Pieds-Noirs d'hier et d'aujourd'hui février
2000 n°109
Témoignage sur le 19 mars
par le colonel François Bard (INF-EMIA-Maréchal Franchey
d'Esperey 55/56
------L' auteur, membre de l'Épaulette
et maire de la commune de Fay-en-Montagne (Jura) s'est exprimé
devant son conseil municipal à propos du 19 mars. Nous publions
ici son témoignage:
------" Je viens de vous donner lecture
de la lettre de M. Barbier, président départemental de la
FNACA nous demandant de prendre une délibération aux fins
d'officialiser le 19 mars comme journée dédiée à
la mémoire des 30 000 soldats français qui ont fait le sacrifice
de leur vie ainsi qu'à celle des victimes civiles du conflit algérien.
Ancien officier d'active, en retraite, et colonel honoraire, j'ai participé
aux opérations d'Afrique du Nord au Maroc et en Algérie,
totalisant 55 mois de campagne dont 33 sur le sol algérien en tant
que chef de section, commandant de compagnie opérationnelle, chef
du commando de chasse 129, observateur puis observateur-pilote avion léger
de 1'ALAT (1 124 heures de vol de guerre en 438 missions), j'ai opéré
en ZOO, ZSO, ZNA et ZSA.
------Sachant très bien ce qu'ont
été les " opérations de maintien de l'ordre
" en Algérie, les peines et les sacrifices endurés
par ceux qui y participaient, je suis tout naturellement porté
à demander pour eux la reconnaissance par la nation de leur état
d'anciens combattants ainsi que l'octroi des avantages qui s'y rattachent.
Je suis bien sur très favorable à l'officialisation d'une
journée du souvenir en mémoire de ceux qui y ont fait le
sacrifice de leur vie. Mais je dis, en mon seul nom personnel, indépendamment
de toute association et de tout parti, que je voterai contre l'adoption
de la date du 19 mars pour cette journée. Je vous donnerai par
la suite les raisons de mon attitude, Après m'avoir entendu, chacun
de vous pourra, s'il en manifeste le désir, exprimer à son
tour son opinion. Si vous le souhaitez, pour être plus libre dans
votre choix, vous pourrez demander un vote à bulletin secret car
il appartient à chacun de pouvoir se déterminer librement
en la matière.
------J'ai vécu personnellement, directement,
toute cette période de 1962, l'avant 19 mars, le 19 mars, l'après
19 mars, dans le sud-oranais jusqu'en août, dans l'Algérois
ensuite. C'est pourquoi je peux aujourd'hui, en toute connaissance de
cause, exprimer mon opinion sur ce qu'a été cette journée
et sur les événements qu'elle a engendrés par la
suite sans être traité de falsificateur de l'histoire.
------Le cessez-le-feu instauré par
les accords d'Evian n'a pas été respecté par la partie
adverse alors que le commandement français l'imposait à
ses forces, obligeant celles-ci à assister, impuissantes, aux exactions
commises par les membres de l'ALN-FLN. La date limite de participation
aux opérations en A.F.N. prise en compte pour l'obtention de la
qualité de combattant à d'ailleurs été fixée
au 2 juillet 1962 par la loi du 9 décembre 1974.
------Voici quelques exemples significatifs
de "l'après 19mars 1962":
------Le 14 avril 1962, le commando "Jaubert"
de la marine se pose en hélicoptères près d'un regroupement
situé en zone de souveraineté française dans le secteur
de Geryville. Dès sa mise à terre, il est pris à
partie par une katiba qui s'est implantée dans le regroupement
au mépris des accords passés. Le Q.M. Recher, membre d'équipage,
est abattu dès sa sortie de l'hélico., le Q.M. Robelin,
est mortellement blessé par une grenade, deux autres commandos
seront blessés. La katiba est anéantie bien que ses membres
aient tenté de se mélanger aux civils du regroupement.
Dans le secteur de Méchéria, où je suis basé,
je suis amené, à deux reprises, à guider les avions
d'appui-feu sur des éléments adverses qui ont, les premiers,
ouvert le feu sur nos troupes.
Le 5 juillet 1962, 1 500 pieds-noirs" sont massacrés dans
Oran. Les troupes françaises sous les ordres du général
Katz n'interviendront que le lendemain, après le départ
des émeutiers Pourtant le 6 janvier 1961, le général
De Gaulle avait assure : " Bien entendu et quoi qu'il arrive, la
France protégera ses enfants dans leurs personnes et dans leurs
biens ". Pour tenter de se justifier, le général Katz
prétendra par la suite qu'il avait obéi à des ordres
"superieurs"!
