------Sans la médecine,
l'Algérie française et son épopée eussent
été mort nées. "Si
l'Algérie n'a pas été abandonnée, c'est au
médecin militaire MAILLOT que nous le devons"
a écrit le docteur Lucien RAYNAUD en 1930 : s'il n'avait pris son
audacieuse initiative thérapeutique à Bône, en 1834,
il est très vraisemblable que la France, capitulant devant le paludisme,
aurait retiré ses troupes. Au cas où elle les y aurait maintenues,
malgré d'effroyables pertes par maladies, les premiers colons auraient
totalement disparu.
------Une
fois cette victoire acquise, les médecins, par leurs découvertes
ultérieures, leur labeur acharné, leur dévouement
parfois héroïque, ont peu à peu éradiqué
les nombreuses maladies locales. Et même certains d'entre eux, notamment
les équipes pastoriennes, se sont attaqués avec succès
à la pathologie locale du bétail et des végétaux.
La tragédie des premiers colons.
------Reportons-nous,
non sans émotion, aux années qui ont suivi la prise d'Alger
en 1830.
------Quand
nous parcourions, dans nos plaines sublittorales, les vignobles les plus
beaux du monde, les orangeraies somptueuses, quant nous circulions à
l'ombre des platanes géants des anciens jours, avions-nous un regard
assez attentif pour les vieux cimetières des villages, une pensée
pour ceux que l'on avait jadis inhumés en hâte hors de leurs
murs ?
------C'est
plus que jamais un devoir d'évoquer les souffrances inouïes,
les hécatombes de ceux qui ont défriché les maquis,
drainé les marécages où devaient prospérer
par la suite, grâce à leurs sacrifices, les merveilleuses
plantations que nous avons contemplées. "La
Mitidja, écrivait le général BERTHEZENE, sera le
tombeau de ceux qui oseraient l'exploiter". Et en 1841
encore, le général DUVIVIER de renchérir :
"L'infecte Mitidja est un foyer de maladies
et de mort". Il en était pareillement pour les
plaines de Bône, de Philippeville, la vallée de la Soummam...
------N'est-il
pas admirable que dans cette Mitidja, des Français terrassés
par les fièvres, voyant succomber tant de leurs compagnons, soient
parvenus en 1839, à cultiver 9 000 hectares, planter 85 000 mûriers,
alors que,la trêve avec ABD EL KADER étant rompue, les belliqueux
Hadjoutes déferlaient, coupant des têtes ? Ces malheureux
égrotants, déguenillés, mal nourris, couchant sur
des grabats dans des buttes, continuaient de travailler, le fusil en bandoulière.
L'armée ayant décidé de les évacuer, cette
première colonisation fut anéantie, sauf en de rares îlots.
------Une
fois refoulés les Hadjoutes, des colons se remirent au travail
et les maladies poursuivirent leurs ravages. A Boufarik la mortalité
atteignit un sur trois ! Les gens d'Alger reconnaissaient de loin les
survivants à leur aspect pitoyable ; "Il
a une tête de Boufarik" disaient-ils.
------Même
désastre au Fondouk où, en 1845, sur 263 habitants 127 moururent
; à la Trappe de Staouéli : 8 morts sur 38 moines, 47 sur
150 détenus travaillant avec eux ; dans les basses plaines du Constantinois,
où, à côté des pionniers français, tentaient
de s'enraciner des Italiens ; un peu moindre dans l'Oranie, plus salubre,
où prédominaient les Espagnols, autres émigrés
de la misère. Dans le Sahel d'Alger lui?même, entre 1831
et 1847, sur un total de 1522 enfants, 705 moururent, (près d'un
sur deux...).
------Jusqu'à
la fin du siècle, dans certains sites particulièrement malsains,
comme Montebello, proche du lac Halloula tardivement asséché,
la situation resta tragique. MALLEBAY raconte, dans sa revue "Les
Africains"
------"La
porte s'ouvre ; une grande femme blême apparaît. Pour nous
ouvrir elle s'est levée de son lit où elle gisait tout habillée
; elle claque des dents et a dans ses yeux profonds une tristesse infinie.
Nous l'interrogeons: elle a perdu récemment son mari et ses deux
enfants. J'irai bientôt les rejoindre, dit-elle simplement ; avant
peu tout le village suivra".
--Le
fléau des fièvres et les autres maladies algériennes
------Quelle
était donc la nature de cette malédiction meurtrière
? Dans l'ignorance de l'époque on l'intitulait globalement"les
fièvres". Parmi elles, dominait la malaria, reconnaissable
quand elle se bornait à des accès fébriles intermittents
de tierce ou de quarte ; mais trop souvent ces immigrés récents,
sans accoutumance, étaient emportés par ses formes gravissimes,
accès pernicieux, bilieuse, hémoglobinurique.
