--------------"
Y a-t-il toujours des Arabes en Algérie ? - Quelques-uns. On les
conserve pour la couleur locale. "
--------------L'auteur
de ce dialogue pour le moins fantaisiste n'est autre que... Jules Verne,
dans son roman Clovis Dardentor. Un Jules Verne "algérien
", qui sut aussi être sérieux, un Jules Verne peu connu,
même sans doute des algérianistes.
--------------Catalogué
à tort comme un écrivain réservé à
la jeunesse, Jules Verne ne fut longtemps l'objet, sur le plan littéraire,
que de sentiments un peu condescendants. Cependant, depuis quelques années,
son uvre, en réalité très en faveur auprès
d'un public de tout âge, est abordé d'un il nouveau,
et l'Université elle-même s'y intéresse, à
commencer par celle de Nantes, sa ville natale. A la faveur de cette mode,
qui a le mérite de dégager Jules Verne des préjugés,
certains n'hésitent pas à prêter à l'auteur
de Cinq semaines en ballon et de L'île mystérieuse,
qui a pourtant toujours fait l'éloge des explorateurs et savants
européens et de leurs missions civilisatrices, des réticences
à l'égard de la colonisation française. En cinquante
ans de carrière et soixante romans, il aurait soigneusement
évité le contact avec le colonialisme français (sic)
(1); en
outre, dans son dernier roman anthume, L'invasion de la mer, dont
l'action se situe au Sahara algéro-tunisien, il aurait fait la
partie belle aux adversaires de la France et du progrès!
--------------Rien
sans doute ne prédisposait cet amateur de voyages extraordinaires
à s'intéresser à de simples départements français
à peine séparés des autres par la Méditerranée.
--------------Cependant,
un examen attentif de sa vie et de son oeuvre nous montre que l'Algérie
ne l'a pas laissé indifférent, puisqu'il a personnellement
visité et aimé l'Algérie, et qu'elle est présente
dans plusieurs de ses uvres, du début de sa carrière
jusqu'à L'invasion de la Mer.
--------------Déjà,
dès l'âge de 27 ans, à Paris, Jules Verne, alors auteur
d'opérettes et de chansons, avait fait la connaissance du capitaine
Abbatucci, commandant d'une compagnie de zouaves. Ce corps d'élite
relativement récent, manquant justement de chanson de marche (2),
Abbatucci demanda à Jules Verne d'en composer une : ce fut l'hymne
En avant les Zouaves (1855, musique d'Alfred Dufresne), dans lequel
l'auteur exalte " ces héros de l'Afrique ", vainqueurs
des Russes à l'Alma (1854). Y témoignant de son patriotisme
et de son amour de l'armée (encore en 1891, dans un discours à
Amiens, il se flatte d'avoir de nombreux militaires
parmi ses ancêtres), il ne croit pas que le rôle d'un écrivain
soit nécessairement de la mépriser, au contraire : "
Célébrons, écrit-il, c'est notre ouvrage. Pendant
qu'ils s'illustrent là-bas, Leurs combats. " Il
servira d'ailleurs de modèle à Déroulède,
auteur plus tard d'une nouvelle chanson de zouaves, qui connaîtra
un succès beaucoup plus grand. Car les chansons de Jules Verne
restent peu connues, et il échoue de même au théâtre.
Cependant, trouvant sa véritable voie, il signe son premier contrat
avec l'éditeur Hetzel en 1862, et devient célèbre
la même année avec la publication de ,"Cinq semaines
en ballon. " Certes, les trois héros de ce voyage en Afrique
sont anglo-saxons. A cette époque en effet, les grandes explorations
qui jouent le rôle d'avant-garde de la colonisation sont surtout
le fait d'Anglais qui reçoivent un important appui de leur gouvernement.
