-KENADSA ou KENADZA, sud oranais
CATASTROPHE MINIERE AU SIEGE 9 DE KÉNADSA LES 4 ET 9 MAI 1948
14 MORTS

Guy Mangini, 27 mars 2014.-« En mai 1948, une catastrophe minière à Kénadsa fit quatorze victimes.
Ce fait est presque totalement ignoré sur Internet.
Guy Palomas, un ami d'enfance connu là-bas, m'a adressé une copie d'un J.O. de juin 1948 qu'il a consulté aux AOM d'Aix. C'est une discussion à propos des circonstances de la catastrophe.
Je vous joins :
- la copie brute du J.O. que j'ai convertie au format pdf
- le même texte retranscrit après OCR, précédé d'une présentation où je donne la liste des victimes .


mise sur site : mars 2014

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CATASTROPHE MINIERE AU SIEGE 9 DE KÉNADSA LES 4 ET 9 MAI 1948
14 MORTS

Le 4 mai 1948, un incendie se déclare au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais. Il cause la mort de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.

Cinq jours après survient une seconde catastrophe - due à la témérité et au dévouement d’un ingénieur qui, à l'insu de ses camarades, avait décidé d'explorer le fond du siège sinistré. Cette deuxième catastrophe coûte la vie à deux ingénieurs et à deux chefs d'équipe.

Au total, quatorze mineurs morts dans l'accomplissement de leur devoir :

-Ingénieurs: MM. Delengaigne
Dussel
-Agents de maîtrise: MM. Di Piazza
Kraemer
Pontiaux
-Ouvriers: MM. Abdelkader Ben Mohamed
Belbekiri Abdelazziz
El Hachi Chiech
Hamed Ben Abderhamane
Kessal Messaoud
Loftil Khalifa
Larbi Ben Ajel
Mohamed O. Brick
Terras Mohamed

Aujourd'hui, la tragédie sort de l'oubli et un hommage peut être rendu aux victimes. Guy Palomas a trouvé aux Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence la discussion à l'Assemblée Nationale exposant à l'époque les différentes hypothèses sur les causes de l'incendie (Journal Officiel du 8 juin 1948).

Mais en définitive, accident ou sabotage, le mystère reste entier.
[Transmis par Guy Mangini]

JOURNAL OFFICIEL DU 8 JUIN 1948 pages 3278 à 3280 ASSEMBLEE NATIONALE – 2e SEANCE DU 8 JUIN 1948

Mme Alice Sportisse. Mesdames, Messieurs, le 4 mai dernier, peu avant deux heures du matin, un incendie se déclarait au siège 9 des houillères de Kénadsa, dans le Sud-Oranais. Cette catastrophe devait causer la mort, dans de terribles circonstances, de dix ouvriers mineurs, dont un chef d'équipe.

Cinq jours après, elle était suivie d’une seconde catastrophe - due à la témérité et au dévouement sans limite d’un Ingénieur qui, à l'insu de ses camarades, avait décidé d'explorer le fond du siège sinistré, pour lui arracher son secret. Cette deuxième catastrophe coûta la vie à deux ingénieurs et à deux chefs d'équipe.

Les circonstances qui entourent cette tragédie demeurent mystérieuses, malgré l'envoi sur place de hauts fonctionnaires du Gouvernement général et d’un nombre considérable d'enquêteurs officiels.

Les constatations, aussi bien que les témoignages, sont on ne peut plus troublants. Les faits, tels que nous les connaissons, nous obligent à poser dès maintenant une série de questions au Gouvernement.

Les constatations faites jusqu’ici — indépendamment de l’ensemble des faits que je laisse momentanément de côté — nous permettent de dire pourtant pourquoi l'opinion publique s'est troublée. Il y a d'abord les circonstances dans lesquelles cet incendie a éclaté ; et c'est encore qu'il se soit déclaré au siège 9, qui est isolé, étant situé à six kilomètres de Kénadsa et à dix-neuf kilomètres des sièges de Bidon II. L’incendie a éclaté, en pleine nuit, vers une heure quarante-cinq du matin, dans un siège qui compte peu de personnel, car il est en préparation.

