sur site le 29/05/2002
-De Gaulle était-il paranoïaque ?
Rédaction de PNHA : « Le professeur Destaing nous a
autorisé à reproduire en extinso, une partie de sa remarquable conférence (que nous recommandons) sur le pouvoir et la Folie en Méditerranée de l'Antiquité à nos jours. Après Caligula et avec Néron, il s'intéressa à Staline, Hitler et... De Gaulle.
»
pnha n°57

17 Ko / 10 s
retour
 
-------Dans la seconde moitié de notre XXè siècle, le pouvoir et la folie sont revenus en Méditerranée. La raison en est fort simple. Depuis la bombe atomique, il existe un équilibre de la terreur. D'où la fin des guerres mondiales. On se bat désormais autour de Mare Nostrum, comme dans l'Antiquité. Il y a sans doute plusieurs raisons à cela, mais la première est incontestablement le pétrole, l'or noir, parce qu'il apporte la puissance économique. Or, il suffit de regarder une carte pour voir que le pétrole se trouve dans les pays arabes. Le résultat, c'est qu'on va voir cinq déséquilibrés en Méditerranée, quatre conquérants arabes (Bourguiba, Khadafi, Sadam Hussein, Khomeny), et De Gaulle.
-------Les Pieds-Noirs le savaient depuis plus de trente ans, mais le livre d'Alain Peyrefitte est en train de le démontrer aux Français : de Gaulle est un paranoïaque ! Son livre "C'était De Gaulle", qui vient de paraître, apporte un témoignage irréfutable, car l'auteur transcrivait chaque soir sur ses carnets les notes qu'il prenait le jour au cours des Conseils des ministres et de trois cents entretiens en tête à tête avec le général. Il parle aujourd'hui après un délai légal - et moral, dit-il - de trente ans. Le résultat est un livre explosif, où la statue du commandeur, sculptée avec soin par les historiens gaullistes, sort passablement effritée.
-------De Gaulle était tout d'abord ivre de grandeur. On savait déjà qu'il se prenait pour Dieu le Père, un peu comme Mitterrand dans le Bébête Show. Vous vous souvenez de l'anecdote qu'on racontait en Algérie. Lorsque De Gaulle arrive au ciel, il s'assied au centre de la table. "Non, c'est la place de Dieu, lui dit Saint Pierre ? Ça ne fait rien, répond De Gaulle, je le prendrai à ma droite". Mon ami Georges Duboucher m'a encore raconté une anecdote dont il a été le témoin et où De Gaulle parlait de lui à la troisième personne. A Colombey les deux églises, le dimanche, à la messe, De Gaulle dialoguait d'ailleurs avec les grands personnages de l'Histoire de France, comme l'a expliqué Alain Peyrefitte à Alain Duhamel. "Savez-vous pourquoi il se mettait invariablement au dixième rang ? Parce que c'est la seule place d'où il pouvait voir à la fois le vitrail de Jeanne d'Arc d'un côté et le vitrail de Saint-Louis de l'autre côté". De Gaulle aimait Jeanne d'Arc parce que c'est elle qui a sû le mieux parler de la résistance à l'envahisseur. Il citait souvent un passage de son procès. A son juge qui lui disait "Mais Dieu aime les Anglais", Jeanne d'Arc n'avait-elle pas répondu "Il aime les Anglais, mais chez eux !" . Avec Saint Louis, De Gaulle aimait aussi dialoguer parce que c'est lui qui a sû le mieux parler de la grandeur de la France. Voilà qui nous rappelle cependant Ivan le Terrible, parlant à Dieu chaque soir, dans sa chapelle, ou lui écrivant avant sa mort.
-------Mais De Gaulle avait un second trait de la paranoïa, il était ivre de rigueur. Et c'est cette rigueur fanatique qui le poussait tout droit au racisme. Ecoutez ce qu'il dit des Musulmans à Alain Peyrefitte. "Les Musulmans, vous êtes allé les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français... Nous ne pouvons pas tenir à bout de bras cette population... prolifique comme des lapins... Les Arabes sont des Arabes et les Français sont des Français". Ecoutez ce qu'il dit des Noirs "On a prétendu faire des Nègres de bons Français. On leur a fait réciter "Nos ancêtres les Gaulois". Ce n'était pas très malin". Ecoutez-le parler des Pieds-Noirs:"Pendant la guerre, ces gens-là ne nous aimaient pas... C'est de la mauvaise graine, des blousons noirs".
-------Et voici ce qu'il dit encore de l'intégration "Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants (pour sûr, il pensait à Soustelle). Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau... L'intégration est une entourloupette... un tour de passe-passe puéril... un attrape-couillons... (si nous faisions l'intégration) mon village ne s'appellerait plus Colombey les deux églises, mais Colombey les deux mosquées !" . Et voici ce qu'il répond quand on lui parle des Français d'Algérie "L'Algérie Française, ce serait le tonneau des Danaïdes... une boite à scorpions... un effort ruineux... un terrible boulet. Il faut le détacher". C'est cette rigueur intransigeante, absolue, qui fait comprendre pourquoi De Gaulle était incapable de faire du sentiment. Lorsque Peyrefitte lui demande quelques phrases de compassion pour les Pieds-Noirs qui traversent la Méditerranée après les accords d'Evian, il se heurte à un non absolu. "Voilà qui eut pourtant évité plusieurs milliers de morts" déplore Peyrefitte.
 