Au contraire, René Caillé, dont les exploits sont évoqués
dans ce roman, dut s'aventurer à ses risques et périls en
Afrique centrale. Dans ce choix de héros étrangers, on peut
donc peut-être voir " une crique feutrée
de Jules Verne contre l'indifférence du pouvoir à l'égard
de l'expansion coloniale " (3). Néanmoins, sous
Napoléon III, puis surtout sous la troisième république,
celle-ci se poursuit en Algérie, et des liens de plus en plus nombreux
se tissent entre métropolitains et Français d'Algérie.
C'est ainsi que deux cousins de Jules Verne font leur service en Algérie
: Georges et Maurice Allotte de la Fuye, le premier étant capitaine
de spahis à Oran, et le second officier du génie. Son gendre,
M. de Francy, se trouve également en service à Alger. D'autre
part, son beau-frère et ami, Auguste Lelarge. est installé
avec sa famille à Oran.
--------------Mais
notre Nantais n'est-il pas lui-même inspiré par la Méditerranée?
Si les Enfants du Capitaine Grant (1868) l'ignorent (mais, dans
ce roman, Jules Verne dénonce le système anglais de colonisation,
à une époque où s'exaspère la rivalité
coloniale franco-anglaise), si le capitaine Nemo la traverse en 48 heures
à bord du Nautilus " indifférent et rapide "
(20 000 lieues sous les mers, 1870), si De la Terre à la lune
(1872), L'île mystérieuse (1875) ou Michel Strogoff
(1876) nous transportent bien loin de ses rives, au contraire, en
1877, Jules Verne choisit l'Algérie pour la première fois
comme cadre de l'un de ses romans, Hector Servadac, voyage à
travers le monde solaire, fantaisie astronomique dans laquelle il
imagine que la Terre est heurtée par une comète, surnommée
" Gallia ", qui emporte dans l'espace quelques hectares du territoire
de Mostaganem et une portion de la Méditerranée. Le cousin
Georges se transforme ainsi en Hector Servadac, " capitaine d'état-major
", tandis que son ordonnance française surnommée Ben-Zouf,
toujours de bonne humeur, chante de vieux refrains de régiments
visiblement inspirés par la chanson de zouaves déjà
composée par l'auteur : " les Zéphyrs en avant... ".
Il est significatif que sur cet astéroïde inhospitalier, constitué
d'un continent métallique stérile aux falaises rocheuses,
et de quatre îlots (Gibraltar, Ceuta, Madaléna, et, curieusement,
" le tombeau de Saint-Louis (4) sur la rive tunisienne ") seule
la portion de territoire algérien soit féconde et riante.
Se souvenant de ses lectures, mais plus encore sans doute des renseignements
fournis par sa famille et ses amis d'Algérie, Jules Verne évoque
ce " cadre charmant ", ce pays " dont
de nouvelles plantations avaient fait un riche et vaste verger ".
Aussi pourrions-nous partager les craintes de ce personnage du roman qui
souhaite aller à Alger, et qui s'entend répondre, qu'à
la suite de la catastrophe cosmique, " Alger
n'existe plus "; et faire nôtre - hélas!
- la réflexion d'Hector Servadac : " si
appauvrie que soit la France depuis qu'elle a perdu l'Algérie...
". Mais, devenu célèbre par de nombreux
romans qui racontent tant de voyages, en partie certes extraordinaires,
mais en partie aussi, on le voit, très réalistes, Jules
Verne voyage maintenant lui-même beaucoup, en particulier à
bord de ses propres yachts, et tout naturellement, il va être tenté
de connaître la Méditerranée et l'Algérie,
même si ce navigateur aime taquiner les riverains de "ce
petit lac indolent " et même si ce Nantais souvent attiré
par le Nord affirme déplorer" le printemps perpétuel
de là-bas "!
