LES
HOUILLÈRES DE KENADZA
Kenadza, dont le nom retentit
dans tout le Sahara, en raison de la réputation de ses marabouts,
n'est, en réalité, la zaouïa mise à part,
qu'une petite oasis, riche seulement de quinze mille dattiers. Mais
on ne peut douter que ce point ne soit appelé à un grand
avenir.
Ainsi s'exprimait, en 1918, M. Camille Sabatier, dans son livre sur
le Transsaharien ; il considérait Kenadza comme un des repères
importants du tracé de chemin de fer préconisé
par lui, l'envisageant comme point de transit entre le Sud oranais 't
la zone saharienne et y voyait la gare ferrée du Tafilalet.
Ces espérances, basées sur la situation géographique
de Kenadza, devaient peu après être renforcées par
la découverte en ce point d'un gisement de houille susceptible
d'être exploité.
Kenadza se trouve à 25 kilomètres à l'Ouest de
Colomb-Béchar, gare terminus du chemin de fer à voie étroite
qui, destiné primitivement à desservir la riche région
s'étendant entre Oran et Saïda, a été prolongé
par étapes successives, dans un intérêt stratégique,
jusqu'à l'oasis de Béchar située, d'après
le développement de la ligne, à 748 kilomètres
d'Oran, soit à vol d'oiseau à 500 kilomètres.
C'est dans cette région que l'existence du carboniférien
a été déterminée en 1900 par le regretté
professeur Ficheux, d'après l'élude des fossiles recueillis
au cours de la colonne d'Igli par le lieutenant Barthélémy,
de la Légion étrangère.
Depuis cette époque, la question avait donné lieu à
des études, parmi lesquelles il convient de citer celle fort
complète de M. Flamand, mais n'avait pas quitté le domaine
scientifique et désintéressé, quand un hasard et
les difficultés nées de la guerre firent découvrir
l'existence d'un gisement de houille et en provoquèrent la reconnaissance
et l'exploitation.
En 1917, un légionnaire de la garnison de Bel-Hadi, ancien mineur
de Westphalie, creusant le sol aux environs de Kenadza. découvrit
un affleurement de houille.
Le rapport concernant cette découverte ne parvint qu'en octobre
de la même année au Gouvernement généra],
et comme à cette époque la pénurie du fret privait
l'Algérie du charbon indispensable à ses industries de
transport et autres, les Chemins de fer algériens de l'État,
mis au courant, entreprirent aussitôt, avec l'autorisation du
Service des Mines, les recherches nécessaires.
Un banc de 40 centimètres environ d'épaisseur fut découvert,
se prolongeant sur 4 à 5 kilomètres de longueur dans la
direction Est-Ouest. Ce banc plonge sous terre en direction du Nord,
avec une inclinaison de 20 à 25° par rapport à l'horizontale,
soit 0 m 40 pour 1 mètre.
L'affleurement du banc fut mis à jour sur une longueur de 2 kilomètres
environ et l'analyse du charbon à la veine donna de bons résultats
:
Matières volatiles...24 à 26 %
Cendres
..6 à 8 %
Carbone fixe
..64 à 70 %
Humidité
...2 à 3 %
qui permirent de le classer dans la catégorie des charbons demi-gras
type Newport, bien qu'un peu friable.
En présence de ces constatations et de l'importance qu'elles
présentaient pour l'Algérie, les Chemins de fer algériens
de l'État, dès le 27 novembre 1917, soit un mois après
avoir été prévenus, demandèrent simultanément
l'autorisation de procéder à des recherches, de disposer
des produits et de construire un embranchement de 22 kilomètres
pour relier par voie ferrée la mine à la gare de Béchar.
Les autorisations furent rapidement accordées, et les travaux,
menés avec rapidité malgré toutes les difficultés
de l'époque, permirent au chemin de fer d'atteindre la mine en
avril 1918.
La concession de la Mine de Kenadza a été accordée
aux Chemins de fer algériens de l'État par décret
du 11 décembre 1922.
La mise au jour si opportune de l'affleurement permit d'exploiter la
couche, découverte avec la main-d'uvre de fortune et les
moyens rudimentaires dont on disposait. Pressé par la nécessité,
le triage fut bien souvent négligé ; mais, malgré
toutes les difficultés, la mine livra 1.855 tonnes de charbon
du 1er janvier à fin juillet 1918.
