Les ports maritimes algériens
LA CALLE

LE DJEBEL GOURRA
LA FORÊT DES CERFS
L'APPEL DES BOIS

 

Connaissant toutes les forêts algériennes et marocaines comme je connais les oasis, pour avoir séjourné plus ou moins dans chacune , j'étais avide de connaître enfin celles de La Calle qui m'attiraient depuis longtemps pour être l'habitat (de même que l'Edough) de cette relique faunique : le .Cerf de Barbarie, " Cervus Elaphus Barbarus ", qui vit dans les taillis en lisière des cultures.

A peine exprimé, mon vœu fut exaucé. Un jeune caïd plein de prévenance, rencontré dans le bureau de l'administrateur local, s'offrit spontanément à m'y conduire "tout de suite, tout à l'heure ou demain " dans sa propre voiture. Grâce à lui, ainsi qu'à l'Administration des Eaux et Forêts qui m'avait habilité auprès de ses agents, j'ai pu vivre deux jours et dormir deux nuits dans la chênaie domaniale du Goura aux portes de La Calle.

Et comme j'étais accompagné de M. C… brigadier forestier de Yusuf, lequel connaît la flore et la faune de ses bois et les aime, cette excursion fut à la fois, pleine de plaisirs et d enseignements.


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Echo du 8-4-1952 - Transmis par Francis Rambert
nov.2023

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LE DJEBEL GOURRA
LE DJEBEL GOURRA
LA FORÊT DES CERFS
L'APPEL DES BOIS

Connaissant toutes les forêts algériennes et marocaines comme je connais les oasis, pour avoir séjourné plus ou moins dans chacune , j'étais avide de connaître enfin celles de La Calle qui m'attiraient depuis longtemps pour être l'habitat (de même que l'Edough) de cette relique faunique : le .Cerf de Barbarie, " Cervus Elaphus Barbarus ", qui vit dans les taillis en lisière des cultures.
A peine exprimé, mon vœu fut exaucé. Un jeune caïd plein de prévenance, rencontré dans le bureau de l'administrateur local, s'offrit spontanément à m'y conduire "tout de suite, tout à l'heure ou demain " dans sa propre voiture. Grâce à lui, ainsi qu'à l'Administration des Eaux et Forêts qui m'avait habilité auprès de ses agents, j'ai pu vivre deux jours et dormir deux nuits dans la chênaie domaniale du Goura aux portes de La Calle.
Et comme j'étais accompagné de M. C… brigadier forestier de Yusuf, lequel connaît la flore et la faune de ses bois et les aime, cette excursion fut à la fois, pleine de plaisirs et d enseignements.

L'enchantement est immédiat
Mon bagage déposé à la maison forestière, après avoir fait connaissance avec un arbre jamais vu: le pin chauve, dont quatre échantillons de belle prestance ornent l'entrée, et dont les feuilles ressemblent à celles des tamaris, tout de suite nous partons pour une courte_promenade dans la direction de Boâ par le chemin forestier n° 2, qui conduit à la mechta Rihana - le hameau des Myrtes.
L'enchantement est immédiat. Tout de suite, je suis pris, saisi, " charmé " (au sens de sortilège) par la poésie du site.
Tout le sentier que nous montons est envahi de ronces tentaculaires, véritable cheval de frise, contre lesquels il faut se battre. Quelle bombance de mûrons doivent faire ici les oiseaux à. leur maturité l D'épaisses frondaisons de chênes-lièges et zéens, de merisiers aussi, ombragent la forêt vierge des végétations sous-jacentes, herbacées et buissonnantes, parmi lesquelles s'imposent des prêles et des fougères que l'on dirait arborescentes.
Ces dernières surtout, des osmondes royales,hautes et arquées comme des palmes, surprennent et émerveillent. Pour voir, je coupe une tige. Elle mesure 1 m. 90 !
Ailleurs, en halliers denses, impénétrables: des bruyères, des phylarias, des nerpruns, des viornes, des fragons, des cytises, des azeroliers…
Et je ne cite que les plus apparents. Et partout des foulées et des bauges de sangliers.