Le 11octobre 1962, au cours d'une mission de reconnaissance à vue,
je suis amené à atterrir sur le terrain de Laghouat pour
recompléter le plein en carburant de mon appareil. J'apprends que
la veille au soir, un de mes camarades, capitaine qui fréquentait
une institutrice algérienne, a été enlevé
alors qu'il se rendait à son domicile. Son corps n'a jamais été
retrouvé
!
------Dans toute l'Algérie des scènes
d'enlèvements et de massacres d'Européens ou de musulmans
fidèles à la France se déroulent, parfois sous les
yeux de militaires français réduits à l'impuissance
par les ordres du haut-commandement et révoltés par cette
inaction forcée. Quelques-uns, obéissant à un sens
de l'honneur très élevé, se sentent obligés
d'intervenir pour protéger des vies. Ils sont sanctionnés
et rapatriés d'urgence...
------Mais le pire est encore à venir.
Dans leurs opérations, les troupes régulières françaises
étaient appuyées par des supplétifs indigènes
appelés harkis servant dans des harkas. ( Dans mes opérations
de commando de chasse, j'en ai souvent eu sous mes ordres). Ces hommes
avaient choisi la France. Déjà avant le 19 mars, ordre fut
donné de les désarmer. Le 29 mars 1962, le haut-commissaire
de la République en Algérie précise que les supplétifs
seront licenciés avec une prime d'un mois et demi de salaire. Seuls
les célibataires pourront s'engager dans l'armée française.
Or ils sont presque tous mariés. Les départs à la
sauvette commencent. Une note datée du 12 mai 1962, émanant
du cabinet militaire du haut-commissaire précise que : "Le
transfert en métropole des Français musulmans... s'effectuera
sous la forme d'une opération préparée et planifiée..."
Cette opération ne sera jamais mise sur pied. Tout le monde sait
quel sort leur réservent les nouveaux maîtres de l'Algérie
ce qui n'empêche pas le ministre d'Etat Louis Joxe d'adresser le
16 mai 1962 le télégramme suivant au haut-commissaire :
------" Ministre
Etat Louis Joxe demande à haut commissaire rappeler que toutes
initiatives individuelles tendant à installer métropole
francais-musulmans sont strictement interdites. En aviser urgence tous
chefs de SAS. et commandants d'unité". Cette interdiction
ne sera pas suivie d'effet à 100 % aussi, le 15 juillet 62, le
même ministre signe une autre directive dans laquelle il est précisé
que .. " Vous voudrez bien faire rechercher,
tant dans l'armée que dans l'administration, les promoteurs et
les complices de ces entreprises de rapatriement, et faire prendre les
sanctions appropriées. Les supplétifs débarqués
en métropole, en dehors du plan général. seront renvoyés
en Algérie. Je n'ignore pas que ce renvoi peut-être interprété
par les propagandistes de l'O.A.S. comme un refus d'assurer l'avenir de
ceux qui nous sont restes fidèles. Il conviendra donc d'éviter
de donner la moindre publicité à cette mesure."
Non seulement on les renvoyait à la mort mais il fallait que cela
se fasse dans la discrétion tellement grande était la honte
de ce geste infâme. Ceux qui avaient si bien servi la France, ceux
qui avaient été nos frères d'armes, ceux qui avaient
combattu à nos côtes, les fils des combattants du corps expéditionnaire
français en Italie et de la Première Armée ; les
vainqueurs du Garigliano, du Belvédère, de Toulon, de Marseille,
des Vosges, de l'Alsace et du Rhin, tous ces fidèles serviteurs
de la Patrie, nous les abandonnions sur ordre des plus hautes autorités
de l'Etat aux tortures indescriptibles qui devaient préluder à
leur mise à mort. Au cours d'un entretien qui eut lieu par la suite
en Suisse entre le général Jacquin et Krim Belkacem, le
chiffre des musulmans abattus par I'A.L.N. après le cessez-le-feu
fut estimé à 150 000. Et ceux qui arrivèrent en France
furent parqués dans les camps!
------Voilà ce que représente
pour moi la date du 19 mars. Un jour de honte que plus de trente ans n'ont
pu effacer de ma mémoire.
------Vous comprendrez maintenant peut-être
pourquoi je vous dis ici solennellement et avec beaucoup de détermination
que rien ni personne ne m'obligera à célébrer ou
à participer à la célébration de cette journée.
Je ne peux supporter que le sacrifice de mes camarades tombés au
combat pour la France en Algérie et en A.FN. soit associé
à ce jour d'infamie.