--------------Dès
l'année suivante, en 1878, il fait une première croisière
en Méditerranée, à bord de son voilier le "
Saint-Michel III ", d'une longueur de 28 m et d'une largeur de 4,60
m. Parti en juin de Nantes en compagnie de son frère Paul Verne
et du fils de ce dernier, Gaston, de Jules Hetzel fils, et de Raoul Duval,
jeune avocat et député bonapartiste de Rouen, il visite
notamment Lisbonne, Cadix, Gibraltar, Tétouan, avant de faire escale
à Oran, Mostaganem et Alger. A Mostaganem (toujours en place, malgré
le passage de la comète Gallia!), il retrouve Georges Allotte de
la Fuye; à Alger, de nombreuses personnalités ont tenu à
l'accueillir, et il leur offre un dîner de gala à bord. Puis,
en août, c'est le retour en France, où il débarque
à Sète, tandis que le capitaine Ollive ramène le
yacht à Nantes. Sans doute Jules Verne garde-t-il de bons souvenirs
de son périple, puisque, malgré ses difficultés financières
(il sera obligé de vendre le " Saint-Michel " en 1886),
il fait, en 1884, une nouvelle croisière en Méditerranée,
avec Paul et Gaston, qui tiendra un journal de bord, malheureusement perdu,
mais dont la nièce de Jules Verne, Mme Allotte de La Fuye, nous
a conservé des extraits. Dès le printemps, Honorine Verne,
épouse de l'écrivain, est partie chez les Lelarge, à
Oran, en compagnie de son fils Michel. Ils y attendent les passagers du
voilier, qui y font escale le 27 mai. La Société de géographie
d'Oran, tient alors une séance en l'honneur de Jules Verne. Le
" Saint-Michel " se rend ensuite à Alger, où Honorine
retrouve sa fille Valentine et M. de Francy. Une foule de curieux attendait
sur le quai l'arrivée du bateau. Le 10 juin, mouillage à
Bône. " Un commerçant, M. Papier,
et sa femme, se faufilent sur le "Saint-Michel"; et supplient
(Gaston) de les introduire près de M. Jules Verne qu'ils adorent
sans l'avoir jamais vu. Salutations, effusions. (5) Mais, pour
se rendre à Tunis, il fallait affronter une mer si mauvaise qu'Honorine
s'effraie : un transatlantique ne venait-il pas de faire naufrage près
de Bône? Elle insiste pour que le voyage se continue par la terre,
tandis que le capitaine Ollive rallie Tunis avec le bateau, " L'agent
français, M. Duportal, se met à sa disposition pour faciliter
le voyage par voie ferrée; mais elle n'est pas terminée
et s'interrompt à Sakhara. (6) " Il faut coucher dans une
mauvaise auberge, puis emprunter une diligence vétuste pour franchir
100 km jusqu'à Ghardimaou où reprenait l'autre tronçon
de voie ferrée. Bref, le voyage devenait digne... d'un roman de
Jules Verne, mais celui-ci, loin d'avoir la patience de ses héros,
commençait à être déçu, lorsque, surprise
et enthousiasme des voyageurs : le bey de Tunis leur avait envoyé
son train personnel " paré, fleuri, somptueux ". Puis
il leur réserve à Tunis une magnifique réception
: Jules Verne y est accueilli par un orchestre de mille tambourins. Le
18 juin, le " Saint-Michel ", mouillé à la Goulette,
appareille à destination de Malte, et, après plusieurs escales
en Italie, rentre en France en juillet.
--------------En
écho à cette croisière, l'action de " Mathias
Sandorf " (1885) se déroule en grande partie en Méditerranée.
