Les ports maritimes algériens
LA CALLE
Autour du Bastion de France.

Autour du Bastion de France.

A l'Est de Bône s'étend une région que les touristes ne fréquentent guère, mais dont l'aspect cependant ne saurait se retrouver nulle part ailleurs en Algérie. Sitôt que l'on a quitté la longue plaine humide de la Seybouse et qu'on pénètre dans cette contrée, qui s'étend jusqu'à la frontière tunisienne, on est saisi par ce qu'elle ajoute aux images qu'on avait préconçues : la route y dessine ses méandres au milieu d'une forêt des chênes-lièges en franchissant une série de cols imperceptibles et en contournant des lagunes qui donnent au paysage, à certaines heures du crépuscule, une lumière des plus étranges.

C'est le pays sauvage des Ouled-Diab. Les tribus qui l'habitent ont, encore aujourd'hui, la certitude que leurs ancêtres les plus lointains ont été nourris par une femelle de chacal, tout comme le furent par une louve les fondateurs de Rome. Elles accordent d'ailleurs au chacal une vénération à ce point profonde que l'on peut voir en cela un cas de totémisme, unique sans doute, à travers l'Histoire de tout l'Islam. Il se trouve quelques vieux colons pour ajouter foi à cette légende originelle des Ouled-Diab. Ils affirment de plus qu'il existait, il y a seulement quelques années, parmi les Kroumyrs, au Sud du Cap Roux, des montagnards anthropophages, et qu'à l'heure actuelle certaines fractions arabes se nourrissent de la viande du sanglier, en dépit des préceptes du Coran.

Le chef-lieu de ce pays de mystère est La Calle : un port de pêche mal défendu contre le noroît, mais si joliment composé - avec sa presqu'île minuscule, peuplée de vieilles maisons, son bourg à étages sur les pentes boisées et, au delà des vergers, le lointain décor de la Kroumyrie et de ses promontoires, - que les pêcheurs napolitains eux-mêmes ne sauraient lui tenir rigueur de cette hospitalité réticente.


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Afrique illustrée du 7-2-1931 - Transmis par Francis Rambert
nov.2021

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Autour du Bastion de France.

Autour du Bastion de France. Autour du Bastion de France.

A l'Est de Bône s'étend une région que les touristes ne fréquentent guère, mais dont l'aspect cependant ne saurait se retrouver nulle part ailleurs en Algérie. Sitôt que l'on a quitté la longue plaine humide de la Seybouse et qu'on pénètre dans cette contrée, qui s'étend jusqu'à la frontière tunisienne, on est saisi par ce qu'elle ajoute aux images qu'on avait préconçues : la route y dessine ses méandres au milieu d'une forêt des chênes-lièges en franchissant une série de cols imperceptibles et en contournant des lagunes qui donnent au paysage, à certaines heures du crépuscule, une lumière des plus étranges.

C'est le pays sauvage des Ouled-Diab. Les tribus qui l'habitent ont, encore aujourd'hui, la certitude que leurs ancêtres les plus lointains ont été nourris par une femelle de chacal, tout comme le furent par une louve les fondateurs de Rome. Elles accordent d'ailleurs au chacal une vénération à ce point profonde que l'on peut voir en cela un cas de totémisme, unique sans doute, à travers l'Histoire de tout l'Islam. Il se trouve quelques vieux colons pour ajouter foi à cette légende originelle des Ouled-Diab. Ils affirment de plus qu'il existait, il y a seulement quelques années, parmi les Kroumyrs, au Sud du Cap Roux, des montagnards anthropophages, et qu'à l'heure actuelle certaines fractions arabes se nourrissent de la viande du sanglier, en dépit des préceptes du Coran.

Le chef-lieu de ce pays de mystère est La Calle : un port de pêche mal défendu contre le noroît, mais si joliment composé - avec sa presqu'île minuscule, peuplée de vieilles maisons, son bourg à étages sur les pentes boisées et, au delà des vergers, le lointain décor de la Kroumyrie et de ses promontoires, - que les pêcheurs napolitains eux-mêmes ne sauraient lui tenir rigueur de cette hospitalité réticente.

La presqu'île surtout a du caractère : elle est âprement méditerranéenne. On ne sait si elle ressemble plus à un fragment du port de Bastia, à un coin de la côte majorquine, ou à un quartier de Malte.

Elle a son histoire cette presqu'île : une histoire rouge et dorée comme les murailles dont elle est couronnée. Songez qu'elle fut cette Tuniha qui fournissait le plus beau corail de la parure des dames romaines; puis la florissante " Mars El-Kharaz " - la baie des " breloques ", - centre de coraillage et repaire de pirates que détruisit, au 13° siècle, l'Aragonais Roger de Luria, gouverneur de Sicile; puis enfin, la " Cala de Massacarez ", l'un des derniers refuges de la Compagnie Française d'Afrique, de cette Compagnie qui avait eu ses origines à quelques lieues de là : au fameux Bastion de France. Le savant professeur Paul Masson, qui a écrit une histoire des Établissements français de l'Afrique barbaresque, a prouvé que les premières négociations, qui en préparèrent la fondation, remontent au règne de François Ier. Il ne nous laisse rien ignorer des documents officiels qui permettent de retracer, politiquement, les diverses phases de la fortune particulièrement mouvementée de ces institutions.

