CATASTROPHE MINIERE AU SIEGE
9 DE KÉNADSA LES 4 ET 9 MAI 1948
14 MORTS
Le 4 mai 1948, un incendie se déclare
au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais.
Il cause la mort de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.
Cinq jours après survient une seconde catastrophe - due à
la témérité et au dévouement dun ingénieur
qui, à l'insu de ses camarades, avait décidé d'explorer
le fond du siège sinistré. Cette deuxième catastrophe
coûte la vie à deux ingénieurs et à deux chefs
d'équipe.
Au total, quatorze mineurs morts dans l'accomplissement de leur devoir
:
-Ingénieurs: MM.
Delengaigne
Dussel
-Agents de maîtrise: MM. Di Piazza
Kraemer
Pontiaux
-Ouvriers: MM. Abdelkader Ben Mohamed
Belbekiri Abdelazziz
El Hachi Chiech
Hamed Ben Abderhamane
Kessal Messaoud
Loftil Khalifa
Larbi Ben Ajel
Mohamed O. Brick
Terras Mohamed
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Aujourd'hui, la tragédie sort de l'oubli
et un hommage peut être rendu aux victimes. Guy Palomas a trouvé
aux Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence la discussion à l'Assemblée
Nationale exposant à l'époque les différentes hypothèses
sur les causes de l'incendie (Journal Officiel du 8 juin 1948).
Mais en définitive, accident ou sabotage, le mystère reste
entier.
[Transmis par Guy Mangini]
JOURNAL OFFICIEL DU
8 JUIN 1948 pages 3278 à 3280 ASSEMBLEE NATIONALE 2e SEANCE
DU 8 JUIN 1948
Mme Alice Sportisse. Mesdames, Messieurs,
le 4 mai dernier, peu avant deux heures du matin, un incendie se déclarait
au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais.
Cette catastrophe devait causer la mort, dans de terribles circonstances,
de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.
Cinq jours après, elle était suivie dune seconde catastrophe
- due à la témérité et au dévouement
sans limite dun Ingénieur qui, à l'insu de ses camarades,
avait décidé d'explorer le fond du siège sinistré,
pour lui arracher son secret. Cette deuxième catastrophe coûta
la vie à deux ingénieurs et à deux chefs d'équipe.
Les circonstances qui entourent cette tragédie demeurent mystérieuses,
malgré l'envoi sur place de hauts fonctionnaires du Gouvernement
général et dun nombre considérable d'enquêteurs
officiels.
Les constatations, aussi bien que les témoignages, sont on ne peut
plus troublants. Les faits, tels que nous les connaissons, nous obligent
à poser dès maintenant une série de questions au
Gouvernement.
Les constatations faites jusquici indépendamment de
lensemble des faits que je laisse momentanément de côté
nous permettent de dire pourtant pourquoi l'opinion publique s'est
troublée. Il y a d'abord les circonstances dans lesquelles cet
incendie a éclaté ; et c'est encore qu'il se soit déclaré
au siège 9, qui est isolé, étant situé à
six kilomètres de Kénadsa et à dix-neuf kilomètres
des sièges de Bidon II. Lincendie a éclaté,
en pleine nuit, vers une heure quarante-cinq du matin, dans un siège
qui compte peu de personnel, car il est en préparation.
Les constatations établissent maintenant formellement que l'incendie
s'est déclaré dans la descenderie principale, entre les
niveaux C et D alors que l'équipe travaillait à la hauteur
du niveau E. Depuis, on a pu constater, en effet, que plus au fond et,
en particulier, à lendroit où l'équipe travaillait,
il n'y a pas de traces dincendie. Les pompes situées à
ce niveau sont intactes.
