Laghouat , le jardin aux 40 000 palmiers
pnha, n°85, décembre 1997
sur site le 17-3-2003...ici, le 18-9-2005

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------Deux palmeraies limitent au nord-ouest et au sud-est la ville développée en longueur, dont les maisons blanches ou ocre ressemblent aux cubes d'un énorme jeu de construction.
------Ainsi, les jardins de palmiers et les vergers d'une superficie de 200 hectares s'étendent au Nord et au Sud de la ville. En effet, la ville forme deux amphithéâtres qui se font face, sur les flancs de deux mamelons du djebel Tisgarin allongés dans le sens du Nord-Est au Sud -Ouest. Et dont les sommets sont distants l'un de l'autre d'environ 1 800 mètres. C'est entre ces deux mamelons que les canaux d'irrigation, amènent au moyen d'un barrage de 300 mètres de long sur 10 de large et 3 de profondeur, les eaux de l'oued Mzi et alimentent la ville dans sa petite largeur.

Une histoire récente

------La fondation de Laghouat est sans doute postérieure à l'invasion hilalienne (IXè s.). On n'a guère de précisions sur Laghouat (El Aghouat signifie "les jardins") qu'à partir du début du XVIIè s., époque à laquelle Si El Hadj Aïssa serait devenu le saint patron de la ville.
------A cause de son éloignement, l'oasis paya fort irrégulièrement tribut aux Turcs d'Alger. Elle se soumit sans coup férir au général Marey-Monge en 1844, mais fit défection quelques années plus tard, donnant asile au chérit Mohammed Ben Abdallah, ennemi de la France et agitateur redoutable. Pour la soumettre, il fallut une expédition, organisée en décembre 1852, sous les ordres du général, depuis maréchal, Pélissier qui prit d'assaut la ville. Bien que formant un même tout, Laghouat était jadis, en réalité, composée de deux villes distinctes, Ouled-Serghine au sud et Hallaf au nord habitées par deux populations, les Ouled-Serin à l'Ouest, et les Hallaf à l'Est, presque constamment en lutte et qui s'étaient créé chacune une vie à part. Laghouat a donc conservé la fidèle empreinte de cet état politique dans sa disposition topographique.

Deux grands hommes

------Le chef le plus influent de cette région, contribuant à l'essor de l'Algérie Française, était le Bachaga Si Ferhat Marhoun, sénateur d'Alger, chef de la confédération des tribus Larbâa, petit-fils du Khalifa Si Djelloul Ben Lakhdar, qui appartint à une très ancienne famille des Maamra, l'une des quatre tribus qui ont formé la confédération des Larbâa.
------Digne héritier de belles traditions de la grande tribu des Ferhat, le sénateur Marhoun verra son influence et son prestige déborder largement les limites de la confédération et s'exercer dans toute l'Algérie et même la métropole. Autre personnalité de Laghouat, le grand écrivain Paul Margueritte (1860-1918) qui y naquit.
------Fils du général Margueritte, il passera son enfance en Algérie et notamment à Kouba. Il publiera, avec son frère Victor, un cycle romanesque sur la guerre de 1870 ("Une époque") et des livres pour enfants .
------Évoquant sa naissance à Laghouat, Paul écrira qu'il "est de ces enfants nés de la conquête sur le sol africain, élevés dans une serre ardente et mêlant à des langueurs de créole les brusques réveils du tempérament héréditaire.. ".

L'embellissement

------Depuis le jour de son occupation définitive, l'aspect intérieur de Laghouat a été tellement modifié, surtout dans le quartier Nord-Est que ceux qui l'ont vue alors la reconnaîtraient à peine. Son enceinte ,très notablement agrandie, fut percée de cinq portes, qui sont : Bab Cherkia à l'est ; Bab Nebka au sud ; la porte du sud ; Bab Nouader à l'ouest et la porte des Caravanes, au sud-est. De nouvelles rues furent ouvertes ; la plupart des autres ont été complètement rectifiées et un nivellement en a rendu le parcours plus aisé. ------L'espace vide, ingrat, fangeux, irrégulier, étroit, où s'élevait l'habitation des premiers commandants supérieurs, d'abord bains maures, puis bureau arabe, deviendra une vaste place rectangulaire dite place Randon, qui embellirait beaucoup de grandes villes européennes. Les deux extrémités de son grand axe seront occupées par deux bazars indigènes, dont l'un dit Cheikh-Mi est surmonté d'une coupole mauresque qui renfermait l'horloge ; l'un de ses grands côtés est formé par l'hôtel du commandement supérieur et par le cercle militaire ; le second par le pavillon du génie et par le bureau arabe. Ces quatre édifices, bâtis en pisé et blanchis au lait de chaux, n'étant pas contigus laissaient la vue se perdre, par les intervalles qui les séparent, dans les profondeurs des jardins. C est dans la partie ouest de la ville que se trouve le Dar-Sefa, la maison en roches plates, ou kasba de Ben-Salem, nom de l'ancien khalifa qui la fit construire ; c'est un vaste bâtiment, où l'on a installé l'hôpital, un casernement, et des magasins. Une rue, en partie bordée d'arcades, conduit de la place Randon à la porte, puis à l'avenue, percée dans les palmiers, pour y faire aboutir la grande route du Nord.
------L'église catholique dite cathédrale du Sahara aux coupoles basses et aux clochers inspirés des minarets fera l'admiration de toute la région ; une école installée dans une maison mauresque, un abattoir, un jardin d'essais, complètent les monuments ou établissements d'utilité publique de la ville.

