-Marengo, ville lumière.
extrait des échos d'Alger, mars 1997, n°57
même article dans pnha n°51 de novembre 1994
R. DANJOU et Pierre Vincent CATALA et l'aimable autorisation de Colette DAGNINO
et Yves LASPLACE
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sur site le 17/03/2002

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MARENGO " VILLE LUMIÈRE "
-------Souvenir d'une victoire impériale en Italie, ce n'est en effet qu'en octobre 1848 qu'un Officier du Génie Militaire, le capitaine de MALGLAIVE, dirigea les travaux d'édification de MARENGO. PARIS, avec son sens déjà profond des réalités, souhaitait que MARENGO s'installe de part et d'autre de l'oued MEURAD dont les berges étaient mangées de marécages. Le capitaine de MALGLAIVE préféra asseoir MARENGO au sommet d'un petit mamelon, 500 m à l'est de l'oued en question.
-------Village-camp d'une centaine de feux, avec ses rues perpendiculaires, ses quatre places centrales, MARENGO, village gageure poussé au milieu d'une nature pour le moins inclémente, se peupla peu à peu de déportés politiques et d'hommes courageux, un brin aventuriers, que les tâches rudes qui les attendaient ne rebutaient pas.
-------Un millier de parisiens s'installent précairement début 1849 qui fut une année noire. Après le paludisme et le choléra, il ne reste plus que 40 familles qui survivent.
-------Alsaciens, Lorrains, Italiens, Maltais, Espagnols arrivent et s'intègrent en une grande communauté fraternelle. Peu à peu la vie s'y organisa. Les cultures remplacèrent progressivement les marais et les palmiers nains qui foisonnaient.
- -------Les diligences apparaissaient assurant différents services, notamment MARENGO-ALGER, MARENGO-BLIDA. Beaucoup en gardent le souvenir.
-------Capitale de l'Ouest MITIDJA, MARENGO fut longtemps l'une des capitales algériennes du paludisme. Mais l'assèchement du lac HALLOULA dont Marc d'HERE fut l'instigateur et la disparition des marécages, lui firent perdre ce titre fiévreux, ô combien !
-------En 1880, la vigne est plantée sur la MITIDJA, cette magnifique réussite permettra à tous les colons de voir enfin leurs efforts récompensés.

FRAICHEUR ET VERDURE

-------Si MARENGO a été dans le passé l'un des villages de colonisation les plus audacieusement placés, elle devint une grande ville (2 groupes scolaires, un stade magnifique, une salle des fêtes, un hôpital). Le parc J.F. MULLER est une adorable corbeille de fleurs qui parfument les soirées des promeneurs. Le système d'éclairage aménagé est digne du nom de la cité lumière de la MITIDJA.
-------MARENGO était la capitale de la " Mouna ". La forêt de SIDI-SLIMANE, aujourd'hui rasée, était le lieu indiscuté de rendez-vous de tous les " Mounistes " de la région. Fête pascale réputée à plus de vingt lieues à la ronde, avec à sa buvette, son bal champêtre, son ambiance et ses coins d'ombre inégalables.
-------Plus de forêt, plus de " Mouna ". Pourtant MARENGO n'en demeure pas moins une capitale de fraîcheur et de verdure au milieu des vignobles qui la cernent et nous donnent un petit vin guilleret au bouquet remarquable. C'est lui que l'on boit à petites gorgées ou à larges goulées en songeant au passé. Ce passé, le souvenir d'un homme le domine celui de Jean-François MULLER qui consacra quarante années de sa vie à l'administration et à l'embellissement d'une cité qu'il voulait sienne, exclusivement. Il en fut le maître incontesté malgré les luttes homériques que lui livrèrent de redoutables adversaires. Les anciens se rappellent ces combats acharnés avec un petit sourire en coin. Près de ce pilote incontesté, deux ombres celles des adjoints Adrien CHASSAGNE et Brahim ECHAIB.
-------Un homme a donné également beaucoup MARENGO. C'est un médecin de valeur et un homme de coeur que vénèrent tous les habitants. Est-il besoin de le nommer: le Docteur Paul VOGT.