De ces brèves constatations, que je me réserve dailleurs
de développer davantage, il faut retenir:
1° La rapidité et l'intensité avec lesquelles l'incendie
s'est déclaré. En une heure, il était impossible
de descendre à plus de soixante mètres;
2° L'endroit où i1 a éclaté: vers le milieu de
la descenderie, ce qui ne permettait ni aux sauveteurs ni aux ouvriers
du fond de remonter;
3° Létat des pompes, absolument intactes au moment où
la prospection, a pu se faire jusqu'à elles, le 10 mai seulement,
par l'équipe de sauveteurs de Lens, ce qui écarte l'hypothèse
du court-circuit;
4° Le blocage suspect du skip amenant les deux premiers sauveteurs,
blocage qui semble avoir eu pour cause la présence sur la voie
de poutres de bois disposées verticalement, en obstruant le passage.
Les thèses en présence sont de trois ordres: imprudence,
court-circuit, sabotage.
Je pourrais donner des témoignages autorisés qui semblent
écarter les deux premières. Quant à la troisième,
c'est celle qui semble cheminer dans l'opinion publique avec le plus d'insistance
en raison des circonstances matérielles que jai indiquées
brièvement et aussi en tenant compte :
1° D'un incident qui sest produit, quatre jours avant la catastrophe,
et au cours duquel un forgeron de ce siège, voulant allumer sa
forge avec une pelletée de charbon prise sur le carreau, provoqua
une explosion qui fit s'ébouler la cheminée et sauter les
tuiles du bâtiment.
2° Lincident du 14 mal, c'est-à-dire dix jours après
la première catastrophe, au cours duquel, à 5 heures du
matin, à la fin dun poste, on trouva dans une galerie du
siège 8 un bois vermoulu enflammé et qui avait été
préalablement nettoyé de son écorce humide. Comme
par hasard, le téléphone de ce siège ne fonctionnait
pas. Recherches faites, on découvrit sur la ligne téléphonique
un U de fer cause dun court-circuit.
3° Quelques jours encore après, cambriolage des bureaux de
la mine.
4° Enfin, l'importance capitale du siège 9 lui-même pour
l'avenir de la mine. Ce siège n'était quen préparation.
Sa mise on exploitation devait permettre d'assurer le niveau actuel de
la production car, du mois de juin 1948 à fin janvier 1949, l'exploitation
de quatre autres sièges doit se terminer.
« Par la suite, disent les cadres et les techniciens, ce siège
devait permettre d'augmenter de 80 p. 100 la production des houillères,
qui est actuellement de 1.000 tonnes par jour. »
Enfin, équipé d'un matériel moderne le seul,
dailleurs, de toute la houillère il devait établir
la liaison avec le siège 25, également en préparation.
Les charbons de ce dernier siège devaient être ramenés
par une installation rationnelle et des plus économiques au siège
9 et, par ce dernier, jusqu'au lavoir situé à proximité.
Voilà donc, rapidement exposés, les éléments
qui se rattachent directement à la catastrophe du 4 mal. Mais encore
faudrait-il, pour permettre une appréciation exacte de cette catastrophe,
connaître la situation passée et présente de la houillère,
notamment la gestion avant le décret de nationalisation et dire
comment, depuis la mise en place du nouveau conseil d'administration,
il apparaît aux yeux de tous que non seulement cette houillère,
contrairement aux affirmations de ses détracteurs, est viable et
rentable, mais quelle peut être un élément déterminant
de l'économie algérienne.
Au cours de mon interpellation, pour la discussion de laquelle je vous
demande de fixer une date aussi rapprochée que possible, je me
propose de décrire cette situation avec des documents authentiques,
qui prouvent que la mine a des ennemis, même dans les sphères
du gouvernement général, même au sein du conseil d'administration
actuel.
Une autre question est également en jeu, dont on doit tenir compte:
cest la concurrence des charbons étrangers, dont certains
membres du conseil dadministration actuel qui sont, en même
temps, fonctionnaires du gouvernement général, voudraient,
en Algérie, faire prévaloir la vente sur celle de nos charbons
algériens.
Dans tous les cas, un fait demeure, qui domine tout. Il a fallu ces quatorze
victimes du devoir, neuf musulmans, cinq européens, unis dans la
mort, comme ils l'avaient été dans la peine, dans une exploitation
minière située en plein Sahara, pour que les pouvoirs publics
se rendent compte qu'au milieu des sables, à 700 kilomètres
de la côte, près de 4.000 ouvriers, cadres et techniciens,
travaillent dans les pires conditions à doter lAlgérie
d'une industrie de première importance.