 

------Quant aux anciennes rues, situées dans le quartier Sud-Ouest, en voici l'exacte description faite par Théophile Gautier, d'après Fromentin :
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"Une rue de Laghouat ne plairait pas aux amateurs du progrès qui demandent, pour toutes les villes de l'univers, trottoirs, macadam, alignement, becs de gaz et numéros sur lave de Volvic. De chaque côté de la voie accidentée comme un lit de torrent à sec, s'élèvent des maisons, les unes en saillie, les autres en retrait ; celles-ci surplombant, celles-là se penchant en arrière et se terminant par un angle carré sous un ciel d'un bleu intense, calciné de chaleur.
------Grands murs blancs, petites fenêtres noires semblables à des judas, portes basses et mystérieuses, tout un côté dans le soleil, tout un autre dans l'ombre ; voilà le décor. Au premier coup d'oeil, la rue paraît déserte, à l'exception d'un chien pelé qui fuit sur les pierres brûlantes, comme sur le sol d'un four, et d'une petite fille hâve se dépêchant de rentrer, quelque paquet au bras, on n'y distingue aucune être vivant ; mais suivez, quand votre regard sera moins ébloui par la vive lumière, la tranche d'ombre bleue découpée au bas de la muraille à droite, vous y verrez bientôt une foule de philosophes pratiques allongés l'un à côté de l'autre, dans des poses flasques, exténuées, semblables à des cadavres enveloppés de leur suaire, qui dorment, rêvent ou fument le kief, protégés par la même bandelette bleuâtre . Lorsque le soleil gagnera du terrain, vous les verrez se lever chancelants de somnolence, étirer leurs membres, cambrer leur poitrine avec un effort désespéré, secouer leurs draperies pour se donner l'air, et, traînant leurs savates, aller s'établir autre part, jusqu'à ce que vienne la nuit apportant une fraîcheur relative
".
------A Laghouat, le bonheur comme l'entend Zafari : "Dormir la tête à l'ombre et les pieds au soleil, serait incomplet ; il faut aussi que les pieds soient à l'ombre, sans quoi ils seraient bientôt cuits".
------Le musée du Luxembourg à Paris possède un tableau de Guillaumet, représentant un vieux quartier de Laghouat, au moment où la nuit vient. C'est parfait d'exactitude. Les maisons de Laghouat sont construites en briques crues, argileuses, auxquelles elles devaient jadis une teinte grise générale, qui a presque disparu sous le badigeonnage à la chaux.
------Le profil extérieur de la ville présente une vaste enceinte crénelée. Au Nord-Est, le fort Bouscarin contient une caserne d'infanterie pour 400 hommes, un pavillon d'officiers, des magasins et un hôpital militaire.Au Sud-Ouest s'élève la tour Morand, d'où, comme du fort Bouscarin, on a une vue très étendue. On sait que le colonel Bouscarin et le commandant de zouaves Morand moururent des blessures reçues devant Laghouat. Le fort-abrite leurs sépultures.
------A l'est de la ville, le Rocher Fromentin, du sommet duquel on embrasse une belle vue, conserve le souvenir du célèbre écrivain et peintre orientaliste.

Une riche végétation

------L'oasis a la plus riche végétation qu'il soit possible de voir : la vigne, le figuier, le grenadier y croissent, mêlés à tous les arbres à fruits du midi de la France. Le roi de cette végétation luxuriante est le palmier, l'arbre au port majestueux, à la tige svelte et élancée, au feuillage toujours vert ; on en compte à peu près 30 000 à Laghouat. Deux barrages arabes et le grand barrage construit par la France sur l'oued Mzi, a rendu possible la culture en céréales d'une grande partie (1000 hectares) de la vaste et fertile plaine restée inculte jusque-là. On a aussi envoyé à Laghouat, pour l'amélioration des races sahariennes, un troupeau de mérinos, qui donne de remarquables résultats. Laghouat sert de liaison entre le sud oranais et le sud de Constantine. C'est le point de convergence des routes qui conduisent vers l'Ouest chez les OuladSidi-Cheikh; vers le sud au Mzab et à Ouargla, vers l'est dans les Ziban et à Biskra. Tout concourt à faire de Laghouat l'entrepôt d'un commerce assez considérable avec les tribus voisines et celles des autres localités du Sahara. Première grande étape de la route de Tombouctou et des régions de l'Afrique intérieure, elle était appelée à devenir d'ailleurs le chef lieu politique de l'Algérie méridionale. Avec le départ de la France, Laghouat a retrouvé l'obscurantisme et la désolation dus à l'éloignement et aux sables du grand désert.

G. P.