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-----Il faisait magnifiquement beau sur Alger
et la blancheur de la ville éblouissait ces milliers d'Algérois
venus au monument aux morts, square Laferrière, rendre un dernier
hommage aux trois soldats du contingent massacrés début
mai par le F.L.N.
-----Ces milliers de Français d'Algérie,
derrière une forêt de drapeaux tricolores et autant de banderoles,
manifestaient ainsi leur attachement à ces soldats venus de Métropole
les défendre mais aussi venus protéger les 15 départements
de la Province française d'Algérie.
-----La "Marseillaise" retentit
faisant frémir, comme à son habitude, tous nos compatriotes
qui aussitôt après, scandèrent, comme pour mieux se
motiver, "Algérie Française". C'est alors que
cette foule comprit combien cette exécution était lâche
et cette indignation allait résonner dans la ville, la région
puis toute l'Algérie. Cette réaction était légitime
face à cette politique d'abandon et de déliquescence de
tous les gouvernements de la IVè République moribonde.
-----Les Français d'Algérie,
comme d'ailleurs l'armée, souhaitaient à la tête de
l'Etat, un gouvernement désireux de garder l'Algérie à
la France.
-----Aux chants de la "Marseillaise"
et des "Africains", la marée humaine quitte le monument
pour se répandre dans la rue et l'arrivée d'autres manifestants
ne fait que gonfler le rugissement patriotique de cette foule d'hommes
et de femmes qui veulent vivre sur la terre de leurs aieux. Les heures
qui vont suivre vont être fondamentales pour la France et dramatiquement
historiques pour les Pieds-Noirs.
-----Les slogans fusent de partout. La foule,
plus importante que jamais, hurle " Al-gé-rie Fran-çaise"
de ces cinq notes qui se mélant à celles de la Marseillaise
rendaient le mouvement patriotique et national.
-----Les Algérois prennent d'assaut
le Gouvernement Général. Les machines à écrire
comme les dossiers volent dans le ciel bleu d'Alger qui fait sa révolution.
Alger retrouve pour quelques heures sa place de capitale de la France
libre à la place de Paris, trop timorée pour agir cette
fois.
-----Un comité de Salut Public est
constitué sous la présidence du Général Massu,
tandis que le Général Salan assume les pouvoirs civils et
militaires.
Soutien général
-----Les civils
sont rassurés. Jamais des chefs aussi prestigieux que Massu et
Salan ne pourront les trahir.
-----L'armée aussi. Les parachutistes,
s'alignant sur le Général Massu, ont participé en
masse à cette prise du pouvoir à Alger. Le combat qu'ils
mènent en Algérie depuis l'envoi du contingent (23 mai 1956),
voici 2 ans presque jour pour jour, prend enfin une signification : garder
l'Algérie à la France grâce à de nouvelles
institutions d'autant qu'on parle de plus en plus du Général
De Gaulle qui se porte garant que jamais De Gaulle et la France n'abandonneront
l'Algérie. En donnant sa parole, les militaires sont rassurés.
Un tel Général ne pouvait pas se désavouer.
-----Le reste de l'Algérie vivra ces
évènements, heure par heure, accroché aux transistors
et postes de radio. Oran, dès le soir du 13, conviait sa population
à la grève générale et une grande manifestation
dès le lendemain au monument aux morts.
-----Et dès le lendemain, rejoignant
dans ce mouvement si humain et si émouvant ses compatriotes algérois,
toute l' Oranie était sur le Front de mer, pour manifester son
soutien aux insurgés d'Alger et là aussi, son désir
de rester français sur la terre française d'Algérie.
-----De tous les quartiers d'Oran comme de
toute l'Oranie, la foule s'enfle, hurle sa détermination et sa
joie quand devant les soldats, gendarmes et C.R.S. médusés,
des cortèges de plus en plus denses de Musulmans viennent rejoindre
les Européens aux cris de "barakett ! ", " barakett
! ", " ça suffit ! ", " ça suffit !".
-----Les Musulmans à Oran, comme la
veille à Alger, manifestaient leur ras-le-bol des meurtres et des
rackets dont ils étaient l'objet par la rébellion F.L.N.
Ils aspiraient à la paix française de toutes leurs forces.
La fraternisation entre toutes les composantes de l'Algérie était
manifeste et la presse du monde entier sur place ne se privait pas de
l'écrire et de le dire.