La tragédie de Kénadsa pose brutalement devant nous le problème
de l'exploitation coloniale des travailleurs. Les grévistes du
Kouif, en lutte depuis plus de cinquante-cinq jours, les victimes de Kénadsa
appellent notre attention, d'une part, sur la cupidité d'un patronat
de combat, qui ne veut rien abandonner de ses privilèges ni de
ses bénéfices et, d'autre part, sur les travailleurs algériens
auxquels on ne veut pas reconnaître les droits de leurs frères
métropolitains, qui ne bénéficient pas des lois sociales
et de la sécurité sociale, qui n'ont pu obtenir, pour la
majorité des mines d'Algérie, l'application du statut des
mineurs et qui ne connaissent pas le respect du règlement général
des mines en Algérie.
Il faut donc que la lumière soit faite le plus tôt possible
sur la tragédie de Kénadsa.
Les ouvriers, les ingénieurs et les cadres des mines d'Algérie
ne peuvent se contenter des menées d'enquêteurs officiels,
qui ne les représentent pas. Ils revendiquent tous la sécurité
dans leur travail et dans leur vie quotidienne.
Ils demandent, par conséquent, qu'une commission paritaire d'enquête
soit rapidement désignée, comprenant des représentants
qualifiés des ouvriers, des techniciens et des cadres.
En attendant, je demande que la date de discussion de mon interpellation
soit rapidement fixée, car les mineurs de Kénadsa attendent
les explications du Gouvernement. (Applaudissements à l'extrême
gauche.)
M. le président. La parole est à M. Serre.
M. Charles Serre. LOranie a appris, avec peine, le drame tragique
du travail qui a atteint les mineurs de Kénadsa. Toute la population
d'Oranie, comme cette Assemblée, s'est inclinée avec émotion
devant ces ouvriers européens et musulmans tombés sur le
lieu de leur travail.
Comment ne citerais-je pas les actes dhéroïsme qui ont
été accomplis par les cadres et par les ouvriers, certains
d'entre eux étant tombés en se portant au secours de leurs
camarades !
Ce drame affreux pose à notre conscience un grave problème
: dans cette entreprise, qui est sous le contrôle de la puissance
publique et lui appartient, tout est-il organisé d'une manière
rationnelle, scientifique et moderne ?
Pour ma part, jaccepterais volontiers le renvoi à la suite
qui a été demandé par M. le ministre de lIntérieur,
mais je ne laccepterais pas comme un enterrement, car la question
mérite examen. Je sais que lordre du jour des travaux de
cette Assemblée est surchargé et que les propositions de
la conférence des présidents ne nous permettent pas de traiter
tous les problèmes à la fois. Jespère, cependant,
que la discussion de cette affaire sengagera dans le plus bref délai,
parce que nous sommes en présence d'un fait extrêmement important.
Par la force des choses, les houillères du Sud-Oranais se sont
développées, en effet, au cours de la dernière guerre,
au mépris de légitimes préoccupations financières,
en pleine méconnaissance aussi des données dune saine
organisation technique de lexploitation. On a été
contraint d'utiliser un matériel de fortune et, de façon
parfois improvisée, de pousser la production au maximum.
Ces méthodes précaires ont peut-être conduit à
négliger létablissement dun plan de travail
sérieux, donnant toute son importance à la mise en place
des moyens de sécurité, indispensables aux hommes qui, sous
des températures terribles, travaillent, en plein désert,
pour extraire le charbon nécessaire à l'économie
nationale et aux activités algériennes.
Je me permets donc d'insister, à la fois, auprès du Gouvernement
et de lAssemblée, pour qu'on n'oublie pas les mineurs de
Kénadsa, pour qu'on ne néglige pas les garanties de sécurité
quon leur doit et pour que, le plus tôt possible, l'Assemblée,
avec l'ardent désir d'aboutir, étudie cet événement
douloureux avec une entière efficacité.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Intérieur.
