PRESENTATION
de l'Oeuvre de Lucienne VINCENT
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Nous sommes heureux de faire une place au sein de nos éditions
pour cette anthologie prise aux recueils de poèmes de L. Vincent.
Plusieurs fois couronnée et primée par ces courageuses sociétés
poétiques dont notre pays jusqu'à maintenant a maintenu la
tradition, l'oeuvre poétique de notre poétesse a été
nommée une "périégèse", une géographie
de rencontres humaines faites sur les rives méditerranéennes,
une géographie des songes et des souvenirs qui les peuplent, un itinéraire
classique et historique racontant les prestigieuses civilisations qui y
naquirent, un voyage vers la célébration. Il s'agit, dira
le critique, de mettre le monde en poème, moins pour le poétiser
artificiellement que pour en délivrer toutes les promesses effectives
de beauté. La pluie réveille les odeurs des bois, cette poésie
exalte les saveurs du monde. Poésie classique où l'alexandrin domine, où le sens limpide s'entoure d'images et de musicalité magnificentes, qui nécessite du lecteur une lecture "constructiviste" : tout est donné au premier coup d'oeil, aucune facilité émotive ou verbale s'entend, alors que là ne réside pas l'intérêt (la description paraît l'emporter). Il faut oublier le respect strict des règles imposées (ou admirer la vertuosité à les dominer) pour ne se consacrer qu'à l'emploi méthodique des mots : avec telle substantif quela adjectifs sont possibles, avec tel verbe, quels sujets et compléments s'ouvrent comme valides, avec telle préposition de mouvement, quels élans. Et par ce patient regard vous obtiendrez de soudaines variations d'une rare poésie. Tout paraît donné au premier coup d'oeil, mais ce tout est un rien parce qu'à la différence de ces poètes brutalisant syntaxe et optant pour un sempiternel inattendu de rapprochements de termes, ici les mots vont ensemble (banalement) et subitement s'illuminent. Une harmonie s'est établie sous le couvert des normes. Tel est l'essentiel mystère de cette étrange poésie. "Généreuse la mer jette ses attelages/ Autour d'un cap tendu vers le soleil levant " (Tunisie) Avec l'accord de Marie-Jeannine Salé, romancière et membre titulaire de l'Académie d'Aix en Provence, nous publions,un éloge du poète prononcé lors de sa réception à l'Académie d'Aix en Provence. Dans cet éloge rédigé par Marie-Jeannine Salé, le lecteur aura une vision générale de la vie et de l'oeuvre de Lucienne Vincent.
Réponse au discours de réception de Madame Lucienne Vincent, le 16 janvier 2001. Madame, Vous êtes née en 1923 à Alger, plus précisément à El Biar, dans une famille éprouvée par la guerre de 1914-18, dont les conséquences étaient encore à cette date douloureusement sensibles. En effet, vous n'avez pas deux ans lorsque votre père, ancien combattant, succombe aux suites de ses blessures de guerre, et votre plus jeune sur vient au monde six mois après ce deuil. Courageusement, votre mère élève seule ses trois filles, avec peu de ressources, mais beaucoup d'amour, et leur assure une enfance heureuse, qu'envieraient peut-être certains de nos jeunes d'aujourd'hui, gavés de biens matériels et sevrés de vraies richesses. Vous étudiez successivement au pensionnat de la Sainte-Famille et à l'école publique. Partout vous êtes non seulement une bonne élève, mais la première de la classe. En 1939, à 16 ans, vous êtes reçue à l'Ecole Normale d'institutrices, 3ème d'une promotion de 17, sur 250 admissibles et 2000 candidates. Modestement, vous ne pensiez même pas à vous présenter et vous avez été étonnée quand on vous a demandé de remplir le formulaire de candidature au concours ! Vos trois années à l'Ecole Normale, située à Miliana, sont un rude apprentissage. A la discipline déjà stricte de l'Ecole s'ajoutent les conséquences de la guerre . Contrairement à ce qu'on imagine parfois, les privations n'étaient pas le lot des seuls métropolitains. Quant aux vacances, elles sont consacrées à diverses activités, scoutisme, hébertisme, volley, basket, voire football et rugby ! Cette formation sportive quasi virile va de pair avec la formation intellectuelle : vous êtes parmi les dernières à passer le Brevet Supérieur avant la suppression des Ecoles Normales par le gouvernement de Vichy . A partir de la rentrée 1942, et jusqu'en 1957, vous enseignez dans diverses écoles de la région d'Alger : à Duperrey, dans la vallée du Chélif, à 200 kms d'Alger, à Ténès, où vous avez la charge de 60 élèves de