charge. La journée va se passer en conversations plus qu'en interrogatoires. On parle beaucoup des " évènements " du 13 mai 1958, du rôle que j'y ai joué, des relations que j'avais eues avec ceux qui en avaient été les artisans les généraux Salan, Massu, Chassin, Cherdère, Miquel, Descours, le docteur Martin, Robert Martel, Pierre Lagaillarde, Pierre Joly, Alexandre Sanguinetti, Léon Delbecque, Jacques Soustelle, Roger Frey, Claude Dumont, J.B. Biaggi, le colonel Thomazo, Ortiz... C'est l'inspecteur Delarue qui parle le plus souvent, je me contente d'opiner ou de prendre un air dubitatif. Pour renforcer le climat de confiance qu'il veut visiblement créer entre nous, mon "geôlier' m'invite à déjeuner avec lui à la brasserie qui se trouve en face, rue des Saussaies et qui est le rendez-vous de tous les "en-bourgeois" de la Maison. Je tiens à payer mon écot.., et Delarue, en mon honneur, offre une bouteille de Bordeaux.
Puis la " conversation " reprend. Curieusement, la plupart des noms qui reviennent sont ceux cités dans un ouvrage qui vient de sortir en librairie "Secrets d'État', de Jean-Raymond Tournoux', dont les "bonnes pages" ont paru au cours de 1959 dans un grand quotidien du soir. Je garde pour moi cette impression. Je connais l'auteur qui était venu me demander mon témoignage pour rédiger son livre. À partir de quelques faits exacts il a bâti une passionnante épopée romanesque qui sera l'origine de toutes les légendes sur les journées de mai 58, " les treize complots ", " l'organisation O ", " la nouvelle Cagoule "... Jean-Raymond Tournoux, journaliste peu connu à l'époque, ne m'avait pas caché -sans doute pour me mettre en confiance -qu' il avait entrepris la rédaction de cet ouvrage avec les " encouragements " du cabinet de Michel Debré, sinon du Premier Ministre lui-même.
En fin de journée, je suis informé que ma garde à vue est prolongée de vingt-quatre heures. Le lendemain, changement de décor et d'ambiance. Delarue m'a entraîné dans une pièce vide et isolé parmi d'autres où des travaux de réaménagement sont en cours.
L'attitude de Delarue change brusquement, bien qu'il prétende toujours me parler " en ami ".
" Voilà, me dit-il, je joue cartes sur table. Nous sommes en possession, à travers tous les documents saisis depuis quinze jours et des témoignages, des preuves qui vous font apparaître comme l'élément essentiel sinon le chef du complot ourdi en métropole, en liaison avec Alger, dans le but de renverser le régime et sans doute d'attenter à la vie même du chef de l'État.. Ça va vous valoir une inculpation qui se soldera par une condamnation de détention à perpétuité. J'ai beaucoup d'estime pour vous car vous êtes un patriote sincère, courageux et désintéressé. Je suis convaincu que vous n'avez agi que sous les ordres des véritables patrons de l'affaire, je vous en cite deux Salan et Chassin, il y en a d'autres, sans aucun doute, vous les connaissez. Ils ont abusé de votre bonne foi. Ces gens-là sont à l'abri derrière leurs fonctions et leurs titres, comme toujours dans ce cas, ils vont vous laisser tomber. C'est vous, les " petits ", comme votre copain de Massey, mais lui a senti le vent venu; il a foutu le camp, c'est vous qui allez payer les pots cassés. Pensez à votre femme, à vos enfants. Dites-moi la vérité. Pour votre bien, je vous en supplie, n'ayez pas de scrupules, ils n'en ont pas à votre égard, nous sommes seuls tous les deux... Tenez, pour limiter vos scrupules, limitons-nous à Salan... Il a suffisamment mauvaise réputation, même dans l'armée, et puis... tout le monde sait qu'il est votre " patron ", que vous êtes " son homme ", son " fidèle "... Je vous en prie, tant qu'il est encore temps, libérez votre conscience'