Cependant, cette exploitation à ciel ouvert ne pouvait être
qu'un expédient passager, car elle devenait rapidement trop coûteuse
au fur et à mesure de l'avancement en profondeur ; elle risquait
d'ailleurs d'être paralysée par les véritables réservoirs
d'eau qu'elle laissait à sa suite. La question de l'exploitation
en galeries se posa donc rapidement, et les Chemins de fer algériens
de l'État n'ayant ni l'expérience de ces travaux ni alors
le personnel nécessaire, décidèrent d'en charger
des spécialistes.
Dès le 1er août 1918, la Compagnie du Mokta-el-Hadid prit
la direction des chantiers.
Cette Compagnie prépara un programme assez vaste, qui ne put
être réalisé, tout en pratiquant des galeries aux
environs des affleurements et exploitant au mieux. Elle commença
même l'installation du siège d'extraction n° 1 et poussa
sur ce point les descenderies à 80 mètres environ.
Mais, entre temps, l'Armistice du 11 novembre 1918 avait mis fin aux
hostilités. L'optimisme général qui succéda
à la guerre autorisa les plus belles espérances. Qui pouvait
prévoir que les manuvres de la finance internationale auraient
si rapidement raison de l'union des alliés cimentée dans
le sang répandu en commun ? De fait, ces espérances parurent
se réaliser rapidement et, dès décembre 1918, les
cours, des charbons fléchissaient si bien qu'en janvier et février
on obtint des charbons anglais à moins de 125 francs la tonne.
Dans ces conditions, l'exploitation de Kenadza perdait de son intérêt
et menaçait de devenir onéreuse si les dépenses
de premier établissement en projet ou en cours d'exécution
de commande se poursuivaient, et de cette préoccupation naquit
l'avenant du 1er mars 1919 qui modifiait la convention avec la Compagnie
du Mokta-el-Hadid.
La majoration de 15 % était réduite à 10 % avec
un maximum de 6 francs par tonne (correspondant à un prix de
revient de 60 francs par tonne) avec une prime d'économie pour
les prix de revient inférieurs à 50 francs la tonne. L'affaire
devenait donc bien moins intéressante pour la Compagnie du Mokta-el-Hadid,
qui perdait la plus grande partie du bénéfice qu'elle
avait réalisé jusque là. Elle considéra
alors que c'était le commencement de la liquidation prévue
par le contrat comme devant avoir lieu un an après la cessation
des hostilités. A partir de ce moment, elle cessa de développer
la production qui tomba de 25 tonnes à moins de 20 tonnes pour
les mois suivants, pour ne pas dépasser 11 tonnes en novembre
1919.
Cependant le fléchissement du prix des charbons, constaté
dans les premiers mois de 1919, fit bientôt place à une
hausse formidable qui renversa complètement la situation, car,
contre toute attente, la solidarité financière des Alliés
ne survécut guère à la période active de
la guerre et, dès mai 1919, la dénonciation des accords,
pour les prix maxima des frets, des charbons et des changes, rendit
la liberté au commerce. Il s'en suivit rapidement une hausse
désordonnée qui amena bientôt, par bonds successifs,
le charbon de 125 francs, en janvier 1919, à 600 francs en mai
1920.
Dès qu'il ne fut plus permis de s'illusionner sur la durée
de la hausse, les Chemins de fer algériens de l'État se
mirent en devoir d'essayer d'obtenir une nouvelle intensification de
la production de la houillère de Kenadza que les circonstances
remettaient d"une façon aussi vive à l'ordre du jour.
Mais la convention avec la Compagnie du Mokla, modifiée, ne se
prêtait guère à une amélioration de la situation
et des pourparlers furent engagés avec elle pour l'élaboration
d'un nouveau contrat, précédé d'une reconnaissance
approfondie du gisement houiller.
Cette reconnaissance fut faite par M. Gautheron, ingénieur spécialiste
de mines de houille, qui conclut à la possibilité de continuer
avec bénéfice l'exploitation du gisement, étant
données les conditions du moment du marché des charbons.
L'entente sur les conditions de la nouvelle convention ne put se faire
et, le 26 février 1920, la Compagnie du Mokta fit connaître
qu'elle était disposée à remettre l'exploitation
de la houillère à une date à déterminer
d'un commun accord, qui fut fixée au 1er avril suivant.
L'exploitation de la Compagnie du Mokta-el-Hadid dura donc du 1er août
1918 au 31 mars 1920. Pendant celte période, elle livra 7,417
tonnes de charbon.
Le 1er avril 1920, les Chemins de fer algériens de l'État
constituèrent une exploitation autonome, indépendante
du chemin de fer, dirigée par un ingénieur, sous les ordres
immédiats d'un administrateur représentant la Direction
du Réseau.