-------De Gaulle avait un troisième trait de la paranoïa, sa fureur. Lui aussi terrorisait son entourage. A preuve, cette anecdote sur son aide de camp, le colonel de Bonneval. Alain Peyrefitte raconte qu'il se présente un jour à un rendez-vous du général avec trois minutes d'avance "Monsieur le député, vous arrivez à dix heures moins trois pour dix heures. C'est un peu juste pour une audience du général... II vaut mieux se donner un quart d'heure d'avance... Si vous aviez un pneu crevé, nous serions dans de beaux draps !".
-------C'est cette fureur qui aide à comprendre son cynisme. Cynisme avec les Pieds-Noirs. Lorsque Alain Peyrefitte lui parle de leur exode "Il n'y a pas d'exode, tranche le général... Ce sont des vacanciers... des repliés". D'où son erreur criminelle. Car il croit qu'il n'y en aura que dix à trente mille qui passeront en France. Et savez-vous l'idée qu'il caressait ? Nous envoyer en Nouvelle Calédonie ou en Guyane, où l'on manquait de main d'oeuvre ! Cynisme avec les Harkis. "Messmer, combien pensez-vous qu'ils seront à traverser ? ? Un millier, répond Messmer, toujours au garde à vous". Encore une erreur criminelle car on comptera chez eux plus de cent mille morts et plus de quarante mille transplantés, avec leurs familles.
-------Cynisme gaulliste avec l'auto?-détermination enfin. " l'auto-détermination, ce sera un piège à cons". " Mais qui seront-ils ?" demande Peyrefitte qui, manifestement, n'ose pas répéter le mot devant le général... "Le F.L.N." s'il refuse de négocier. Les Pieds-Noirs, s'ils refusent de jouer le jeu". C'est ce cynisme gaullien qui allait de pair avec un double langage. Alain Peyrefitte a révélé à Alain Duhamel que De Gaulle lui confiait certaines choses qu'il ne voulait pas dire à Georges Pompidou, comme il confiait parfois à Georges Pompidou certaines choses qu'il voulait cacher à Michel Debré.
-------Dernier trait du paranoïaque, la solitude du général De Gaulle. Jean Lacouture a évoqué à plusieurs reprises sa froideur en famille. Lorsqu'il demeurait longtemps silencieux, son frère aîné souriait "Tiens, Charles a dû tomber dans la glacière". L'anecdote de Bernanos, racontée dans l'Express, est plus significative encore. Exilé au Brésil pendant la seconde Guerre Mondiale, Bernanos rentre en France après la Libération. Une auto l'attend au débarcadère et le mène à Colombey les deux églises. Intimidé, Bernanos ne dit pas un mot pendant le repas, mais De Gaulle non plus. A la fin, Bernanos se lève pour voir le temps qu'il fait et laisse tomber " Il pleut". Et De Gaulle de répondre " Oui, il pleut".
-------Grandeur, rigueur, fureur, solitude. Un vrai parano. Car il avait un raisonnement rigoureux sur des bases fausses. Mais l'étonnant chez De Gaulle, c'est qu'il changeait souvent de base. Car il avait toujours "deux fers sur le feu", comme l'explique Alain Peyrefitte. Pour revenir au pouvoir, il a mis son premier fer sur le feu, il a crié vive le pétrole, vive le Sahara, vive le plan de Constantine, et même vive l'Algérie Française, une fois à Mostaganem. Mais bientôt, avec les difficultés, il a mis un second fer sur le feu. Et ce fut encore un crime géopolitique, car il a abandonné le pétrole du Sahara sans contrepartie. Le résultat fut lamentable. Certes, il n'a pas sur la conscience vingt millions de morts comme Staline ou sept millions comme Hitler, mais il aura quand même sacrifié cinquante mille harkis et déraciné plus d'un million de Pieds-Noirs.
-------Une anecdote cocasse pour terminer ce chapitre sur De Gaulle. En 1960, il pense que l'Affaire algérienne est "dans le sac", comme il dit. Il a envie tout à coup d'aller narguer les Etats Unis, tout près de chez eux, dans l'ïle de la Martinique. Alors, il remet son premier fer sur le feu. Il criera " Vive la Martinique", on criera"Vive De Gaulle". Tam-tam, médias. Une foule immense l'attend sur la place de Fort de France. Alors, il lance les bras au ciel et s'écrie, dans son style inimitable "Mon Dieu, mon Dieu...que vous êtes... Français". Mais les Martiniquais sont des Créoles. Ils ne prononcent pas les "r", mais ne les entendent pas non plus. Et ils comprennent "Mon Dieu, mon Dieu, que vous êtes... foncé". Rumeurs, mouvements de foule. "L'émeute fut évitée de justesse". C'est du moins ce qu'écrit Raphaël Confiant, dans l'allée des soupirs, qui vient de sortir chez Grasset. Avouez qu'il eut été comique de voir le raciste De Gaulle pris à son propre piège... en quelque sorte, "l'arroseur arrosé".


Docteur F. Destaing
professeur honoraire à la faculté de Médecine de Nice