Dans ce roman, deux acrobates français, originaires de Provence,
portent les noms bizarres de " Pointe-Pescade
" et de "Cap-Matifou
", par allusion, le premier à sa finesse, le second à
sa force, noms auxquels l'auteur attribue " quelque renommée
"en France. Avec le Docteur Antékirtt (alias Mathias Sandorf),
ils parcourent la Méditerranée, la Tunisie, dont les Français
ne sont pas encore complètement maîtres, le Maroc, "
contrée à esclaves " où justice et police
sont bien médiocres, et qui fait contraste avec "
les riches provinces de cette Algérie qu'on a proposé d'appeler
la Nouvelle-France, et qui, en réalité, est bien la France
elle-même ". Mais Jules Verne dénonce l'action
fanatique des Senousis " dignes descendants
des anciens pirates barbaresques ", qui (un siècle
avant Kadhafi!) veulent créer en Libye " un
royaume de pirates ", et "
portent une haine mortelle à tout ce qui est européen ".
Il leur attribue de nombreux massacres d'Européens en Afrique,
et des complots contre la présence française en Tunisie
et en Algérie, " cette admirable
Algérie destinée à devenir le plus riche pays du
monde ". On le voit, les sources indirectes encore utilisées
dans " Hector Servadac " cèdent le pas à
des observations personnelles, plus enthousiastes. Même admiration
dans " Robur le conquérant " (1886). A bord d'une
sorte d'hélicoptère, Robur parcourt le monde sans oublier
l'Algérie, Bône " et les gracieuses
collines de ses environs ", Alger et son littoral "
meublé de palais, de marabouts, de villas.
Quel spectacle! ", Oran " la
pittoresque ". Il insiste sur l'aspect français
de Philippeville, "
maintenant un petit Alger, avec ses nouveaux quais en arcades, ses admirables
vignobles, cette campagne qui semble avoir été découpée
dans le Bordelais ou les territoires de la Bourgogne ",
et, en général de l'Algérie, "
cette continuation de la France de l'autre côté d'une mer
qui a mérité le nom de lac français "Puis,
les passagers survolent le Sahara encore insoumis; Ouargla, El-Goléa,
dont l'une des routes " a été
reconnue en 1859 par l'intrépide Français Duveyrier ".
L'auteur mentionne aussi " le transsaharien
en construction d'après le projet Duponchel, qui doit relier Alger
à Tombouctou et atteindre plus tard le golfe de Guinée ".
|
|
--------------Les
sentiments de Jules Verne allaient-ils évoluer? On nous le montre
parfois vieilli, devenu plus amer et plus sceptique. Cependant, l'un de
ses derniers romans, Clovis Dardentor(1896)
est aussi l'un des plus charmants, puisqu'il s'agit d'une sorte de vaudeville
optimiste et souriant, à la manière de Labiche, et il est
significatif que l'action s'y déroule dans la province d'Oran chère
au cur de l'auteur. Deux jeunes gens sans fortune, Taconnat et Lornans,
veulent se faire engager au 7e chasseurs d'Afrique. Ils embarquent à
Sète, en compagnie de Dardentor, exubérant tonnelier de
Perpignan, et des Désirandelle, qui veulent marier leur fils à
Louise Elissane. Celle-ci demeure avec sa mère à Oran. Après
une traversée agitée, où le capitaine est soupçonné
de " conniver avec le roulis et le tangage
pour réaliser une économie sensible sur les frais de table
", et une escale mouvementée à Palma, tous les personnages
débarquent à Oran, visitent le port si actif, et la ville,
le Boulevard Oudinot " et sa double rangée
de bella-ombra ", l'église Saint-André,
la mosquée du Pacha, et observent " les
divers types de la population oranaise, très mélangée
de soldats et d'officiers, les Juifs, en costume marocain, les Juives
à robes de soie brodées d'or, les Maures promenant leur
insouciante flânerie sur les trottoirs ensoleillés... "
Puis, ils s'inscrivent pour un " voyage