La fraternité
-----Comme le racontera
José Castano, dans "les larmes de la Passion", avec tout
le talent qu'on lui connaît, "le flot
des musulmans déferle. Ils furent d'abord 5 000 puis 10 000 ; à
présent ils sont 30 000, puis 50 000, hommes, femmes, enfants,
chantant des "Marseillaise" et agitant des drapeaux tricolores.
Les deux foules se mêlent, se pénètrent... et c'est
la fusion dans la chaleur de ce four où trois cent mille personnes
s'embrassent, s'étreignent et rient.
-----Pour la
première fois, une race neuve prend conscience d'elle-même.
Ce n'est pas une voix isolée qui crie et qui chante sa joie au
hasard de l'inspiration. C'est tout un choeur de jeunes volontés
qui s'accordent dans un même rythme, qui se sont groupées
avec intention et qui savent parfaitement ce qu'elles veulent : une Algérie
unie, une Algérie fraternelle, une Algérie en paix.
- Arrachez vos voiles ! ordonna une femme musulmane à un petit
groupe de jeunes filles, vous êtes libres ! Les haïks tombent
un à un. Musulmans et Européens pleurent maintenant...
- Pourquoi avons-nous attendu si longtemps, demanda un vieil Arabe, bardé
de décorations ?
- Oui, pourquoi ? lui répondit un ancien combattant européen.
C'était pourtant bien simple !»
-----Pendant ce temps, les Français
de métropole, à l'écoute permanente de la situation,
s'interrogent avec anxiété. Ils n'ont pas toujours suivi
de très près les " évènements d'Algérie".
Ils ont conscience de se trouver devant les prémices d'un coup
d'Etat. Les organisations syndicales s'agitent. Force Ouvrière
lance un appel au calme, mais la C.G.T. affirme que " La
classe ouvrière s'unira pour balayer les factieux",
et les enseignants du Syndicat national des instituteurs et de la F.E.N.
se proposent de "défendre les institutions
menacées" !...
-----Les femmes musulmanes, maintenant, brûlent
leur voile en place publique. Se tenant par la main, elles dansent autour
du feu en lançant des " you-you" stridents. L'une d'elles
crie : " On en a marre d'être des
musulmanes ; on veut être des Françaises comme les autres
!"
-----Dès lors, il n'y a plus d'Européens,
de Pieds-Noirs, d'Arabes et de Kabyles. Il n'y a plus que des Français
qui s'ouvrent fraternellement les bras en un courant irréversible
poussé par des forces diverses ; il n'y a plus que des "Français
à part entière !"
-----L'officier l'autorise à s'adresser
à la foule. Elle parle. Dans un français excellent, elle
lance "son message". Timidement d'abord, puis avec flamme, comme
portée par une force irrésistible.
-----A cette même heure, dans toutes
les villes d'Algérie, les défilés sont organisés
avec, à leur tête, des cortèges de musulmans, anciens
combattants, follement acclamés.
-----Mais ce qui frappe, plus que tout le
reste, c'est de voir, ce qui voilà quelques semaines seulement
paraissait impensable, irréalisable, utopique, impossible, cette
agglomération, coude à coude, d' Européens, de musulmans,
mêlés, entassés dans une foule anonyme, souriants,
fraternels. Et tout cela sans qu'il se trouve un criminel pour faire le
geste coutumier : lancer une grenade. Voilà bien le miracle du
13 mai !
-----Les journalistes qui pensent réussir
là le "reportage du siècle" ne savent plus où
donner de la tête. Ils ont peine à croire ce qu'ils voient
!
Les militaires français ne demeurent pas insensibles à cette
allégresse générale. Pour cette armée qui
a perdu toute confiance dans le pouvoir et le haut commandement qui en
dépend directement, ce 13 mai a éclaté comme un coup
de tonnerre. Le général Salan a crié : "Vive
De Gaulle !" De Gaulle, pour l'armée et pour la population
d'Algérie ? musulmans et Européens ? ce ne peut être
que le sauveur et il va revenir, lui, le chef, l'allié difficile,
lui qui ne se laisse pas contraindre par l'opinion. C'est la chance de
l'Algérie. Pour ceux qui attendaient, l'âme rongée,
la nouvelle défaite, c'est la fin du drame. C'est un prodige !
-----Pourtant des comités de salut
public jaillissent spontanément à côté des
autorités régulières. Les ralliements affluent. Chacun
veut participer à la résurrection.
