sur site le 30/10/2002
-13 mai 1958 : Fraternité retrouvée
-Toutes les oblitérations postales porteront, pendant des mois ce message d'amitié entre tous les peuples de notre Algérie Française. C'est dire l'importance historique de ces journées de mai et juin 1958 à la fois si vraies dans la rue et si trompeuses à la tête de l'Etat.
pnha n°68, mai 1998

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note personnelle du site , voilà ce que j'écris sur une autre page : quand je lis cela, quelque chose quelque part me bouleverse...Il me plaît de rêver : après 58, sentant la trahison de De Gaulle, une sécession d'avec la Métropole. (Pourquoi s'accrocher à elle qui ne voulait pas de nous ?) et la bonne volonté de tous, oui, tous,( voir récit ci-dessous) nous auraient permis de construire, maintenir, un pays où nous serions encore. Qui sait ? Utopie ? rêve ? On ne refait pas l'histoire.Mais, intimement, j'ai le sentiment que nous n'avons pas osé et, de ce fait, râté le coche...

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-----Il faisait magnifiquement beau sur Alger et la blancheur de la ville éblouissait ces milliers d'Algérois venus au monument aux morts, square Laferrière, rendre un dernier hommage aux trois soldats du contingent massacrés début mai par le F.L.N.
-----Ces milliers de Français d'Algérie, derrière une forêt de drapeaux tricolores et autant de banderoles, manifestaient ainsi leur attachement à ces soldats venus de Métropole les défendre mais aussi venus protéger les 15 départements de la Province française d'Algérie.
-----La "Marseillaise" retentit faisant frémir, comme à son habitude, tous nos compatriotes qui aussitôt après, scandèrent, comme pour mieux se motiver, "Algérie Française". C'est alors que cette foule comprit combien cette exécution était lâche et cette indignation allait résonner dans la ville, la région puis toute l'Algérie. Cette réaction était légitime face à cette politique d'abandon et de déliquescence de tous les gouvernements de la IVè République moribonde.
-----Les Français d'Algérie, comme d'ailleurs l'armée, souhaitaient à la tête de l'Etat, un gouvernement désireux de garder l'Algérie à la France.
-----Aux chants de la "Marseillaise" et des "Africains", la marée humaine quitte le monument pour se répandre dans la rue et l'arrivée d'autres manifestants ne fait que gonfler le rugissement patriotique de cette foule d'hommes et de femmes qui veulent vivre sur la terre de leurs aieux. Les heures qui vont suivre vont être fondamentales pour la France et dramatiquement historiques pour les Pieds-Noirs.
-----Les slogans fusent de partout. La foule, plus importante que jamais, hurle " Al-gé-rie Fran-çaise" de ces cinq notes qui se mélant à celles de la Marseillaise rendaient le mouvement patriotique et national.
-----Les Algérois prennent d'assaut le Gouvernement Général. Les machines à écrire comme les dossiers volent dans le ciel bleu d'Alger qui fait sa révolution. Alger retrouve pour quelques heures sa place de capitale de la France libre à la place de Paris, trop timorée pour agir cette fois.
-----Un comité de Salut Public est constitué sous la présidence du Général Massu, tandis que le Général Salan assume les pouvoirs civils et militaires.

Soutien général

-----Les civils sont rassurés. Jamais des chefs aussi prestigieux que Massu et Salan ne pourront les trahir.
-----L'armée aussi. Les parachutistes, s'alignant sur le Général Massu, ont participé en masse à cette prise du pouvoir à Alger. Le combat qu'ils mènent en Algérie depuis l'envoi du contingent (23 mai 1956), voici 2 ans presque jour pour jour, prend enfin une signification : garder l'Algérie à la France grâce à de nouvelles institutions d'autant qu'on parle de plus en plus du Général De Gaulle qui se porte garant que jamais De Gaulle et la France n'abandonneront l'Algérie. En donnant sa parole, les militaires sont rassurés. Un tel Général ne pouvait pas se désavouer.
-----Le reste de l'Algérie vivra ces évènements, heure par heure, accroché aux transistors et postes de radio. Oran, dès le soir du 13, conviait sa population à la grève générale et une grande manifestation dès le lendemain au monument aux morts.
-----Et dès le lendemain, rejoignant dans ce mouvement si humain et si émouvant ses compatriotes algérois, toute l' Oranie était sur le Front de mer, pour manifester son soutien aux insurgés d'Alger et là aussi, son désir de rester français sur la terre française d'Algérie.
-----De tous les quartiers d'Oran comme de toute l'Oranie, la foule s'enfle, hurle sa détermination et sa joie quand devant les soldats, gendarmes et C.R.S. médusés, des cortèges de plus en plus denses de Musulmans viennent rejoindre les Européens aux cris de "barakett ! ", " barakett ! ", " ça suffit ! ", " ça suffit !".
-----Les Musulmans à Oran, comme la veille à Alger, manifestaient leur ras-le-bol des meurtres et des rackets dont ils étaient l'objet par la rébellion F.L.N. Ils aspiraient à la paix française de toutes leurs forces. La fraternisation entre toutes les composantes de l'Algérie était manifeste et la presse du monde entier sur place ne se privait pas de l'écrire et de le dire.