------Ce terme
générique de fièvres recouvrait aussi d'autres maladies
infectieuses, dysenterie, typhoïde, parfois typhus.
------Parallèlement,
des épidémies de choléra importées dans les
ports et les villes, se propageaient aux villages de l'intérieur,
véhiculées par les troupes. Et l'Algérie restait
un réceptacle d'autres maladies peu fréquentes en Europe
l'une des plus répandues dans les régions d'élevage,
le kyste hydatique, parasitose des moutons, transmise par les chiens,
se développait dans le foie, les poumons et toutes les parties
du corps, nécessitant le recours à la chirurgie.
------Dans
le sud, la conjonctivite granuleuse - le trachome - très fréquente
chez les autochtones, contaminait parfois les Européens.
L'oeuvre considérable des médecins
militaires
------En décidant
de traiter les paludéens par la quinine à forte dose, François-Clément
MAILLOT "a assuré le salut de
la colonisation européenne en Algérie. Grâce à
lui la race des immigrants a pu faire souche dans une patrie nouvelle"
avait écrit Elisée RECLUS dans sa "Géographie
Universelle" en 1886, près de 50 ans avant le docteur Lucien
RAYNAUD. Peu d'années avant la prise d'Alger, en 1820, deux pharmaciens
français, PELLETIER et CAVENTOU avaient isolé de l'écorce
de quinquina le sulfate de quinine, découverte providentielle pour
l'Algérie.
------En mars
1834, MAILLOT est affecté comme médecin-chef à l'hôpital
militaire de Bône ; il n'est âgé que de 30 ans mais,
étant passé, les années précédentes,
par les hôpitaux d'Ajaccio et d'Alger, il s'est familiarisé
avec les fièvres intermittentes. La situation locale est catastrophique,
la mortalité des malheureux militaires atteint 1 sur 3. MAILLOT
décide de faire absorber par ses malades le sulfate de quinine
à haute dose. En moins d'un an la mortalité tombe à
1 sur 20.
Pendant la première phase de son histoire, de 1830 à 1870,
administrée par les militaires, l'Algérie rurale bénéficia
grandement de leur Service de santé.
------Leurs
recherches atteignirent un triomphe avec la découverte par LAVERAN,
en 1880, à Constantine, de l'agent du paludisme, l'hématozoaire,
dans les globules rouges d'un soldat : événement historique
d'un retentissement mondial et qui valut à son auteur le prix Nobel.
------Très
tôt avaient été édifiés, partout en
Algérie, de solides hôpitaux militaires - au nombre de 38
en 1845 - qui s'ouvrirent aux civils ou même leur furent concédés,
comme celui de Douéra en 1847. Après 1870, les médecins
de l'armée restaient prépondérants dans les territoires
du Sud. Et à l'hôpital du Dey à Alger, (qui devait
prendre
le nom d'hôpital MAILLOT) de savants chercheurs continuèrent
leur travaux. C'est là, entre autres, que Hyacinthe VINCENT élabora
la vaccination antityphoïdique, à une époque où
la fièvre typhoïde restait fréquente et meurtrière
pour les Européens.
La médecine civile dans le bled.
------Dès
1835 le Dr POUZIN créait une " ambulance" à Boufarik,
qui reçut surtout des indigènes et ne survécut pas
à la reprise de la guerre contre ABD EL KADER. Mais la même
année, l'un des premiers colons, le baron de VIALAR petit-fils
du baron PORTAL, fondateur de l'Académie de Médecine, prit
l'initiative de faire appel à des religieuses soignantes, les soeurs
de Saint-Joseph de l'Apparition sous la conduite de leur fondatrice, sa
propre soeur, Emilie de VIALAR (canonisée par l'Eglise). Quelques
années plus tard affluèrent des Trinitaires en Oranie, puis
dans l'Algérois et le Constantinois les soeurs de Saint?Vincent
de Paul et de la Doctrine Chrétienne, non seulement dans les villes
mais jusque dans de petits villages, tels que Novi, Meurad, Condé
Smendou.
------C'est
en 1845 que l'administration recruta des médecins fonctionnaires
pour les petits centres européens du Sahel algérois et ceux
proches de Philippeville, de Bône, d'Oran. En 1853 fut créé,
sous le beau titre de médecins de colonisation, un corps original
et admirable, dont la tâche principale fut d'apprivoiser les indigènes
aux thérapeutiques occidentales en se dévouant pour eux
sans compter ainsi que pour les Européens dispersés dans
le bled. En retour, il convient d'insister sur la générosité
de ces colons d'autant plus méritoire que bien peu firent fortune.