Maternelle, à Orléansville, à Affreville. Vous souhaitez vous rapprocher d'Alger, surtout lorsque vous faites la connaissance de M. Roger Vincent, votre futur époux, venu de métropole et conquis par l'Algérie. Vous vous mariez le 11 février 1947. Vous êtes en poste à Affreville. Dès le surlendemain de votre mariage, vous reprenez votre classeet vous y recevez la visite de l'inspecteur ! Puis vous obtenez votre changement pour Le Corso, à 45 kms seulement d'Alger. Comme vous êtes presque toujours chargée de classes uniques, votre tâche n'est pas facile. Ainsi, au Corso, vous avez 47 élèves de 5 à 15 ans- sans compter les charges multiples qui vous incombent en dehors de l'enseignement proprement dit. Sur vos 47 élèves, il y a 42 Français-musulmans, comme on disait alors. Vous vous dévouez pour tous également. Parmi vos anciens élèves musulmans, on compte des médecins, des avocats et même un écrivain, qui préfacera votre recueil de poèmes sur l'Algérie. Ces anciens élèves, y compris ceux qui ont prêté l'oreille aux Sirènes de l'indépendance, vous conservent toujours estime, reconnaissance et affection. Ce seul fait suffit à démontrer que la France n'a pas à rougir de son uvre en Algérie. Quinze ans durant, vous menez de front vie professionnelle et vie familiale. Trois enfants agrandissent votre foyer. Mais vient la Toussaint Rouge de 1954 et les évènements tragiques qui ont suivi. Comme bien d'autres, vous devez, la mort dans l'âme, vous résoudre à quitter le cher pays natal. Ce paradis perdu de l'enfance et de la jeunesse, vous ne l'oublierez jamais. Mais vous êtes de la race des pionniers, et aussitôt vous entreprenez de construire une nouvelle vie. Après quelques péripéties, vous vous installez dans une charmante vielle maison provençale au milieu des arbres. Son nom, Lou Ribas, désigne à la fois le versant escarpé d'une vallée- ce qui correspond à la situation du domaine- et " le rivage ", où les errants et les exilés trouvent asile au sortir de la tempête. La maison, la famille, l'école, telles ont toujours été, par delà les déchirements, les bases solides de votre existence. Gages de foi en l'avenir, deux enfants de plus naissent sur le sol métropolitain. Tous les cinq grandissent dans ce nouveau paradis que, comme votre mère avant vous, vous avez su créer autour d'eux. Mais, plus heureuse qu'elle, vous avez auprès de vous un époux attentif pour vous seconder. Et la chaleur familiale, les exemples reçus de leurs parents, sont certainement pour beaucoup dans la brillante réussite de vos enfants. Viendra le temps où jeune retraitée, libre de vous consacrer à votre foyer et votre famille. vous pourrez suivre une vocation que vous portez en vous depuis vos jeunes années : celle de la poésie. Vous avez dès l'enfance aimé le rythme des alexandrins que vous récitiez avec enthousiasme. Parlerons-nous d'un certain cahier de poèmes composés à l'âge de treize ans ? Rangé précieusement dans un tiroir de votre bureau, il y fut déniché par une sur admirative qui le divulgua aussitôt, à votre grande confusion. Mais désormais, pour votre propre joie, celle des vôtres, celle d'amis et de lecteurs de plus en plus nombreux, vous devenez vraiment poète. Poèmes isolés, au gré des circonstances, qui vont se regrouper en petites plaquettes, puis en recueils de plus en plus importants. Cette uvre, que nous nous contentons pour l'instant de mentionner, nous nous réservons de lui donner dans un moment l'attention qu'elle mérite. Votre talent ne tarde pas à être reconnu. Vous faites partie de Sociétés de poésie, vous remportez de nombreux prix, trop nombreux pour qu'on puisse les citer tous. Je me bornerai à quelques-uns, dont les noms ont un charme particulier : Prix de la Lumière, de la Lyre d'Or, du Prince des Poètes, Léonard de VinciMais je n'aurai garde d'oublier le Prix Paul-Arbaud, décerné à votre livre " Provence d'élection ", préfacé par notre regretté confrère René Jouveau, qui préfacera également " Cistes et Rameaux de Grèce ". En 1989, René Jouveau parraine votre entrée à l'Académie au titre de membre associé. Toujours assidue aux séances, vous présentez deux communications. La première, le 15 décembre 1992, dépeint " les différents visages de Louis Moreri ", à la vie brève mais bien remplie, puisqu'il fut poète, théologien, aumônier de l'évêque d'Apt et auteur d'un célèbre dictionnaire. La deuxième, le 28 janvier 1997, " Aux marches de la Grèce, Veria en Macédoine ", nous fait découvrir une Grèce