M. le ministre de l'Intérieur. J'ai, en effet, demandé le
renvoi à la suite, non que le sujet ne vaille pas d'être
discuté. C'est un accident douloureux, infiniment regrettable,
aggravé par les circonstances dans lesquelles s'est produit le
deuxième accident.
Le premier a fait dix victimes, le 4 mai, et le deuxième, quelques
jours plus. tard, en a fait quatre autres: un ingénieur, qui s'était
aventuré, peut-être imprudemment, au fond de la mine encore
dangereuse, et trois hommes un ingénieur et deux chefs de
chantier qui s'étaient efforcés de dégager
le premier.
Je suis en possession des télégrammes qui m'ont été
immédiatement envoyés par le gouvernement général
et d'un premier rapport de l'inspecteur général des mines
qui est resté sur place.
Je ne crois pas quil soit utile que je donne à lAssemblée
lecture de ces textes, qui sont longs et contiennent nombre de renseignements
techniques. Je préfère en résumer la substance.
Des premiers éléments de l'enquête, il apparaît
que la catastrophe est due à un incendie de boiserie, survenu dans
une descente, sensiblement à égale distance de l'ouverture
en surface et du fond de la galerie.
L'origine de l'incendie est inconnue. Il semble qu'il ait provoqué,
à mi-course, un éboulement et l'on peut expliquer ainsi
larrêt des wagonnets formant funiculaire, l'un empruntant
la galerie montante, lautre la galerie descendante.
Les premières constatations indiquent qu'il ne peut pas sagir
dun accident de mine proprement dit: coup de grisou, ou coup de
poussières. Il n'y avait pas de grisou. Il n'y a jamais eu de grisou
dans cette galerie, qui nétait pas encore exploitée
et que lon perçait en vue dune exploitation future.
Il ne semble pas non plus, d'après les rapports des techniciens,
quil y ait eu faute dexploitation, ou violation de la réglementation
minière, en sorte qu'il est encore impossible de conclure de façon
formelle, sur la cause de l'accident.
On peut émettre des hypothèses.
On peut émettre celle d'une imprudence: il y avait, à peu
près à mi-distance, un dépôt de vêtements,
- semble-t-il, d'après les traces que l'on a retrouvées
- et il est possible qu'une lampe y ait mis le feu.
On ne peut pas éliminer complètement, encore qu'elle soit
particulièrement atroce, l'hypothèse d'un acte de malveillance
ou de sabotage. On a peine à imaginer qu'un être humain puisse
commettre un tel acte. Mais,dans 1'état actuel de l'enquête,
il n'est pas possible décarter complètement cette
hypothèse. En tout cas, l'enquête continue. Elle est menée,
pour le Gouvernement général, par un homme de très
grande valeur, M. Bouakuir, qui est un kabyle, directeur technique au
Gouvernement général et, pour le contrôle des mines,
par un inspecteur général des mines, M. Bétler, que
je connais particulièrement et que j'estime également beaucoup.
Le premier rapport d'ensemble de M. Bétler, en dehors des nouvelles
fragmentaires parvenues au jour le jour, date du 28 mai. Nous lavons
reçu il y a quelques jours. Cest un rapport assez volumineux,
qui se termine par ces mots: « En l'état des constatations,
on ne peut toutefois écarter définitivement l'hypothèse
de la malveillance, que je discuterai dans mon prochain rapport ».
Je me garderai dajouter quoi que ce soit. Je veux attendre d'avoir
tous les textes pour juger. Ce que je puis dire, cest quil
semble, en rapprochant les heures des accidents des heures d'envoi de
matériel de secours, que toutes les mesures humainement possibles,
pour limiter les conséquences funestes de la catastrophe, ont été
prises.
Ainsi, contrairement à ce qu'on a dit, on na pas manqué
d'oxygène. Le hasard fait quil en était arrivé
7.000 litres par chemin de fer. le jour même. Mais, l'administration
d'Alger, ignorant l'arrivée de ce supplément doxygène
liquide, a frété immédiatement un avion, qui est
parti trois ou quatre heures après que l'accident eut été
connu à Alger, apportant lui aussi des réserves doxygène
pour les appareils respiratoires.
