Mers-el-Kébir,
Hommage à ceux de Mers-el-Kébir, il y a aujourd'hui 60 ans
-Le 3 juillet 1940, réfugié sur les hauteurs qui dominent la ville de Mers-el-Kébir, j'ai assiste, hébété par l'hallucinant tableau qui se déroulait sous mes yeux, à ce que l'on peut appeler le calvaire de l'escadre Gensoul. J'ai vu ce jour:là, dans le fracas des explosions et l'enchevêtrement monstrueux des tôles déchiquetées, mourir glorieusement 2 000 marins de chez nous.
Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui juillet-septembre 2000, n°113.

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Hommage à ceux de Mers-el-Kébir, il y a aujourd'hui 60 ans

-----Le 3 juillet 1940, réfugié sur les hauteurs qui dominent la ville de Mers-el-Kébir, j'ai assiste, hébété par l'hallucinant tableau qui se déroulait sous mes yeux, à ce que l'on peut appeler le calvaire de l'escadre Gensoul. J'ai vu ce jour:là, dans le fracas des explosions et l'enchevêtrement monstrueux des tôles déchiquetées, mourir glorieusement 2 000 marins de chez nous.

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Le temps a passé, mais le souvenir douloureux de cette fresque dantesque est toujours vivant dans mon esprit. Certes, il ne m'appartient pas de commenter ou de porter un jugement quelconque sur l'attaque anglaise ; on peut cependant, sans chercher à minimiser ni à justifier l'action britannique, songer à l'impératif de ces heures sombres, impératif qui poussa le gouvernement britannique à lancer l'ultimatum de juillet. Quoi qu'il en soit, j'ai voulu seulement, en essayant de relater ici cette tragédie, rendre un déférent hommage à tous ceux qui, animés des plus pures vertus maritimes, sont morts pour l'honneur du pavillon.
Nous sommes le 3juillet1940. La mer d'un bleu fané, presque diaphane, est unie comme un miroir, aucun nuage ne vient altérer la pureté du ciel pastel lumineux. Une légère brume matinale estompe vaguement la côte vers la Pointe de l'Aiguille, à l'ouest. La masse sombre de la colline qui domine Mers-el-Kébir teint les eaux de la rade d'un bleu plus profond. Tout est calme et silencieux. L'atmosphère est lourde, malgré la splendeur du ciel rien ne laisse présager le terrible drame qui allait se dérouler dans ce décor paisible et qui devait endeuiller notre Marine Nationale.

un calme apparent

-----Tout ce calme, cependant, n'est qu'apparent. A peine le musoir de la jetée franchi, on peut apercevoir tout un amas de coques grises, un fouillis inextricable de blockhaus et de cheminées, toute une forêt de mâtures : une puissante escadre est là. Au mouillage, l'escadre du vice-amiral Gensoul, paralysée à Kébir par l'article 8 de la Convention d'Armistice. Tout d'abord au premier plan, cinq gros navires embossés à doubles chaînes, poupes contre la jetée, le 'Commandant Teste", transport d'aviation, de dix mille tonnes, avec ses superstructures étranges et sa haute silhouette dominant légèrement les autres bâtiments. A ses côtés, deux coques puissantes et trapues, pareilles à deux dogues à l'attache, huit pièces* de 340 mm sur chaque unité, mâts tripodes précédant deux énormes cheminées ce sont le 'Bretagne"et le 'Provence", deux cuirassés de 23 500 tonnes qui avaient déjà fait leurs preuves durant la guerre 1914-1918. Dans leur jargon coloré, les matelots les désignaient sous le qualificatif peu maritime, de "fers à repasser " Enfin, amarrés côte à côte, le 'Dunkerque"et le "Strasbourg",deux chefs-d'œuvre du génie et de la technique navale Française : étraves effilées et harmonieuses, longues coques et plages avant légèrement surélevées -huit pièces de 340 mm en deux tourelles quadruples pour chaque navire, grande tour de combat et de commandement, hangars à hydravions. 260500 tonnes de jauge pour chaque bâtiment, une puissante artillerie secondaire et une protection secrète, classaient ces bâtiments au premier rang parmi les navires de ligne des Flottes mondiales.

