sur site le 15/03/2002
Mars 1962 en Algérie, après les accords d'Évian
Guerre d'Algérie : Les mensonges du 19 mars

1962-2002 Les plus récentes études historiques le prouvent : le FLN n'eut jamais l'intention de respecter les accords d'Évian. Le gouvernement français lui donna même une sorte de " feu vert "pour tout ce qui allait suivre.
Valeurs Actuelles n° 3407 paru le 15 Mars 2002

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France

-------1962-2002 Les plus récentes études historiques le prouvent : le FLN n'eut jamais l'intention de respecter les accords d'Évian. Le gouvernement français lui donna même une sorte de " feu vert "pour tout ce qui allait suivre.

-------On ne peut pas affirmer que la guerre d'Algérie s'est bien terminée, ni même qu'elle s'est terminée »constate Guy Pervillé, professeur à l'université de Toulouse-le Mirail. Dans sa toute récente synthèse, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, il aborde le sujet de la paix manquée. Impossible de considérer la date officielle du cessez-le-feu, le 19 mars à midi, comme la fin de la guerre. Il s'agissait pourtant de l'un des objectifs des accords signés la veille à Evian.
-------Ce cessez-le feu devait mettre fin « aux opérations militaires et à toute action armée », interdisait « tout recours aux actes de violence individuelle et collective », « toute action clandestine et contraire à l'ordre public ». Etait précisé que seules les forces françaises pourraient circuler librement jusqu'au résultat de l'autodétermination, en évitant tout contact avec les forces du FLN. S'il y avait des incidents, des commissions mixtes les régleraient.
Quant aux déclarations générales de ces accords, elles fixaient le partage des compétences pendant la période transitoire, promettaient un référendum d'autodétermination et une amnistie, proclamaient la souveraineté du futur Etat algérien, garantissaient les libertés et la sécurité de tous ses habitants et envisageaient la coopération future entre les deux pays.
-------En réalité, ce « bien étrange document » (selon Robert Buron) sanctionnait une situation paradoxale et des objectifs divergents. Sur le terrain militaire, à la suite du plan Challe, une quasi-victoire est incontestable. Mais le gouvernement français ne tient pas à l'exploiter afin de ne pas froisser les représentants du FLN.
-------Très différents sont les buts algériens : arracher un traité entre deux gouvernements afin de garantir l'intégrité du territoire et obtenir « la reconnaissance du GPRA comme interlocuteur exclusif et représentant authentique du peuple algérien » (El Moudjahid du 19 mars). Et Maurice Duverger affirme dans le Monde du 27 mars : « On ne peut nier l¹importance des garanties que les accords d¹Evian établissent pour les Français d¹Algérie. »
-------Dès le 27 février, l'état-major général de l'Armée de libération nationale (ALN) vote contre leur ratification. Trois mois plus tard, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) les définit comme « une plate-forme néocolonialiste », « un frein à la révolution » et préconise leur révision. Un mois avant d'être officiellement ratifiés par le référendum du 1er juillet 1962, les accords avaient été désavoués unilatéralement par ceux qui les avaient négociés !
-------Comment, dans ces conditions, imaginer que la naissance de ce nouvel Etat, l'Etat-FLN, puisse se faire autrement que dans le drame et le chaos ? Du 19 mars au 31 décembre 1962, 3 018 civils européens furent signalés disparus. Seuls 1 245 furent retrouvés vivants. Un bilan officiel sous-estimé : en 1986, il y avait encore 3 000 Français disparus en possibilité de survie. Parmi les rapatriés, on parle de 9 000 enlèvements, voire 25 000. S¹ajoutent 297 civils victimes d¹attentats de l'ALN.
-------Devant cette insécurité, ce manque de confiance dans les garanties d¹Evian, les Français d'Algérie choisirent la valise plutôt que le cercueil. Au début de 1962, 85 % d¹entre eux n¹avaient pas encore quitté le pays. A la fin de l¹année, il en restait moins de 20 %. Les plasticages de l'Organisation armée secrète (OAS) et sa politique de la terre brûlée ne furent pas les causes essentielles de cet exode, mais plutôt la conséquence, observe Pervillé. Ce que confirment les témoignages recueillis par l¹historienne Jeannine Verdès-Leroux : « On se demande si la question de leur sort réel a préoccupé les négociateurs et le gouvernement. Qui les avait jamais écoutés ? » Autres victimes, les harkis. Combien furent assassinés ? Les chiffres officiels avancent dix mille harkis exécutés entre le 19 mars et le 1er novembre 1962. Plus vraisemblable est la tragique estimation de Mohand Hamoumou : entre 72 000 et 108 000 morts (Et ils sont devenus harkis, Fayard, 1993). Tous ces chiffres sont des extrapolations à partir d¹estimations fondées sur un ou plusieurs témoignages localisés.
«La seule victoire, c'est de s'en aller »


-------Contrairement aux accords signés et aux engagements pris le 9 novembre 1961, la chasse aux harkis s'institutionnalisa : chaque willaya voulut se donner une image ultra-nationaliste en organisant des procès de " collaborateurs ". En juillet 1962, le 2e Bureau français estime que « les ordres ont été donnés par des échelons élevés du FLN, ou au minimum avec leur grande complaisance ».
-------Sont exécutés opposants et messalistes, rappelle Jacques Valette (la Guerre d'Algérie des Messalistes 1954-1962, L'Harmattan). Ce qui fit écrire à Jean Daniel, le 1er novembre 1962, dans l'Express : « Presque tous les chefs (du FLN) avaient été au-dessous de la mission que l'histoire leur avait assignée. »
-------A qui les responsabilités ? L'OAS ? Selon le général de Gaulle, elle porte la responsabilité principale du désastre. Explication insuffisante, note Pervillé. Certes, il y eut des meurtres (1 658 lui sont imputés) et une volonté de provocation pour obliger l'armée française à choisir son camp. Mais Salan désapprouva toujours le terrorisme aveugle qui dressait une communauté contre une autre et l¹historien « ne peut expliquer ni juger l'action de l'OAS isolément de celle du FLN ».
-------A partir d¹avril, le FLN multiplia les enlèvements, déclencha en mai une vague d¹attentats publiquement revendiqués, entreprit un grignotage systématique des quartiers européens, bafoua et vida de leur contenu tous les accords du 18 mars. Un programme si méthodique qu'il semble voulu, suggère l'historien.
-------Les autorités françaises ? Elles réagissent avec vigueur aux violations du cessez-le-feu commises par l¹OAS, avec mollesse à celles commises par le FLN-ANL. « Prévenir et réprimer les entreprises de l'OAS est une mesure qui prime tout par rapport au reste », indique le général de Gaulle, ce qui entraîna une collaboration entre responsables de la lutte anti-OAS et FLN. En outre, le gouvernement mène de front deux politiques incompatibles, la coopération (les accords d'Evian) et l'arrachement : « La seule victoire, c'est de s'en aller », déclare de Gaulle lors du conseil des ministres du 4 mai.
-------Ainsi, conclut Perdillé, « la guerre d'Algérie ne s'est pas terminée par une victoire française, ni par une paix sans vainqueurs ni vaincus, mais par une victoire politique du FLN, mal assumée par celui-ci ».

Frédéric Valloire