Les oiseaux et leurs ennemis
On atteint l'oued Ouaar qui n'est guère qu'un ruisseau encombré de blocs erratiques,. Des trous d'eau calme, où patinent des " cordonniers " (le brigadier " dixit ") et que jonchent des feuilles d'or. Les rocs lisses ont des housses de mousse verte et laineuse. Une source susurre parmi des capillaires et coule dans des cressons fleuris de libellules. Un .rouge-gorge, ou inquiet ou curieux, voltige autour de nous. Plus loin,
un pépiement de mésange. Le cri strident d'un merle et l'appel d'un pivert. Et la-haut, dans la grande lumière bleue, la clameur discordante des guêpiers jaunes et verts. Et partout, pénétrante, entêtante, l'exhalaison du " fliou " qui est la menthe poivrée (" mentha piperita ") avec laquelle les Kabyles confectionnent des bonbons.
Quant à la faune, outre les oiseaux cités, il y a des geais, des palombes, des tourterelles, des loriots, des hiboux, des grives, des milans, des buses, des rossignols. Mais ces oiseaux nombreux ont de nombreux ennemis, que j'énumère ici sous la dictée du brigadier, le raton (zirda), la mangouste, la belette, le chat sauvage, le chacal, les reptiles enfin.
Mais mon informateur a omis le principal, que j'ajoute à. la liste : l'homme.

A l'affût des sangliers
Au retour de cette première sortie, qui suffirait à faire aimer le Gourra, nous partons vers une mare qui se trouve en contrebas de la maison forestière, Le caïd et le garde sont armés d'un fusil : c'est:pour tirer un sanglier si nous en rencontrons, car ils viennent régulièrement, au commencement de la nuit, boire et s'ébattre dans cette cuvette, qui me rappelle les " aguelmanes " de Tikjda. et de l'Akfadou.
Que ce marais, en voie de tarissement et tout rempli de grenouilles et de joncs, soit fréquenté des " halloufs-er-rhaba " ces foulées tout autour et ces bauges dans la vase, une vase noire et putride, l'affirment éloquemment.
Sans perdre un instant, car c'est l'heure de l'abreuvoir, le caïd et le garde ont grimpé dans un chêne à .proximité de l'aiguade. Là, immobiles, silencieux, ils attendront l'arrivée du gibier. Le brigadier et moi, qui ne sommes pas armés, allons nous embusquer dans un sentier en contre-haut.
L'attente dura longtemps. Le couchant incendia les monts à l'occident, puis leur pourpre s'éteignit, que nous étions toujours là., nous cois sur le chemin, nos compagnons dans leur arbre. Puis la nuit vint, et les moustiques avec elle, dont la mare, en dépit des grenouilles pullulantes. qui eussent dû manger leurs larves, était un bouillon de culture.
Hardis, nombreux. voraces, les anophèles tourbillonnent et vrombissent, Et, malgré la tige de cytise avec laquelle je les fustige, ils me criblent de leurs dards à travers mes vêtements.

Le triomphe des moustiques
D'une vallée invisible monte un appel de berger., Une chauve-souris passe, rapide et zigzagante. Quelle ripaille d'anophèles elle doit faire ! Un grillon stridule auquel un autre répond Puis la demi-lune éclaire la. futaie derrière nous. Mais toujours pas de sangliers. Et toujours plus de moustiques.
Enfin une voix retentit. C'est le caïd, loquace de nature, qui renonce a l'effort de se faire plus longtemps et surtout de s'offrir en pâture aux moustiques, qui nous poignardent et nous saignent. L'affût, qui est une école de silence et de patience est raté. Et cela, nous dira le jeune garde, juste au moment où les halloufs approchaient de l'aiguade, précédés d'une mangouste, qu'il n'osa pas tirer de peur de les faire fuir !
Les moustiques triomphaient.