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Au fond de la rade, amarrés auquai de la Compagnie des Pétroles Standar, sept contre-torpilleurs racés et nerveux comme des lévriers : le " Volta " et le "Mogador", de construction récente, armés chacun de huit pièces de 138 mm et de douze tubes lance-torpilles. Puis le "Malin", le "Fantasque"et le "Terrible", ce dernier le plus rapide du monde, il avait atteint à ses essais la vitesse de 45 nœuds, soit près de 85 kilomètre-heure; enfin, le "Gerfaut"et le "Tigre"avec leurs minces cheminées et leurs fines mâtures, unités de construction un peu plus ancienne. Le ravitailleur "Benzène", un pétrolier du type "Rance,"et divers bâtiments auxiliaires complétaient le reste de l'escadre.
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La marque du vice-Amiral Gensoul flotte au grand mât du "Dunkerque". Sur chaque bâtiment la vie se déroule connue à l'accoutumée, vivante et colorée mille bruits, ronronnement des dynamos, grincement des cabestans, treuils et palans, trilles et roulades des sifflets des quartiers-maîtres ordonnant une manœuvre, pétarade du moteur de la vedette faisant la navette entre le bord et la terre.

Les Anglais à l'horizon

-----L'inoubliable et tragique journée du 3 juillet 1940 commence, celle qui devait à jamais marquer dans notre histoire maritime l'héroïque abnégation de nos marins. Il est huit heures du matin. A la drisse du "Dunkerque", la flamme annonçant les couleurs monte rapidement; une salve de mousqueterie, un ordre bref "attention pour les couleurs, envoyez !" Et tandis que les équipages se tournent vers l'arrière et se découvrent et que la sonnerie des clairons s'égrène claire dans le petit matin, le pavillon de la France meurtrie monte lentement à l'arrière de chaque bâtiment.
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Vers huit heures trente, une mince silhouette apparaît à l'ouest, sur la ligne d'horizon. Elle est identifiée comme étant le destroyer anglais "H-69"; bientôt il est assez près pour pouvoir le distinguer à l'œil nu : type classique du navire britannique, hautes cheminées, blockhaus carré, étrave droite, il pénètre dans la baie d'Oran, décrit un large demi-cercle et s'éloigne à petite vitesse vers la Pointe de l'Aiguille.
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La débâcle des armées françaises avait plongé l'Angleterre dans une profonde consternation. Les visages étaient soucieux, le ciel s'obscurcissait davantage en Europe et la menace de l'aigle nazi se précisait de plus en plus sur la terre d'Albion. Dans l'austère bâtisse de l'Amirauté, les grands chefs allaient et venaient, silencieux, un pli soucieux barrait leurs fronts qu'allait devenir la flotte française ? Si l'Axe s'emparait de cette force navale, la flotte italienne de l'Amiral Cavagnarri mouillée à La Spezia serait singulièrement renforcée, et la suprématie britannique en Méditerranée sérieusement compromise. Les convois en route pour Malte et Alexandrie auraient mille difficultés à franchir le point névralgique constitué par la zone allant de Sicile à l'île de Pantellaria ; il faudrait, pour remédier à cela, renforcer les forces britanniques en Méditerranée, au préjudice de la maîtrise de la mer dans le nord de l'Europe, et bien entendu cet état de choses aurait influencé d'une façon lâcheuse le déroulement des hostilités, il fallait agir promptement.

L'ultimatum

-----Après avoir étudié le problème, le Gouvernement et l'Amirauté tombèrent d'accord, une solution fut adoptée : on inviterait l'Amiral français à se joindre aux forces françaises libres qui poursuivaient la lutte avec l'Angleterre, ou bien, à son choix, s'interner à la Martinique sous contrôle américain, enfin en dernier lieu le sabordage sur place de l'escadre en cas de refus de ces trois propositions.
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La flotte anglaise chargée d'adresser l'ultimatum devait ouvrir le feu sur les navires français au mouillage. L'Amiral Somerville fut chargé de cette délicate et pénible mission. Le 3 juillet, avant l'aube, la force "H" quittait Gibraltar et mettait cap à l'est. Elle se composait du croiseur de bataille "Hood", le plus grand cuirassé du monde, avec ses 45 000 tonnes et ses huit pièces de 406 mm; les cuirassés "Valiant" et "Résolution", jaugeant 32 000 tonnes, avec huit pièces chacun de 380 mm ; le porte-avions "Ark Royal", transportant 90 appareils et de construction récente ; enfin, deux croiseurs lourds et onze destroyers d'escorte complétaient la formation anglaise.

