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site le 27/02/2002
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------L'Algérie
devenue indépendante, l'administration française n'avait plus
qu'à se retirer pour laisser la place à une structure nouvelle.
A Alger, le chef de l'exécutif provisoire, Farès, pouvait
régler la transition avec Ben Khedda. A Oran, ce fut à peu
près le vide. Le secrétaire du général Katz,
M. Thierry Godecher écrivait le 5 juillet (selon une lettre qu'il
a envoyée au "Monde" et que ce journal a publié
le 25 juillet 1972). "Depuis hier soir
l'atmosphère s'est considérablement alourdie à Oran. -------Certes l'armée française n'avait pas évacué la cité. Mais, en dehors de quelques postes en ville, ses hommes étaient consignés dans leurs casernes. Le général Katz selon M. Gérard Israël, avait des "instructions incompréhensibles". Les troupes françaises n'étant plus en France n'avaient le droit d'intervenir que si les autorités algériennes le leur permettaient. Les garanties qu'on avait données aux civils aux derniers jours de la domination française l'avaient été avec une légèreté difficile à excuser. -------En fait, l'ordre reposait sur l'ALN. Sept "Katibas" étaient entrées à Oran le 3 juillet et avaient défilés devant le capitaine Bakhti et le premier adjoint au maire d'Oran Roger Coignard. Le capitaine Bakhti avait participé à la réunion où s'était formée la commission de conciliation. Il avait rassuré ses auditeurs. Il répéta ces propos "L'ALN est présente à Oran. Pas question d'égorgements. Bien au contraire, nous vous garantissons une vie meilleure". -------Deux jours plus tard, pourtant, on égorgea. -------Ce 5 juillet, au cours de la matinée, une foule considérable de Musulmans se rendit des quartiers arabes dans la ville française. Une foule prodigieusement excitée, dit le consul honoraire de Suisse M. Gehrig, criant, dansant, brandissant les drapeaux verts et blancs tandis que les femmes lançaient leurs "yous-yous stridents" qui expriment la joie aussi bien qu'ils animent les guerriers à combattre. Fait insolite, il y avait des hommes armés dans ce cortège pacifique, "presque tous" précise M. Thierry Godechot. On sait que les "Arabes" aiment "faire parler la poudre". Mais ils ne font pas la fantasia en pleine ville. Craignaient-ils une attaque ? Voulaient-ils faire payer aux Français leur résistance à l'indépendance algérienne ? -------Le fait certain est que vers onze heures, quand le cortège se trouvait place d'Armes, des coups de feu retentirent. Des cris s'élevèrent "C'est l'OAS ! L'OAS nous a tiré dessus". Ce fut le signal du massacre. Des manifestants armés commencèrent à tirer au hasard, abattant parfois leurs compagnons, puis attaquant des sentinelles françaises devant le Château neuf, siège du commandement français, et l'Hôtel Martinez, où logeaient beaucoup d'officiers. Celles-ci ripostèrent. Des Musulmans tombèrent. Tandis que la masse des manifestants se dispersait dans tous les sens, des bandes d'hommes armés, dont beaucoup en uniforme se lancèrent dans la ville européenne et commencèrent à abattre les gens qu'ils rencontraient. -------Un témoignage, celui de M. G. Jaume le confirme. Employé au service de la répression des fraudes, celui-ci devait aller à son bureau, 52 rue du Général Farradou. Il prit l'autobus à Saint Hubert. Au cours du trajet, des musulmans y montèrent et fixèrent à l'extérieur du véhicule des drapeaux algériens. Un voyageur arabe ayant remarqué M. Jaume, le seul Européen du convoi commença à dire à voix haute : "Ca sent le roumi ici" et esquissa un geste menaçant. Ses camarades l'arrêtèrent en lui disant : "Pas encore. Tu vas tout faire rater". Un des voisins dit en arabe à son voisin : "Qu'on est bourricots, ça va tout casser". Les choses n'allèrent pas plus loin. Mr Jaume put descendre de l'autobus sans