L'histoire du Bastion de France, sa fondation notamment par une poignée de Corses et de Marseillais conduits par Thomas Lynches et Carlin Didier, puis l'étonnante carrière de Sanson Napollon qui, d'accord avec Richelieu, tenta, au prix de sa vie, d'enlever l'île de Tabarka aux Génois, voilà des pages qui peuvent être comptées parmi les plus émouvantes de notre Histoire précoloniale.

Il était question d'ériger, l'an dernier, un monument à la mémoire de Sanson Napollon : un comité s'est constitué à cet effet; des souscriptions ont été ouvertes, des subventions réunies. Le Gouverneur général de l'Algérie devait en personne se rendre à La Calle pour saluer, en l'illustre Corse, un des précurseurs du Maréchal de Bourmont... Mais il y eut tant et tant de monuments à inaugurer, au cours de cette année du Centenaire de l'Algérie française, que l'on n'a pas trouvé le temps d'effectuer une randonnée dans l'Est algérien.

Sanson Napollon, pourtant, mérite amplement l'hommage tardif qu'on se proposait de lui rendre (et qu'on se propose encore de lui rendre, puisque ce n'est, paraît-il, que partie remise). Consul de France à Alep, gentilhomme de la Chambre du Roi, ce fut lui que Richelieu chargea de mission diplomatique à Constantinople en 1623, puis à Alger en 1626. pour établir un traité de paix et conclure en même temps un contrat relatif aux concessions d'Afrique.
Ce contrat, daté du 29 septembre 1628, et conservé à la Bibliothèque Nationale, est d'une importance capitale, puisqu'il établit imprescriptiblement les droits du Roi de France, dès cette époque, sur " la dite place du Bastion et ses dépendances qui ont esté desmolies, de les pouvoir redresser et fabriquer comme elles estaient anciennement pour pouvoir se garantir contre les Maures, vaisseaux et brigantins de Majorque et de Minorque ensemble; Estant les bateaux de pesche du corail entraînés par vents contraires d'aborder aux lieux de la coste, comme Gigery, Collo et Bônes, ne leur sera fait aucun déplaisir, faits esclaves ni vendus aux Mores ".

Sanson Napollon, nommé, par le Roi, Gouverneur du Bastion et dépendances, en 1631, négocia avec les Tunisiens et créa une installation au Cap Nègre. Il voulut ensuite enlever l'île de Tabarka aux Génois : il en avait reçu l'ordre de Richelieu. Ce fut sa perte. Il noua des intelligences avec des occupants du fort et croyait pénétrer par surprise, une nuit, dans Tabarka. Il fut trahi, attendu et tué, au cours d'une arquebusade nourrie, à la tête de ses hommes.

Si la figure de Sanson Napollon est une des plus belles de son époque, on aurait tort, toutefois, de négliger le souvenir des tout premiers fondateurs du Bastion de France. Carlin Didier et Thomas Lynches ont laissé moins de documents authentiques sur leur existence troublée que leur successeur. La légende s'est chargée de combler ces lacunes. Mais rien ne dit que cette légende ne sera un jour vérifiée par une découverte historique.

Lynches et Didier, en armant quelques brigantines à destination de la côte barbaresque, savaient exactement où ils allaient : leur but était de faire fortune par la pêche de ce corail dont Pline avait reconnu l'existence dans cette région maritime bien déterminée, depuis des siècles, des environs de " Tuniha ", devenue Mars El-Kharaz. Il paraîtrait que les deux Marseillais, unis dans cette entreprise, avaient une raison péremptoire de faire fortune : tous deux étaient amoureux de la fille d'un armateur, et ce dernier avait promis la belle à celui qui le premier reviendrait riche... On imagine la vie de la colonie corse et marseillaise, à ses débuts, au Bastion de France : gens du vieux port, gouapes, bons à tout faire, tout ce que l'on avait pu ramasser de plus hardi et sans doute de plus désireux d'échapper à la Justice du Roi.

Ce fut Thomas Lynches qui rentra le premier à Marseille pour épouser la fille de l'armateur. Et quand on lui demanda ce qu'était devenu son compagnon, il assura que Carlin Didier vivait parmi les tribus arabes de la région des lacs, et s'était épris d'une femme Ouled-Diab... Il est bien probable que la disparition de Didier avait une cause moins romanesque et plus tragique... Peu importe. Thomas Lynches épousa la belle et l'emmena, dit-on, au Bastion de France. Une jolie fille parmi tant de forbans, on se doute que cela ne devait pas aller sans tourments : Thomas fut tué, on ne sait comment, et sa femme fut sans doute la femme de tous les bandits du Bastion.

Quel beau roman à construire avec cette légende, au milieu de ce pays étonnamment beau, dans les forêts de la région de La Calle, sur la côte profondément découpée ou frangée de plages immenses, parmi le décor fantastique des lacs, dans cette atmosphère toute préparée pour le drame qui s'y est peut-être réellement joué.

Mais il y a d'autres raisons d'aimer cette contrée et de la visiter. Le touriste ne se contente pas de souvenirs historiques ou légendaires. Il est peu de villes maritimes qui joignent à ces attraits ceux d'un climat aussi vigorant et d'une aussi riche variété dans le décor.

Quoiqu'il en soit, espérons que le monument à Sanson Napollon et à ses prédécesseurs s'élève bientôt sous les palmiers de la promenade de La Calle, face à la presqu'île, en cet endroit du port où nous a conduit dernièrement M. Barris du Penher, maire et délégué financier de I.a Calle, en nous entretenant des richesses de ce pays qu'il aime tant et dont l'amitié lui est si précieuse.