Le puzzle se met en place

J'ai résumé, le tête-à-tête dura toute la journée sans interruption. Au fur et à mesure, se révélaient pour moi tous les fils de la conjuration, celle du Pouvoir. Bien décidé à poursuivre sa criminelle politique, De Gaulle devait abattre Salan, l'homme qui l'avait remis au pouvoir et le seul qui, à ce titre, pouvait lui demander des comptes. En même temps, je ne pouvais qu'apprécier les "qualités" de mon interlocuteur, un bien pitoyable personnage, tantôt séducteur, tantôt menaçant, mais un remarquable " confesseur " promis à un bel avenir dans sa spécialité. Je ne pouvais penser alors que ces "qualités" le conduiraient à devenir un des "historiens officiels " de la Résistance, parmi les plus écoutés...
À la nuit tombante nous redescendîmes auprès des autres inspecteurs et Delarue fut contraint d'avouer à son chef l'insuccès de la mission dont il avait été chargé. Ce qui provoqua un éclat de colère du dit chef, colère accrue par le sourire de satisfaction que je ne pus m'empêcher d'afficher :" La plaisanterie a assez duré, puisque vous n'avez rien pu en tirer qu'on le foute au trou ! "


La prison

Pour la seconde fois de ma vie, je connus les délices d'une nuit à "la Souricière" du "Dépôt". Et le lendemain, 11février, dûment inculpé d'atteinte à la sûreté intérieure de l'État, je fus incarcéré au Quartier des condamnés à mort (la haute-surveillance à l'époque) au rez-de-chaussée de la 2e division de la Santé (cellule 28).
Séjournait déjà dans ces lieux mon ami Pierre Lagaillarde depuis qu'il avait été ramené d'Alger. Nos deux cellules étaient séparées par celle où un jeune criminel, dit "M'sieur Bill", attendait son exécution qui eut lieu quelques mois plus tard. En face de nos trois cellules, sur l'autre travée, trois fellaghas condamnés à mort pour attentats criminels, attendaient dans les chaînes, le juste châtiment de leurs forfaits.
Quelques jours plus tard, lorsque sera levée la période du " secret", nous rejoindrons le 6e division, la Division politique, où nous retrouverons Biaggi, Khaoua, tou s deux députés, et Demarquet. Khaoua sera rapidement libéré et remplacé par Alain de Sérigny.
Le 24 février commençait l'instruction de mon dossier. Elle fut confiée, par chance, au doyen des juges d'instruction, M. Robert Magnin, magistrat d'une très grande expérience et d'une honnêteté parfaite. Au cours des vingt-cinq auditions qui nous mettront face à face, se créa entre nous une estime réciproque assez exceptionnelle. M. Magnin ne négligea aucune démarche pour la manifestation de la vérité :commissions rogatoires à travers toute la France et même à l'étranger, multiples auditions approfondies, transports de justice, convocations de témoins, confrontations...
Me furent ainsi enfin révélés au cours de cette longue procédure les motifs de mon inculpation
- D'abord, mes relations avec Philippe de Massey, délégué régional de l'ACUF pour le Nord de la France, qui avait réalisé dans sa région un remarquable travail d'information et de "mobilisation" des éléments opposés à l'abandon de l'Algérie, qui devait d'ailleurs se concrétiser par une manifestation de solidarité de 30 000 agriculteurs le jeudi 11 février à Amiens.
- Ensuite, une série de réunions au cours desquelles j'avais exposé les raisons morales matérielles aussi impératives les unes que les autres du maintien de la souveraineté française en Algérie et particulièrement l'une d'entre elles donnée en présence de personnalités locales en novembre 1959 à Douai où les termes employés auraient été réputés " incendiaires" par les renseignements généraux...
- Enfin, un certain Henri Poncelet, se présentant comme un informateur " infiltré " dans le "complot destiné à renverser le régime", avait porté contre de Massey et moi des accusations qui nous attribuaient les plus hautes responsabilités dans cette machination criminelle.
L'inanité des accusations portées contre de Massey et d'autres responsables de l'ACUF fut rapidement établie pour ce qui a été réalisé et qui se bornait aux limites d'une action civique voire "politique" tout à fait légitime tant à titre personnel qu'à celui d'une association.
Pour ce qui est de mes "discours", après une exégèse poussée, ils furent qualifiés "enflammés " mais certainement pas " incendiaires " au sens "séditieux"...
Restaient les accusations de Poncelet que je connaissais bien comme un vieux " client" du service social de notre association et que j'avais effectivement reçu à ce titre dans mon bureau de I'ACUF, le 5 janvier 1960, alors que sortant de prison il venait demander un secours pour pouvoir se rendre auprès de sa mère dans les Ardennes. Pour mon malheur, depuis sa déposition à la police le 2 février, Poncelet avait disparu"...
Mais, le 7 août 1960, le quotidien " l'Humanité-Dimanche " publiait sur une page et demie les révélations du " témoin n°l de l'affaire du complot de janvier en métropole ", Henri Poncelet... Un récit rocambolesque truffé d'une quarantaine de noms désignant dans un amalgame assez bien composé des personnalités politiques, des activistes, des militaires et, bien entendu, des inculpés de l'affaire de janvier, sans parler des passages de frontières, des liaisons avec Alger, des dépôts d'armes à l'étranger, de la préparation d'assassinats, etc.
Je communiquai ce document au juge d'instruction et demandai à être confronté à son auteur. M. Magnin fit diligence, Poncelet fut retrouvé en quelques semaines... dans une prison de province où il avait été incarcéré une fois de plus pour grivèlerie...