-----Les jours suivants, les Musulmans arrivent
de plus en plus nombreux tant à Oran, qu'à Alger, à
Bône et à Constantine. Des quatre départements d'Algérie,
ils accourent ! Les camions de l'armée et ceux des colons ne sont
pas assez nombreux pour les transporter. Pour la première fois
depuis le déclenchement de la révolte, dans les villes,
dans les villages, et même dans les mechtas crasseuses au pied des
djebels, les musulmans comprennent ce qui se passe. Ils ont dans les yeux
cette lueur de ceux qui trouvent que la vie vaut la peine d'être
vécue. Un immense soulagement gagne toute l'Algérie.
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C'EST UN MIRACLE
-----Dans les unités
rebelles, moribondes, découragées, ahuries par ce qu'elles
voyaient, les chefs fellaghas n'osaient plus donner d'ordres à
leurs hommes de peur de les voir déserter. A aucun moment, ils
ne s'étaient manisfestés. Le miracle du 13 mai avait bien
lieu...
-----En guise de coup de grâce asséné
à la rébellion, le 17 mai au soir, un groupe de jeunes musulmanes
en haïk bleu, un autre en blanc, un troisième en rouge firent
de leurs voiles un drapeau qu'ils offrirent à Alger à Jacques
Soustelle, un des plus fervents défenseurs de l'Algérie
Française, en signe de l'espoir qu'elles fondaient sur cette "révolution".
-----Qui donc a pu changer ce peuple à
ce point ? Simplement une immense espérance... celle de voir enfin
se terminer cette guerre fratricide parce que la France s'est enfin prononcée
; parce que la France le veut ; et parce que, si elle le veut, rapidement,
elle saura faire régner ici l'ordre, la justice et abattre la terreur.
-----Pour couronner ces journées d'exaltation,
le général De Gaulle vint visiter ceux auxquels il devait
d'avoir repris la barre.
-----Il est difficile de décrire l'explosion
de joie qui souleva toute l'Algérie quand la caravelle survola
Alger et quand le général posa le pied sur le sol algérien...
-----Tout commença sous un soleil
éclatant, le mercredi 4 juin, à 1lh33, quand la caravelle
présidentielle se posa sur le terrain de Maison-Blanche. Lorsque
le général De Gaulle en descendit en uniforme, ce fut une
rumeur formidable qui fit vibrer Alger tandis que les sirènes des
bateaux mouillés dans le port répondirent au tintamarre
des avertisseurs de voitures scandant inlassablement les trois brèves
et les deux longues : "Al-gé-rie-fran-çaise ! "
-----Figé dans la gloire de l'éternité,
fendant la marée des acclamations sous le soleil qui frappait les
banderoles, les croix de Lorraine, les arcs de triomphe autour desquels
se pressait le petit peuple, le général, de la main droite
saluait la foule avec ces mots : "Merci, merci pour la France !"
-----Il marchait droit, immense, la tête
en arrière. Une Marseillaise éclata, reprise en choeur par
des milliers de poitrines clans ce remous d'où, seul, émergeait
son képi beige.
-----Les Pieds-Noirs avaient voulu De Gaulle
? L' armée avait voulu De Gaulle ? Eh bien, De Gaulle était
là, perdu dans cette foule touffue, étouffante, qui couvrait
la ville jusqu'au port, jusqu'à la mer bouillant sous le soleil.
-----Puis, brutalement, comme s'il voulait
serrer la foule sur sa poitrine, il se jeta en avant, lança ses
bras comme des épées pour arracher les cris d'amour et de
foi et cria la phrase qui lui paraissait tout résumer : "
Je vous ai compris!"
-----Une explosion de cris et d'applaudissements
lui fit écho, mais, dans la foule transportée, un spectateur
demanda tout de même à son voisin ;
- Qu'est-ce qu'il veut dire par là ?
-----L'autre le regarda et, d'une grimace,
fit comprendre qu'il ignorait la réponse.
-----Le premier insista :
- On lui demande pas de comprendre... On lui demande de sauver !
- Peut-être qu'il veut qu'on fasse ce qu'il demande, répondit
le voisin.
- Si c'est pour l'Algérie française, il n'a qu'à
demander ce qu'il veut !...
Le général parlait toujours
-----«Je sais
ce qui s'est passé ici ! Je vois ce que vous avez voulu. Je vois
que la route que vous avez ouverte en Algérie est celle de la rénovation
et de la fraternité. Eh bien, de tout cela je prends acte... A
partir d'aujourd'hui, la France considère que dans toute l'Algérie
il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants, il n'y a que des Français
à part entière avec les mêmes droits et les mêmes
devoirs".
-----La fraternisation prônée
par De Gaulle signifiait l'intégration, et
cette intégration signifiait non seulement l'égalité
des droits entre Français et Musulmans sur le sol algérien,
mais entre Français de France, Français d'Algérie
et citoyens français d'origine musulmane d'une rive à l'autre
de la Méditerranée.
