RÉGULIÈREMENT passaient dans mon quartier
des marchands ambulants, pas de ces grandes boutiques sur roues que l'on
voit de nos jours sur les marchés, mais tout simplement un péquin
à pied, avec un accessoire manuel ou poussant une simple carriole
rudimentaire, quand ce n'était pas une vieille poussette de bébé
aménagée.
Celui qui avait notre préférence, je ne pense pas me tromper,
était le vendeur de " kikilomètre ", autrement
dit le vendeur de guimauve.
La friandise était lovée autour d'un roseau d'environ 70
à 80 cm de longueur et de diamètre assez large, la partie
haute " du délice " formait une pointe et la partie basse
était beaucoup plus évasée; il en partait une sorte
de mèche que le vendeur tirait, en la tenant entre le pouce et
l'index, pour nous débiter la portion commandée moyennant
cent sous (5 F d'avant l'euro et d'avant les nouveaux francs). Pour faciliter
l'étirement il humectait de temps à autre ses doigts de
salive.
Ensuite venait le vendeur de figues de barbarie, les fruits bien
mûrs rangés sur sa charrette à bras. Celui-ci s'annonçait,
à grand renfort d'appels et nos parents nous donnaient un récipient
pour recueillir l'achat de quelques fruits que le " commerçant
" pelait sur place avant de les disposer dans notre assiette. Cette
manière d'agir était la manière " officielle
" et, disons-le, honnête, mais voilà, nous n'étions
pas des enfants du faubourg " pour rien " et toutes les occasions
étaient bonnes pour " sarraquer ". La technique était
simple, nous nous agglutinions à dix ou douze autour du chariot,
de manière à l'encercler complètement et, pendant
ce temps, deux ou trois compères, à quatre pattes, passaient
en douce les mains et récupéraient quelques figues, faisant
fi des épines. La manoeuvre était répétée
plusieurs fois afin de satisfaire toute la bande. Cette collecte était,
bien sûr, consommée sur place et séance tenante. Les
couteaux dont nous nous servions étaient de fabrication spéciale,
ils provenaient tout simplement de " l'usinage " rudimentaire
de morceaux métalliques de cerclage de colis (la partie de liaison
du cercle étant double servait de manche et la lame était
" appointée " et aiguisée sur le rebord d'un trottoir,
à grand renfort " de crache " pour faciliter la glisse).
Ah! Qu'elles étaient bonnes ces figues, récompenses de nos
larcins!
Nous ne pouvons évoquer le souvenir de ces vendeurs à la
sauvette, sans parler du marchand de calentita (" qu'à
Oran on disait " de calentica, mais nous ne le savions pas en ce
temps-là... notre temps!). Son chariot lesté de deux grandes
plaques de boulanger (ces plaques en tôle noire qui servaient à
nos mères à enfourner les mounas) garnies de la précieuse
friandise. Le " commerçant " rameutait la clientèle
en heurtant de manière saccadée et régulière
le rebord de la tôle avec son couteau de peintre, ledit couteau
servant également à la découpe. Pour cent sous, eh
oui encore! nous avions droit à une part d'environ 10 cm sur 10
cm, posée sur un bout de papier et agrémentée d'un
peu de sel et de poivre à la demande. Certains, plus gourmands,
se munissaient de deux tranches de pain et faisaient mettre la portion
en sandwich.
Pendant que j'y suis je vous donne la recette : une part de farine de
pois chiches (disons 250 g) pour deux parts d'eau (un demi-litre), trois
cuillerées d'huile, du sel, du poivre, mettre dans un plat allant
au four (de manière à obtenir une épaisseur d'environ
1,5 cm); mettre au four à 180° pendant environ 1 heure (peut-être
un peu moins suivant le four... à surveiller) et... bon appétit!
Voici venir, maintenant, un personnage un peu plus curieux: le vendeur
de glace pilée au sirop. Toujours muni d'un chariot rudimentaire
sur lequel étaient disposés des récipients remplis
de glace pilée, nous avions droit, toujours pour cent sous, à
un verre de cette glace aromatisée d'une " giclée "
de sirop, soit de grenadine, de menthe ou autre citron. Comme pour la
guimauve, bonjour les microbes ou autres bactéries, mais qui s'en
souciait, car le verre était unique et à usages multiples
et répétés.
II ne faut pas oublier le vendeur " d'oublies " que nous
appelions " les z'oublies ", cette friandise de pâte gaufrée
et cassante que nous dégustions délicatement (contrairement
à nos habitudes plutôt frustes) car " il s'en perdait
" beaucoup. Le suivant était plus classique, c'était
le vendeur de " pommes d'amour ", petits fruits enrobés
de sucre coloré en rouge, il passait moins souvent et avait moins
de succès, sauf auprès des filles.
Bien sûr, d'autres " ambulants " passaient dans le quartier,
mais ils intéressaient sur-tout nos parents. Nous pourrions citer:
le marchand " des z'habits " avec ses grands sacs sur
le dos et ses cris d'appel bien particuliers. Le marchand d'olives
vertes, venu en principe de sa Kabylie natale, sous son grand chapeau
de paille typique et accompagné d'un bourricot ou d'un mulet aux
deux sacoches latérales pleines de beaux fruits verts et juteux.
Nous ne l'aimions pas trop " celui-là ", car la corvée
de casser les olives incombait aux enfants, sans compter l'approvisionnement
en fenouil, indispensable.
L'aiguiseur de couteaux et de ciseaux passait régulièrement,
ainsi que le vitrier ou l'étameur qui réparait les casseroles
trouées, eh oui! la société de consommation n'existait
pas encore!
C'était le bon temps, notre temps... et surtout le temps de la
jeunesse et de l'insouciance.
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