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A Mers-el-Kébir, la journée s'écoule lente et exténuante, la chaleur est accablante, l'implacable soleil de juillet chauffe les tôles à blanc dans les fonds, les ventilateurs tournant à plein régime parviennent difficilement à renouveler l'air surchauffé. Les hommes qui ne sont pas de service se réfugient dans les coursives et dans les moindres recoins d'ombre. Beaucoup parmi eux sont torse nu. Le long des mâts, les pavillons pendent inertes.

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Il est neuf heures dix du matin. Débouchant derrière le Cap Falcon, quatre masses surgissent, grises, sur la ligne bleu outre-mer de l'horizon : c'est l'escadre de Somerville qui est en vue. Elle est aussitôt identifiée par les sémaphores; les États-majors français supposent que cette force fait route sur Malte. L'Angleterre étant toujours en guerre. Ce qui intrigue les chefs français c'est la raison pour laquelle les navires anglais serrent un peu trop sur la côte africaine. Arrivés au large de Mers-el-Kébir, les navires anglais ralentissent leurs allure. Pendant ce temps, 2 avions de la Royal Navy survolent la rade à faible altitude. Quittant soudain le navire Amiral britannique, une vedette se détache; pavillon au vent, elle cingle sur la rade. Quelques instants après, franchissant la digue et le barrage des Mets de protection, elle passe devant le front des navires à l'ancre et vient accoster à la coupée du "Dunkerque". Un officier gravit rapidement les degrés de l'échelle métallique. Il est reçu par le commandant et les officiers de quart, un piquet de marins présente les armes. L'officier anglais déclare qu'il est porteur d'un pli pour le Vice-Amiral commandant l'escadre française. Mais dès qu'il eut pris connaissance de l'ultimatum, l'Amiral Gensoul fit cette réponse catégorique: " les navires sont français " et ne peuvent recevoir des ordres que du Gouvernement français. Devant ce refus, la vedette anglaise s'éloigne. L'Amiral français observe à la jumelle la force adverse. Les deux croiseurs et les onze destroyers ont rejoint les cuirassés. L'artillerie est braquée sur la rade. Le Gouvernement français de Vichy est informé. La réponse arrive vers douze heures trente :" A la force, vous répondrez par la force". Dans l'après-midi, la vedette amène de nouveau le parlementaire. A bord du "Dunkerque", l'officier britannique fait une ultime tentative : il s'efforce de concilier l'honneur et le devoir avec les intérêts communs, propose à l'état-major de rallier les forces navales gaullistes et promet que les bâtiments resteront sous-contrôle français. Correctement mais fermement, l'Amiral Gensoul décline cette offre : "Nous nous verrons dans le regret de tirer sur vos couleurs", dit l'officier anglais. "Faites votre devoir comme je ferai le mien", répond simplement le Chef français. Les deux hommes se saluent au garde-à-vous avant de se séparer. Le moment est solennel. Le masque des marins formant le piquet d'honneur est figé et semble être sculpté dans le marbre. La main à la visière, le parlementaire passe et tandis que la vedette repart, la voix mâle des cuivres résonne à bord des bâtiments français pour le branle-bas de combat.

