Ce blason, conçu par M. E. Picquois.
compose les armes parlantes idéales de La Calle. Quant à
sa crâne devise : " Je survivrai ", elle ne l'a pas
démentie. Elle a survécu, elle vit, elle vivra
LA
CALLE, cité courtoise
LE BLASON DE LA CALLE
Dans sa monographie dont
je parlais mardi M Picquois résume ainsi ses impressions sur
l'antique capitale des Concessions françaises, toujours incinérée,
et toujours renaissante : " Périr dans les flammes et renaître,
comme le phénix des Égyptiens, tel nous apparait le sort
de La Calle dans le passé ".
Oui. Et nul blason ne saurait mieux convenir à la cité
moderne que ce phénix essorant au-dessus d'un brasier, l'oiseau
d'immortalité qui vit de cinnamome, conçu et dessiné
par le mème M, Picquois, et dont Mlle Sériot eut le bon
goût et l'esprit d'armorier la couverture du " guide "
édité par ses soins pour le Syndicat d'initiative local
dont elle est la présidente.
Excusera-t-on, maintenant. un ami de La Calle de suggérer aux
édiles de l'aimable cité que ces " armes parlantes
", où la branche de corail avec la fleur de lys rappellent
une origine dont on doit être fier pour tout ce qu'elle évoque
de grandeur et d'héroïsme, feraient très bien aussi
ciselées sur le fronton de la Maison Commune et gravées
en exergue des papiers officiels ?
Et j'y pense : : on aurait pu ajouter, en pendant aux rameaux de corail,
une ramure de cerf, puisque les forêts voisines, elles seules
de toute l'Afrique, abritent ce ruminant.
La Calle a pris mon cur
J'ai vécu une semaine
à La Calle. Juste le temps de l'aimer et de souffrir de la quitter,
puisqu'un poète s'éprend d'un paysage comme d'un visage.
D'ailleurs, voici la note qui synthétise mes sentiments le jour
de mon départ : " La Calle m'a conquis. Le site, les êtres,
tout y est amical. JE REVIENDRAI. " Ce dernier mot. souligné
trois fois, est le signe non équivoque de la sincérité
de cet engagement d'amour.
Comme à Bougie et à Bugeaud, j'eusse voulu m'attarder,
m'éterniser ici. Car, comme Bougie et Bugeaud, comme Tlemcen
et Miliana, comme Alger et le Désert, La Calle a pris mon cur.
La Calle, cité courtoise
Ce qui m'a séduit
dès l'abord, ce sont les vestiges des anciennes pêcheries
de corail dans le décor pittoresque de sa presqu'île historique.
Et c'est le "cours " Barris.
Moins majestueux, moins ombragé surtout, que le cours Bertagna
de Bône, il est, en revanche, mieux situé puisqu'il est
un promenoir au-dessus de la mer, d'où l'il embrasse le
large. Et c'est l'église paroissiale aux deux tours géminées,
laquelle, à
distance, fait si " monumental " qu'il m'advint de croire
voir la cathédrale de Palma...
Ces grâces et ces séductions extrinsèques pourraient
être compromises, comme il arrive trop souvent, partout, par une
humanité hostile ou acariâtre. C'est le contraire ici,
où la gentillesse de la population décuple et vingtuple
la poésie du site.
Paysages et visages sont ici accordés. Pas de dissonance entre
les êtres et les aîtres. Chrétiens ou musulmans,
les Callois sont affables et prodiguent à l'étranger le
dictame de leurs sourires. Et, moi Alceste que Philinte qualifie d'
"impossible " à force d'exigence. je ne relève
dans mes notes que des épithètes laudatives à l'adresse
des hôteliers et de l'homme de la rue : " très courtois,
très avenants, très cordiaux ". Et puisqu'il est
si rare que de tels compliments puissent être faits sans mentir,
et au pluriel surtout, je crois de mon devoir de les reproduire ici,
afin que les Callois apprennent que leur urbanité est appréciée
à son prix et que les touristes sachent que cette vieille vertu
française : le savoir-vivre, suave comme la fleur de lys de son
blason, est une fleur spontanée sous le climat de La Calle.
Et La Calle ne fut elle que l'escale la plus courtoise de la Côte
algérienne, que ce privilège unique mériterait,
à lui seul, qu'on l'aime et qu'on la loue. Ceux qui ont visité
Tighzirt et Tipasa, Cap-Aokas et Djidjelli (pour ne pas allonger la
liste des sites où le touriste est un intrus et une proie) me
comprendront sans que j'insiste.
Un syndicat d'initiative pas comme les
autres
Un autre privilège
de La Calle, également important pour la prospérité
de son tourisme, laquelle importe à sa prospérité
tout court, c'est de posséder un Syndicat d'initiative qui n'est
pas le négation de ce terme expressif, ce que sont la majorité
(je ne dis pas la totalité car il y a des exceptions) de ces
agences touristiques, lesquelles, trop souvent, n'existent, que "
pro forma " et pour l'octroi d'une sinécure à une
personne " recommandée ".