Des projets furent mis à l'étude immédiatement
et leur préparation poussée activement pour mettre les
installations de la mine en état de faire face à une production
beaucoup plus importante devant tendre à atteindre 100 tonnes
par jour et s'élever au delà ensuite, si les circonstances
le permettaient.
Le matériel nécessaire à l'établissement
d'une centrale électrique et à l'équipement électrique
et mécanique d'un siège d'extraction fut commandé,
mais les promesses des constructeurs ne furent pas tenues et ce matériel
ne put devenir disponible que fin 1921 et commencement 1922, alors que
les conditions économiques, bouleversées à nouveau
de fond en comble, posaient une deuxième fois la question de
l'opportunité de la continuation de l'exploitation.
Cette nouvelle crise retarda les installations projetées, mais
il apparut ensuite à la lumière des événements
politiques, qui marquèrent 1922 et commencement 1923, qu'il fallait
envisager la question non plus seulement au point de vue économique,
mais encore à celui bien plus impérieux de la sécurité
de l'approvisionnement en charbons de l'Algérie, trop étroitement
subordonné aux transports sur mer, dont la maîtrise pouvait
échapper.
Vu sous cet angle, l'amélioration de la production par le développement
des installations de la houillère de Kenadza échappait
à un contrôle économique pour ne plus relever que
la Défense Nationale. L'hésitation n'était plus
permise.
Dans ces conditions, les travaux furent poussés activement et
le matériel commandé expédié à pied
d'uvre. Les commandes complémentaires, traitées
rapidement, vont permettre d'établir les installations des trois
sièges d'exploitation. Les Chemins de fer algériens de
l'État espèrent ainsi atteindre une production de 100
tonnes vers la fin de l'année, si leurs efforts ne sont pas paralysés
par un défaut de main-d'uvre. Sur ce dernier point, ils
ont demandé le concours de l'autorité militaire.
La nouvelle exploitation par les Chemins de fer algériens de
l'État a donné, du 1er avril 1921 au 31 décembre
1922, 23.300 tonnes de charbon de qualité bien supérieure
à celui précédemment fourni.
En effet, les nouvelles méthodes d'exploitation ont permis d'obtenir
une forte proportion de gros, de gaillettes et de menus, alors que d'autre
part, l'installation de laveries permettait de purger les fines de la
plus grande partie des schistes qu'elles contenaient et de faire descendre
ainsi leur teneur en cendres à 8 ou 9 % au maximum, ce qui est
tout à fait satisfaisant.
Les reconnaissances faites aux environs de Kenadza ont permis de retrouver
les couches de charbon à une quinzaine de kilomètres à
l'Ouest de l'exploitation. Il y a donc lieu de supposer que le gisement
est beaucoup plus important qu'il n'était apparu primitivement.
D'ores et déjà on peut affirmer que le tonnage de charbon
reconnu doit dépasser plusieurs millions de tonnes et que, dans
ces conditions, la production de la mine est limitée seulement
par les moyens qui seront mis en uvre.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'installation de la
centrale électrique, avec équipement électrique
et mécanique du siège II, actuellement en cours, permettra,
avec les installations actuelles du siège I et celles du siège
III qui vont être livrées avant la fin du mois, d'atteindre
une production journalière de 100 tonnes de charbon vers la fin
de l'année courante.
Cette production représente la consommation actuelle des Chemins
de fer algériens de l'État : elle pourra être absorbée
complètement par eux et il n'y aura aucune difficulté
pour son placement, pas plus que pour le transport qui peut être
assuré avec les moyens dont dispose le Réseau.
Si la production doit dépasser ce tonnage, il y aura lieu de
prévoir de nouvelles installations à la mine, ainsi que
le matériel roulant correspondant à l'augmentation de
l'excédent de tonnage à transporter. La question de la
main-d'uvre se posera également, car elle présente
déjà de grosses difficultés actuellement.
Les Chemins de fer algériens de l'État en ont saisi l'autorité
militaire en attirant l'attention sur l'intérêt que présente
la mine pour l'alimentation de l'Algérie en charbons en cas d'interruption
des transports maritimes.
La mine à livré aux Chemins de fer algériens de
l'État et aux tiers 28.848 tonnes 804 pour 5.059.314 fr. 55,
soit un prix moyen approximatif de 175 francs la tonne, inférieur
au prix de revient moyen des charbons étrangers pendant la période
considérée.