Les constatations établissent maintenant formellement que l'incendie s'est déclaré dans la descenderie principale, entre les niveaux C et D alors que l'équipe travaillait à la hauteur du niveau E. Depuis, on a pu constater, en effet, que plus au fond et, en particulier, à l’endroit où l'équipe travaillait, il n'y a pas de traces d’incendie. Les pompes situées à ce niveau sont intactes.

De ces brèves constatations, que je me réserve d’ailleurs de développer davantage, il faut retenir:

1° La rapidité et l'intensité avec lesquelles l'incendie s'est déclaré. En une heure, il était impossible de descendre à plus de soixante mètres;
2° L'endroit où i1 a éclaté: vers le milieu de la descenderie, ce qui ne permettait ni aux sauveteurs ni aux ouvriers du fond de remonter;
3° L’état des pompes, absolument intactes au moment où la prospection, a pu se faire jusqu'à elles, le 10 mai seulement, par l'équipe de sauveteurs de Lens, ce qui écarte l'hypothèse du court-circuit;
4° Le blocage suspect du skip amenant les deux premiers sauveteurs, blocage qui semble avoir eu pour cause la présence sur la voie de poutres de bois disposées verticalement, en obstruant le passage.

Les thèses en présence sont de trois ordres: imprudence, court-circuit, sabotage.

Je pourrais donner des témoignages autorisés qui semblent écarter les deux premières. Quant à la troisième, c'est celle qui semble cheminer dans l'opinion publique avec le plus d'insistance en raison des circonstances matérielles que j’ai indiquées brièvement et aussi en tenant compte :

1° D'un incident qui s’est produit, quatre jours avant la catastrophe, et au cours duquel un forgeron de ce siège, voulant allumer sa forge avec une pelletée de charbon prise sur le carreau, provoqua une explosion qui fit s'ébouler la cheminée et sauter les tuiles du bâtiment.

2° L’incident du 14 mal, c'est-à-dire dix jours après la première catastrophe, au cours duquel, à 5 heures du matin, à la fin d’un poste, on trouva dans une galerie du siège 8 un bois vermoulu enflammé et qui avait été préalablement nettoyé de son écorce humide. Comme par hasard, le téléphone de ce siège ne fonctionnait pas. Recherches faites, on découvrit sur la ligne téléphonique un U de fer cause d’un court-circuit.

3° Quelques jours encore après, cambriolage des bureaux de la mine.

4° Enfin, l'importance capitale du siège 9 lui-même pour l'avenir de la mine. Ce siège n'était qu’en préparation. Sa mise on exploitation devait permettre d'assurer le niveau actuel de la production car, du mois de juin 1948 à fin janvier 1949, l'exploitation de quatre autres sièges doit se terminer.

« Par la suite, disent les cadres et les techniciens, ce siège devait permettre d'augmenter de 80 p. 100 la production des houillères, qui est actuellement de 1.000 tonnes par jour. »

Enfin, équipé d'un matériel moderne — le seul, d’ailleurs, de toute la houillère — il devait établir la liaison avec le siège 25, également en préparation.
Les charbons de ce dernier siège devaient être ramenés par une installation rationnelle et des plus économiques au siège 9 et, par ce dernier, jusqu'au lavoir situé à proximité.

Voilà donc, rapidement exposés, les éléments qui se rattachent directement à la catastrophe du 4 mal. Mais encore faudrait-il, pour permettre une appréciation exacte de cette catastrophe, connaître la situation passée et présente de la houillère, notamment la gestion avant le décret de nationalisation et dire comment, depuis la mise en place du nouveau conseil d'administration, il apparaît aux yeux de tous que non seulement cette houillère, contrairement aux affirmations de ses détracteurs, est viable et rentable, mais qu’elle peut être un élément déterminant de l'économie algérienne.

Au cours de mon interpellation, pour la discussion de laquelle je vous demande de fixer une date aussi rapprochée que possible, je me propose de décrire cette situation avec des documents authentiques, qui prouvent que la mine a des ennemis, même dans les sphères du gouvernement général, même au sein du conseil d'administration actuel.