Et pourquoi le Syndicat de La Calle est-il si différent des autres?
Parce que sa présidente, Mlle Seriot que j'al déjà
nommée est un esprit dynamique et " initiatif ". Bien
que directrice d'école et conseillère municipale, Mlle
Sériot trouve le temps de susciter les bonnes volontés
éparses, de les grouper, de les stimuleret finalement d'agir
en collaborationavec la municipalité..
Je citerai deux exemples de cette action victorieuse des inerties et
des carences. D'abord, ce livret-guide, recueil élégant
abondamment illustré.
Où Mlle Sériot a réuni deux études parfaitement
documentées de MM. Plcquols et- Emerit ; ensuite, et ceci est
un vrai tour de force grâce à l'esprit " d'initiative
" et au zèle de sa présidente, le syndicat de La
Calle à " réfectionné " le dallage du
cours Barris, y a implanté 16 bancs de granito, en a renouvelé
les plantations et a " offert " ces travaux à la municipalité
! Je précise que le cours Barris est long de 300 mètres.(307)
et large de 10 et que les plantations consistent en 64 palmiers des
Canaries.
Cela dit, j'ose affirmer, sans enquête préalable et sans
crainte qu'on me démente. que ce cas est unique dans toute l'Afrique
du Nord et que la présidente de ce Syndicat. d'Initiative hors
série, que nous nous permettons de proposer en exemple aux innombrables
autres qui croupissent dans l'inaction mérite l'attribution de
la couronne civique.
Lo presqu'île historique
J'ajoute que les curiosités
touristiques de La Calle méritent ce dévouement enthousiaste
et lucide. En premier lieu, je le répète, les vestiges
des établissements de la pêche du corail. Et d'abord le
moulin à vent fortifié qui date de 1694, dont nous avons
reproduit l'image mardi dernier, lequel garde fière allure sur
son socle de roc, du haut duquel ses canons barraient l'accès
de la presqu'île aux pirates barbaresques.
Dans celle-ci mème, un ensemble de bâtisses plus ou moins
uniformes présente l'aspect d'une citadelle,
C'est ce qui reste de l'antique comptoir des corailleurs établis
là après l'abandon du Bastion de France en 1679. Deux
constructions chaulées solliieltent le regard, c'est la maison
des gouverneurs d'antan devenue la résidence du commandant de
garnison. Et; c'est l'antique église, aujourd'hui abandonnée,
où prièrent les rudes hommes qui vivaient loin de leur
patrie, de leur famille. dans l'insécurité et la frugalité.
Il faut sauver l'église des corailleurs
De style provençal,
patinée par les embruns et le soleil, avec la lumière,
des chatoiements de vieil ivoire, elie fait bien dans le décor,
la vieille église délabrée. Cependant, l'étranger
s'étonne qu'une municipalité dévouée au
bien public, qui se confond, ici, au patrimoine de gloire dont elle
est gestionnaire ne découvre pas un "biais" pour utiliser
cette relique de la capitale du corail, afin d'avoir un prétexte
honorable de l'entretenir.
N'y a-t-il pas, à La Calle, une uvre post-scolaire, une
école professionnelle, une société d'éducation
physique, un orphéon. des scouts, que sais-je encore. qui pourraient,
sans irrespect, occuper cet oratoire que son délaissement condamne
à une totale disparition ?
Ses prodiges d'hier nous y autorisant. nous faisons confiance à
Mlle Serlot, qui a voix délibérative puisqu'elle est une
édile : son génie efficient saura lui inspirer l' "
initiative " salvatrice qui empêchera ce témoin de
l'époque héroïque de se dissoudre en poussière
: sa survie importe au prestige de La Calle et pour l'amour de La Calle
nous souhaitons qu'on le sauve.
Le Port d'hier et d'aujourd'hui
Ce qui ajoute à
la beauté du décor de la presqu'île c'est que l'ensemble
des bâtiments anciens se mire dans l'eau du petit port où
détonne un peu que le teuf-teuf des chalutiers.
Sur l'un d'eux. un soir, je fus emmené vers le large. Hélas
! De cette promenade que j'eusse voulu recueillie et poétique,
son moteur et ses odeurs ont fait une longue nausée. Une récompense
toutefois, allège cette épreuve : que La Calle, de là-bas,
était belle ! Adossée à ses jardins mamelonnés
d'un vert vif que domine une montagne boisée. devant le couloir
de laque bleue de son port qu'encadrent
immensément les promontoires symétriques du Cap Rosa et
du Cap Roux. c'était, dans la pourpre vespérale, une fresque
où le grandiose s'alliait à l'exquisité.
Ici, dans le port, ce qui charme et réjouit, ce sont ces effilées
petites barques de pêche. Qu'elle sont jolies, bercées
au rythme des vagules, qu'elles chamarent du reflet de leurs gais coloris.
