MARENGO " VILLE LUMIÈRE
"
-------Souvenir d'une victoire impériale
en Italie, ce n'est en effet qu'en octobre 1848 qu'un Officier du Génie
Militaire, le capitaine de MALGLAIVE, dirigea les travaux d'édification
de MARENGO. PARIS, avec son sens déjà profond des réalités,
souhaitait que MARENGO s'installe de part et d'autre de l'oued MEURAD
dont les berges étaient mangées de marécages. Le
capitaine de MALGLAIVE préféra asseoir MARENGO au sommet
d'un petit mamelon, 500 m à l'est de l'oued en question.
-------Village-camp d'une centaine de feux,
avec ses rues perpendiculaires, ses quatre places centrales, MARENGO,
village gageure poussé au milieu d'une nature pour le moins inclémente,
se peupla peu à peu de déportés politiques et d'hommes
courageux, un brin aventuriers, que les tâches rudes qui les attendaient
ne rebutaient pas.
-------Un millier de parisiens s'installent
précairement début 1849 qui fut une année noire.
Après le paludisme et le choléra, il ne reste plus que
40 familles qui survivent.
-------Alsaciens, Lorrains, Italiens, Maltais,
Espagnols arrivent et s'intègrent en une grande communauté
fraternelle. Peu à peu la vie s'y organisa. Les cultures remplacèrent
progressivement les marais et les palmiers nains qui foisonnaient.
- -------Les diligences apparaissaient
assurant différents services, notamment MARENGO-ALGER, MARENGO-BLIDA.
Beaucoup en gardent le souvenir.
-------Capitale de l'Ouest MITIDJA, MARENGO
fut longtemps l'une des capitales algériennes du paludisme. Mais
l'assèchement du lac HALLOULA dont Marc d'HERE fut l'instigateur
et la disparition des marécages, lui firent perdre ce titre fiévreux,
ô combien !
-------En 1880, la vigne est plantée
sur la MITIDJA, cette magnifique réussite permettra à
tous les colons de voir enfin leurs efforts récompensés.
FRAICHEUR
ET VERDURE
-------Si
MARENGO a été dans le passé l'un des villages de
colonisation les plus audacieusement placés, elle devint une
grande ville (2 groupes scolaires, un stade magnifique, une salle des
fêtes, un hôpital). Le parc J.F. MULLER est une adorable
corbeille de fleurs qui parfument les soirées des promeneurs.
Le système d'éclairage aménagé est digne
du nom de la cité lumière de la MITIDJA.
-------MARENGO était la capitale
de la " Mouna ". La forêt de SIDI-SLIMANE, aujourd'hui
rasée, était le lieu indiscuté de rendez-vous de
tous les " Mounistes " de la région. Fête pascale
réputée à plus de vingt lieues à la ronde,
avec à sa buvette, son bal champêtre, son ambiance et ses
coins d'ombre inégalables.
-------Plus de forêt, plus de "
Mouna ". Pourtant MARENGO n'en demeure pas moins une capitale de
fraîcheur et de verdure au milieu des vignobles qui la cernent
et nous donnent un petit vin guilleret au bouquet remarquable. C'est
lui que l'on boit à petites gorgées ou à larges
goulées en songeant au passé. Ce passé, le souvenir
d'un homme le domine celui de Jean-François MULLER qui consacra
quarante années de sa vie à l'administration et à
l'embellissement d'une cité qu'il voulait sienne, exclusivement.
Il en fut le maître incontesté malgré les luttes
homériques que lui livrèrent de redoutables adversaires.
Les anciens se rappellent ces combats acharnés avec un petit
sourire en coin. Près de ce pilote incontesté, deux ombres
celles des adjoints Adrien CHASSAGNE et Brahim ECHAIB.
-------Un homme a donné également
beaucoup MARENGO. C'est un médecin de valeur et un homme de coeur
que vénèrent tous les habitants. Est-il besoin de le nommer:
le Docteur Paul VOGT.
LE BIVOUAC
-------Ce
retour au Bivouac de mon enfance s'effectuera sous la forme de photos-flash.
De ces souvenirs fugaces qui nous traversent l'esprit et qui s'évanouissent
après l'éblouissement...
-------De plus loin que je me souvienne,
ce que je retiens de ce fleuve nostalgique, ce sont les colonnes de
véhicules américains traversant le village et les paquets
de chewing-gum et de bonbons colorés et acidulés que les
soldats nous jetaient... Ce sont aussi les tabors marocains enrubannés
et enveloppés dans leurs lourds burnous bruns sur les places
du marché et dans le terrain vague qui précédait
la gare. La nuit, le "blatèrement" des bêtes
me réveillait et je m'imaginais au coeur du Sahara. Le Bivouac,
c'est la buvette de la gare et le souvenir émouvant de Mme VILANI,
de TITINE et de MOUMOUTE... Que de dents de lait ne m'ont-elles pas
arrachées! Je revois le geste rituel du verre d'eau vinaigrée
que l'une ou l'autre me tendait.
