Le Kreider
Situé aux avants-postes du Sud-Oranais,
non loin du vaste Chott-el-Chergui, contre Modzbah et Bouktoub, sur la
voie ferrée qui mène d'Oran à Aïn-Sefra et Colomb-Béchar,
le Kreider de création relativement récente est l'uvre
presque exclusive de l'armée, plus précisément de
notre vaillante Légion étrangère et des Bataillons
d'Afrique, dont la sueur et le sang ont abondamment arrosé les
sables arides de ces parages.
A l'origine s'élevaient aux lieu et place du Kreider, quelques
blockhaus que l'ingéniosité de braves troupiers d'Afrique
ne tarda guère à transformer en petite ville.
Grâce à la proximité de vastes nappes d'eau - en particulier
le Chott-el-Chergui précité - légumes, arbres et
plantations de toutes sortes surgirent peu à peu, corrigeant par
leur aspect riant la sévère perspective du paysage. Les
civils-brocanteurs, marchands, cultivateurs, fonctionnaires affluèrent
à leur tour et l'on peut affirmer qu'à l'heure actuelle
le Kreider est l'un des endroits du Sud-Algérien où la vie
offre le maximum d'agréments compatibles avec les ressources locales.
Tous ceux qui ont séjourné dans cette petite ville ont certainement
ressenti une étrange sensation de solitude reposante, de calme
et ne reliront pas sans émotion ces lignes évocatrices des
frères Tharaud (La Fête Arabe) adaptée parfaitement
au sujet qui nous occupe :
" Oh ! comme l'âme est faite pour la monotonie, le journalier,
l'habitude ! Tout ce mystère enchante, déçoit, ravit,
excède tour à tour. Quand vient un peu de lassitude et qu'aussitôt
apparaît l'irritant désir de comprendre, si grande et votre
impuissance et si complet votre échec, que vous éprouvez
jusqu'à l'angoisse, la sensation d'être perdu, d'être
seul. Ce pays coloré n'est plus qu'un froid miroir, où se
reflètent obstinément votre inquiétude et vos questions.
Quels sentiments s'agitent, quelles pensées se dérobent
derrière les voiles de ces femmes, sous la laine de ces burnous,
au fond de ces maisons fermées, plus secrètes que des curs
? Y a-t-il seulement quelque, chose à découvrir dans ce
pittoresque implacable ? Toute te cette vie exotique vous demeure tellement
étrangère qu'elle arrive à vous apparaître
non plus comme la vie même, mais comme une image, un tableau, dont
la réalité se déroulerait quelque part à des
milliers de lieues... "
Le Kreider ne manque pas d'aperçus pittoresques. On y trouve, sur
une légère éminence, un fort, ancien poste d'optique,
dont l'aspect quelque peu romantique est bien fait pour surprendre en
cet endroit ; on y trouve une source d'eau chaude et une forêt -
ou plus exactement un bois assez épais pour ménager un ombrage
reposant ; on y trouve une vaste piscine aménagée non loin
du poste de commandement ; on y trouve une ferme entourée d'arbres
où se poursuivent certains travaux concernant l'élevage
du cheptel ; on y trouve enfin, outre de nombreux fruits et légumes,
des asperges qui n'ont rien à envier - quand à la saveur
- à celles d'Argenteuil.
Mais tous ces agréments ne seraient rien sans la gaîté
primesautière de ses habitants, plus particulièrement de
sa petite garnison.
Cette gaîté s'est donné libre cours, récemment,
à l'occasion des fêtes de la mi-carême qui se sont
déroulées au milieu d'une affluence nombreuse à laquelle
s'étaient mêlés des curieux accourus des centres voisins.
Le cirque Charlot, entre autres spectacles, a suscité l'hilarité
des spectateurs grands et petits. Les promenades à dos de mulets,
aux selles ornées de feuillage, ont fait aussi la joie de jeunes
cavaliers.
Et comme il n'est pas de fête réussie sans musique, les excellents
exécutants de la Légion étrangère se sont
fait entendre dans des morceaux heureusement choisis.
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