La fraternité

-----Comme le racontera José Castano, dans "les larmes de la Passion", avec tout le talent qu'on lui connaît, "le flot des musulmans déferle. Ils furent d'abord 5 000 puis 10 000 ; à présent ils sont 30 000, puis 50 000, hommes, femmes, enfants, chantant des "Marseillaise" et agitant des drapeaux tricolores. Les deux foules se mêlent, se pénètrent... et c'est la fusion dans la chaleur de ce four où trois cent mille personnes s'embrassent, s'étreignent et rient.
-----Pour la première fois, une race neuve prend conscience d'elle-même. Ce n'est pas une voix isolée qui crie et qui chante sa joie au hasard de l'inspiration. C'est tout un choeur de jeunes volontés qui s'accordent dans un même rythme, qui se sont groupées avec intention et qui savent parfaitement ce qu'elles veulent : une Algérie unie, une Algérie fraternelle, une Algérie en paix.
- Arrachez vos voiles ! ordonna une femme musulmane à un petit groupe de jeunes filles, vous êtes libres ! Les haïks tombent un à un. Musulmans et Européens pleurent maintenant...
- Pourquoi avons-nous attendu si longtemps, demanda un vieil Arabe, bardé de décorations ?
- Oui, pourquoi ? lui répondit un ancien combattant européen. C'était pourtant bien simple !
»
-----Pendant ce temps, les Français de métropole, à l'écoute permanente de la situation, s'interrogent avec anxiété. Ils n'ont pas toujours suivi de très près les " évènements d'Algérie". Ils ont conscience de se trouver devant les prémices d'un coup d'Etat. Les organisations syndicales s'agitent. Force Ouvrière lance un appel au calme, mais la C.G.T. affirme que " La classe ouvrière s'unira pour balayer les factieux", et les enseignants du Syndicat national des instituteurs et de la F.E.N. se proposent de "défendre les institutions menacées" !...
-----Les femmes musulmanes, maintenant, brûlent leur voile en place publique. Se tenant par la main, elles dansent autour du feu en lançant des " you-you" stridents. L'une d'elles crie : " On en a marre d'être des musulmanes ; on veut être des Françaises comme les autres !"
-----Dès lors, il n'y a plus d'Européens, de Pieds-Noirs, d'Arabes et de Kabyles. Il n'y a plus que des Français qui s'ouvrent fraternellement les bras en un courant irréversible poussé par des forces diverses ; il n'y a plus que des "Français à part entière !"
-----L'officier l'autorise à s'adresser à la foule. Elle parle. Dans un français excellent, elle lance "son message". Timidement d'abord, puis avec flamme, comme portée par une force irrésistible.
-----A cette même heure, dans toutes les villes d'Algérie, les défilés sont organisés avec, à leur tête, des cortèges de musulmans, anciens combattants, follement acclamés.
-----Mais ce qui frappe, plus que tout le reste, c'est de voir, ce qui voilà quelques semaines seulement paraissait impensable, irréalisable, utopique, impossible, cette agglomération, coude à coude, d' Européens, de musulmans, mêlés, entassés dans une foule anonyme, souriants, fraternels. Et tout cela sans qu'il se trouve un criminel pour faire le geste coutumier : lancer une grenade. Voilà bien le miracle du 13 mai !
-----Les journalistes qui pensent réussir là le "reportage du siècle" ne savent plus où donner de la tête. Ils ont peine à croire ce qu'ils voient !
Les militaires français ne demeurent pas insensibles à cette allégresse générale. Pour cette armée qui a perdu toute confiance dans le pouvoir et le haut commandement qui en dépend directement, ce 13 mai a éclaté comme un coup de tonnerre. Le général Salan a crié : "Vive De Gaulle !" De Gaulle, pour l'armée et pour la population d'Algérie ? musulmans et Européens ? ce ne peut être que le sauveur et il va revenir, lui, le chef, l'allié difficile, lui qui ne se laisse pas contraindre par l'opinion. C'est la chance de l'Algérie. Pour ceux qui attendaient, l'âme rongée, la nouvelle défaite, c'est la fin du drame. C'est un prodige !
-----Pourtant des comités de salut public jaillissent spontanément à côté des autorités régulières. Les ralliements affluent. Chacun veut participer à la résurrection.
-----Les jours suivants, les Musulmans arrivent de plus en plus nombreux tant à Oran, qu'à Alger, à Bône et à Constantine. Des quatre départements d'Algérie, ils accourent ! Les camions de l'armée et ceux des colons ne sont pas assez nombreux pour les transporter. Pour la première fois depuis le déclenchement de la révolte, dans les villes, dans les villages, et même dans les mechtas crasseuses au pied des djebels, les musulmans comprennent ce qui se passe. Ils ont dans les yeux cette lueur de ceux qui trouvent que la vie vaut la peine d'être vécue. Un immense soulagement gagne toute l'Algérie.