-------Le Bivouac c'est encore le souvenir
de nos embuscades contre le petit train dont nous guettions le panache
de fumée depuis le passage à niveau et nos chevauchées
le long des rails. Nous jouions aux indiens car c'était l'époque
du western. Chaque jeudi après-midi, Mme ZVIADADZE conduisait
sa petite bande à l'Idéal ou au Capitole. Nous devenions
alors tout à tour, selon le programme, les héros des films
Buffalo Bih, Kit Carson, Tarzan, Fu-Manchu, ....... sans oublier Tom
Nix et son cheval Tony, Buck Jones, Roy Rogers, Hopalong Cassidy, Randolph
Scott, le chien Rin-Tin-Tin.
-------Les nuits du Bivouac retentissaient
de nos cavalcades, de nos hurlements de sioux, des " Ayou-Siyoumbé
" et du cri de l'homme-singe : Johnny Weissmuller, jusqu'à
ce nos mères nous rappellent aux devoirs, aux leçons ou
à la soupe, à coups de martinet ou de durit... C'est bien
sûr le retour des chasseurs de sangliers et le dépouillement
des bêtes dans le garage de M. CHASSAGNE.
-------Le Bivouac de mon enfance, c'est
le jardin de M. VIDAL et le sel que je voulais mettre sur la queue des
oiseaux pour les capturer.
-------J'entends encore le rire moqueur
de Thomas et son accent espagnol.
-------Le Bivouac ce sont enfin les cigognes
qui revenaient. En mars, elles nichaient sur une des tours du marché.
La nuit, j'entendais le clac-clac de leur bec. J'attendais impatiemment
ce retour et j'assistais, émerveillé, à l'envol
des cigogneaux.
Avec les années, le Bivouac a changé d'aspect : le terrain
vague s'est construit.
La buvette de la gare et le grand champ bordé de roseaux ont
laissé la place à une H.L.M. et une station-service. Le
petit train de notre Far-West a cessé de fumer et la gare a fermé
son guichet. Nous avions, hélas, grandi...
FETES ET LOISIRS
-------Qui
n'a pas vécu les fêtes de MARENGO ne peut imaginer l'importance
qu'elles prenaient dans la vie des Marengoins et des villages voisins.
Celles dont je me souviens le plus clairement appartiennent aux années
50. Fin août, début septembre, à l'approche des
vendanges, le village explosait pendant quelques soirs. Les deux grandes
places que les parties de boules ou le passage d'un cirque animaient
en temps ordinaire, devenaient avec le square J.F. MULLER, un coeur
lumineux et bruyant où convergeaient les deux artères
principales illuminées d'ampoules multicolores.
-------Les forains prenaient possession
des places. C'était alors un maelstrôm de bruits, de lumières
et de mouvements. Les danseurs se pressaient sur la piste circulaire
autour du kiosque. On se grisait de tangos, de valses, de paso-doble,
de sambas, de Spirou, de bombe atomique, de cha-cha-cha, de twist, de
rock, selon les danses à la mode... La philarmonie de MARENGO,
l'orchestre Jo BAROUSSE, la blonde chanteuse Jacqueline DORIS, du petit
music-hall de la rue d'Isly, animaient les bals. Ils avaient succédé
à l'orchestre ESTANG dont les anciens se souviennent, notamment
de Lulu BORG et de XUEREB...
-------Une année, MARENGO accueillit
le comédien-chanteur Henri GARAT, partenaire de Danielle DARRJEUX,
dans " Un mauvais garçon ". Il était au crépuscule
de sa carrière.
-------Les danseurs s'en donnaient à
coeur joie sous les yeux de la foule, assise ou debout autour de la
piste ou derrière les grilles de l'enceinte, sous les palmiers
et le grand ciel de l'été.
-------On allait manger le bousoulouf ou
la loubia dans les gargotes ou les cafés MARIN, PERES, SIRERA,
DJAZ, MARABELLE, ORTIZ, REGNIERS, MORTINI, YVORRA, GORMOND. On dégustait
brochettes et kémia aux terrasses, dans les chaudes nuits étoilées.
-------Fêtes de MARENGO, fêtes
trépidantes, vous vibrez encore dans nos souvenirs avec les silhouettes
et les visages de tous nos disparus.
-------L'hiver, les loisirs se partageaient
entre le stade et le cinéma. Le stade de MARENGO s'étendait
dans la partie basse du village, au nord-ouest. Il était bordé
d'eucalyptus et les tribunes tournaient le dos à l'oued MEURAD.
M. Eugène PERAULT en assurait le gardiennage et l'entretien,
puis ce fut Félix RAMOS et son épouse qui tenaient aussi
la buvette au pied des tribunes. L'O.M. et l'U.S.M.M. se partageaient
le terrain. Les dimanches après-midi on entendait les clameurs
qui saluaient les rencontres avec les plus célèbres: OHD
- FCB - USB - ASSE - ASB -SCUEB - GALLIA - RCMC (frères KHELIFA).