incident et entrer dans son bureau. Mais lorsqu'il en sortit, à midi, la chasse à l'Européen était ouverte. II retourna dans son bureau, persuadé que les phrases qu'il avait entendues dans l'autobus dénotaient la préméditation du massacre. -------Cette préméditation a été niée par les autorités, qui rejetèrent la responsabilité des faits sur une provocation européenne. C'est l'OAS, criaient les Musulmans de la place d'Armes. Et M. Godechot, qui reflète ce que pensait l'entourage du général Katz, notait le 5 juillet : "un élément OAS aurait tiré sur un cortège musulman, déclenchant une fusillade qui a duré une heure". (On notera au passage le conditionnel prudent de l'auteur et l'inexactitude de ses renseignement, le massacre ayant duré de 11 heures à 17 heures). -------Cette assertion est contredite par le docteur Raymond Alquié, exadjoint au maire d'Oran, qui objecte que "les commandos de l'organisation avaient quitté l'Algérie à ce moment-là". Il semble donc inutile d'ajouter aux actions de l'OAS celle-là. Reste l'hypothèse qu'un isolé, un de ces enragés qui rendaient la justice par leurs propres moyens, ait été exaspéré par le triomphe bruyant des Musulmans et ait tiré sur eux. Mais personne n'a vu cet enragé, personne n'a donné son signalement. En revanche on a vu beaucoup de Musulmans brandir des armes, puis s'en servir sur les cibles vivantes que constituaient les roumis qu'ils rencontraient. Si l'existence d'Européens capables de "faire un carton" sur un passant arabe dans la ville française est indéniable, il est non moins vrai que dans la ville arabe, il y avait des tueurs, qui bien avant l'entrée en scène de l'OAS, avaient abattu ou enlevé des Européens. Qu'après la victoire de l'insurrection algérienne, ils aient voulu se venger, venger leurs camarades tombés dans leur "guerre de libération" entre dans leur logique. -------Le fait certain est qu'à partir des premières détonations sur la place Foch, des Algériens, les uns en uniforme, les autres en civil se lancèrent dans la ville européenne et tuèrent à tort et à travers, abattant ceux qu'ils rencontraient, comme le propriétaire de l'Hôtel Martinez ou allant chercher leurs victimes dans les restaurants - on était à l'heure du repas, les bars, les boutiques, voire dans leurs appartements. -------M. Gérard Israël a raconté le traitement infligé aux clients de 1"'Otomatic". "Une dizaine d'hommes (de l'ALN) en uniforme camouflé entrent dans le restaurant. Ils fouillent tout le monde. "Vous n'avez pas d'armes ? On nous a tiré dessus de votre direction. Celui qui semble le chef dit d'un ton rageur : "Ils ont dû planquer les armes, allez au commissariat central. On verra là-bas". Les vingt consommateurs sortent du restaurant, les mains sur la tête. Il arrivent au commissariat central. -------Le chef de poste demande à celui qui dirigeait l'escorte "Qu'est?ce qu'ils ont fait ? - Ils nous ont tiré dessus - Avez-vous trouvé des armes ? - Non - Bon, qu'ils attendent ici - Si on les tuait tout de suite - Non, pas tout de suite". Même scène dans un restaurant grec de la rue de la Fonderie "Des musulmans sont arrivés subitement, ont ouvert la porte et tiré à bout portant sur les gens qui prenaient leur repas, raconte le consul honoraire de Suisse, René Gehrig. Plusieurs personnes ont été tuées, d'autres encore ont été enlevées, parmi lesquelles mes amis Mascaro, Palumbo et Bonamy." Ceux qui avaient un nom à consonance française ont été relâchés pour la plupart, dont Bonamy. Par contre, on n'a plus jamais revu les autres parmi lesquels étaient Mascaro et Palumbo". -------Les restaurants et les débits de boisson ne furent pas seuls à recevoir les épurateurs. Vers midi, une douzaine d'indigènes en uniforme entrèrent dans l'hôtel des postes, arrêtèrent 35 fonctionnaires, pris, semble-t-il, arbitrairement et les menèrent au commissariat central. Il