Les Anglais nous assassinent

-----Il est seize heures cinquante, il y a vingt minutes que le délai de six heures de l'ultimatum vient de se terminer. Une petite brise du sud vient de se lever. Soudain, la ligne de vaisseaux britannique s'embrase : l'escadre de l'amiral Somerville vient d'ouvrir le feu; le rideau se lève sur le premier acte de la tragédie. La première salve est trop courte et tombe derrière la jetée, la seconde aussi, mais à la troisième un obus de 380 mm éclate derrière la deuxième cheminée du "Bretagne", un autre laboure la plage arrière du "Provence", tandis qu'un troisième éclate près du hangar à hydravions du "Dunkerque". Les autres obus tombent au milieu de la rade et soulèvent d'énormes gerbes d'eau ; mais le tir se concentre et se resserre. Le terrible pilonnage commence.
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Avec un mugissement de typhon, une bordée éclate sur le "Bretagne", une fumée noire et blanche monte plus haut que les mâts, plusieurs commandes et transmissions sont coupées, des cadavres jonchent le pont, la plupart sont affreusement mutilés. Tout l'arrière du cuirassé est en feu. A bord du "Provence"un incendie vient d'éclater, aussi la chaleur et la fumée sont étouffantes. Au milieu du tonnerre des déflagrations, les hommes courent, vont et viennent, s'affairent à une manœuvre. Ils sont demi-nus, les mains et le visage maculés de mazout, on dirait des démons. C'est un enfer, en effet, un enfer que Dante n'avait pas imaginé. Une nouvelle bordée éclate sur le flanc du "Bretagne". Par la coque crevée, le mazout se répand sur la mer. Deux autres obus de 380 mm tombent sur la plage avant du "Provence " ; leurs mitrailles ouvrent des brèches sanglantes dans les groupes de matelots occupés à combattre l'incendie. On meurt partout sur les ponts, dans les coursives, dans les fonds. Il faut sauter par-dessus les cadavres pour parvenir dans certains endroits.
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Au milieu de cet épouvantable cauchemar, les gueules monstrueuses des canons de 406 mm et 380 mm continuent leur impitoyable martèlement en déversant des tonnes d'acier. Les assaillants ont la bonne hausse : ils tirent comme à l'exercice.

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Cependant, le "Provence"a réussi à virer ses ancres et à larguer ses amarres. Il se dirige vers le centre de la rade pour prendre le large. A ce moment précis, deux bordées éclatent simultanément sur sa poupe, déclenchant un nouvel incendie et ouvrant une voie d'eau. Le navire commence à couler lentement par l'arrière. Une autre salve éclate vers le centre ; sérieusement éprouvé, le navire est hors de combat, la plupart de ses cloisons étanches ne fonctionnent plus. Il se dirige lentement sur Roseville pour s'échouer sur le sable de la plage. Dans ses entrailles, un incendie menace une soute à munitions ; le quartier-maître canonnier Jean Bézecon et une équipe de matelots combattront le sinistre avec acharnement, luttant pas à pas et n'arrivant à s'en rendre maîtres que lorsque celui-ci effleurera la porte de la soute.

L'Apocalypse

-----Sur la rade, la visibilité est presque nulle, la fumée très dense et la lueur des incendies transforment ce beau panorama si paisible d'ordinaire en vision apocalyptique. Mais voilà que malgré les difficultés, les contre-torpilleurs réussissent à appareiller ; à 25 nœuds, ils foncent comme une meute de lévriers sur la passe pour fuir ce guêpier. Tous passent, sauf un. Une explosion formidable arrache l'arrière du "Mogador": obus de 406 mm ou mine magnétique mouillée par les appareils du porte-avions "Ark Royal"? Le choc est tellement violent que le navire dérape et se met en travers comme une voiture sur l'asphalte de la route. En deux secondes, tous les hommes qui se trouvaient sur la plage arrière ont disparu volatilisés par le souffle puissant. Presque aussitôt le feu se déclare à bord. Deux remorqueurs hâlent le "Mogador"pour l'échouer sur la plage de Sainte-Clotilde. L'équipage s'est massé sur la plage avant. Le navire qui a perdu ses hélices et son gouvernail n'est plus qu'une épave.