-----Mais dans l'allégresse générale,
personne n'entendit le dialogue de deux journalistes présents sur
les lieux
- Que de naïveté chez ces gens ! Il est en train de les rouler
dans la farine de main de maître et pas un ne s'en aperçoit
!
-Ce sont de grands enfants qui aiment... et ils sont aveugles ! Toutes
ces belles phrases leur arrivent dans les narines comme d'énormes
doses d'anesthésique à endormir un boeuf... mais il va y
avoir un de ces réveils !...
-----Les Algérois rentrent chez eux,
au soir de ce 4 juin, ivres de tumultes, de clameurs, d'enthousiasme,
de ferveur et de joie.
-----Le 6 juin, à Oran, la caravelle,
escortée de "Mistral" en formation de " V",
fait son tour d'honneur, puis, après une longue attente pendant
laquelle on évacuait des dizaines d'évanouis, le général
De Gaulle émergea sur le podium, dressé face au champ de
manoeuvre. Il aurait fallu être d'acier pour ne pas trembler à
l'immense clameur qui l'accueillit... c'était toute la détresse
des voix derrière le triomphe des cris...
-----A deux pas de l'estrade, un vieillard
accablé de chaleur refusait de se laisser évacuer avant
"son" arrivée, parce qu'il voulait "le" voir.
Là, le général De Gaulle déclara : "L'Algérie
est une terre française, organiquement, aujourd'hui et pour toujours."
"La France est ici avec sa vocation. Elle
est ici pour TOUJOURS!"
-----Et ce même jour, à Mostaganem,
de conclure : «Il n'y a plus ici, je le
proclame au nom de la France, et je vous en donne ma parole, que des Français
à part entière, des compatriotes, des concitoyens, des frères
qui marcheront, désormais, la main dans la main".
"Mostaganem, merci. Merci du fond du coeur, le coeur d'un homme qui
sait qu'il porte une des plus lourdes responsabilités de l'Histoire.
Merci d'avoir témoigné pour moi en même temps que
pour la France".
-----C'est alors pour la première
fois, la phrase qui, quelques années plus tard, paraîtra
si amère à tous les pieds-noirs: "Vive
l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la
France !" Ces mots, «Algérie française»,
provoquèrent l'enthousiasme délirant de la foule et de tous
ceux qui, à cette seconde, en quelque lieu du territoire qu'ils
se trouvaient, étaient rivés à leurs transistors.
-----Comment ne serait-on pas heureux en
ce 6 juin 1958 ? De Gaulle ne venait-il pas de reconnaître qu'il
devait aux Algériens son retour au pouvoir ?
-----Et surtout, n'avait-il pas enfin donné
sa parole que cette terre d'Afrique du Nord resterait française
?
-----Pour l'homme de la rue, en Algérie,
un souffle historique brûlant avait balayé le pays...
-----Ce qui fit la beauté de ces inoubliables
semaines, c'est la manière dont ces Français, sans contrainte
extérieure, chantèrent des chants "français",
hurlèrent des slogans "français", agitèrent
des drapeaux "français".
-----De retour à Paris, le général
De Gaulle se met au travail. Fort des pleins pouvoirs et de la loi constitutionnelle,
il va pouvoir façonner à sa mesure la Ve République.
-----André Malraux s'écrie
: «Maintenant, on va pouvoir gouverner
!", tandis que Mme Salan confie à son époux
: «Vous avez tiré les marrons du
feu. De Gaulle s'est joué de vous. Vous avez mis dans la place
le renard qui vous délogera..."
-----Cependant, gouverner, pour le nouveau
régime, cela veut dire décoloniser la communauté
et régler le problème algérien. C'est maintenant
que se noue le drame pour un million de Français.
-----Dans les mois qui vont suivre, ils constateront,
avec chaque fois un peu plus de colère et d'amertume, que la politique
de De Gaulle s'écarte de plus en plus des grandes espérances
nées au soir du 13 mai et nourries par les promesses des premiers
discours.
-----Si les Français, dans leur immense
majorité, avaient salué le retour de De Gaulle au pouvoir
comme la fin d'une IVè République qu'ils exécraient
pour son impuissance et pour les palinodies de ses politiciens, ce retour
n'a pu s'effectuer que par le fait et par la force des partisans de l'Algérie
française.
-----C'est sur cette équivoque que
va se fonder la Ve République... et elle va entraîner une
tragédie...
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