C'est grâce au legs d'un million de francs, en 1853, par l'un d'eux,
FORTIN D'IVRY, que put être commencée la construction de
l'hôpital de Mustapha. Et plus tard SELTZ finança un hôpital
à Boufarik. Pendant la guerre de 1942-45 le sénateur BORGEAUD
offrit au service de transfusion sanguine un centre de lyophilisation
du plasma édifié sur domaine de la Trappe.
L'institut PASTEUR.
------En novembre
1894 un "Institut PASTEUR d'Alger" avait été organisé
par deux professeurs de l'École de Médecine, B. TROLARD
et H. SOULIÉ, assurant le traitement antirabique et la vaccination
antivariolique.
------Six
ans plus tard, deux jeunes médecins élèves de l'Institut
Pasteur de Paris, les frères Edmond et Étienne SERGENT,
étaient envoyés à Alger en "mission permanente",
(tous deux étaient nés dans le Constantinois ; leur père
officier des affaires musulmanes était devenu administrateur civil
de Mila ; leur mère appartenait à la vaste famille MERLE
DES ISLES, colons de la région).
------C'est
à eux qu'en 1909 le grand gouverneur général JONNART
décidait de confier la création d'un "Institut PASTEUR
d'Algérie", établissement de recherches pour "l'étude
des maladies virulentes et contagieuses de l'homme, des animaux et des
plantes". Ce seul intitulé indiquait bien l'ampleur de la
tâche.
------Rapidement
fut édifié l'établissement principal dans le quartier
du Hamma, au-dessus du jardin d'Essai, complété par une
annexe rurale à Kouba et plus tard, en 1922, par un laboratoire
saharien à Biskra.
------L'objectif
fondamental de l'Institut, la lutte antipaludique, en liaison avec les
services du Gouvernement Général et la Faculté de
Médecine, reposa sur la quininisation préventive, la destruction
des moustiques par élimination des eaux stagnantes, épandage
de pétrole, ensemencement de gambouses (poissons friands d'anophèles),
administration de quinine aux indigènes porteurs de virus, détectés
par l'augmentation du volume de leur rate.
------Appliquée
rigoureusement, cette stratégie fit la preuve de sa pleine efficacité
: plus de cas mortels chez les européens, leurs accès fébriles
résiduels jugulés, et les populations indigènes retrouvant
vigueur. Résultats d'autant plus remarquables que le paludisme
restait ailleurs sur la planète la maladie la plus répandue,
responsable encore d'un million de morts par an.
------Contre
beaucoup d'autres maladies algériennes, l'action de l'Institut
PASTEUR rendit des services irremplaçables, avant l'ère
des antibiotiques : sérothérapie du typhus, de la poliomyélite,
de la fièvre récurrente, vaccination contre la typhoïde
et jusqu'au sérum antiscorpion d'Étienne SERGENT, car des
cas mortels n'étaient pas rares dans le Sud. En 1936, 4 000 cas
avaient été ainsi soignés en 10 ans.
L'apport des médecins à l'agriculture
et l'élevage.
------Plus
qu'en d'autres pays et que dans la France métropolitaine, médecins
et pharmaciens et non des moindres, à commencer par le fondateur
de la chirurgie moderne en Algérie, le professeur Eugène
VINCENT ont été liés à la colonisation agricole
: certains ont dirigé des domaines parfois importants, d'autres
se sont occupés de l'élevage des moutons.
------On doit
de salutaires initiatives, entre autres, aux professeurs à l'école
de Médecine, TROLARD qui lutta énergiquement pour la défense
des forêts, TRABUT qui non seulement introduisit le ficus dans les
rues et jardins des villes, mais avait aussi réalisé des
levures sélectionnées pour la fermentation des moûts,
des ferments lactiques thermophiles pour l'ensilage...
------Conformément
aux directives du Dr ROUX, successeur de PASTEUR, l'équipe de l'institut
pastorien d'Algérie avait multiplié ses recherches en pathologie
végétale et animale. Ainsi avait-il été appelé
à combattre en 1921 une épidémie des palmiers très
menaçante, originaire de l'oasis de Figuig, le bayoud. SERGENT
et BEGUE détectèrent l'agent causal, un champignon se propageant
dans le stipe: cette fusariose était insensible à des traitements
locaux. Fort heureusement l'on découvrit que certaines espèces
de palmiers lui étaient naturellement résistantes ; en les
substituant aux palmiers vulnérables, les oasis de l'ouest saharien
furent préservées de la destruction. La propagation vers
l'est était stoppée.
------Contre
les épizooties, l'action de l'Institut PASTEUR d'Algérie
fut considérable. Ayant reconnu l'agent de la piroplasmose transmise
par les tiques qui frappait les bovins d'ictère, SERGENT, DONATIEN,
PARROT et LESTOQUARD proposèrent un vaccin préventif efficace.
