Anne CAZAL Fronton, le 2 février 2012
Déléguée Générale
Monsieur Pierre COHEN
Député Maire de Toulouse
Hôtel de Ville
Place du Capitole
31000 TOULOUSE
Lettre ouverte
Recommandée + A.R. N°1A 042 181
9349 3
Monsieur
le Député Maire,
J’apprends
vous avez pris la décision de débaptiser
le pont Bayard à Toulouse pour lui donner
désormais comme nom « Pont du
19 mars 1962 »… Peut-on dire
que la ville rose va s’anoblir par une
telle décision ? Peut-on affirmer
que le Chevalier sans peur et sans reproche,
ayant largement fait ses preuves de
Marignan à Mézières, cède la place à
une page d’Histoire de France plus glorieuse
que celles qu’il a écrites ? Cela
reste à voir !
Vous
estimez peut-être, Monsieur le Député
Maire, que les Français considèrent
massivement le 19 mars comme « la
date qui convient le mieux pour honorer
la mémoire des morts pour la France
en Afrique du Nord », c’est
du moins l’impression qu’en a donné
votre collaborateur, M. Michel Pech,
en l’annonçant…
Je
doute fort que les familles éprouvées
des 537 soldats français prisonniers
de l’A.L.N. en Algérie, qui, malgré
les accords d’Evian – capitulation
française devant un ennemi vaincu
– et la convention de Genève, n’ont
jamais été rendus à la France, partagent
votre choix.
Vous
considérez certainement que cette date
repose, en effet, sur une réalité historique
puisque, comme beaucoup de nos élus,
hélas, vous la considérez comme la date
du cessez-le-feu en Algérie, seulement
c’est là l’erreur que commettent tous
ceux qui ignorent la réalité des faits,
ou qui n’ont vu dans le drame humain,
véritable génocide dont le 19 mars marque
le début, que « la quille ! ».
Il y a quelques années, un député de
votre groupe, M. Néri, m’avait répondu :
« Nous célébrons le 19 mars,
parce que c’est le jour où les petits
sont rentrés à la maison… ».
En
réalité, et sans vouloir vous offenser,
il semble que vous maîtrisiez peu la
réalité historique, ce qui, pour un
représentant du peuple français, peut
engendrer une déficience grave, puisque
la loi N° 74 – 1044 du 9 décembre
1974 fixe la fin des combats en Algérie
au 1er juillet 1962,
mais, de plus, la réalité historique,
même si on tente encore de l’occulter,
n’était pas celle d’un cessez-le-feu,
loin s’en faut !
En
fait de cessez-le-feu, l’ordre
de Ben Khedda était un diktat auquel,
dès le 19 mars 1962, le général Ailleret
s’empressa d’obéir en transmettant à
l’armée l’ordre du jour suivant :
« Votre rôle n’est pas terminé.
Vous devez contribuer à empêcher que
le désordre l’emporte, quels que soient
ceux qui tenteraient de le déchaîner
de nouveau. ».
Autrement
dit « Si les Français protestent,
n’hésitez pas à les exterminer ».,
et c’est ainsi que s’ajouta la persécution
au calvaire des Français d’Algérie,
de toutes ethnies, qui apprirent, dans
ce contexte dramatique, que tous leurs
droits civiques de nationaux leur étaient
brusquement retirés, la souveraineté
nationale du peuple se trouvant désormais
concentrée entre les mains du seul corps
électoral métropolitain !
Les
Français d’Algérie, de toutes ethnies,
je le répète, car, contrairement à la
fable imposée, la plus grande partie
des musulmans voulait rester française
(d’où la suppression, dans les accords
d’Evian, du choix de la francisation,
pourtant annoncée et promise par Charles
De Gaulle), ces Français là, de
toutes ethnies, étaient donc ravalés
au rang d’un troupeau de bétail qu’on
menait à l’abattoir en s’indignant qu’il
n’accepte pas, de bon gré, le mauvais
sort qu’on lui imposait…
Mais
nous étions des hommes, des êtres humains !
