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Les
jardins d'Alger.
Il est une croyance donnant
au paradis terrestre
l'image d'un jardin enchanteur où s'épanouissaient des
fleurs aux suaves parfums et où mûrissaient des fruits
si beaux, si appétissants, qu'un seul d'entre eux suffit à
perdre l'humanité. Cet Éden fut-il réalité
ou bien n'est-ce là qu'un mythe enfanté par l'imagination
des hommes ? Toujours est-il que cette image est demeurée en
nous comme l'indice certain d'une félicité supra-terrestre.
Or, l'imagination va son chemin et nous avons toujours cherché
à nous donner l'illusion de posséder un bien que notre
manque de sagesse nous a fait perdre. Depuis la plus haute antiquité,
les humains se sont représentés les lieux de béatitude
éternelle comme étant ceux où les végétaux
déployaient toute leur magnificence, toute leur beauté.
Par un besoin d'anticipation, que d'aucuns considèrent comme
sacrilège, les hommes ont voulu jouir de ces privilèges
divins dont ils se croyaient cependant privés à tout jamais.
Et c'est de cette idée que sont nés les jardins.
Alger, à ce point de vue, est une ville privilégiée.
En effet, les squares et jardins y sont nombreux, aussi bien que divers
dans leur conception artistique. Quelle joie pour le travailleur qui,
chaque matin, passant près de l'un d'eux, peut contempler tout
à son aise, pendant quelques instants, les teintes chatoyantes
des fleurs et des feuillages qui se marient dans une perfection rarement
égalée. Là, avant de reprendre le labeur quotidien,
que ce soit à l'usine, au bureau, partout où la tâche
absorbe ses facultés, le citadin se retrempe avec joie dans un
coin de nature arrangé pour concentrer ses beautés éparses.
Cette vision de fraîcheur et d'harmonie donne à l'esprit
un repos, une quiétude plus grande permettant de supporter avec
moins de contrainte les ennuis de la vie matérielle. C'est donc
là un bienfait pour tous dont nous sommes redevables à
nos édiles.
Ceux-ci ont, en effet, réalisé partout où un petit
peu de place le leur permettait des coins de verdure fleurie. MM. Legendre
et Poulain, qui dirigent les travaux entrepris à Alger dans ce
sens, m'ont dit, avec une légitime fierté, ce qui a été
fait et même m'ont fait part de leurs projets. J'ai vu défiler
sous mes yeux des plans, des croquis, des photographies y ayant trait.
N'est-ce point une chose tenant du prodige que la transformation de
ce quartier d'Alger, jadis refuge de la basse pègre, aujourd'hui
aménagé en jardin : le boulevard Laferrière. Sur
les photographies reproduites plus haut, on peut se rendre compte du
changement effectué en très peu de temps. Les pierres
tristes des fortifications ont disparu et, à leur place, ont
été créées d'abord des pépinières
qui ne tardèrent pas à se muer en ces belles pelouses
ombragées et étoilées de fleurs qui font aujourd'hui
l'une des plus belles parures de notre capitale. Partout où existaient
déjà des jardins, des modifications heureuses ont été
apportées, des nouveautés artistiques s'y sont fait une
place donnant aux flâneurs, aussi bien qu'au simple passant, une
vision d'ordre et de beauté. Et, s'inspirant de la pensée
de Socrate qui définissait le Beau par l'Utile, chaque aménagement
est conçu pour le; plus grand bien et le confort de ceux qui
sont appelés à en jouir.
A côté de cela, nombreux aussi sont l"s projets en
cours de réalisation et ceux qui vont bientôt être
mis en uvre. Il a été dressé un vaste programme
dont des tranches successives sont réalisées chaque jour.
Dans ces mêmes colonnes j'ai déjà parlé du
beau jardin à peine terminé boulevard Pitolet. La placette
de la Croix, rue Michelet, s'est transformée elle aussi en un
charmant jardinet où viennent s'ébattre les bambins du
voisinage.
Partout où cela est possible, même là où
personne n'aurait cru que cela puisse se faire, des parterres fleuris
viennent jeter leur note de fraîcheur reposante. Et ce qui surprend
le plus le profane, c'est peut-être encore la rapidité
avec laquelle sont édifiées ces plates-bandes. Mais grâce
aux photos publiées ci-contre, ceux-ci pourront, comme je l'ai
fait moi-même, s'expliquer la chose. Voyez, en effet, ces serres
où la lumière et les ombres sont judicieusement dosées.
Une température invariable maintient la végétation.
Il y fait doux et c'est avec délices que l'on respire cette bonne
odeur de l'humus où l'eau abonde. Et puis, les fines dentelures
des fougères donnent à cet ensemble un aspect délicat
qui est une joie pour l'il. A côté des serres, voyez
aussi ces milliers de pots de terre alignés comme le sont des
soldats à la parade. Ils sont là, prêts à
être transportés aux lieux où ils feront partie,
recouverts d'une couche égale de terre, de grands massifs décoratifs.
Plus loin encore, des alignements impressionnants de jeunes arbustes
attendent patiemment qu'on les arrache d'ici pour leur assigner une
place définitive dans un parc.
C'est grâce à ces vastes serres et à ces pépinières
conséquentes que la capitale algérienne voit se transformer
avec célérité les coins les plus abandonnés
en de jolis jardins.
Voici comment Alger devient chaque jour plus plaisante. Chacun d'ailleurs
se hâte d'en jouir, depuis le yaouled fatigué de courir
qui vient s'étendre sur les bancs, jusqu'au vieux Monsieur, à
la boutonnière chargée, poursuivant ses méditations
comme au temps jadis le faisaient les philosophes grecs dans les "
jardins " du Lycée et de l'Académie. C'est là
que des malheureux s'exilent du monde, et, disciples sans le savoir
de Bernard Palissy, ils rêvent qu'ils ont dessiné, planté,
semé cet asile et qu'à l'ombre des vergers, au bord des
sources, ils contemplent une humanité meilleure. Les bambins
s'émerveillent devant les teintes vives des corolles, poursuivent
les papillons et, déçus de ne pouvoir saisir ces fleurs
vagabondes, se vengeraient en cueillant celles plus sages qui demeurent
sur leurs tiges. Les vieillards choisissent les coins ensoleillés
et, respirant avec délice l'air aux senteurs balsamiques, ils
réchauffent au soleil leurs membres engourdis. Et c'est là
aussi que viennent muser les amoureux parce que les oiseaux y font leurs
nids.