Ce havre ne fut pas toujours ce désert d'eau. Vers 1880, me conta
un vieillard qui remaillait des filets, époque où le marché
de corail était le plus prospère, ou la petite ville comptait
plus de 6.000 habitants, on vit, rassemblées là. jusqu'à
300 balancelles " dont les voiles palpitaient comme des bannières
de procession ".
Mais, dés 1884, on n'en comptait plus déjà que
54, et peu d'années plus tard, il n'en venait plus du tout faute
de corail, anéanti par la bêtise et la cupidité,
les coralliens avaient déserté La Calle.
Être Callois, pour vivre là
!
Aujourd'hui l'atmosphère
de la presqu'île est si calme, tellement rassérénante,
l'eau de son port est si limpide dans la brise qui la moire et le soleil
qui l'émaille, que c'est là que je voudrais vivre si je
devenais Callois. Les pieds nus dans des espadrilles, en short. Avec
un grand chapeau kabyle bariolé, que les heures seraient belles,
que les jours seraient courts !
Ne quittons pas le port sans prendre une image panoramique de la ville
et de ce balcon de 300 mètres qu'est le cours, et souhaitons
que les " phaenix canariensis ", aujourd'hui en bouture, se
hâtent de cloître en beauté et de balancer au-dessus
des 64 colonnes cloisonnées de leurs stipes, les 64 chapiteaux-parasols
de leurs panaches. Quel ambulacre. alors, pourra rivaliser avec cette
double colonnade végétale et sonore ?
J'oubliais. C'est d'ici que l'église paroissiale, grâce
à ses clochers jumeaux que magnifie l'éloignement, prend
la silhouette monumentale d'une cathédrale gothique...
Je note enfin que c'est là. sur le promenoir marin du cours Barris,
que l'on voudrait voir s'ériger un hôtel digne La Calle
et de son avenir touristique, car il faut croire à. ses futurités.
Je ne dis pas un " palace ", mot indiscret dont j'ai horreur
car il pue le parvenu. Mais un hôtel honnête, confortable
sans esbroufe, dans lequel on dorme bien, mange bien, où l'on
ne vous impose pas l'inaudible audition d'une T.S.F. vociférante
; où patrons et personnel sont corrects et non ces énergumènes
sans aptitudes professionnelles que les uns et les autres sont beaucoup
trop souvent - ce qui rend inefficace toute la propagande que l'on fait
par ailleurs pour le tourisme
Promenades périphériques
Bourgade de 6900 habitants,
La Calle n'est remarquable que par son site. maritime et forestier.
A part, le cours Barris, ou l'on se recueillera devant le monument,
érigé à la gloire de Samson Napollon homme de Cour
et condottiere, et de son prédécesseur, Thomas Lenche,
" premier Gouverneur français en Barbarie ", rien dans
l'agglomération ne sollicite l'attention.
Mais il y a les environs Les plages, d'abord, dont le rivage est dentelé.
Celle de l'Ouest, notamment, la plus proche et la plus longue, puisque
ses sables d'or s'étalent sur un kilomètre. Il y a des
îlots, des criques, des falaises, des promontoires, pleins d'imprévues
découvertes.
Il y a la forêt de chênes-liège du Boulif, d'où
la haute mer se révèle, immense, illimitée. Il
y a les sentiers à travers le maquis et la flore herbacée.
dont les racines et les branches frôlent l'écume des ressacs.Enfin,
il y a le pèlerinage aux ruines du Bastion de France, à
12 kilomètres à l'ouest, dont nul visiteur bien né
ne saurait se dispenser. Tout un ensemble de vestiges médiévaux,
émouvants par leur pittoresque et leur signification parle au
cur et à l'esprit tout en charmant les yeux : cette forteresse
est le berceau - un berceau rougi de sang et noirci de fumée
- de la France africaine.
Je n'oublie pas les Lacs disposés en auréole autour de
la cité courtoise. Auréole de miroirs où tout le
ciel se double, ce qui les irise du reflet des nuées. Deux sont
poissonneux. Le dernier, le Tonga que l'on voudrait assécher,
mais qui refuse d'être aride, est le refuge saisonnier des palmipèdes
migrateurs ; canard, foulques, pluviers, bécasses, hérons...
Ce qui attire les Tartarins de tout le département, même
d'Alger, même de Tunis ! Dans l'un je vis, un jour, un hydravion
posé. A travers les hautes cannes des roseaux de ses berges,
les " arondo donax " des roselières congolaises, on
eut dit une élégante libellule jamais vue,un libellulidé
antérieur au Déluge.
Ce blason, conçu par M. E. Picquois.
compose les armes parlantes idéales de La Calle. Quant à
sa crâne devise : " Je survivrai ", elle ne l'a pas
démentie. Elle a survécu, elle vit, elle vivra