Nous ne pouvions endurer sans broncher
les attentats, les enlèvements qui se
multipliaient et qui n’étaient pas seulement
imputables au FLN, mais bien souvent
aux barbouzes gaullistes, ces mercenaires,
condamnés de droit commun, sortis tout
droit des prisons françaises pour détruire,
en Algérie, le parti de la France …
« Fin
de la guerre d’Algérie » a
osé déclarer l’un des récipiendaires
de « la médaille du cinquantenaire
du 19 mars » (parce que vous
avez osé créer une « médaille
du cinquantenaire du 19 mars »,
en oubliant que les médailles gagnées
au feu par les Français d’Algérie d’origine
musulmane, en vrais combattants, pendant
les deux guerres mondiales, le FLN les
leurs a fait avaler avant de les égorger,
et ceci aux portes des casernes où les
troupes françaises étaient consignées sur
ordre du Chef de l’Etat français !).
Fin
de la guerre d’Algérie !…
Et Bab-el-Oued ? Et la rue d’Isly
? Et le génocide d’Oran ? Et l’extermination,
non seulement ders Harkis, mais de villages
entiers où ils se réfugiaient (de l’aveu
même de Bouteflika !)Budapest ?
Varsovie ? Massacre des innocents ?
Shoa ? Ou toutes ces atrocités
à la fois ? Il n’est pas possible,
Monsieur le Député Maire, à moins que
vous soyez trop jeune, que vous n’ayez
jamais entendu ces plaintes déchirantes,
ces râles désespérés, ces implorations
pitoyables, retransmises pourtant, sept
jours après ce que vous appelez le
cessez-le-feu Algérie, sur les ondes
de radio Luxembourg et d’Europe 1… Quels
crimes avaient commis les hommes, les
femmes, les vieillards et les enfants
qui furent massacrés lors de la manifestation
de solidarité du 26 mars 1962 ?
Celui d’être français et d’oser le dire !
Est-ce
que 5 juillet 1962 et jours suivants
à Oran auraient disparu du calendrier
comme de la mémoire des hallucinés qui
prétendent que la guerre d’Algérie se
serait terminée le 19 mars … Madame
Sallaberry, officier en retraite et
ancienne chancelière de l’armée française,
était en fonction, à cette époque, au
bureau des exactions à Rocher Noir :
elle affirme sous serment que le
nombre des victimes du pogrom de cette
sinistre journée et de celles qui ont
suivies est plus proche de 4.000 que
de 3000 !... Et cet ethnocide
a été perpétré en toute impunité, le
Général Katz ayant consigné toutes les
troupes françaises pour obéir à l’ordre
criminel reçu de l’Elysée : « Surtout,
ne bougez pas ! ».
La
France ne s’est pas beaucoup préoccupée
du sort de ses disparus. Elle en a caché
l’horreur tant qu’elle a pu. Il a fallu
qu’en 1971, par une déclaration
solennelle à la presse, le Chef de l’Etat
algérien, le colonel Boumedienne, en
bon héritier des pirates du temps de
la régence turc, déclare que son pays
détenait toujours UN GRAND NOMBRE
D’OTAGES FRANÇAIS, indiquant que,
lorsqu’il le faudrait, il en communiquerait
la liste exacte, mais que POUR LA
LIBERATION DE CES OTAGES, LA France
DEVRAIT Y METTRE LE PRIX …
Ce qu’elle n’a pas fait.. Et le monde
moderne, dit humaniste, ne s’est pas
indigné de telles ignominies…
J’ose
espérer, bientôt un demi-siècle après
le drame du 19 mars, que tous ceux qu’on
a appelé « les disparus »
sont morts, comme le sont aussi tous
les musulmans du parti de la France,
et je n’évoque pas seulement les Européens
ou les Harkis, Moghaznis, ou fonctionnaires
musulmans… J’ose espérer que le fleuve
de sang ouvert le 19 mars 1962 n’est
plus qu’un immense charnier où se décompose,
avec la dernière flambée du patriotisme
français, les restes de près de deux
cent mille êtres humains qui aimaient
la France et qui sont morts à cause
de cet attachement…
Et
puis, Monsieur le Député Maire, lorsqu’on
accepte la charge d’une députation,
il me semble qu’au plan légal, on devient,
sinon garant, du moins gardien de la
Constitution française. Vous, bien au
contraire, vous voulez en afficher
la violation sur les murs de la ville
dont vous êtes le premier magistrat !
En voulez-vous les preuves ?