Dialogue à propos de cerfs
Et les cerfs, brigadier ? ai-je demandé en regagnant, sous la lune dichotome, la maison forestière.
- Les cerfs ne sont pas un mythe. Mais ne comptez pas en voir.
- Vous me décevez brutalement, car je suis venu pour eux.
- Leur habitat, aujourd'hui, est strictement localisé aux forêts de l'Est constantinois, que limite la région frontière de Tabarka à Ghardimaou. Toute notre contrée, depuis
Bugeaud, en abrite, mais on les trouve surtout vers Brabtia, Roum-el-Souk et dans les basses montagnes du Tarf. Ici, aux attitudes du Gourra et du Dyr, il est bien rare d'en rencontrer.
- Sont-ils encore nombreux ?
- On estime leur troupeau à 200 ou 300 têtes.
- Et leur origine ? Sont-ils indigène ? ou furent-ils importés ?
- Nous pensons qu'ils sont une relique de la faune primitive disparue. Car des squelettes de ces animaux ont été retrouvés dans les sédiments quaternaires. Certains prétendent, il est vrai, qu'ils furent acclimatés au début de l'occupation française. Mais aucune trace de cette importation n'a été retrouvée dans les archives officielles,
- Mon opinion, à moi, c'est que nous eûmes toujours, hier comme aujourd'hui, d'autres préoccupations que de peupler de cerfs les forêts numidiques Je crois plus volontiers que leur nombre a décru avec le développement de la colonisation, comme a décru celui des gazelles au désert... Cela est si vrai que l'Administration a dû les protéger contre les hécatombes qu'en faisaient les colons, lesquelles menaçaient d'exterminer l'espèce - comme on extermina l'autruche au Sahara.
- En effet. la réglementation protège les cerfs. Il est formellement interdit de tuer un cervidé.
- Hourrah ! pour l'Administration.
- Cependant, il arrive que les cerfs commettent de grands dégâts dans les vignes et les jardins situés en lisière des boisements. Lorsqu'ils sont trop fréquents, les services forestiers organisent des battues pour limiter le nombre des ruminants déprédateurs.

Caractéristiques du cerf de Barbarie
Après C. Salez, dans sa " Zoologie appliquée ", le " cervus barbarus " se distingue de son congénère d'Europe par ses bois. Il manque le second andouiller et par son pelage qui conserve, jusque vers l'âge adulte, les plages blanchâtres particulières au faon d'Europe.
A l'intention de ceux de mes lecteurs qui voudraient connaître " de visu " notre cerf algérien, rescapé émouvant des âges géologiques, pendant et contemporain, dans le règne animal, de ce Sapin de Numidie, que je fus admirer dans le djebel Babor, l'un et l'autre inconnus de la majorité des habitants de ce pays, je répète ce que j'ai dit dans ma chronique sur l'Edough : le parc forestier de Bugeaud possède plusieurs cerfs de tous âges, qu'il est loisible à chacun d'approcher et d'observer, même de photographier, en s'adressant aux gardes chargés de leur conservation.

Le silence de l'ignorance
Ce que je veux dire encore, c'est le silence unanime de nos littérateurs sur les cervidés locaux. Cette "curiosité" majeure, qui devrait être en vedette. n'est signalée dans aucune brochure de propagande, dont le texte, il est vrai, est généralement le même sans un paraphrasé par des compilateurs de vocation et prébendés,
Dans un " guide " récent, à prétention littéraire cependant, et présomptueusement intitulé : " A la découverte de l'Afrique du Nord. ", au chapitre réservé à " la faune et ses particularités ", quatre- pages sur sept sont consacrées à la cigogne ! Mais pas un mot sur le cerf ! lequel, visiblement, n'existe pas pour l'auteur, qui n'a " découvert " ici, que l'échassier au long bec emmanché d'un long cou ! Et pourtant, s'il est, dans la faune algérienne, et l'on peut dire africaine, une " particularité ", c'est bien notre cerf barbaresque !
J'ajoute que le même auteur observe le même silence au sujet du magot, le singe de Kabylie et de La Chiffa. congénère de celui de Gibraltar, séparé de lui, il y a des millénaires, par les dislocations et les effondrements de l'isthme qui reliait notre Afrique à l'Europe, et qui est, lui aussi, une singularité de la faune algérienne. _