------Le 16 octobre 1977, le chef de l'Etat
rendait un hommage national au soldat inconnu de la guerre d'Algérie.
Pourquoi ne pas retenir cette date, ou une autre qui rappellerait un haut-fait
d'armes des troupes françaises, pour rendre hommage dignement à
nos morts ? Pourquoi ne pas décider d'une journée nationale
du souvenir qui serait dédiée à la mémoire
de tous ceux qui donnèrent (donnent et donneront encore...) leur
vie pour la France au cours de tous les conflits qu'elle a connus tout
au long de son histoire. C'est ce que je souhaite avec beaucoup de force.
------Merci de m'avoir écouté".
Information U.N.C. Côte d'Or
------MOTION
DU GROUPEMENT DU JURA A L' ATTENTION DU PRESIDENT NATIONAL DE L' EPAULETTE
------Les membres du groupement Jurassien
de l'Epaulette ont pris connaissance des propositions de loi. émanant
des groupes socialiste et communiste de l'Assemblée nationale et
visant
- A substituer dans les textes législatifs et réglementaires
(code des pensions militaires d'invalidité et des victimes dc guerre
- code de la mutualité), a l'expression "aux opérations
effectuées en AFN", l'expression "guerre d'Algérie
et opérations effectuées en AFN" (proposition des socialistes
déposée le 22-12-1998);
2 - A obtenir la reconnaissance du caractère de journée
nationale du souvenir et du recueillement au 19 mars, date anniversaire
du cessez-le-feu de 1962 en Algérie (proposition des communistes
déposée le 7-7-1998).
En ce qui concerne la 1ère proposition, elle contient une idée
généreuse qui consiste à ouvrir un droit à
des titres de pension et à réparation, à une aide
sociale, ainsi qu'à la délivrance de la carte du combattant
à tous les anciens d'AFN ayant été exposés
au feu des combats pendant 18 mois. Par contre, elle est discutable sur
le plan juridique car peut-on assimiler à une guerre, notamment
en Algérie, des opérations militaires qui avaient pour mission
de maintenir l'ordre dans des départements français, face
à des terroristes, ignorant les lois internationales de la guerre
et soutenus et alimentés en armes par l'étranger (pays arabes
et bloc soviétique).
Quant à la 2è proposition, il convient de souligner que
si la date du 19 mars devait être retenue pour célébrer
la fin de la " guerre " d'Algérie, elle ne saurait en
aucun cas être celle d'une victoire sur l'ennemi comme le 11-11-1918
ou le 8-5-1945.
------Ce jour ne rappellerait pas non plus,
comme en 1918 et en 1945, la paix retrouvée au milieu d'une liesse
générale car:
- Conformément aux accords d'Evian du 18 mars. l'Armée française
a respecté le cessez-le-feu dès le lendemain, alors que
le FLN. continuait ses exactions en massacrant les musulmans fidèles
à la France (Harkis) en enlevant et en massacrant des milliers
d'Européens (Oran le 5 juillet 1962):
- Du 19 mars au 2 juillet 1962 (date de l'indépendance de l'Algérie),
des luttes fratricides opposèrent les éléments de
l'O,A.S. a des unités régulières faisant encore de
nombreuses victimes militaires et civiles;
- les prisonniers de guerre du FLN., dont la plupart des appelés
du contingent, étaient au nombre de 348.
On n'a retrouve que 5 survivants.
------Enfin le 19 mars est une journée
de deuil pour un million de Français d'Algérie, condamnés
à un tragique et douloureux exode, après avoir été
arrachés à leur terre natale et dépouilles de leurs
biens. Ils ne méritaient certes pas un tel destin, eux qui avaient
largement contribué à faire de cette province un pays moderne
et prospère, et qui, en grand nombre (16,4 % de la population européenne
mobilisée de 1943 à 1945) avaient participé aux combats
de libération de la Métropole.
------Les signataires de la présente
pétition, compte tenu de ce qui précède, soucieux
de leur devoir de mémoire, respectueux des Morts pour la France
et de toutes les victimes, civiles et militaires, qui ont ensanglanté
l'A.EN. de 1952 à 1962, également désireux de préserver
la solidarité et la cohésion du monde combattant:
------1 - Dénoncent fermement et solennellement
les arrières-pensées politiciennes qui se manifestent à
la veille de grandes consultations électorales de 1999 et de
2002;
------2 - Expriment le souhait que la direction
nationale de l'Épaulette intervienne auprès des autorités
compétentes et mette tout en oeuvre pour que la date du 19 mars
soit définitivement écartée du calendrier des journées
nationales du Souvenir.
( Information U.N.C Côte d'Or )
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