Une autre question est également en jeu, dont on doit tenir compte: c’est la concurrence des charbons étrangers, dont certains membres du conseil d’administration actuel qui sont, en même temps, fonctionnaires du gouvernement général, voudraient, en Algérie, faire prévaloir la vente sur celle de nos charbons algériens.

Dans tous les cas, un fait demeure, qui domine tout. Il a fallu ces quatorze victimes du devoir, neuf musulmans, cinq européens, unis dans la mort, comme ils l'avaient été dans la peine, dans une exploitation minière située en plein Sahara, pour que les pouvoirs publics se rendent compte qu'au milieu des sables, à 700 kilomètres de la côte, près de 4.000 ouvriers, cadres et techniciens, travaillent dans les pires conditions à doter l’Algérie d'une industrie de première importance.

La tragédie de Kénadsa pose brutalement devant nous le problème de l'exploitation coloniale des travailleurs. Les grévistes du Kouif, en lutte depuis plus de cinquante-cinq jours, les victimes de Kénadsa appellent notre attention, d'une part, sur la cupidité d'un patronat de combat, qui ne veut rien abandonner de ses privilèges ni de ses bénéfices et, d'autre part, sur les travailleurs algériens auxquels on ne veut pas reconnaître les droits de leurs frères métropolitains, qui ne bénéficient pas des lois sociales et de la sécurité sociale, qui n'ont pu obtenir, pour la majorité des mines d'Algérie, l'application du statut des mineurs et qui ne connaissent pas le respect du règlement général des mines en Algérie.

Il faut donc que la lumière soit faite le plus tôt possible sur la tragédie de Kénadsa.

Les ouvriers, les ingénieurs et les cadres des mines d'Algérie ne peuvent se contenter des menées d'enquêteurs officiels, qui ne les représentent pas. Ils revendiquent tous la sécurité dans leur travail et dans leur vie quotidienne.

Ils demandent, par conséquent, qu'une commission paritaire d'enquête soit rapidement désignée, comprenant des représentants qualifiés des ouvriers, des techniciens et des cadres.

En attendant, je demande que la date de discussion de mon interpellation soit rapidement fixée, car les mineurs de Kénadsa attendent les explications du Gouvernement. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. le président. La parole est à M. Serre.

M. Charles Serre. L’Oranie a appris, avec peine, le drame tragique du travail qui a atteint les mineurs de Kénadsa. Toute la population d'Oranie, comme cette Assemblée, s'est inclinée avec émotion devant ces ouvriers européens et musulmans tombés sur le lieu de leur travail.

Comment ne citerais-je pas les actes d’héroïsme qui ont été accomplis par les cadres et par les ouvriers, certains d'entre eux étant tombés en se portant au secours de leurs camarades !

Ce drame affreux pose à notre conscience un grave problème : dans cette entreprise, qui est sous le contrôle de la puissance publique et lui appartient, tout est-il organisé d'une manière rationnelle, scientifique et moderne ?

Pour ma part, j’accepterais volontiers le renvoi à la suite qui a été demandé par M. le ministre de l’Intérieur, mais je ne l’accepterais pas comme un enterrement, car la question mérite examen. Je sais que l’ordre du jour des travaux de cette Assemblée est surchargé et que les propositions de la conférence des présidents ne nous permettent pas de traiter tous les problèmes à la fois. J’espère, cependant, que la discussion de cette affaire s’engagera dans le plus bref délai, parce que nous sommes en présence d'un fait extrêmement important. Par la force des choses, les houillères du Sud-Oranais se sont développées, en effet, au cours de la dernière guerre, au mépris de légitimes préoccupations financières, en pleine méconnaissance aussi des données d’une saine organisation technique de l’exploitation. On a été contraint d'utiliser un matériel de fortune et, de façon parfois improvisée, de pousser la production au maximum.

Ces méthodes précaires ont peut-être conduit à négliger l’établissement d’un plan de travail sérieux, donnant toute son importance à la mise en place des moyens de sécurité, indispensables aux hommes qui, sous des températures terribles, travaillent, en plein désert, pour extraire le charbon nécessaire à l'économie nationale et aux activités algériennes.