Charles
De Gaulle, chef de l’Etat français de
l’époque, a commencé par violer cette
loi incontournable voulue et votée spontanément
par le peuple français le 28 septembre
1958, portant sur l’intégrité du
territoire national… Ayant l’obligation
de respecter ce vote, le Chef de l’Etat
n’a pas appliqué la volonté du peuple
puisque, après trois ans de manœuvres
politiciennes contraires à celle-ci,
il a exclu du vote concernant le sort
de cette partie du territoire national
appelée Algérie, tous les Français à
part entière qui y résidaient alors
que leurs vies et leurs biens étaient
justement mis en jeu par ce vote…
La
deuxième violation de la Constitution
Française concerne la liberté de penser
de tous les citoyens et, quoi qu’on
en dise, elle est encore en vigueur
aujourd’hui… La Déclaration des Droits
de l’Homme de 1789 affirmait bien que
« Nul ne doit être inquiété
pour ses opinions » et
que « La libre communication
des pensées est un des droits les plus
précieux de l’homme »…
Nous pouvons crier la vérité, Monsieur
le Député Maire, nous pouvons nous user
les doigts à écrire la vérité, nous
pouvons nous déchirer le cœur à la proclamer,
en général, les politiciens de gauche
comme de droite n’y répondent pas
parce qu’ils ne veulent pas reconnaître
les crimes du maître à penser que tous
ont déifié, alors que le tout premier
des crimes gaullistes a été la dégradation
même de l’esprit humain !
Le
troisième des crimes gaullistes est
celui qui a porté atteinte à la Liberté
… L’article IX de la déclaration de
1948 précise : « Nul
ne peut être arbitrairement détenu ou
exilé… ». Alors là, combien
de milliers de Français d’Algérie ont
été arrêtés, incarcérés, torturés, mis
au secret sans jugement, relâchés par
des magistrats, puis repris par des
barbouzes, ou dénoncés à l’ennemi de
la veille par ces mêmes barbouzes selon
les ordres criminels du Chef de l’Etat
français ? On ne le chiffrera jamais,
même si s’entrouvrent, aujourd’hui,
des archives soigneusement expurgées…
Mais il n’empêche que, depuis la violation
de la Constitution Française, la France
n’est plus une démocratie, mais un pâle
reflet qui n’a plus rien à voir avec
la bravoure du Chevalier Bayard !
Vous,
Monsieur le Député Maire, vous qui,
en tant que premier magistrat d’une
des plus grandes villes françaises,
devriez être un des garants du respect
de la loi dans un pays de droit, les
violations de la Constitution Française
devraient vous révolter tout comme
elles ont révolté un illustre maître
à penser de votre parti M. François
Mitterrand et tout comme l’écrit aujourd’hui
votre candidat à l’élection présidentielle
M. François Hollande : « La
France s’honorerait à reconnaître ses
responsabilités dans l’abandon volontaire
de nos concitoyens pendant la période
suivant les accords d’Evian et le cessez-le-feu
en Algérie.. ».
Eh
bien, non ! Il semble que vous
ayez oublié l’objectivité et la rigueur
attachées à votre haute fonction !
Pour plaire aux négationnistes de la
FNACA, vous voulez célébrer jusque
sur les murs de la ville un cessez-le-feu
qui n’a jamais existé ! Alors,
Monsieur le Député Maire je vous demande
seulement, en votre âme et conscience,
de vous poser vous-même la question
suivante : que célébrez-vous le
19 mars : un
cessez-le-feu ou une forfaiture
marquant le début d’un génocide ?
Et
pour avoir pris la décision de débaptiser
un pont qui porte le glorieux nom de
Bayard pour le remplacer par la date
d’un « péché mortel »,
comme l’a écrit le Maréchal Juin, ne
réalisez-vous pas que la ville rose,
cette belle ville que nous aimons, va
en perdre jusqu’à cette appellation
de rose tant elle rougira de honte !
Alors ne vous étonnez pas, Monsieur
le Député Maire, que j’appelle, par
cette lettre ouverte, tous les Français
dignes de ce nom, qui souhaitent, non
pas la perdition, mais la réhabilitation
de leur patrie, à une manifestation
de masse pour protester contre un
forfait qui ajoute à la forfaiture !
Et, j’en suis certaine, ils répondront
PRESENTS !
Je vous prie de croire, Monsieur le
Député Maire, à l’expression de mon
écœurement le plus profond.
Anne CAZAL
Déléguée Générale du Comité VERITAS
Doyenne du RNFAA
Membre
de la Commission Histoire & Mémoire
Du CLAN. R