sur site le 18/09/2002
-Tribunaux d'Exception 1961-1981 - 3 -
Le procès des autres généraux du putsch.
Le gouvernement déféra par la suite au Haut Tribunal militaire cinq autres généraux accusés d'avoir pris parti en faveur du mouvement insurrectionnel d'avril 1961. Comparurent tour à tour, durant le mois de juin 1961 et dans les premiers jours de juillet, les généraux Bigot, Petit, Nicot, Gouraud et Mentré.
Pnha, n°61, octobre 1995.

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------Le gouvernement déféra par la suite au Haut Tribunal militaire cinq autres généraux accusés d'avoir pris parti en faveur du mouvement insurrectionnel d'avril 1961. Comparurent tour à tour, durant le mois de juin 1961 et dans les premiers jours de juillet, les généraux Bigot, Petit, Nicot, Gouraud et Mentré.
------Au premier d'entre eux, le général Pierre-Marie Bigot, commandant de la 5° région aérienne à Alger, il était reproché d'avoir connu le projet d'insurrection dès le 16 avril et de n'en point avoir averti ses chefs. En outre, il avait été "le passeur" de Challe et de Zeller auxquels il envoya un avion en métropole, à la veille des évènements, en accord avec le général Nicot, major-général de l'armée de l'air, pour leur permettre de gagner l'Algérie.
------L'accusation reprochait aussi au général Bigot d'avoir donné l'ordre au général Fourquet d'intercepter la Caravelle qui amenait en Algérie, le jour de l'insurrection, M. Louis Joxe, ministre des Affaires Algériennes et le nouveau commandant en chef, le général Olié, envoyés de toute urgence en inspection sur place par le gouvernement. Le général Fourquet s'étant refusé à exécuter cet ordre, il était fait grief à l'accusé d'avoir ordonné son arrestation. Enfin, était reproché au général Bigot d'avoir entraîné, au moins durant les premières heures, le tiers de l'aviation française dans la rebellion. L'accusé s'expliqua devant le Haut Tribunal
------Il avait rallié le mouvement parce qu'il était "profondément attaché au destin de l'Algérie dans la France ...
... Je me sentais attaché, ajouta-t-il, à tout ce qui fait la grandeur de ma patrie. Alors j'ai choisi avec ma seule conscience. Tout le reste en découle".

------S'il avait envoyé un avion en métropole pour ramener en Algérie Challe et Zeller, c'était parce que, à ce moment, l'opération insurrectionnelle était déjà pratiquement lancée et que seul Challe "pouvait avoir une chance de réaliser l'unité".
------S'il avait donné l'ordre d'intercepter l'avion de M: Joxe et du général Olié, il n'avait jamais été question d'ouvrir le feu sur l'appareil.
------Enfin, il n'était pas le signataire de l'ordre d'arrestation du général Fourquet, cet ordre ayant été donné par Zeller.
------Commencé vers treize heures, le mardi 6 juin, le procès se termina en fin d'après-midi. Après une heure de délibération le général PierreMarie Bigot fut condamné à quinze ans de détention criminelle.
------Le lendemain 7 juin, comparut le général André
Petit.
------Ancien chef du cabinet militaire du Premier Ministre, Michel Debré,l'accusé avait été jusqu'au 20 avril 1961 adjoint du général commandant au Sahara, et nommé à la veille du déclenchement de l'insurrection commandant de la zone Est-Constantinois à Tébessa.
Le général Petit avait été mêlé de très prés aux événements du 13 mai 1958. C'est lui, en effet qui, envoyé à Alger par M. Debré. alors dans l'opposition, pour imposer aux militaires "la solution De Gaulle" assiégea littéralement Salan" pour qu'il y donnât son accord. Car, comme le rappellera le bâtonnier Alléhaut dans sa plaidoirie : "Au mois de mai 1958. les généraux d'Alger n'étaient pas gaullistes et les gens d'Alger moins encore".
------L'accusation reprochait au général Petit d'avoir accepté, des dirigeants de l'insurrection, le commandement du corps d'armée d'Alger en replacement du général Vézinet, resté fidèle au Pouvoir, et arrêté par les insurgés.
------Dans sa déclaration liminaire, l'accusé expliqua longuement les raisons de son choix, et évoqua la psychoogie des populations d'Algérie
- On s'obstine en métropole à voir dans les réactions des Algériens des réactions politiques, alors que ce sont des réactions patriotiques. Si la France n'a pas oublié la Résistance, elle devrait se rendre compte de cette réalité. Les gens de Bab-el-Oued ou de Belcourt ne sont ni des activistes, ni des ultras. Leurs réflexes sont les mêmes que ceux des gens de Belleville ou de Levallois devant l'occupation allemande. Ils ont simplement le sentiment d'être abandonnés. C'est une des raisons pour lesquelles il " a marché".