LE BIVOUAC

-------Ce retour au Bivouac de mon enfance s'effectuera sous la forme de photos-flash. De ces souvenirs fugaces qui nous traversent l'esprit et qui s'évanouissent après l'éblouissement...
-------De plus loin que je me souvienne, ce que je retiens de ce fleuve nostalgique, ce sont les colonnes de véhicules américains traversant le village et les paquets de chewing-gum et de bonbons colorés et acidulés que les soldats nous jetaient... Ce sont aussi les tabors marocains enrubannés et enveloppés dans leurs lourds burnous bruns sur les places du marché et dans le terrain vague qui précédait la gare. La nuit, le "blatèrement" des bêtes me réveillait et je m'imaginais au coeur du Sahara. Le Bivouac, c'est la buvette de la gare et le souvenir émouvant de Mme VILANI, de TITINE et de MOUMOUTE... Que de dents de lait ne m'ont-elles pas arrachées! Je revois le geste rituel du verre d'eau vinaigrée que l'une ou l'autre me tendait.
-------Le Bivouac c'est encore le souvenir de nos embuscades contre le petit train dont nous guettions le panache de fumée depuis le passage à niveau et nos chevauchées le long des rails. Nous jouions aux indiens car c'était l'époque du western. Chaque jeudi après-midi, Mme ZVIADADZE conduisait sa petite bande à l'Idéal ou au Capitole. Nous devenions alors tout à tour, selon le programme, les héros des films Buffalo Bih, Kit Carson, Tarzan, Fu-Manchu, ....... sans oublier Tom Nix et son cheval Tony, Buck Jones, Roy Rogers, Hopalong Cassidy, Randolph Scott, le chien Rin-Tin-Tin.
-------Les nuits du Bivouac retentissaient de nos cavalcades, de nos hurlements de sioux, des " Ayou-Siyoumbé " et du cri de l'homme-singe : Johnny Weissmuller, jusqu'à ce nos mères nous rappellent aux devoirs, aux leçons ou à la soupe, à coups de martinet ou de durit... C'est bien sûr le retour des chasseurs de sangliers et le dépouillement des bêtes dans le garage de M. CHASSAGNE.
-------Le Bivouac de mon enfance, c'est le jardin de M. VIDAL et le sel que je voulais mettre sur la queue des oiseaux pour les capturer.
-------J'entends encore le rire moqueur de Thomas et son accent espagnol.
-------Le Bivouac ce sont enfin les cigognes qui revenaient. En mars, elles nichaient sur une des tours du marché. La nuit, j'entendais le clac-clac de leur bec. J'attendais impatiemment ce retour et j'assistais, émerveillé, à l'envol des cigogneaux.
Avec les années, le Bivouac a changé d'aspect : le terrain vague s'est construit.
La buvette de la gare et le grand champ bordé de roseaux ont laissé la place à une H.L.M. et une station-service. Le petit train de notre Far-West a cessé de fumer et la gare a fermé son guichet. Nous avions, hélas, grandi...