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Au fond de la rade, le "Bretagne"vient de recevoir plusieurs salves successives, il donne fortement de la bande. Un feu d'enfer est concentré sur lui, sa bande s'accentue de plus en plus ; deshommes glissent et tombent à la mer, d'autres s'y jettent inconscients. Le terrible pilonnage se poursuit... Au mât arrière, troué, déchiré, noirci par la mitraille et la fumée, le pavillon tricolore flotte toujours ; il ondule doucement à la petite brise du soir. Une double bordée de 406 min éclate avec un fracas épouvantable entre les deux cheminées c'est le coup de grâce. La fin approche, comme un géant blessé à mort, le "Bretagne"se couche davantage sur son flanc. Tous les matelots du pont, véritable grappe humaine, se jettent à l'eau d'autres, sur le bord opposé, se laissent glisser le long de la carène, mais épuisés ils parviennent difficilement à nager dans l'épaisse couche de mazout qui flotte sur l'eau. Les cinq cents hommes qui se meurent dans les fonds ne pourront pas être sauvés; ceux des machines, ceux des soutes, ceux des vannes sont voués à une mort terrible. Le système de fermeture qui commande les "portes et les cloisons étanches sont bloqués. D'ailleurs, les issues, les échelles et toute voie de sortie se trouvent à l'horizontale avec la forte inclinaison du navire. Ils resteront murés vivants dans l'immense coque qui leur servira de cercueil.

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La nuit commence à tomber. Une nouvelle salve éclate sur le "Bretagne". Le mazout stagnant autour du navire s'enflamme. Les malheureux qui se trouvent déjà dans l'eau périssent brûlés. Enfin, comme un colosse qui s'affaisse, le "Bretagne"se couche, son mât tripode entre dans l'eau, puis ses deux cheminées; la carène verte émerge à son tour, puis disparaît lentement. Un peu de vapeur et de fumée noirâtre flottent dans l'air à l'endroit où le navire a disparu j'ai appris plus tard que le factionnaire du fort du Santon a présenté les armes au moment où le navire a chaviré.
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Mais la tragédie n'est pas finie encore. Le navire amiral "Dunkerque", qui venait de larguer, reçoit plusieurs bordées qui lui tuent beaucoup de monde et lui occasionnent des avaries graves. Déjà durement éprouvé, le navire ne peut songer à combattre. La rage au cœur, le commandant 'Tanguy doit échouer son navire contre la digue du petit port de pêche de Kébir. Un seul navire de ligne réussira à prendre le large c'est le "Strasbourg". Par une habile manœuvre de son commandant il file la chaîne d'ancre à la mer au lieu de la virer et coupe à la hache les amarres arrière, puis traversant la rade à toute vitesse, il défonce les filets de protection qui ceinturent la baie rejoint les contre-torpilleurs et ouvre avec eux un feu nourri sur l'assaillant. Une telle manœuvre, dans de telles circonstances, constitue un fait extraordinaire. Il a fallu au commandant du "Strasbourg"une science manœuvrière consommée et un grand sang-froid pour l'accomplir. Il est juste de lui rendre ici hommage.

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Tard dans la nuit, le canon tonne en mer. Enfin, leur mission accomplie, les Anglais regagnent Gibraltar, tandis que les Français rescapés poursuivent leur route et rament Toulon. Pendant toute l'attaque, la riposte française fut presque nulle, la position d'amarrage des navires, la haute jetée, la colline du Santon à droite et derrière le gros de l'escadre empêchèrent toute réplique efficace. Par ailleurs, la défense du littoral et la base d'aviation de La Sénia, également touchées par la convention d'armistice, ne furent d'aucun secours. Durant toute la nuit et la matinée du lendemain, les sauveteurs se multiplièrent pour retirer de l'eau les blessés et les morts, Les marins de la D.L. de Kébir se dépensèrent sans compter et sans prendre aucun repos pour porter assistance à leurs malheureux camarades. Nous citerons parmi eux le maître manœuvrier Louis Villemain, le quartier-maître manœuvrier Joseph Le Costoëc et le quartier-maître mécanicien Gaston Jaffrez, tous trois de l'équipage de la vedette de Kébir. Durant d'interminables heures, ils arrachèrent à la mort d'innombrables vies humaines. Dans de telles circonstances, la solidarité a force de loi. A Oran, hôpitaux et cliniques sont archicombles. Accouru à Kébir, le maire, M. Boluix-Basset assista à toute la tragédie sur le quai du petit port de pêche. Il accueillit les rescapés, distribuant couvertures et cordials qu'il avait précipitamment réquisitionnés. Dans l'unique salle de cinéma de Mers-el-Kébir, transformée en dépôt mortuaire, les cadavres s'amoncelaient, sanglants et mutilés. Les marins du fort de Kébir étaient chargés de la macabre besogne. Sans désemparer. Ils transportèrent les dépouilles du débarcadère jusqu'à ce dépôt improvisé.