furent remis en liberté vers 16h30, après l'intervention d'officiers de zouaves. Mais tous ne furent pas sauvés pour cela. Le directeur-adjoint, M. Roger Jourde, partit de la Poste emmenant dans sa voiture l'inspecteur central Davo et Mme Bettan, contrôleur principal des PTT, épouse d'un instituteur et mère de quatre enfants. On ne les revit jamais plus. -------Circuler dans les rues d'Oran était courir un péril de mort. Un agent technique stagiaire, M. Legendre, reçut une balle dans la joue, rue de Mostaganem. Il fut conduit à l'hôpital, soigné, puis disparut. Au total, neuf fonctionnaires des postes d'Oran furent victimes du massacre. -------Non loin de là, rue d'AlsaceLorraine, des hommes en uniforme abattaient le quartier-maître de la Marine Christian Romero qui passait devant eux en motocyclette. -------M. René Gehrig, revenant de son bureau vers une heure et demie dans des rues désertes, s'entendit interpeller par un voisin qui lui cria de se mettre à l'abri, car "les Arabes tuent tout le monde". Il se mit dans l'embrasure d'une porte en voyant arriver une voiture d'où descendirent des hommes en uniforme qui abattirent un homme au coin de la rue. Rentré dans son bureau, le consul honoraire revit la voiture qui avait fait le tour du pâté de maisons "C'était, dit-il, une petite camionette sur laquelle quatre Musulmans avaient pris place chacun ayant une mitraillette à la main. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait, parfois dans les vitrines ou les fenêtres ouvertes... et ils rigolaient". Dans le parking, un autre Européen arrive à son tour pour se garer. "Il semble que les Musulmans lui demandent ses papiers... mais au moment où il met sa main dans la poche, l'un deux lui tire à bout portant, une balle dans la tête". -------Vers cinq heures du soir, la fusillade ayant diminué d'intensité et les gendarmes mobiles étant sortis de leurs casernes, M. Gehrig retourna chez lui. Près de son domicile, rue Dutertre, il vit une nouvelle scène funèbre. -------Devant moi, expose-t-il, à 30 ou 40 mètres une grosse voiture. Elle s'arrête subitement. J'aperçois quelques Arabes, revolver ou mitraillette au poing qui font descendre les deux Européens de la grosse voiture. Cela m'a permis de rentrer précipitamment. De mon balcon du 3ème ` étage, à plat ventre pour ne pas être vu, j'ai pu apercevoir les deux Européens emmenés par les Arabes, leur voiture restée seule au milieu de la chaussée... J'ai su après que l'on n'avait jamais plus eu de leurs nouvelles. ----- |
---M. et Mme Paul
Benaroch, qui pensaient rester en Algérie, descendaient vers le
centre de la ville par le faubourg Choupot. Le frère du mari et
son beau-père se trouvaient également dans la voiture. Un
camion arrêté gênait le passage. Devant lui, une douzaine
d'Algériens en treillis, coiffés d'une casquette militaire
et deux hommes en kaki, tous armés de mitraillettes, sauf le chef
qui portait un pistolet, assuraient le contrôle de la rue. Le chef,
après avoir fait arrêter l'auto dit d'un ton agressif : "Descendez
immédiatement et vous allez payer ce que vous avez fait".
Sous la menace des armes, les passagers furent collés au mur. Une
jeep occupée de quatre CRS français, passa alors sans s'occuper
des malheureux, dont le sort semblait décidé. La chance
voulut que le père de Mme Benaroch connût pour des raisons
professionnelles un tripier arabe dont il cita le nom comme témoin
de ses bons sentiments vers le FLN. Le chef de groupe laissa alors partir
les prisonniers qu'un motard arabe qui portait l'uniforme kaki des agents
de police de l'ex-Algérie française, escorta jusqu'à
leur domicile. Pendant le trajet, les Benaroch virent d'autres Algériens
faire descendre d'auto ou sortir de leur demeure des Européens
qu'ils enfournaient dans des camions où ils devaient faire un voyage
probablement sans retour. Claude Martin |