Les marchés
Les marchands ambulants ou les délices d'enfants

par Alfred Langlois
Alfred Langlois m'a adressé des cartes de
Guyotville

 

mise sur site le 18-9-2005
10 Ko
retour
 

RÉGULIÈREMENT passaient dans mon quartier des marchands ambulants, pas de ces grandes boutiques sur roues que l'on voit de nos jours sur les marchés, mais tout simplement un péquin à pied, avec un accessoire manuel ou poussant une simple carriole rudimentaire, quand ce n'était pas une vieille poussette de bébé aménagée.

Celui qui avait notre préférence, je ne pense pas me tromper, était le vendeur de " kikilomètre ", autrement dit le vendeur de guimauve.

vendeur de guimauve


La friandise était lovée autour d'un roseau d'environ 70 à 80 cm de longueur et de diamètre assez large, la partie haute " du délice " formait une pointe et la partie basse était beaucoup plus évasée; il en partait une sorte de mèche que le vendeur tirait, en la tenant entre le pouce et l'index, pour nous débiter la portion commandée moyennant cent sous (5 F d'avant l'euro et d'avant les nouveaux francs). Pour faciliter l'étirement il humectait de temps à autre ses doigts de salive.

Ensuite venait le vendeur de figues de barbarie, les fruits bien mûrs rangés sur sa charrette à bras. Celui-ci s'annonçait, à grand renfort d'appels et nos parents nous donnaient un récipient pour recueillir l'achat de quelques fruits que le " commerçant " pelait sur place avant de les disposer dans notre assiette. Cette manière d'agir était la manière " officielle " et, disons-le, honnête, mais voilà, nous n'étions pas des enfants du faubourg " pour rien " et toutes les occasions étaient bonnes pour " sarraquer ". La technique était simple, nous nous agglutinions à dix ou douze autour du chariot, de manière à l'encercler complètement et, pendant ce temps, deux ou trois compères, à quatre pattes, passaient en douce les mains et récupéraient quelques figues, faisant fi des épines. La manoeuvre était répétée plusieurs fois afin de satisfaire toute la bande. Cette collecte était, bien sûr, consommée sur place et séance tenante. Les couteaux dont nous nous servions étaient de fabrication spéciale, ils provenaient tout simplement de " l'usinage " rudimentaire de morceaux métalliques de cerclage de colis (la partie de liaison du cercle étant double servait de manche et la lame était " appointée " et aiguisée sur le rebord d'un trottoir, à grand renfort " de crache " pour faciliter la glisse).
Ah! Qu'elles étaient bonnes ces figues, récompenses de nos larcins!

Nous ne pouvons évoquer le souvenir de ces vendeurs à la sauvette, sans parler du marchand de calentita (" qu'à Oran on disait " de calentica, mais nous ne le savions pas en ce temps-là... notre temps!). Son chariot lesté de deux grandes plaques de boulanger (ces plaques en tôle noire qui servaient à nos mères à enfourner les mounas) garnies de la précieuse friandise. Le " commerçant " rameutait la clientèle en heurtant de manière saccadée et régulière le rebord de la tôle avec son couteau de peintre, ledit couteau servant également à la découpe. Pour cent sous, eh oui encore! nous avions droit à une part d'environ 10 cm sur 10 cm, posée sur un bout de papier et agrémentée d'un peu de sel et de poivre à la demande. Certains, plus gourmands, se munissaient de deux tranches de pain et faisaient mettre la portion en sandwich.

Pendant que j'y suis je vous donne la recette : une part de farine de pois chiches (disons 250 g) pour deux parts d'eau (un demi-litre), trois cuillerées d'huile, du sel, du poivre, mettre dans un plat allant au four (de manière à obtenir une épaisseur d'environ 1,5 cm); mettre au four à 180° pendant environ 1 heure (peut-être un peu moins suivant le four... à surveiller) et... bon appétit!

Voici venir, maintenant, un personnage un peu plus curieux: le vendeur de glace pilée au sirop. Toujours muni d'un chariot rudimentaire sur lequel étaient disposés des récipients remplis de glace pilée, nous avions droit, toujours pour cent sous, à un verre de cette glace aromatisée d'une " giclée " de sirop, soit de grenadine, de menthe ou autre citron. Comme pour la guimauve, bonjour les microbes ou autres bactéries, mais qui s'en souciait, car le verre était unique et à usages multiples et répétés.

II ne faut pas oublier le vendeur " d'oublies " que nous appelions " les z'oublies ", cette friandise de pâte gaufrée et cassante que nous dégustions délicatement (contrairement à nos habitudes plutôt frustes) car " il s'en perdait " beaucoup. Le suivant était plus classique, c'était le vendeur de " pommes d'amour ", petits fruits enrobés de sucre coloré en rouge, il passait moins souvent et avait moins de succès, sauf auprès des filles.

Bien sûr, d'autres " ambulants " passaient dans le quartier, mais ils intéressaient sur-tout nos parents. Nous pourrions citer: le marchand " des z'habits " avec ses grands sacs sur le dos et ses cris d'appel bien particuliers. Le marchand d'olives vertes, venu en principe de sa Kabylie natale, sous son grand chapeau de paille typique et accompagné d'un bourricot ou d'un mulet aux deux sacoches latérales pleines de beaux fruits verts et juteux. Nous ne l'aimions pas trop " celui-là ", car la corvée de casser les olives incombait aux enfants, sans compter l'approvisionnement en fenouil, indispensable.

L'aiguiseur de couteaux et de ciseaux passait régulièrement, ainsi que le vitrier ou l'étameur qui réparait les casseroles trouées, eh oui! la société de consommation n'existait pas encore!

C'était le bon temps, notre temps... et surtout le temps de la jeunesse et de l'insouciance.