circulaire " proposé par la Compagnie des chemins
de fer algériens dans le sud de la province oranaise. Ils vont
donc par chemin de fer à Tlélat, Saint-Denis-du-Sig
(où ils visitent une ferme de 2 000 hectares, l'Union du
Sig, d'origine phalanstérienne), Perrégaux,
Mascara " une
des plus jolies villes de l'Algérie " et
Saïda " la belle ",
point terminus. De là, en caravane, en voitures, ou à dos
de chameau, à mulet ou à cheval, ils traversent les vastes
zones forestières du Tell, avec leurs mines et leurs chantiers
d'alfa, Zégla, Daya, Magenta, Sebdou,
" située au milieu d'un pays dont
les sites sont de toute beauté ", Tlemcen,
" la Grenade africaine ",
Lamoricière, Sidi-BelAbbés,
surnommée " Biscuitville, avec son
quartier civil, son quartier militaire, ses nombreuses et fraîches
fontaines ". Enfin, par le train à nouveau, ils
reviennent de Sidi-Bel-Abbès à Oran. Ce roman nous vaut
de longues descriptions, inspirées certes par le guide Joanne,
que l'auteur cite expressément, mais aussi par ses souvenirs personnels
d'une région qu'il connaît bien. Il insiste sur la supériorité
d'Oran, qui tient à son avis " le
premier rang entre les villes algériennes", dont
la Société de Géographie est "
la plus importante de la région algérienne ",
dont le climat est, dit-il, le plus sain de l'Algérie. Surtout,
il insiste à nouveau sur le caractère français du
pays, cette " autre France ",
qui déçoit presque par son calme, son manque d'originalité,
son administration achevée : Oran serait une ville peu remuante
", dont " la tranquillité, il
est vrai, " ne date que de la domination française
"; les bourgades algériennes de l'intérieur "
ressemblent furieusement à des chefs-lieux de canton de la mère
patrie ". Et " en traversant
cette campagne riche et tranquille ", Taconnat, "
ne comptant plus sur les hasards de la route,
une route nationale, avec ses talus en bon état, ses bornes militaires,
ses tas de cailloux bien alignés, ses cantonniers au travail "
en vient à maudire " la malencontreuse
administration qui avait civilisé ce pays ". D'où
une pointe contre les fonctionnaires : " Comment
se fait-il que l'Algérie, avec ses ressources naturelles, ne puisse
se suffire à elle-même? " demande Dardentor.
" Il y pousse trop de fonctionnaires
", répond Taconnat, " et pas
assez de colons ". Dans cette région où
la population européenne était alors si importante, Dardentor
va même jusqu'à demander, nous l'avons vu, " s'il
y avait toujours des Arabes en Algérie ". Nous
voilà bien loin des écrivains orientalistes de la même
époque! Heureusement, dans le Sud, une attaque de lions viendra
distraire les touristes, d'abord incrédules!
--------------Le
ton change, il est vrai, avec " l'invasion de la Mer".
On sait qu'un saint-simonien, le commandant Roudaire, amené à
penser que la mer avait autrefois recouvert une partie du Sahara algérien,
avait proposé de ressusciter cette mer intérieure en coupant
le bourrelet qui sépare le Chott Fedjij du golfe de Gabès
et avait publié en 1874 " Une Mer intérieure en
Algérie ". Mais le projet fut repoussé en 1882
comme étant pratiquement irréalisable. Jules Verne, cependant,
s'y était intéressé. Déjà, il y avait
fait allusion dans " Hector Servadac ", le supposant
réalisé : " A la hauteur du
golfe de Gabès... un large canal donnait maintenant accès
aux eaux de la Méditerranée. " Tel est,
mais en moins ambitieux, le sujet de " l'invasion de la Mer"
: l'ingénieur Schaller, reprenant les anciens travaux de Roudaire,
veut mettre en communication le golfe de Gabès avec les chotts
Fedjij en Tunisie et Melrhir en Algérie. Mais le seuil de Gabès,
principal obstacle, s'effondrera à la suite d'un tremblement de