Bien entendu, je donne lassurance aux deux interpellateurs qu'aussi
bien l'Inspecteur général des mines que les services techniques
de lAlgérie prendront toutes mesures utiles pour imposer
les méthodes de sécurité nécessaires.
M. le Président: La parole est à M. Lecoeur, au nom du groupe
communiste.
M. Auguste Lecoeur. Nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement
tendant au renvoi à la suite des interpellations.
En effet, depuis plusieurs mois, nous assistons à une avalanche
de catastrophes minières. Celle qui vient de se produire à
Kénadsa a fait suite à celle de Courrières qui elle-même
avait suivi celle de Petite Rosselle.
En dehors de ces catastrophes, dautres accidents, sans doute moins
spectaculaires, mais plus nombreux, se produisent tous les jours dans
nos bassins miniers. Par conséquent, le Gouvernement se doit de
demander lui- même la discussion de ces interpellations au fond,
afin de déterminer les raisons pour lesquelles la corporation minière
compte en ce moment tant de victimes, de rechercher les causes des catastrophes
et dy porter immédiatement remède.
A la vérité, le Gouvernement ne veut en aucun cas que lon
aborde la discussion au fond de la question parce quil ne veut pas
que soit mise en lumière la néfaste politique qui a provoqué,
dans les houillères, cette série de catastrophes.
Les catastrophes se produisent dans les mines depuis que M. Lacoste, ministre
du commerce et de lindustrie a rassemblé à Paris tous
les cadres des mines, ingénieurs compris, et leur a dit: «Actuellement,
compte tenu de létat technique de notre bassin et nos difficultés
dexploitation, le prix de revient de notre charbon peut concurrencer
le prix des charbons étrangers ».
Ayant énoncé cette vérité, 1e ministre a ajouté:
Dans la période présente, le prix du charbon détermine
lensemble de l'économie et je cite, ici, textuellement
ses paroles « Il vous faut faire du charbon au prix de revient
le plus bas possible ».
En conséquence, on produit aujourdhui du charbon au prix
de revient le plus bas possible, au mépris de la sécurité
des mineurs. Voilà la première responsabilité.
Mais, me direz-vous, il y a quand même, dans les mines, des moyens
de veiller à la sécurité des ouvriers mineurs.
Il y a évidemment, cest une première chose, les délégués
mineurs. Mais les délégués mineurs, élus par
le personnel, nont aucun pouvoir leur permettant de veiller à
la sécurité. Le Gouvernement refuse d'étendre leurs
pouvoirs, seul moyen qui leur permettrait darrêter le travail
sur un chantier dès que celui-ci serait reconnu dangereux.
En outre, il existait dans les mines ce que l'on appelait les ingénieurs
du corps de l'Etat, dont la fonction naturelle était de veiller
à l'application du règlement, d'obliger lexploitant
à appliquer le règlement pour assurer la sécurité.
Mais, aujourd'hui, ces hommes sont transformés eux-mêmes
en exploitants par l'Etat-patron.
Aujourd'hui, le ministre de l'industrie et du commerce, au lieu demployer
ces ingénieurs à veiller à l'application du règlement,
les utilise à sa politique d'exploitation, qui consiste à
produire du charbon au prix le plus bas possible. Les Ingénieurs
du corps de lEtat, au lieu de veiller à l'application du
règlement, deviennent des exploitants.
En récompense de leurs services non pas pour l'application
du règlement, mais pour celle de la politique du Gouvernement!
le ministre de lindustrie et du commerce leur octroie des
sinécures. Ainsi, il désigne M. Audibert comme président
des Charbonnages de France et M. Bazillac comme directeur général
adjoint des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. Tous les ingénieurs
du corps des mines, lorsqu'ils ont satisfait à la politique du
Gouvernement, qui est de ne pas appliquer le règlement lorsqu'il
gêne le Gouvernement, obtiennent une sinécure.