 

C'EST UN MIRACLE

-----Dans les unités rebelles, moribondes, découragées, ahuries par ce qu'elles voyaient, les chefs fellaghas n'osaient plus donner d'ordres à leurs hommes de peur de les voir déserter. A aucun moment, ils ne s'étaient manisfestés. Le miracle du 13 mai avait bien lieu...
-----En guise de coup de grâce asséné à la rébellion, le 17 mai au soir, un groupe de jeunes musulmanes en haïk bleu, un autre en blanc, un troisième en rouge firent de leurs voiles un drapeau qu'ils offrirent à Alger à Jacques Soustelle, un des plus fervents défenseurs de l'Algérie Française, en signe de l'espoir qu'elles fondaient sur cette "révolution".
-----Qui donc a pu changer ce peuple à ce point ? Simplement une immense espérance... celle de voir enfin se terminer cette guerre fratricide parce que la France s'est enfin prononcée ; parce que la France le veut ; et parce que, si elle le veut, rapidement, elle saura faire régner ici l'ordre, la justice et abattre la terreur.
-----Pour couronner ces journées d'exaltation, le général De Gaulle vint visiter ceux auxquels il devait d'avoir repris la barre.
-----Il est difficile de décrire l'explosion de joie qui souleva toute l'Algérie quand la caravelle survola Alger et quand le général posa le pied sur le sol algérien...
-----Tout commença sous un soleil éclatant, le mercredi 4 juin, à 1lh33, quand la caravelle présidentielle se posa sur le terrain de Maison-Blanche. Lorsque le général De Gaulle en descendit en uniforme, ce fut une rumeur formidable qui fit vibrer Alger tandis que les sirènes des bateaux mouillés dans le port répondirent au tintamarre des avertisseurs de voitures scandant inlassablement les trois brèves et les deux longues : "Al-gé-rie-fran-çaise ! "
-----Figé dans la gloire de l'éternité, fendant la marée des acclamations sous le soleil qui frappait les banderoles, les croix de Lorraine, les arcs de triomphe autour desquels se pressait le petit peuple, le général, de la main droite saluait la foule avec ces mots : "Merci, merci pour la France !"
-----Il marchait droit, immense, la tête en arrière. Une Marseillaise éclata, reprise en choeur par des milliers de poitrines clans ce remous d'où, seul, émergeait son képi beige.
-----Les Pieds-Noirs avaient voulu De Gaulle ? L' armée avait voulu De Gaulle ? Eh bien, De Gaulle était là, perdu dans cette foule touffue, étouffante, qui couvrait la ville jusqu'au port, jusqu'à la mer bouillant sous le soleil.
-----Puis, brutalement, comme s'il voulait serrer la foule sur sa poitrine, il se jeta en avant, lança ses bras comme des épées pour arracher les cris d'amour et de foi et cria la phrase qui lui paraissait tout résumer : " Je vous ai compris!"
-----Une explosion de cris et d'applaudissements lui fit écho, mais, dans la foule transportée, un spectateur demanda tout de même à son voisin ;
- Qu'est-ce qu'il veut dire par là ?
-----L'autre le regarda et, d'une grimace, fit comprendre qu'il ignorait la réponse.
-----Le premier insista :
- On lui demande pas de comprendre... On lui demande de sauver !
- Peut-être qu'il veut qu'on fasse ce qu'il demande, répondit le voisin.
- Si c'est pour l'Algérie française, il n'a qu'à demander ce qu'il veut !...
Le général parlait toujours
-----«Je sais ce qui s'est passé ici ! Je vois ce que vous avez voulu. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie est celle de la rénovation et de la fraternité. Eh bien, de tout cela je prends acte... A partir d'aujourd'hui, la France considère que dans toute l'Algérie il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants, il n'y a que des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs".
-----La fraternisation prônée par De Gaulle signifiait l'intégration, et
cette intégration signifiait non seulement l'égalité des droits entre Français et Musulmans sur le sol algérien, mais entre Français de France, Français d'Algérie et citoyens français d'origine musulmane d'une rive à l'autre de la Méditerranée.
-----Mais dans l'allégresse générale, personne n'entendit le dialogue de deux journalistes présents sur les lieux