Je me permets donc d'insister, à la fois, auprès du Gouvernement et de l’Assemblée, pour qu'on n'oublie pas les mineurs de Kénadsa, pour qu'on ne néglige pas les garanties de sécurité qu’on leur doit et pour que, le plus tôt possible, l'Assemblée, avec l'ardent désir d'aboutir, étudie cet événement douloureux avec une entière efficacité.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'Intérieur.

M. le ministre de l'Intérieur. J'ai, en effet, demandé le renvoi à la suite, non que le sujet ne vaille pas d'être discuté. C'est un accident douloureux, infiniment regrettable, aggravé par les circonstances dans lesquelles s'est produit le deuxième accident.

Le premier a fait dix victimes, le 4 mai, et le deuxième, quelques jours plus. tard, en a fait quatre autres: un ingénieur, qui s'était aventuré, peut-être imprudemment, au fond de la mine encore dangereuse, et trois hommes — un ingénieur et deux chefs de chantier — qui s'étaient efforcés de dégager le premier.

Je suis en possession des télégrammes qui m'ont été immédiatement envoyés par le gouvernement général et d'un premier rapport de l'inspecteur général des mines qui est resté sur place.

Je ne crois pas qu’il soit utile que je donne à l’Assemblée lecture de ces textes, qui sont longs et contiennent nombre de renseignements techniques. Je préfère en résumer la substance.

Des premiers éléments de l'enquête, il apparaît que la catastrophe est due à un incendie de boiserie, survenu dans une descente, sensiblement à égale distance de l'ouverture en surface et du fond de la galerie.

L'origine de l'incendie est inconnue. Il semble qu'il ait provoqué, à mi-course, un éboulement et l'on peut expliquer ainsi l’arrêt des wagonnets formant funiculaire, l'un empruntant la galerie montante, l’autre la galerie descendante.

Les premières constatations indiquent qu'il ne peut pas s’agir d’un accident de mine proprement dit: coup de grisou, ou coup de poussières. Il n'y avait pas de grisou. Il n'y a jamais eu de grisou dans cette galerie, qui n’était pas encore exploitée et que l’on perçait en vue d’une exploitation future.

Il ne semble pas non plus, d'après les rapports des techniciens, qu’il y ait eu faute d’exploitation, ou violation de la réglementation minière, en sorte qu'il est encore impossible de conclure de façon formelle, sur la cause de l'accident.

On peut émettre des hypothèses.

On peut émettre celle d'une imprudence: il y avait, à peu près à mi-distance, un dépôt de vêtements, - semble-t-il, d'après les traces que l'on a retrouvées - et il est possible qu'une lampe y ait mis le feu.

On ne peut pas éliminer complètement, encore qu'elle soit particulièrement atroce, l'hypothèse d'un acte de malveillance ou de sabotage. On a peine à imaginer qu'un être humain puisse commettre un tel acte. Mais,dans 1'état actuel de l'enquête, il n'est pas possible d’écarter complètement cette hypothèse. En tout cas, l'enquête continue. Elle est menée, pour le Gouvernement général, par un homme de très grande valeur, M. Bouakuir, qui est un kabyle, directeur technique au Gouvernement général et, pour le contrôle des mines, par un inspecteur général des mines, M. Bétler, que je connais particulièrement et que j'estime également beaucoup.

Le premier rapport d'ensemble de M. Bétler, en dehors des nouvelles fragmentaires parvenues au jour le jour, date du 28 mai. Nous l’avons reçu il y a quelques jours. C’est un rapport assez volumineux, qui se termine par ces mots: « En l'état des constatations, on ne peut toutefois écarter définitivement l'hypothèse de la malveillance, que je discuterai dans mon prochain rapport ».

Je me garderai d’ajouter quoi que ce soit. Je veux attendre d'avoir tous les textes pour juger. Ce que je puis dire, c’est qu’il semble, en rapprochant les heures des accidents des heures d'envoi de matériel de secours, que toutes les mesures humainement possibles, pour limiter les conséquences funestes de la catastrophe, ont été prises.