FETES ET LOISIRS

-------Qui n'a pas vécu les fêtes de MARENGO ne peut imaginer l'importance qu'elles prenaient dans la vie des Marengoins et des villages voisins. Celles dont je me souviens le plus clairement appartiennent aux années 50. Fin août, début septembre, à l'approche des vendanges, le village explosait pendant quelques soirs. Les deux grandes places que les parties de boules ou le passage d'un cirque animaient en temps ordinaire, devenaient avec le square J.F. MULLER, un coeur lumineux et bruyant où convergeaient les deux artères principales illuminées d'ampoules multicolores.
-------Les forains prenaient possession des places. C'était alors un maelstrôm de bruits, de lumières et de mouvements. Les danseurs se pressaient sur la piste circulaire autour du kiosque. On se grisait de tangos, de valses, de paso-doble, de sambas, de Spirou, de bombe atomique, de cha-cha-cha, de twist, de rock, selon les danses à la mode... La philarmonie de MARENGO, l'orchestre Jo BAROUSSE, la blonde chanteuse Jacqueline DORIS, du petit music-hall de la rue d'Isly, animaient les bals. Ils avaient succédé à l'orchestre ESTANG dont les anciens se souviennent, notamment de Lulu BORG et de XUEREB...
-------Une année, MARENGO accueillit le comédien-chanteur Henri GARAT, partenaire de Danielle DARRJEUX, dans " Un mauvais garçon ". Il était au crépuscule de sa carrière.
-------Les danseurs s'en donnaient à coeur joie sous les yeux de la foule, assise ou debout autour de la piste ou derrière les grilles de l'enceinte, sous les palmiers et le grand ciel de l'été.
-------On allait manger le bousoulouf ou la loubia dans les gargotes ou les cafés MARIN, PERES, SIRERA, DJAZ, MARABELLE, ORTIZ, REGNIERS, MORTINI, YVORRA, GORMOND. On dégustait brochettes et kémia aux terrasses, dans les chaudes nuits étoilées.
-------Fêtes de MARENGO, fêtes trépidantes, vous vibrez encore dans nos souvenirs avec les silhouettes et les visages de tous nos disparus.
-------L'hiver, les loisirs se partageaient entre le stade et le cinéma. Le stade de MARENGO s'étendait dans la partie basse du village, au nord-ouest. Il était bordé d'eucalyptus et les tribunes tournaient le dos à l'oued MEURAD. M. Eugène PERAULT en assurait le gardiennage et l'entretien, puis ce fut Félix RAMOS et son épouse qui tenaient aussi la buvette au pied des tribunes. L'O.M. et l'U.S.M.M. se partageaient le terrain. Les dimanches après-midi on entendait les clameurs qui saluaient les rencontres avec les plus célèbres: OHD - FCB - USB - ASSE - ASB -SCUEB - GALLIA - RCMC (frères KHELIFA).
-------A ses nombreux titres de gloire, MARENGO ajoute celui du foot. Son équipe, l'Olympique de MARENGO fait souvent parler d'elle, pour le meilleur et pour le pire. Et chaque dimanche soir de la saison, les commentaires vont bon train, aussi abondants que contradictoires et régulièrement ponctués de rasades anisées.
-------N'est-elle pas enfin la capitale de la belle et bonne musique. Et l'Union Musicale ne continue-t-elle pas de récolter palmes et récompenses, comme d'ailleurs l'Association Bouliste dont les nombreux trophées ornent la belle vitrine de la Brasserie des Sports.
-------Mais le sport était plus largement représenté encore. Chaque dimanche l'on pouvait voir évoluer sur le terrain, le basket-ball (section masculine et section féminine), le rugby (champion d'Algérie), le tennis, 1'U.S.M.M., la gymnastique, sans oublier l'Amicale de Vétérans de l'O.M.
-------Ces compétitions permettaient de donner une certaine animation à la ville.
-------On terminait souvent la journée dominicale par une séance de cinéma au Capitole ou à l'Idéal. Sur la scène de la salle des fêtes se produisit dans les années 49/51, la troupe de comédiens locaux. Ils jouèrent notamment " Trois garçons et une fille " et " L'école des contribuables ".
-------Le Capitole (ancienne cave MULLER) connut ses heures de gloire avec les concerts Mayol et leurs Nus (Phiphi), Milton le roi des resquilleurs, Marie Dubas, les Trois Baudets, la troupe théâtrale de Radio-Alger (Renée Audibert, André Lesage. Max Roire. Clément Béram, Catherine Georges...). Cette troupe nous divertissait le mardi soir (pièces osées) et le dimanche soir (pièces policières) à la radio que nous écoutions fidèlement. L'idéal et le Capitole, c'est aussi le souvenir de BELKACE, opérateur et colleur d'affiches (les cinéphiles qui auront vu le beau film Cinéma Paradisio, auront peut-être pense a BELKACE), de Marie-Claire, la placeuse, du marchand de cacahuètes et de bonbons " Afric-Film "et Thomas Père et Fils vendant les oublies et les cerises de sucre rouge dans leur charrette à bras, le dimanche matin à la sortie de l'église et l'après-midi devant les cinémas.
-------En été, les plages du CHENOUA, de MATARESSE, du CAROUBIER. du KOUALI et la jetée de TIPASA connaissaient une grande animation.
-------Les dimanches à MARENGO, c'était aussi la messe (qui ne se souvient des Abbés ROUX, VITALIS. GENOUD et TOURNIER?), la promenade dans la Grande-Rue, la pâtisserie PERRIN, l'apéritif, les glaces de chez MARABELLE, les parties de boule sur les places et les parties de cartes dans les cafés.
-------En juin 1955, la venue de la troupe du " Gitano Blanco " mit MARENGO à l'heure andalouse. Pendant plusieurs soirs, le coeur du village retentit du claquement sec et syncopé des talons et des castagnettes.
-------Les kermesses du cours élémentaires et des soeurs de St-Vincent de Paul mettaient un terme à l'année scolaire. Elles connaissaient un vif succès.
-------Je ne voudrais pas terminer cette chronique des années douces sans parler de M. MARTIN professeur de français et d'histoire-géographie, qui fut un excellent pédagogue et un animateur enrichissant. Je garde de ces deux années passées dans sa classe (4e et 3e) un souvenir ému.
-------Grâce à son dynamisme et à sa culture littéraire (avant-gardiste pour l'époque), nous avons cultivé notre jardin et élargi notre horizon. Il nous a ouvert les portes du théâtre en faisant venir à MARENGO, la troupe de Henri CORDREAUX et en nous conduisant à TIPASA et à CHERCHELL pour y applaudir la Comédie Française dans les ruines romaines.Il fonda un ciné-club qui nous permit de découvrir dans la salle de l'idéal et des soeurs de St-Vincent. quelques grands classiques du cinéma.
Merci M. MARTIN.
-------En 1962. nous laissons un chef-lieu de canton riche et prospère. Petite ville balise à la limite ouest de la MITIDJA, MARENGO a toujours joué les vedettes et ce. sans chercher, ni même le vouloir. Tout naturellement. Racée, élégante, fraîche, un brin de distinction aux lèvres, elle attirait beaucoup de gens qui s'y fixèrent, s'y attachèrent et l'aimèrent.Elle était l'une des capitales du bonheur d'une Algérie Française à jamais perdue.

R. DANJOU et Pierre Vincent CATALA et l'aimable autorisation de Colette DAGNINO
et Yves LASPLACE

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