-------A ses nombreux titres de gloire,
MARENGO ajoute celui du foot. Son équipe, l'Olympique de MARENGO
fait souvent parler d'elle, pour le meilleur et pour le pire. Et chaque
dimanche soir de la saison, les commentaires vont bon train, aussi abondants
que contradictoires et régulièrement ponctués de
rasades anisées.
-------N'est-elle pas enfin la capitale
de la belle et bonne musique. Et l'Union Musicale ne continue-t-elle
pas de récolter palmes et récompenses, comme d'ailleurs
l'Association Bouliste dont les nombreux trophées ornent la belle
vitrine de la Brasserie des Sports.
-------Mais le sport était plus
largement représenté encore. Chaque dimanche l'on pouvait
voir évoluer sur le terrain, le basket-ball (section masculine
et section féminine), le rugby (champion d'Algérie), le
tennis, 1'U.S.M.M., la gymnastique, sans oublier l'Amicale de Vétérans
de l'O.M.
-------Ces compétitions permettaient
de donner une certaine animation à la ville.
-------On terminait souvent la journée
dominicale par une séance de cinéma au Capitole ou à
l'Idéal. Sur la scène de la salle des fêtes se produisit
dans les années 49/51, la troupe de comédiens locaux.
Ils jouèrent notamment " Trois garçons et une fille
" et " L'école des contribuables ".
-------Le Capitole (ancienne cave MULLER)
connut ses heures de gloire avec les concerts Mayol et leurs Nus (Phiphi),
Milton le roi des resquilleurs, Marie Dubas, les Trois Baudets, la troupe
théâtrale de Radio-Alger (Renée Audibert, André
Lesage. Max Roire. Clément Béram, Catherine Georges...).
Cette troupe nous divertissait le mardi soir (pièces osées)
et le dimanche soir (pièces policières) à la radio
que nous écoutions fidèlement. L'idéal et le Capitole,
c'est aussi le souvenir de BELKACE, opérateur et colleur d'affiches
(les cinéphiles qui auront vu le beau film Cinéma Paradisio,
auront peut-être pense a BELKACE), de Marie-Claire, la placeuse,
du marchand de cacahuètes et de bonbons " Afric-Film "et
Thomas Père et Fils vendant les oublies et les cerises de sucre
rouge dans leur charrette à bras, le dimanche matin à
la sortie de l'église et l'après-midi devant les cinémas.
-------En été, les plages
du CHENOUA, de MATARESSE, du CAROUBIER. du KOUALI et la jetée
de TIPASA connaissaient une grande animation.
-------Les dimanches à MARENGO,
c'était aussi la messe (qui ne se souvient des Abbés ROUX,
VITALIS. GENOUD et TOURNIER?), la promenade dans la Grande-Rue, la pâtisserie
PERRIN, l'apéritif, les glaces de chez MARABELLE, les parties
de boule sur les places et les parties de cartes dans les cafés.
-------En juin 1955, la venue de la troupe
du " Gitano Blanco " mit MARENGO à l'heure andalouse.
Pendant plusieurs soirs, le coeur du village retentit du claquement
sec et syncopé des talons et des castagnettes.
-------Les kermesses du cours élémentaires
et des soeurs de St-Vincent de Paul mettaient un terme à l'année
scolaire. Elles connaissaient un vif succès.
-------Je ne voudrais pas terminer cette
chronique des années douces sans parler de M. MARTIN professeur
de français et d'histoire-géographie, qui fut un excellent
pédagogue et un animateur enrichissant. Je garde de ces deux
années passées dans sa classe (4e et 3e) un souvenir ému.
-------Grâce à son dynamisme
et à sa culture littéraire (avant-gardiste pour l'époque),
nous avons cultivé notre jardin et élargi notre horizon.
Il nous a ouvert les portes du théâtre en faisant venir
à MARENGO, la troupe de Henri CORDREAUX et en nous conduisant
à TIPASA et à CHERCHELL pour y applaudir la Comédie
Française dans les ruines romaines.Il fonda un ciné-club
qui nous permit de découvrir dans la salle de l'idéal
et des soeurs de St-Vincent. quelques grands classiques du cinéma.
Merci M. MARTIN.
-------En 1962. nous laissons un chef-lieu
de canton riche et prospère. Petite ville balise à la
limite ouest de la MITIDJA, MARENGO a toujours joué les vedettes
et ce. sans chercher, ni même le vouloir. Tout naturellement.
Racée, élégante, fraîche, un brin de distinction
aux lèvres, elle attirait beaucoup de gens qui s'y fixèrent,
s'y attachèrent et l'aimèrent.Elle était l'une
des capitales du bonheur d'une Algérie Française à
jamais perdue.
R. DANJOU et Pierre
Vincent CATALA et l'aimable autorisation de Colette DAGNINO
et Yves LASPLACE
haut de page