La nuit est complètement venue. Dans les ruelles de Mers-el-Kébir, des groupes de marins à moitié nus errent la mine hagarde ce sont les rescapés. Des familles de pêcheurs les recueillent et leurs prodiguent les soins que nécessite leur état. Que ne feraient-ils pas ces braves pêcheurs pour des marins souffrants et malheureux Ils sont nombreux dans la petite cité maritime à avoir porté le col bleu et le pompon rouge, de Dixmude aux Dardanelles.

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On a enseveli les morts de cette dramatique journée le cinq juillet. Devant la file interminable des cercueils, le vice-amiral Gensoul, le visage pâle et la voix étranglée par l'émotion, dit un dernier adieu à ses marins. En donnant l'accolade à la mère d'un des disparus originaire d'Oran, il dit En vous embrassant : " Madame, c'est toutes les mères de mes chers enfants que j'embrasse". Dans la foule, les visages sont bouleversés par l'émotion. La minute est émouvante. L'abbé Koéger, curé de la paroisse et aumônier de la marine, donne l'absoute. Un piquet de marins présente les armes, tandis qu'un clairon ponctue lentement la sonnerie des morts. C'est fini; non, pas encore le rideau vient de se baisser sur le premier acte.

Deux mille de nos marins sont morts

-----Le lendemain 6 juillet, à six heures quinze du matin, des avions de la Royal Navy survolent la rade. Le chalutier armé 'Terre-Neuve"s'approche du "Dunkerque"pour évacuer l'équipage. L'opération commence ; déjà près d'une cinquantaine de matelots sont sur le pont du chalutier quand soudain les appareils lâchent plusieurs chapelets de bombes. L'arrière du cuirassé est visé, mais les engins de destruction manquent leur but. Cependant une des bombes atteint de plein fouet le " Terre-Neuve"; on voit à travers la fumée monter vers le ciel des débris de passerelle et, comme un essaim de petits papillons blancs, ce sont les corps des marins déjà évacués sur le chalutier. Le "Terre-Neuve"coule en quelques secondes, la déflagration a ouvert une large brèche dans la coque du "Dunkerque". Le remorqueur de l'État "Estérel", qui cherchait à appareiller, est littéralement coupé en deux par une autre bombe ; il coule instantanément.
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L'attaque fut fulgurante. Virant sur l'aile, les avions anglais disparurent rapidement en rasant les flots, en direction du nord-ouest. Nouvelle hécatombe. Ambulances et services sanitaires se multiplient à nouveau. Tragique bilan: deux mille morts ou disparus, un nombre impressionnant de blessés, trois navires coulés : le "Bretagne", le "Terre-Neuve"et 1' "Estérel", trois autres gravement endommagés : le"Dunkerque ", le "Provence"et le "Mogador".
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Le temps a passé depuis ces tragiques journées. La marine française a connu d'autres aventures et d'autres batailles, en union avec les marines alliées. Elle a combattu sur toutes les mers du globe et nos couleurs ont flotté partout. Les exploits du cuirassé Richelieu dans le Pacifique, ceux de l'escorteur "Sénégalais"en Méditerranée, ainsi que l'héroïque odyssée du sous-marin "Casabianca"sont encore présents dans la mémoire de tous, Les marins de l'Amiral Gensoul sont dignes de ceux de Duquesne, de Guépratte ou de Godefroy. Les explosions de Mers-elKébir, de Toulon et de Dakar ont retenti dans le monde entier. Elles ont prouvé que la marine française garde intacte ses pures et nobles traditions de toujours, qui sont et demeurent : Honneur et Patrie.

Raphael Lopez