- Que de naïveté chez ces gens ! Il est en train de les rouler dans la farine de main de maître et pas un ne s'en aperçoit !
-Ce sont de grands enfants qui aiment... et ils sont aveugles ! Toutes ces belles phrases leur arrivent dans les narines comme d'énormes doses d'anesthésique à endormir un boeuf... mais il va y avoir un de ces réveils !...
-----Les Algérois rentrent chez eux, au soir de ce 4 juin, ivres de tumultes, de clameurs, d'enthousiasme, de ferveur et de joie.
-----Le 6 juin, à Oran, la caravelle, escortée de "Mistral" en formation de " V", fait son tour d'honneur, puis, après une longue attente pendant laquelle on évacuait des dizaines d'évanouis, le général De Gaulle émergea sur le podium, dressé face au champ de manoeuvre. Il aurait fallu être d'acier pour ne pas trembler à l'immense clameur qui l'accueillit... c'était toute la détresse des voix derrière le triomphe des cris...
-----A deux pas de l'estrade, un vieillard accablé de chaleur refusait de se laisser évacuer avant "son" arrivée, parce qu'il voulait "le" voir.
Là, le général De Gaulle déclara : "L'Algérie est une terre française, organiquement, aujourd'hui et pour toujours."
"La France est ici avec sa vocation. Elle est ici pour TOUJOURS!"
-----Et ce même jour, à Mostaganem, de conclure : «Il n'y a plus ici, je le proclame au nom de la France, et je vous en donne ma parole, que des Français à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères qui marcheront, désormais, la main dans la main".
"Mostaganem, merci. Merci du fond du coeur, le coeur d'un homme qui sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'Histoire. Merci d'avoir témoigné pour moi en même temps que pour la France"
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-----C'est alors pour la première fois, la phrase qui, quelques années plus tard, paraîtra si amère à tous les pieds-noirs: "Vive l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la France !" Ces mots, «Algérie française», provoquèrent l'enthousiasme délirant de la foule et de tous ceux qui, à cette seconde, en quelque lieu du territoire qu'ils se trouvaient, étaient rivés à leurs transistors.
-----Comment ne serait-on pas heureux en ce 6 juin 1958 ? De Gaulle ne venait-il pas de reconnaître qu'il devait aux Algériens son retour au pouvoir ?
-----Et surtout, n'avait-il pas enfin donné sa parole que cette terre d'Afrique du Nord resterait française ?
-----Pour l'homme de la rue, en Algérie, un souffle historique brûlant avait balayé le pays...
-----Ce qui fit la beauté de ces inoubliables semaines, c'est la manière dont ces Français, sans contrainte extérieure, chantèrent des chants "français", hurlèrent des slogans "français", agitèrent des drapeaux "français".
-----De retour à Paris, le général De Gaulle se met au travail. Fort des pleins pouvoirs et de la loi constitutionnelle, il va pouvoir façonner à sa mesure la Ve République.
-----André Malraux s'écrie : «Maintenant, on va pouvoir gouverner !", tandis que Mme Salan confie à son époux : «Vous avez tiré les marrons du feu. De Gaulle s'est joué de vous. Vous avez mis dans la place le renard qui vous délogera..."
-----Cependant, gouverner, pour le nouveau régime, cela veut dire décoloniser la communauté et régler le problème algérien. C'est maintenant que se noue le drame pour un million de Français.
-----Dans les mois qui vont suivre, ils constateront, avec chaque fois un peu plus de colère et d'amertume, que la politique de De Gaulle s'écarte de plus en plus des grandes espérances nées au soir du 13 mai et nourries par les promesses des premiers discours.
-----Si les Français, dans leur immense majorité, avaient salué le retour de De Gaulle au pouvoir comme la fin d'une IVè République qu'ils exécraient pour son impuissance et pour les palinodies de ses politiciens, ce retour n'a pu s'effectuer que par le fait et par la force des partisans de l'Algérie française.
-----C'est sur cette équivoque que va se fonder la Ve République... et elle va entraîner une tragédie...