De la situation financière, il résulte donc qu'en fait
plus du tiers des immobilisations de matériel, bâtiments,
travaux d'aménagement, etc. peut être amorti au 31 décembre
1922. Ce résultat est le fruit de la politique prudente adoptée
par les Chemins de fer algériens de l'État, pendant les
périodes de crise de prix dont il est parlé plus haut,
pendant lesquelles le prix du charbon de Kenadza a été
maintenu en harmonie avec le prix des charbons étrangers pour
éviter un trop grand découvert si l'exploitation de la
mine avait dû être abandonnée, comme on avait pu
le craindre à différentes reprises.
Il est donc nettement démontré que l'Algérie possède
des ressources importantes de charbon qui pourraient la mettre à
l'abri d'une disette de combustibles en cas d'interruption des transports
par mer.
Les résultats déjà acquis el ceux escomptés
à brève échéance permettent d'affirmer,
dès maintenant, qu'en complétant les installations actuelles
ou en cours ! d'établissement, le ravitaillement en charbon des
services publics pourrait être assuré en tout état
de cause.
Aussi convient-il de féliciter vivement la Direction des Chemins
de fer algériens de l'État de l'esprit d'initiative qui
l'a animée depuis l'origine de l'affaire et de la prudence apportée
à sa gestion.
Il convient également d'exprimer l'avis qu'en raison de la situation
particulière de la mine et de l'importance qu'elle présente
pour la sécurité de l'Algérie, cette dernière
ne s'en dessaisisse sous aucun prétexte.
Aussi bien peut-on dire, d'ores et déjà, que d'après
les rapports des chercheurs, le bassin houiller de Kenadza, loin d'être,
comme on l'a prétendu, un simple accident géologique,
s'étendrait sur une superficie énorme et constituerait
un des plus beaux gisements du monde.
S'il importe de ne point se laisser aller à un optimisme excessif
tant que des données certaines n'auront pas permis de déterminer
un cubage des réserves suffisamment approximatif, il n'en demeure
pas moins intéressant de songer, au moment où la question
du combustible revêt un caractère mondial, que l'Afrique
du Nord en recèle des quantités énormes à
proximité d'une ligne de chemin de fer en exploitation.
Certes, la mise en valeur d'une pareille richesse constitue, au point
de vue technique, un problème singulièrement délicat
que complique encore la latitude où il se trouve. Les chaleurs
souvent excessives dans cette région, des " venues d'eau
"" extrêmement abondantes ne sont pas pour faciliter
la solution. Mais, étant donné les connaissances techniques
et l'esprit pratique de nos ingénieurs, l'organisation de cette
mine n'est, en fin de compte, nullement irréalisable. Il suffira
de trouver des dispositifs adaptés au climat et à la nature
particulière du lieu pour assurer, avec la sécurité
du personne], un rendement satisfaisant de l'exploitation.
Les dernières indications recueillies représentent, ne
l'oublions pas, les régions voisines de Kenadza comme fort bien
partagées en minerais métalliques de toute nature ; en
particulier, le manganèse et le cuivre seraient très abondamment
et très richement représentés ; la pénétration
constamment poursuivie du Tafilalet et des versants méridionaux
de l'Atlas marocain nous vaut, à ce point de vue, des découvertes
quotidiennes dont l'intérêt n'est pas niable. La mise en
valeur d'un vaste gisement de houille n'ouvre-t-elle pas les plus belles
perspectives de prospérité pour cette partie de nos possessions
où l'on ne croyait jamais rencontrer que de maigres palmeraies,
des marchés éphémères, une vie et une civilisation
ralenties ?
Au fur et à mesure que le temps passe, les surprises se multiplient,
dans cette rude Afrique du Nord sur laquelle tant de choses fausses
ont été écrites ou dites ! Que de fois n'avons-nous
pas entendu déclarer ex-cathedra qu'il n'y avait pas géologiquement
de possibilité d'y rencontrer un gisement exploitable de combustible
? Et ç'a été, en vingt ans, les pétroles
de Tiliouanet et les charbons de Kenadza ! Qui sait ce que nous réserve
demain, pour peu que l'activité des chercheurs soit encouragée,
comme elle est d'ailleurs, empressons-nous de le dire, par le savant
ingénieur en chef du Corps des Mines qu'est M. Dussert ?...
Nous ne terminerons pas celle trop brève étude sans rendre
à M. Rouzaud, le très sympathique et éminent directeur
des Chemins de fer de l'État, dont le nom demeure attaché
à la mise en exploitation des houillères de Kenadza, le
tribut de gratitude dû par tous ceux qui aiment l'Algérie,
aux hommes qui lui consacrent le meilleur de leur lumineuse intelligence
et de leur inlassable activité.