Le Gouvernement en est arrivé à cet état de fait
qui consisterait, par exemple, à nommer directeur général
de Citroën l'Inspecteur du travail chargé dappliquer
le règlement dans cette usine.
C'est là une violation de la légalité par le Gouvernement.
Elle n'est, d'ailleurs, pas unique. La semaine dernière, nous assistions
à ce spectacle lamentable: devant le tribunal de simple police
de Carvin, dans le Pas- de-Calais, le ministre du commerce et de l'Industrie
a été condamné par les Juges de paix pour avoir violé
le statut des mineurs ! (Exclamations à l'extrême gauche.)
M. Jean Masson. Cela prouve l'indépendance de la magistrature.
M. Auguste Lecoeur. Voilà où en est lapplication du
règlement.
Cest pourquoi nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement.
Les mineurs remercient bien sincèrement tous ceux qui consentent
à lever leur chapeau devant leurs sacrifices et les deuils dont
ils sont victimes.
Mais ils se refusent et nous nous refusons absolument à faire nôtre
cette sorte de fatalisme qui consiste pour les uns et les autres à
rester insensibles lorsque la presse apprend une nouvelle catastrophe
minière et la mort de nouveaux mineurs au champ dhonneur
du travail.
Tout à l'heure, M. Serre, député d'Oran, disait au
ministre: « Si je savais que vous voulez repousser aux calendes
la discussion de mon interpellation, je serais contre vous ».
Monsieur Serre, vous êtes suffisamment au courant des pratiques
de cette Assemblée pour savoir qu'en fait le ministre repousse
définitivement la discussion de cette interpellation. Et les gens
d'Oran, les mineurs de Kénadsa, que vous nêtes pas
allés voir souvent pour parler comme vous lavez fait de l'exploitation,
savent parfaitement quelle a été votre attitude. (Applaudissements
à l'extrême gauche.)
Nous demandons instamment que le Gouvernement consente à se pencher
sur cette situation. Je fais appel aux députés qui font
partie de la majorité du Gouvernement : vont-ils encore longtemps
se faire les complices de cette politique du Gouvernement qui consiste
à accumuler des ruines et des deuils dans notre corporation minière
? Leur responsabilité est engagée.
J'insiste pour que l'interpellation de Mm» Alice Sportisse soit
discutée immédiatement. (Applaudissements à l'extrême
gauche.).
M. le président. La parole est à M. Rabler, au nom du groupe
socialiste.
M. Maurice Rabler. J'ai déjà eu loccasion, lorsque
noua avons discuté de la proposition de M. Djemad, de dire brièvement
ce que nous pensons de ce terrible accident de Kénadsa.
A peine la nouvelle était-elle connue à Paris, que nous
sommes intervenus auprès du ministre pour quune enquête
soit ouverte. Le ministre nous a tranquillisés en nous disant que
cette enquête suivait son cours et que nous pourrions à bref
délai être mis en présence de ses conclusions sur
ce terrible accident.
Nous n'avons pas aujourd'hui à prendre de conclusions hâtives
sur cette question. Le groupe socialiste votera le renvoi à la
suite, non pour que le débat soit renvoyé aux calendes,
comme on la dit, mais pour que notre Assemblée puisse être
mise au courant des résultats de l'enquête en cours.
Je demande au Gouvernement de communiquer ces résultats à
lAssemblée le plus rapidement possible, afin qu'un débat
au fond puisse s'instaurer devant l'Assemblée, en vue de faire
toute la lumière sur la catastrophe de Kénadsa.
M. Jacques Duclos. Sur le renvoi à la suite, je demande un scrutin.
M. le président. Je consulte l'Assemblée sur le renvoi à
la suite de linterpellation de Mme Sportisse. Je suis saisi d'une
demande de scrutin présentée par 1e groupe communiste.
Le scrutin est ouvert.
(Les votes sont recueillis. MM. les secrétaires en font
le dépouillement.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement
du scrutin :
Nombre des votants 573
Majorité absolue 287
Pour l'adoption 366
Contre 207
L'Assemblée nationale a adopté.
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