------Le général André Petit fut condamné à cinq ans de détention criminelle.
------Le lundi 19 juin 1961 le général Jean-Louis Nicot, major général de l'armée de l'Air, au moment des événements du 22 avril, répondit du crime d'intelligence avec les chefs d'un mouvement insurrectionnel. Son cas différait de celui des précédents en ce qu'il plaidait non coupable.
------On lui reprochait d'avoir connu avant le 22 avril les projets de Challe et de Jouhaud, et cependant de ne pas en avoir averti ses supérieurs. D'avoir assisté le 22 avril chez le Premier ministre à une réunion extraordinaire des hauts responsables civils et militaires et d'avoir joué celui qui ne savait rien.
------L'accusation lui reprochait aussi d'avoir tardé à transmettre certains ordres. Notamment, le 23 avril à 20h45, le Gouvernement avait ordonné de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'opposer à l'invasion de la métropole par des troupes aéroportées. Les ordres allaient jusqu'à ordonner la destruction des appareils qui ne se laisseraient pas intercepter. Or Nicot, bien qu'il eût été mis en possession de cet ordre à 1 heure du matin, ne l'avait transmis qu'à 4 heures.
------Devant le Tribunal, le général Nicot ne contesta pas avoir reçu le 13 avril la visite du général Jouhaud, venu lui demander s'il était prêt à faire "passer" Challe en Algérie. Il refusa.
------S'il ne dit rien de cette démarche à ses supérieurs, c'est que "cela revenait à dénoncer un camarade... C'eût été une action méprisable".
------Mais le 20 avril, non sans avoir eu un entretien avec Challe pour tenter de le dissuader de se lancer dans cette entreprise, et n'ayant pas réussi, le général Nicot accepta de recevoir clandestinement l'avion que Bigot envoya d'Alger, de faciliter son atterrissage, et de faire savoir à Maurice Challe que tout était prêt pour son départ.
------Si l'accusé avait agi ainsi, c'est, dit-il, qu'il savait qu'en toute hypothèse l'insurrection allait se déclencher et que Challe était " le seul homme qui pouvait empêcher les contraintes et les violences, empêcher une guerre civile...
------Peut-être même pouvait-il arrêter un mouvement mal engagé ?".
------Et s'il ne transmit qu'à quatre heures du matin l'ordre de détruire les avions qui ne se laisseraient pas intercepter, c'est que cet ordre lui posait un cas de consicence.

------Cet ordre qui allait jusqu'à envisager le tir au but, je voudrais bien qu'on comprenne les problèmes qu'il peut poser... M. Debré a pleuré quand il l'a donné aux commandants des légions de gendarmerie. C'était l'ordre de tirer sur des avions de transport sans armement. C'était crucifiant.
------Entendu en qualité de témoin, Challe confirma qu'ayant rendu visite à Nicot à deux reprises, celui-ci lui déconseilla de se lancer dans l'opération insurrectionnelle, parce que, disait-il, "elle n'aurait aucune résonance en métropole".
------Challe expliqua alors à Nicot qu'il était appelé en Algérie par les meilleurs officiers, et c'est alors seulement que son interlocuteur céda et accepta de le "faire passer".
------L'avocat général Raphaël réclama vingt ans de détention criminelle contre l'accusé.
------En dévoilant le complot, dit-il, vous le faisiez avorter et vous évitiez à Challe de devenir un général factieux. C'était la plus grande preuve d'amitié que vous pouviez lui fournir. Quant aux transmissions des ordres, elles étaient impératives. Les raisons morales et psychologiques avaient été pesées par ceux qui en avaient pris la responsabilité.
------L'ancien major général de l'armée de l'Air fut condamné à douze ans de détention criminelle.
------La décision d'intenter des poursuites judiciaires contre le général Marie-Michel Gouraud, ancien commandant du corps de l'armée de Constantine, avait été prise, apprendra-t-on par les débats, à l'échelon supérieur le plus haut. L'audience se déroula le mardi 20 juin 1961. Versatile, le général Gouraud s'était tout d'abord rallié le 22 avril, à 4 heures du matin, au mouvement insurrectionnel, après un appel téléphonique de Challe. Mais une demi-heure plus tard, ayant réfléchi, il décrocha à nouveau son téléphone pour faire connaître à son interlocuteur qu'il n'était plus d'accord.