D'autres vaccins protégèrent chevaux, mulets et ânes
contre la lymphangite cryptococcique et les chèvres contre la brucellose
(fièvre de Malte des humains).
------Plus
importante encore avait été la vaccination contre la clavelée.
Bien supportée par les moutons algériens, cette maladie,
à laquelle, ceux d'Europe étaient très sensibles,
entravait l'exportation en provenance d'Algérie. Elle fut l'Europe.
longtemps assurée par l'Institut PASTEUR d'Algérie, fabriquant
de 1913 à 1914, 28 millions de doses, dont une partie fut fournie
a plusieurs pays étrangers.
Dans le Sud, dès 1902, les frères SERGENT avaient démontré
que le debab du dromadaire était provoqué par un hématozoaire
et transmis par la piqûre des taons dans le bled, des stomox dans
les fondouks. Ils l'avaient combattu avec succès leurs romans.
par chimiothérapie et mesures préventives.
Histoire d'une marais algérien.
------Cette
vocation agricole de l'Institut PASTEUR d'Algérie s'était
concrétisée à partir de 1927 par une démonstration
pratique ayant valeur de symbole.
------"L'histoire
d'un marais algérien" écrite
par les frères SERGENT est le plus beau des romans. Un domaine
de 300 hectares acquis dans un site mitidjien réputé malsain
encore, près de Birtouta, aux Ouled Mendil, allait permettre d'appliquer
à la lettre les directives du Dr ROUX "prendre
une terre inculte rendue inhabitable par le paludisme et montrer que,
grâce aux méthodes prophylactiques modernes, on peut d `emblée
cultiver ces terres et y vivre en bonne santé".
------On laissa
un quart d'hectare en son état primitif comme témoin de
ce qu'il y avait avant la colonisation française ; on assainit
tout le reste par de judicieux drainages ; on planta 26 000 arbres ; on
usa de tous les moyens de défense et de prévention, tant
pour les autochtones sur place que les européens venus y résider
: les uns et les autres obtinrent des cultures fécondes et un cheptel
magnifique.
------Ainsi,
ce marais métamorphosé, microcosme de notre agriculture
algérienne sur fond de souffrances, de morts, de mines, était-il
parvenu au prix d'immenses efforts conjugués, obstinés et
intelligents, à un véritable chef d'oeuvre.
Retentissement au-delà de nos frontières.
------Cette
épopée de médecins et d'agriculteurs solidaires déborda
les limites de notre petite patrie. L'expérience acquise en terre
algérienne par des médecins nés sur son sol a été
telle que, pendant la première guerre mondiale, les frères
SERGENT, en 1917-1918, furent envoyés en Macédoine pour
y diriger la lutte antipaludéenne ; en délivrant l'armée
d'Orient des désastres subis jadis par l'armée d'Afrique,
ils contribuèrent grandement à son offensive décisive.
------Et en
1935 la Société des Nations fit appel à Edmond SERGENT
pour présider la commission mondiale du paludisme.
------Au terme
de cet aperçu, il importe de souligner, comme
un enseignement exemplaire, la coordination aussi étroite qu'efficace
(rarement sans doute réalisée dans le monde à ce
degré) quia uni les artisans de l'oeuvre civilisatrice et humaine
que fut en réalité la colonisation de l'Algérie.
------II y
avait alors, dans cette province française, beaucoup moins de cloisonnements
qu'ailleurs entre les différentes catégories professionnelles.
Une relative et bénéfique décentralisation permettait
d'incessants échanges entre techniciens, administratifs et hommes
de terrain. Grâce à quoi la Berbérie demeurée
dans un état médiéval a pu, en quelques générations,
aligner ses structures sur celles de l'Europe.
------Mais
cette situation ne pouvait se maintenir que par une symbiose euro-algérienne.
Les Français partis, agriculture et médecine étaient
condamnées à dépérir parallèlement
en portent témoignage non seulement les visiteurs venus d'Europe
mais aussi ce qu'en écrivent aujourd'hui les Algériens eux-mêmes
dans leurs journaux et certains de leurs romans.
------Devant
cette involution prévisible, les anciens colons et médecins
de l'Algérie française ne peuvent qu'éprouver tristesse,
regrets et inquiétudes.
voir:
L'OEUVRE AGRICOLE FRANÇAISE EN ALGERIE 1830 - 1962
Tout ce qui n'a jamais été dit ni écrit à
propos de la colonisation. Documentation sur demande -Vente par correspondance
EDITIONS DE L'ATLANTHROPE
B.P 165
78001 VERSAILLES Cédex
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