terre, et la mer saharienne sera réalisée par la nature
elle-même en quelques jours; les oasis de Nefta et de Tozeur deviennent
alors des ports de mer, et une importante transformation climatique et
commerciale s'annonce. A cette transformation s'opposent les populations
locales, en particulier les Touareg, commandés par l'audacieux
Hadjar, qui s'échappe du fort de Gabès où l'ont emprisonné
les Français et capture à son tour l'ingénieur et
l'officier qui l'escorte. Certes, Jules Verne dénonce quelques
abus, comme l'insuffisance des indemnités proposées; certes
les Touareg sont dépeints comme de merveilleux cavaliers, au comportement
fier et fataliste. Mais le motif de la rébellion est la défense
de fâcheux " privilèges " des pilleurs de
caravanes, esclavagistes de surcroît : " Si
le Targui est plutôt sobre... il n'en a pas moins des esclaves à
son service... Quant aux marabouts, leur influence est très sérieuse
sur la race touareg... C'étaient ces fanatiques qui prêchaient
la révolte... Ces diverses tribus allaient être ruinées
par l'inondation des chotts. Elles ne pourraient pas continuer leur métier
de pirates. " Les événements, du reste,
leur donnent tort : Hadjar et ses hommes sont engloutis par les eaux,
et un premier aviso " se lance intrépidement
sur la nouvelle mer ", justifiant ainsi les prédictions
de l'ingénieur : " Cent ans après
que le drapeau français fut planté sur la kasbah d'Alger,
nous verrons notre flottille française évoluer sur la mer
saharienne et ravitailler nos postes du désert. "
--------------L'Algérie
n'est donc pas absente de uvre de Jules Verne; elle y occupe une
place modeste, mais de choix. A l'époque orientaliste, " celle
où voyageurs, journalistes, peintres, découvrent l'Algérie,
et avec elle, l'Orient, ses mystères, ses coutumes, ses couleurs
" (7), Jules Verne, lui, auteur de romans de voyages à
l'échelle de la planète, est surtout sensible, au contraire,
aux ressemblances entre la France et l'Algérie, ressemblances qu'il
a personnellement constatées en Oranie. Géographe, homme
de science, il est séduit par la mise en valeur des terres de colonisation,
et par le progrès technique qu'apporte l'Occident. Ces convictions
sont largement partagées à une époque où se
constituent des sociétés d'exploration, de géographie,
de commerce, où commence la grande expansion française en
Afrique, et où les radicaux à leur tour (Jules Verne, malgré
ses opinions plutôt conservatrices, s'inscrivit sur la liste radicale
d'Amiens et fut conseiller municipal pendant 16 ans) deviennent partisans
de la colonisation. Oui, sans doute, vers les années 1900, pouvait-on
voir, comme Jules Verne, dans la terre algérienne, " cette
continuation de la France de l'autre côté d'une mer qui a
mérité le nom de lac français "
(8).
G.-P. HOURANT.
1) L'invasion de la mer (10/18), introduction de F. Lacassin
(1978).
(2) Gilbert Prouteau : " Jules Verne .. (Stock, 1979).
(3) Jules Verne y fait également allusion dans . Mathias Sandorf
Sur un terrain cédé à la France dès 1830,
sous
Charles X, une chapelle fut - édifiée en 1841 sur l'emplacement
même ou mourut Saint Louis en 1270
(4) Marc Soriano : - Jules Verne ., (Juilliard, 1978).
(5) Marguerite Allotte de la Fuye : " Jules Verne - (Hachette 1953).
(6) Jean-Jules Verne : Jules Verne (Hachette 1973).
(7) Albert Bonhoure :.. La vie des Français en Algérie "
(Laffont 1979).
(8) il parait intéressant de rappeler, à ce propos, que
le projet de "mer intérieure" du commandant Roudaire
a été repris par Mouloud Kaouane, dans son livre Reconstruire
l'Occident, dont Roger Vaglio a donné une brillante analyse dans
notre revue (Cf. L' Algérianiste n° 23 du 15 septembre 1983,
page 24 s.q.q.)
|