Le Babouin-Serpent de Mer
Nous parlions des singes... Dans ma chronique sur Bône, je citais cet officier de marine russe, le capitaine Kokovtsov, qui visita la " Côte barbaresque " en 1775-77 et dont le " Journal ", publié par la " Revue africaine ", nous apprit qu'il avait vu, à Hippone, (avec les yeux de l'esprit sans doute !) " une grande église en ruine, avec une statue de saint Augustin, Cela, soulignons-le, en 1777 !
Le même. dans la même description, écrivit des montigènes sylvicoles de La Calle : " Ils vivent avec des singes d'une race quasi entièrement à part appelée Babouins, qui ne le cèdent guère en taille à l'homme, qui marchent sur deux pieds, sont extraordinairement méchants et servent aux habitants de ces montagnes de véritables gardiens. Et le marin ajoutait " Aussi les habitants en prennent-ils peu à la chasse et ils ne le font que quand il leur est impossible d'agir autrement. "
Pour rire, je demande au garde forestier, s'il a parfois. dans ses tournées par monts et vaux, rencontré ce Babouin-Cerbère à.stature verticale. Ce que j'attendais arrive, le jeune garde s'esclaffe. Non, cet " Homo Sylvestris " n'existe pas dans son triage. Pas même le " chadi " commun du Djurdjura. Le marin russe avait trouvé ici son serpent de mer !

Afrique, terre de monstres
Si Kokovtsov n'avait pas spécifié que le monstre dont il parle avait l'attitude humaine, on pourrait croire qu'il a pris nos singes actuels pour des babouins, car les magots, qui sont nombreux en Kabylie, ailleurs encore, ont présumablement vécu ici autrefois. Mais le babouin, qui est un cynocéphale de l'Afrique Équatoriale, et féroce en effet, n'a certainement jamais vécu en Numidie, et surtout pas en 1777. Il est vrai que le même narrateur moscovite parle également de léopards et de crocodiles comme articles algériens d'exportation, ce qui ôte à son récit toute vraisemblance de crédibilité.
Mais il n'est pas surprenant que des relations de cette encre, faites par des parlégètes sans science et sans conscience (dont l'engeance, hélas! est éternelle) aient imposé de la tierce partie du monde une image légendaire et fantasmagorique, ce qui donna naissance à l'aphorisme médiéval : " Toujours aphrique apporte cas nouveaux.
Quant aux cerfs, il n'en est pas question dans la " Description de la Côte barbaresque " du capitaine Kokovtsov. C''est dommage, car en les désignant il eut fourni la preuve qu'ils sont bien autochtones.

Q)
A chacun son dû. -- Sa modestie alarmée par les justes louanges que je lui adressais dans ma dernière chronique, Mlle Sériot, présidente du Syndicat dïnitiaiive de La Calle, me demande de préciser que : si désireux que soit l'Essi de contribuer å la renaissance et â l'embellissement de la ville, ses moyens financiers ne lui auraíent jamais permis d'entreprendre le pavage du cours Barris, qui a coûté des millions. Ses libéralités ont dse limiter å offrir les 64 palmiers et les 16 bancs de granite qui ornent lapromenade. Quant å la réfection du dallage de celle-ci, dont le Projet a éîé approuvé et les crédits votés å l'unanimiité par le conseil municipal, elle est l'œuvre de la commune. Cette Ioyale mise au point effectuée il reste que le Syndicat d'initiativc de La Calle coopère victorieusemenf avec la municipalité, et que, s'il est pauvre en francs-papier, il est riche d'esprit d'entreprise et de zèle pour Ia "res publlc". Cela suffit à mériter a Mlle sa présidente, les compliments enthousiastes que je lui renouvelle ici.