France
-------1962-2002
Les plus récentes études historiques le prouvent : le FLN
n'eut jamais l'intention de respecter les accords d'Évian. Le gouvernement
français lui donna même une sorte de " feu vert "pour
tout ce qui allait suivre.
-------On ne peut
pas affirmer que la guerre d'Algérie s'est bien terminée,
ni même qu'elle s'est terminée »constate Guy Pervillé,
professeur à l'université de Toulouse-le Mirail. Dans sa
toute récente synthèse, Pour une histoire de la guerre d'Algérie,
il aborde le sujet de la paix manquée. Impossible de considérer
la date officielle du cessez-le-feu, le 19 mars à midi, comme la
fin de la guerre. Il s'agissait pourtant de l'un des objectifs des accords
signés la veille à Evian.
-------Ce
cessez-le feu devait mettre fin « aux opérations militaires
et à toute action armée », interdisait « tout
recours aux actes de violence individuelle et collective », «
toute action clandestine et contraire à l'ordre public ».
Etait précisé que seules les forces françaises pourraient
circuler librement jusqu'au résultat de l'autodétermination,
en évitant tout contact avec les forces du FLN. S'il y avait des
incidents, des commissions mixtes les régleraient.
Quant aux déclarations générales de ces accords,
elles fixaient le partage des compétences pendant la période
transitoire, promettaient un référendum d'autodétermination
et une amnistie, proclamaient la souveraineté du futur Etat algérien,
garantissaient les libertés et la sécurité de tous
ses habitants et envisageaient la coopération future entre les
deux pays.
-------En
réalité, ce « bien étrange document »
(selon Robert Buron) sanctionnait une situation paradoxale et des objectifs
divergents. Sur le terrain militaire, à la suite du plan Challe,
une quasi-victoire est incontestable. Mais le gouvernement français
ne tient pas à l'exploiter afin de ne pas froisser les représentants
du FLN.
-------Très
différents sont les buts algériens : arracher un traité
entre deux gouvernements afin de garantir l'intégrité du
territoire et obtenir « la reconnaissance du GPRA comme interlocuteur
exclusif et représentant authentique du peuple algérien
» (El Moudjahid du 19 mars). Et Maurice Duverger affirme dans le
Monde du 27 mars : « On ne peut nier l¹importance des garanties
que les accords d¹Evian établissent pour les Français
d¹Algérie. »
-------Dès
le 27 février, l'état-major général de l'Armée
de libération nationale (ALN) vote contre leur ratification. Trois
mois plus tard, le Conseil national de la révolution algérienne
(CNRA) les définit comme « une plate-forme néocolonialiste
», « un frein à la révolution » et préconise
leur révision. Un mois avant d'être officiellement ratifiés
par le référendum du 1er juillet 1962, les accords avaient
été désavoués unilatéralement par ceux
qui les avaient négociés !
-------Comment,
dans ces conditions, imaginer que la naissance de ce nouvel Etat, l'Etat-FLN,
puisse se faire autrement que dans le drame et le chaos ? Du 19 mars au
31 décembre 1962, 3 018 civils européens furent signalés
disparus. Seuls 1 245 furent retrouvés vivants. Un bilan officiel
sous-estimé : en 1986, il y avait encore 3 000 Français
disparus en possibilité de survie. Parmi les rapatriés,
on parle de 9 000 enlèvements, voire 25 000. S¹ajoutent 297
civils victimes d¹attentats de l'ALN.
-------Devant
cette insécurité, ce manque de confiance dans les garanties
d¹Evian, les Français d'Algérie choisirent la valise
plutôt que le cercueil. Au début de 1962, 85 % d¹entre
eux n¹avaient pas encore quitté le pays. A la fin de l¹année,
il en restait moins de 20 %. Les plasticages de l'Organisation armée
secrète (OAS) et sa politique de la terre brûlée ne
furent pas les causes essentielles de cet exode, mais plutôt la
conséquence, observe Pervillé. Ce que confirment les témoignages
recueillis par l¹historienne Jeannine Verdès-Leroux : «
On se demande si la question de leur sort réel a préoccupé
les négociateurs et le gouvernement. Qui les avait jamais écoutés
? » Autres victimes, les harkis. Combien furent assassinés
? Les chiffres officiels avancent dix mille harkis exécutés
entre le 19 mars et le 1er novembre 1962. Plus vraisemblable est la tragique
estimation de Mohand Hamoumou : entre 72 000 et 108 000 morts (Et ils
sont devenus harkis, Fayard, 1993). Tous ces chiffres sont des extrapolations
à partir d¹estimations fondées sur un ou plusieurs
témoignages localisés.
«La seule victoire, c'est de s'en aller »
-------Contrairement
aux accords signés et aux engagements pris le 9 novembre 1961,
la chasse aux harkis s'institutionnalisa : chaque willaya voulut se donner
une image ultra-nationaliste en organisant des procès de "
collaborateurs ". En juillet 1962, le 2e Bureau français estime
que « les ordres ont été
donnés par des échelons élevés du FLN, ou
au minimum avec leur grande complaisance ».
-------Sont exécutés opposants
et messalistes, rappelle Jacques Valette (la Guerre d'Algérie des
Messalistes 1954-1962, L'Harmattan). Ce qui fit écrire à
Jean Daniel, le 1er novembre 1962, dans l'Express : « Presque tous
les chefs (du FLN) avaient été au-dessous de la mission
que l'histoire leur avait assignée. »
-------A qui les responsabilités ?
L'OAS ? Selon le général de Gaulle, elle porte la responsabilité
principale du désastre. Explication insuffisante, note Pervillé.
Certes, il y eut des meurtres (1 658 lui sont imputés) et une volonté
de provocation pour obliger l'armée française à choisir
son camp. Mais Salan désapprouva toujours le terrorisme aveugle
qui dressait une communauté contre une autre et l¹historien
« ne peut expliquer ni juger l'action
de l'OAS isolément de celle du FLN ».
-------A partir d¹avril, le FLN multiplia
les enlèvements, déclencha en mai une vague d¹attentats
publiquement revendiqués, entreprit un grignotage systématique
des quartiers européens, bafoua et vida de leur contenu tous les
accords du 18 mars. Un programme si méthodique qu'il semble voulu,
suggère l'historien.
-------Les autorités françaises
? Elles réagissent avec vigueur aux violations du cessez-le-feu
commises par l¹OAS, avec mollesse à celles commises par le
FLN-ANL. « Prévenir et réprimer les entreprises de
l'OAS est une mesure qui prime tout par rapport au reste », indique
le général de Gaulle, ce qui entraîna une collaboration
entre responsables de la lutte anti-OAS et FLN. En outre, le gouvernement
mène de front deux politiques incompatibles, la coopération
(les accords d'Evian) et l'arrachement : «
La seule victoire, c'est de s'en aller », déclare
de Gaulle lors du conseil des ministres du 4 mai.
-------Ainsi, conclut Perdillé, «
la guerre d'Algérie ne s'est pas terminée par une victoire
française, ni par une paix sans vainqueurs ni vaincus, mais par
une victoire politique du FLN, mal assumée par celui-ci ».
Frédéric
Valloire
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