Ainsi, contrairement à ce qu'on a dit, on n’a pas manqué d'oxygène. Le hasard fait qu’il en était arrivé 7.000 litres par chemin de fer. le jour même. Mais, l'administration d'Alger, ignorant l'arrivée de ce supplément d’oxygène liquide, a frété immédiatement un avion, qui est parti trois ou quatre heures après que l'accident eut été connu à Alger, apportant lui aussi des réserves d’oxygène pour les appareils respiratoires.

Bien entendu, je donne l’assurance aux deux interpellateurs qu'aussi bien l'Inspecteur général des mines que les services techniques de l’Algérie prendront toutes mesures utiles pour imposer les méthodes de sécurité nécessaires.

M. le Président: La parole est à M. Lecoeur, au nom du groupe communiste.

M. Auguste Lecoeur. Nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement tendant au renvoi à la suite des interpellations.

En effet, depuis plusieurs mois, nous assistons à une avalanche de catastrophes minières. Celle qui vient de se produire à Kénadsa a fait suite à celle de Courrières qui elle-même avait suivi celle de Petite Rosselle.

En dehors de ces catastrophes, d’autres accidents, sans doute moins spectaculaires, mais plus nombreux, se produisent tous les jours dans nos bassins miniers. Par conséquent, le Gouvernement se doit de demander lui- même la discussion de ces interpellations au fond, afin de déterminer les raisons pour lesquelles la corporation minière compte en ce moment tant de victimes, de rechercher les causes des catastrophes et d’y porter immédiatement remède.

A la vérité, le Gouvernement ne veut en aucun cas que l’on aborde la discussion au fond de la question parce qu’il ne veut pas que soit mise en lumière la néfaste politique qui a provoqué, dans les houillères, cette série de catastrophes.

Les catastrophes se produisent dans les mines depuis que M. Lacoste, ministre du commerce et de l’industrie a rassemblé à Paris tous les cadres des mines, ingénieurs compris, et leur a dit: «Actuellement, compte tenu de l’état technique de notre bassin et nos difficultés d’exploitation, le prix de revient de notre charbon peut concurrencer le prix des charbons étrangers ».

Ayant énoncé cette vérité, 1e ministre a ajouté: Dans la période présente, le prix du charbon détermine l’ensemble de l'économie et — je cite, ici, textuellement ses paroles — « Il vous faut faire du charbon au prix de revient le plus bas possible ».

En conséquence, on produit aujourd’hui du charbon au prix de revient le plus bas possible, au mépris de la sécurité des mineurs. Voilà la première responsabilité.

Mais, me direz-vous, il y a quand même, dans les mines, des moyens de veiller à la sécurité des ouvriers mineurs.

Il y a évidemment, c’est une première chose, les délégués mineurs. Mais les délégués mineurs, élus par le personnel, n’ont aucun pouvoir leur permettant de veiller à la sécurité. Le Gouvernement refuse d'étendre leurs pouvoirs, seul moyen qui leur permettrait d’arrêter le travail sur un chantier dès que celui-ci serait reconnu dangereux.

En outre, il existait dans les mines ce que l'on appelait les ingénieurs du corps de l'Etat, dont la fonction naturelle était de veiller à l'application du règlement, d'obliger l’exploitant à appliquer le règlement pour assurer la sécurité. Mais, aujourd'hui, ces hommes sont transformés eux-mêmes en exploitants par l'Etat-patron.

Aujourd'hui, le ministre de l'industrie et du commerce, au lieu d’employer ces ingénieurs à veiller à l'application du règlement, les utilise à sa politique d'exploitation, qui consiste à produire du charbon au prix le plus bas possible. Les Ingénieurs du corps de l’Etat, au lieu de veiller à l'application du règlement, deviennent des exploitants.

En récompense de leurs services — non pas pour l'application du règlement, mais pour celle de la politique du Gouvernement! — le ministre de l’industrie et du commerce leur octroie des sinécures. Ainsi, il désigne M. Audibert comme président des Charbonnages de France et M. Bazillac comme directeur général adjoint des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. Tous les ingénieurs du corps des mines, lorsqu'ils ont satisfait à la politique du Gouvernement, qui est de ne pas appliquer le règlement lorsqu'il gêne le Gouvernement, obtiennent une sinécure.