nordique, peu connue, mais riche en témoignages d'une civilisation que la domination turque n'a pas éteinte. En 1997 encore, vous lisez un émouvant poème en hommage à René Jouveau qui venait de nous quitter. Vous avez ainsi renoué avec une vieille tradition académique, car il y eut une époque où les académiciens amis des Muses donnaient connaissance à leurs confrères de leurs plus récentes productions. Souvent aussi, l'amitié académique se prolongeait en réunions cordiales et en conversations animées dans le salon de Lou Ribas, chaud en hiver, frais en été, comme il se doit pour une maison provençale. Pourquoi faut-il que nous déplorions tant de vides parmi les participants à ces réunions ? René Jouveau, Bernard Lorin partis à jamais, Marie-Thérèse Jouveau éloignée de nous par la maladie Mais l'éphémère devient éternel grâce à la poésie. Et il est temps de saluer sa rentrée à l'Académie où, naguère en honneur, elle n'était plus guère représentée, et où elle devient en votre personne, celle d'un poète authentique. Dans vos premiers essais, vous maniez avec virtuosité les genres à forme fixe, ballades, rondeaux, lais, chansonset les rythmes les plus divers. Vos sujets sont souvent de circonstance, témoignages d'amitié ou d'affection, observation des menus faits de la vie quotidienne, celle du présent et celle du passé. Mais déjà certains vers ont ce caractère de perfection pour ainsi dire spontanée qui les détache des autres. Le raccourci expressif : " Des pas nus font tinter des anneaux d'argent clair. " Les sonorités qui, claires au début, deviennent graves quand on dépasse la surface des choses : " Les choses de la terre ont une voix profonde. " Très vite, vos poèmes s'organisent en recueils construits autour d'un thème, qui est le plus souvent un pays. Le seul qui s'intitule " Présences " ajoute aussitôt " en pays de Provence ", comme si les êtres et les lieux étaient inséparables. Les deux premiers recueils évoquent les deux étapes de votre vie, l'Algérie natale et la Provence " élue " -" Provence d'élection ", dit le titre- On s'attendrait à ce que dans le premier vous vous abandonniez à la nostalgie, mais il n'en est rien. La nostalgie est le désir douloureux d'un retour souvent impossible. Or, le retour se réalise. Si, dans les premiers poèmes, le pays natal s'installe dans une éternité qui est celle du souvenir, " des chers premiers bonheurs ", ce paradis perdu, dont " bonheur " et " éternité " sont les mots-clefs, vous y revenez un quart de siècle plus tard : les jardins d'El Biar, au parfum d'oranges et de grenades, la vie mauresque et patriarcale, toujours vivants dans votre mémoire, vous les avez retrouvés tels que dans vos souvenirs, malgré la disparition des parcs plantés de rosiers et l'intrusion d'un modernisme discordant. C'est " l'univers de paix qu'aucun péché ne tache ". Le navire qui vous ramène " au pays cher " efface l'image de cet autre navire, " tout chargé de rancurs ", à l'heure du départ pour l'exil. Mais pourtant, les derniers poèmes sont empreints d'une sourde inquiétude, comme si vous pressentiez que le revoir n'est que passager. Au pays perdu ne revient qu'une visiteuse qui bientôt ne reviendra plus. A jamais, l'Algérie restera la terre des souvenirs d'enfance. " Les trottoirs bien damés, l'immense place
blonde, Quand reverrai-je enfin la demeure lointaine Vous vous tournez alors vers le " doux pays qui sourit au-delà de la mer "- et qui dans la réalité ne s'ouvrit pas aussi généreusement aux arrivants trop souvent traités en intrus par la métropole- la " patrie d'élection ", la Provence, dont vous évoquez tour à tour les paysages, du Rhône à Vaucluse, d'Avignon aux Baux et à la Camargue, mais surtout la Maison familiale, Lou Ribas. Moments du jour, saisons de l'année apportent chacun son charme, même l'automne avec la pluie, même l'hiver avec la neige, même l'orage et sa violence. Dans la deuxième partie du recueil, ils imposent leur rythme régulier et immuable, qui ordonne toute la vie d'une familleLes uns après les autres, les enfants s'en vont voler de leurs propres ailes, sans jamais s'éloigner longtemps du cur chaud d'un foyer auquel ils doivent les bases solides de leur personnalité, d'un paradis où à leur tour ils ont goûté le bonheur ébloui de l'enfance. Plantes, fleurs, oiseaux, insectes, chiens, passants, animent la maison du bonheur, sous l'invocation de Sain Jean : " Un oratoire blond, montre, juste à mi-pente, VOIR la SUITE sur Éditions CARACARA |