------Protestant de sa fidélité au régime auprès de M. Joxe et du général Olié, lors de la visite de ceux-ci à Constantine le 22 juin, il demanda, ainsi que les débats du procès du colonel Ceccaldi l'établirent par la suite, le 23 juin, à rencontrer Zeller. Entretien à la suite duquel, pressé, bousculé par son entourage, il accepta de se rallier à l'insurrection, tout en tentant de joindre Paris au téléphone pour expliquer sa position.
------Mais au cours d'une inspection à Sétif, un télégramme du général De Gaulle lui parvint : il rejoignit alors la légalité dont il ne sortit plus.
------L'avocat général Lemoine vit en lui "un chef flottant, sans volonté, incapable de l'être, trahissant en fin de compte les uns et les autres Challe et Zeller, autant que le Gouvernement". ------Pour son avocat, M° Baudet, " le drame de Michel Gouraud c'est d'avoir dû penser tout haut, de ne pas s'être assuré des sympathies dans les deux camps pour, au contraire, déplaire aux deux... Oh ! je sais, on préfère les saints et les héros. On ne connaît jamais d'eux les faiblesses et les malheurs. La sainteté, l'héroïsme ne sont pas pourtant autre chose que la conclusion d'un beau combat intérieur dont nous ignorons les détresses et peut-être les horreurs..."
------L'ex-général Gouraud fut condamné à sept ans
de détention criminelle.
------Le cas du général Mentré, commandant interarmées du Sahara, jugé le 4 juillet 1961, est tout à fait à part. En effet, non seulement l'accusé plaida non coupable, mais il fut le seul des officiers supérieurs qui comparurent devant le Haut Tribunal militaire à proclamer son accord avec la politique algérienne du chef de l'Etat.
------«J'ai toujours été favorable à la politique du général De Gaulle concernant l'Algérie. J'ai toujours été défavorable au mouvement Challe que je tiens pour une aventure déraisonnable. j'ai choisi de rester à mon poste, non pour Challe, mais pour maintenir la mission dont j'étais chargé. Je n'ai composé avec lui que pour cela.»
------On reprochait essentiellement au général Mentré d'avoir accepté de collaborer avec Challe et, en outre, d'avoir diffusé un message à ses troupes, le 22 avril, pour leur dire de continuer leur mission : "Cette nuit le général Challe a repris en main le destin de l'Algérie", et dans lequel il demandait à chacun de continuer à poursuivre sa mission "pour sauvegarder l'unité de l'armée".
Et puis, surtout, il y avait la dernière phrase : "En conséquence, je vous demande d'exécuter ses ordres que je vous transmettrai en temps opportun".
------Mais, selon l'accusé, il s'agissait là d'une erreur de frappe. Son chef d'état-major lui avait présenté un projet de message, un "brouillon" que le général corrigea. II avait écrit "les ordres" et non pas "ses ordres". La dactilo se trompa, et le général signa l'original sans relire. Bien sûr, il aurait pu ensuite rectifier son message. S'il ne l'avait pas fait c'est que : «De toutes façons les ordres devaient d'abord passer par moi, et, dans ces conditions, la rectification avait peu d'importance.»
------Cependant le général ignora certains ordres transmis par son état-major, prescrivant la réquisition de l'Hôtel Transatlantique à InSalah, pour y abriter les personnalités arrêtées à Alger.
------En outre, le général Mentré était allé rendre visite à Challe le 22 avril. Ce dernier ne lui demanda pas de se rallier au mouvement. C'est librement que le général Mentré choisit, à la suite de cet entretien, de continuer sa mission. Pourquoi ? "C'est que, dit-il, le Sahara ne peut subvenir seul à ses besoins militaires et économiques : coupé de la France, il devient tributaire de l'Algérie.
"... II y avait de nombreux problèmes. Nous avions des frontières dégarnies, des unités avaient été prêtées à Dakar, toute la circulation aérienne était arrêtée. Il ne fallait pas être coupé de notre support logistique. Le Sahara ne pouvait vivre sur l'habitant. Et à Reggane il y avait 5 000 personnes en raison de la proximité d'une nouvelle explosion atomique. Mes motifs n'avaient donc rien à voir avec les événements en cours. j'ai demandé à chacun de continuer à travailler, Challe était en place, mais à cela je ne pouvais rien. Bien entendu, si j'avais su que l'affaire ne durerait que trois jours, j'aurais pu agir autrement".
------Telle était la thèse de l'accusé, à laquelle s'opposa le premier avocat général Gavalda, aux yeux duquel "si l'accusé n'avait pas accompli d'actes criminels, il n'en avait pas moins été en état criminel".
------Le général Mentré fut condamné à cinq ans de prison avec sursis.
------Ce fut le dernier des généraux déférés au Haut Tribunal militaire, au lendemain du putsch du 22 avril.

Y.F. Jaffré
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