Le Gouvernement en est arrivé à cet état de fait qui consisterait, par exemple, à nommer directeur général de Citroën l'Inspecteur du travail chargé d’appliquer le règlement dans cette usine.

C'est là une violation de la légalité par le Gouvernement. Elle n'est, d'ailleurs, pas unique. La semaine dernière, nous assistions à ce spectacle lamentable: devant le tribunal de simple police de Carvin, dans le Pas- de-Calais, le ministre du commerce et de l'Industrie a été condamné par les Juges de paix pour avoir violé le statut des mineurs ! (Exclamations à l'extrême gauche.)

M. Jean Masson. Cela prouve l'indépendance de la magistrature.

M. Auguste Lecoeur. Voilà où en est l’application du règlement.

C’est pourquoi nous ne pouvons accepter la proposition du Gouvernement.

Les mineurs remercient bien sincèrement tous ceux qui consentent à lever leur chapeau devant leurs sacrifices et les deuils dont ils sont victimes.
Mais ils se refusent et nous nous refusons absolument à faire nôtre cette sorte de fatalisme qui consiste pour les uns et les autres à rester insensibles lorsque la presse apprend une nouvelle catastrophe minière et la mort de nouveaux mineurs au champ d’honneur du travail.

Tout à l'heure, M. Serre, député d'Oran, disait au ministre: « Si je savais que vous voulez repousser aux calendes la discussion de mon interpellation, je serais contre vous ».

Monsieur Serre, vous êtes suffisamment au courant des pratiques de cette Assemblée pour savoir qu'en fait le ministre repousse définitivement la discussion de cette interpellation. Et les gens d'Oran, les mineurs de Kénadsa, que vous n’êtes pas allés voir souvent pour parler comme vous l’avez fait de l'exploitation, savent parfaitement quelle a été votre attitude. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Nous demandons instamment que le Gouvernement consente à se pencher sur cette situation. Je fais appel aux députés qui font partie de la majorité du Gouvernement : vont-ils encore longtemps se faire les complices de cette politique du Gouvernement qui consiste à accumuler des ruines et des deuils dans notre corporation minière ? Leur responsabilité est engagée.

J'insiste pour que l'interpellation de Mm» Alice Sportisse soit discutée immédiatement. (Applaudissements à l'extrême gauche.).

M. le président. La parole est à M. Rabler, au nom du groupe socialiste.

M. Maurice Rabler. J'ai déjà eu l’occasion, lorsque noua avons discuté de la proposition de M. Djemad, de dire brièvement ce que nous pensons de ce terrible accident de Kénadsa.

A peine la nouvelle était-elle connue à Paris, que nous sommes intervenus auprès du ministre pour qu’une enquête soit ouverte. Le ministre nous a tranquillisés en nous disant que cette enquête suivait son cours et que nous pourrions à bref délai être mis en présence de ses conclusions sur ce terrible accident.

Nous n'avons pas aujourd'hui à prendre de conclusions hâtives sur cette question. Le groupe socialiste votera le renvoi à la suite, non pour que le débat soit renvoyé aux calendes, comme on l’a dit, mais pour que notre Assemblée puisse être mise au courant des résultats de l'enquête en cours.
Je demande au Gouvernement de communiquer ces résultats à l’Assemblée le plus rapidement possible, afin qu'un débat au fond puisse s'instaurer devant l'Assemblée, en vue de faire toute la lumière sur la catastrophe de Kénadsa.

M. Jacques Duclos. Sur le renvoi à la suite, je demande un scrutin.

M. le président. Je consulte l'Assemblée sur le renvoi à la suite de l’interpellation de Mme Sportisse. Je suis saisi d'une demande de scrutin présentée par 1e groupe communiste.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. — MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :
Nombre des votants 573
Majorité absolue 287
Pour l'adoption 366
Contre 207

L'Assemblée nationale a adopté.