MOULOUD FERAOUN
romancier kabyle
reçoit le prix du roman populiste
Le Prix du roman populiste 1953 vient
dêtre décerné à Mouloud Feraoun, écrivain
kabyle dont nous avions aimé La terre et le sang, paru dans cette
belle collection « Méditerranée » que dirige,
aux Éditions du Seuil, Emmanuel Roblès.
Après Sartre, Henri Troyat, Armand Lanoux, le prix Populiste distingue
un écrivain qui est de la lignée dAmrouche et de Mouloud
Mammeri et rejaillit sur cette littérature dinspiration nord-africaine
qui, elle aussi, a sa place au soleil.
Cette terre kabyle, terre pauvre de figuiers et doliviers, qui oblige
ses hommes à sexpatrier régulièrement, Mouloud
Feraoun laime avec ses contraintes, mais aussi ses forces spirituelles.
Car malgré le rythme saisonnier entré dans les murs
qui volt les villages se vider au printemps puis se remplir lhiver,
la tradition impose la loi du retour.
- Je ne sais si nous pourrons nous déraciner ainsi définitivement,
me dit Mouloud Feraoun. Jai vu débarquer, il y a deux ans,
un vieil aveugle qui était en France depuis 1907. Il revenait mourir
chez nous.
Que voulez-vous ? Il y a ce fameux cimetière avec ses dalles de
schiste. Il appelle les gens peut-être...
Tizi-Hibel, un gros village de 2.700 habitants posé sur une crête,
comme une calotte blanchâtre, a vu naître Mouloud Feraoun,
le petit « Fouroulou » dépeint dans « Le
fils du pauvre ». Fils de fellah, comme les enfants kabyles, il
na pas échappé à une Jeunesse difficile où
la tranche de pain rapportée du marché par son père
lui semblait du gâteau. La viande était rare alors, mais
il y avait à profusion des figues et du couscous d'orge bien huilé.
Mis à lécole dès lâge de 7 ans,
Mouloud Feraoun passait son certificat détudes en 1925, à
12 ans, dans cette école de Fort-National qu'il dirige maintenant.
Quelle découverte pour lui fut lhistoire enfantine dErnest
Lavisse dont lui fit cadeau un cousin revenant de France !
Ce manuel, je lai appris par cur. Jimaginais à
ma façon Vercingétorix, Louis XI et Jeanne Hachette. Quant
aux élèves studieux que le livre situait à droite
de Charlemagne, ils étalent pieds nus comme mol et portaient des
chéchias et des gandourahs.
Peut-être parlaient-ils kabyle quand ils étalent chez eux
avec leurs parents.
- Quelle part de réalité entre dans « La Terre et
le Sang » ?
- « La Terre et le Sang » est un véritable roman. Il
y a effectivement une Française dans mon pays, et depuis longtemps,
mais elle na absolument rien à voir avec Marie.
J'ai voulu montrer quune Française peu exigeante peut accepter
de vivre chez nous la vie de nos femmes, comme j'en avais un exemple sous
les yeux.
« Ce livre aura une suite : lhistoire du fils de Marie né
vers 1928, un jeune homme de 25 ans, vivant en Kabylie avec sa mère
».
- Il est évident quil aura les réactions de ceux de
son âge. Il vivra avec son temps. Laction se déroulera
en partie en France, en partie ici. Le premier chapitre de mon roman a
paru dans « Simoun 8 ».
Pour lachever, il lui faudra retourner en France, voir de près
les gens de chez lui à Barbés, à Lille ou à
Thionville. En 49, il a passé un mois à Paris qui ne l'a
pas beaucoup enchanté.
- Quand on sort dun bled kabyle, pour plonger directement dans ce
monde, on se sent traqué, ahuri, perdu.
Lui qui avoue nêtre à
laise que seul, il a cependant désiré la ville à
cause de ses enfants, six, dont laîné a 13 ans, le
dernier 6 mois.
- Nous sommes tous en train de nous transformer rapidement ; nous avons
l'eau, lélectricité, le médecin, le pharmacien,
le boulanger. Mes enfants ont appris avant moi à distinguer une
« Frégate » dune « Vedette » et une
203 dune « Traction ».
Il sen amuse bien plus quil
ironise, occupé par ses obligations professionnelles, le cours
complémentaire dont il est le maître à tout apprendre
créé en octobre dernier dans son école de Fort-National.
- En octobre, jai ouvert une classe,
mais dans cette classe jai une 6e et une 5e . Je fais marcher les
deux sections tout seul. Il me faut moccuper aussi de lorganisation
pédagogique de lécole, de ladministration, gérer
une cantine scolaire, animer une société sportive, intéresser
les adultes à la bibliothèque de lécole. Une
fois cela rempli je peux misoler et travailler pour mon plaisir.
Jai besoin dun moment tous les jours. Je men tire parce
que je naime ni sortir, ni me trouver en compagnie. Une habitude
du bled. Une habitude salutaire, je crois.
Sa profession de foi littéraire
est toute classique. Nos auteurs des 17e et 18e siècles sont ses
familiers.
Il a lu aussi beaucoup de romans de Balzac
aux Russes. Et Daudet, et France et Gide. « La Peste », de
Camus, l'a vivement impressionné.
Cest un livre quil a relu,
comme il a lu en entier luvre de Roblès.
- En réalité, je nai
de préférences que pour les ouvrages où je sens battre
la vie, sans hypocrisie et sans tricherie. Jai compris quil
y avait beaucoup de tricheurs en littérature, mais ceux-là,
je le crois bien, ne me tromperont plus.
Le signe d'une vie sincère, nous
lapprécions dans ce talent kabyle net, vigoureux, de belle
venue que protègent les montagnes de Kabylie et qui les auréole
aujourdhui.
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