Le KOUIF

Un village pas comme les autres
Texte de J.M.Laboulbene
Texte issu , avec autorisation, de la revue n° 86"A.F.N. Collections"
http://afn.collections.free.fr/pages/bulletin.html

mise sur site: février 2016

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LE KOUIF, UN VILLAGE PAS COMME LES AUTRES

Depuis bientôt 40 à 50 ans, le KOUIF, ce village, jadis isolé mais très accueillant, a vu partir en silence le legs de la mine qui lui a donné la naissance.


Historique sommaire de la découverte des phosphates du Kouif

C'est en 1873 que Philippe THOMAS, vétérinaire militaire, découvrit des couches de phosphates près de RAS-EL-AIOUN au sud-ouest de la Tunisie. Les échantillons collectés par THOMAS furent ensuite analysés par Adolphe CARNOT en octobre 1885. Précédemment, l'ingénieur français JULES TISSOT avait découvert en 1878 le gisement de minerai de fer de ANINI.

Le mouvement d'urbanisation qui donnera naissance à l'agglomération d'EL KOUIF, dont l'appellation coloniale était DJEBEL KOUIF, a commencé au lendemain de la découverte du phosphate dans la région, d'abord au niveau du DYR, localité attenante à MORSOTT, actuellement commune de la wilaya de TEBESSA, plus tard à EL KOUIF.

C'est à partir de 1893 que le minerai du KOUIF, a été exploité et acheminé vers le port de BÔNE, par chemin de fer à vapeur dont les lignes BÔNE-SOUK AHRAS et SOUK AHRAS-LE KOUIF furent définitivement électrifiées, respectivement en 1932 et en 1951.

La production a connu une courbe croissante, atteignant 41 348 Tonnes en 1898, 650 000 Tonnes en 1947, et 757 000 Tonnes en 1955. A partir du 18 Avril 1912, la Compagnie des phosphates de CONSTANTINE va s'atteler au développement des conditions d'exploitation du phosphate et de vie au village.

Ainsi, le creusement des galeries est complété par la mise en place d'un réseau ferré reliant le fond de la mine aux usines de tri, de traitement et de conditionnement du phosphate et l'ouverture de celles-ci, la construction d'une centrale thermique et d'une usine à oxygène pour la préparation des explosifs, de même qu'un laboratoire d'analyse du minerai et un bâtiment de compresseurs pour alimenter en air les galeries de la mine et divers ateliers (mécanographie, menuiserie, forge, mécanique...).

Parallèlement, pour accueillir les cadres, agents de maîtrise et ouvriers français, il est édifié un cercle-hôtel avec salles de lecture, de correspondance et de jeux, un café-restaurant, puis un salon de coiffure, un bureau de tabac, un bureau de poste et une grande salle de fêtes, qui servirent pour les loisirs. Dans le même moment, commencera le mouvement d'urbanisation du village.

Historique sommaire du mouvement d'urbanisation du village

Le village peut-être saisi en corrélation avec le mouvement d'urbanisation. Son origine se trouve dans la division sociale et professionnelle. Le village devient compréhensible par la place des couches sociales et des catégories professionnelles, c'est à dire par la logique de localisation des uns et des autres. Ainsi pour assurer les conditions des cadres, des agents de maîtrises et des ouvriers de la mine, il sera édifié des villas pour les cadres, des " villages " (ensemble de petites villas sinon de maisons de moindre importance), pour les agents de maîtrise, les ouvriers français et quelques Algériens des couches moyennes. Le recrutement de la main d'oeuvre abondante et bon marché étant recherché, la mine a été obligée d'élargir la zone de mobilisation jusqu'à englober tout l'Est algérien et la Kabylie, voire des communes plus éloignées.

Ces maisons furent attribuées respectivement aux Espagnols et autres habitants européens, aux Algériens issus de la Kabylie, et de l'Est (Constantine, Djidjelli et Philippeville) qui se sont regroupés par affinité familiale, régionale ou même ethnique. Enfin, le village de la gare a été réservé à des habitants des couches moyennes, alors que le village de Aïn El Bey, constitué de studios, était destiné aux célibataires.

Plus tard sera construit le " village blanc ".


Au même moment, une solution arrangeant le mieux la compagnie s'est mise en place : fournir le plus grand nombre d'abris rudimentaires dans des sortes de " ghettos ", le plus près de la " bouche " de la mine, de ses différents ateliers et garages. Des abris portant les noms de douar El Ghorba (des étrangers), pour les uns, et de douar El Fougaâ (des champignons), pour les autres. " Ces zones d'habitations, constituées exclusivement de " gourbis " (taudis), étaient sans aucun confort ou d'hygiène et surpeuplées (d'un lumpenprolétariat) ". Il importe, à ce stade de la réflexion, d'avoir à l'esprit que " la dispersion de l'habitat et la dépendance engendrée par l'insécurité de l'emploi pour les indigènes " vont participer à rendre la main-d'oeuvre de la mine " peu combative " et peu " organisée ". Pourtant, le village induira une plus grande ouverture d'esprit du fait des nombreux contacts directs et des relations entretenues avec les voisins, les camarades de travail et les commerçants.

Pour prendre en charge les problèmes d'hygiène, il sera construit une station de pompage avec stérilisateurs d'eau et un bain maure, avec salles de massage, de sudation et de repos.

Ces édifices seront complétés par de nombreuses infrastructures sportives : un stade de football, des courts de tennis, de terrains de boules et de basket, et plus tard, une piscine, initialement réservée aux seuls européens de souche. La mine devenait petit à petit une ville. Vivant pratiquement en autarcie, avec ses infrastructures modernes, LE KOUIF était intimement lié à l'exploitation de ses richesses dont la production annuelle de phosphates avoisinait les 900 000 T, dans les années 1950-1955.

Entre-temps, d'autres infrastructures avaient été créées en amont (fermes pour les exploitants agricoles, jardin-maraîcher pour la production de fruits et légumes, grande étable pour la production du lait, moulin, boulangerie, mécanique..) et en aval (abattoirs, boucherie, charcuterie, etc..).
Pour les services publics, il a été créé un bureau de poste, un hôpital de 25 lits, une infirmerie, un bloc opératoire, des cabinets (dentaire et de radiologie), ainsi qu'une pharmacie. Pour les besoins de la scolarité des enfants des Européens et très accessoirement des Algériens, l'école d'apprentissage a été convertie en groupe scolaire de la classe enfantine à l'école de troisième (niveau moyen).
Enfin pour répondre aux croyances et voeux de la population, une chapelle (Notre Dame du KOUIF) et une mosquée ont été construites.

La mine disposait également d'un parc-autos appréciable et d'un aérodrome reliant Ras-el-Ayoun, situé au Nord-Ouest de la région de BATNA à TÉBESSA et à BÔNE.

Vivant en autarcie, avec ses infrastructures modernes, LE KOUIF intimement lié à l'exploitation de ses richesses, n'avait rien à envier aux villages miniers de la Métropole...

Lors de l'Indépendance de 1962 et après 8 années de guerre et d'insécurité quotidienne, la grande majorité de la population européenne quitta le village. Beaucoup d'entre eux, n'ayant jamais vécu en France, se sont retrouvés disséminés dans toutes les régions de l'Hexagone, avec l'obligation de se reconstruire une nouvelle vie.

45 ans après, une amicale est née, les kouifiens et les kouifiennes, les anciens des phosphates sont heureux de se retrouver tous les ans bien entendu dans la joie et le bonheur que l'on imagine.

Jean-Mare LABOULBENE

BIBLIOGRAPHIE : Résumé de différents sites Internet.