La confrontation

La confrontation eut lieu le 24 octobre 1960. De façon éclatante, elle révèle la machination montée dans les coulisses du pouvoir pour écarter et réduire définitivement au silence tous ceux qui à quelque niveau pouvaient s'opposer à la politique algérienne du général De Gaulle. Il n'est pas possible de donner ici le compte rendu complet de cette confrontation mais nous en citerons trois courts extraits particulièrement significatifs.
Déclaration du "témoin" Poncelet : "J'ai rétracté déjà dans leur ensemble les déclarations que j'ai faites dans les bureaux de "L'Humanité et qui ont été reproduites dans leur partie essentielle dans le journal l'Humanité-Dimanche' du 7 août 1960 " (Il lui aurait été en effet difficile de maintenir l'ensemble de ces déclarations qui avait servi de base à l'action policière et judiciaire puisqu'il se trouvait en prison pendant la plus grande partie de la période où il aurait exercé sa prétendue mission d'information dans les milieux activistes de Paris et d'Alger.)
Sur question, le témoin Poncelet (Entre le 5janvier 1960, date de sa visite à Gignac, et le 2 février, date de sa première déposition à la police). "Je n'ai eu de contact durant cette période-là qu'avec le S.D.E.C.E. qui m'appointait. Je n'ai rien à ajouter."
Sur question, le témoin Poncelet : précise dans quelles circonstances il a été amené à donner une déposition à la police le 2 février 1960. Ce sont les services du SDECE qui m'ont conseillé d'aller me présenter spontanément (sic) à la police pour y témoigner. C'est Mme Chalandon¹ qui, avec l'accord du général Grossin2, m'a conseillé d'aller me présenter à la police ; M. Frey3 était au courant. A la police j'ai été reçu en premier lieu par M. Dehusses, chef de cabinet de M.Verdier(4). Il fallut attendre trois ans pour connaître l'épilogue de cette écœurante histoire. L'affaire vint en effet le 1er octobre 1963 devant la Cour de sûreté de l'État. On entendit des témoins. " Parmi eux, écrit le 3 octobre, Jean-Marc Théolleyre, le chroniqueur judiciaire du Monde". était M. Albin Chalandon, ancien secrétaire général de l'UNR à qui un certain Poncelet était venu dire à l'époque qu'un attentat se préparait contre lui. Toutefois M. Chalandon n'ignore pas que le rôle de ce Poncelet, entendu souvent au cours de l'instruction est loin d'être clair. Aussi bien ajouta-t-il "Mon témoignage ne peut être que subjectif car cet intermédiaire qui me prévenait n'était pas entièrement digne de foi. Il y avait même chez lui l'intention de tirer quelque avantage de sa démarche." Et le futur ministre se retira sur la pointe des pieds... En attendant le prix de son "dévouement".
Avec quinze autres inculpés, " attendu qu'il ne résulte pas de l'information des charges suffisantes d'avoir commis le crime de complot contre l'autorité de l'État ", je bénéficiai d'un non lieu par ordonnance du 16 août 1963... et l'Algérie était définitivement perdue !
Quarante ans se sont écoulés, pour le jugement de l'Histoire, il n'était pas inutile de rappeler ce dossier.

Yves Gignac
Président de l'Association des Amis de Raoul Salan


* 'SECRETS D'ÉTAT", par JR. Tournoux, Librairie PLON, janvier 1960.
(1) La princesse Salomé Murat, épouse de M. Albin Chalandon, proche du Premier Ministre Michel Debré, secrétaire général de l'U.N.R. et futur ministre de la Justice... Auprès de qui le témoin Poncelet aurait assuré à l'époque des fonctions de "garde du corps" et chez qui il aurait logé à Nice...
(2) Général Grossin, à l'époque directeur du Service Documentation Etudes et Contre-Espionnage (SDECE.).
(3) Roger Frey. ministre de l'Information puis ministre de l'intérieur.
(4) M. Verdier, directeur de la Police Judiciaire.