------
Les jardins suspendus d'Alger.
Dans sa " bibliothèque
historique ", Diodore, de Sicile, nous conte comment le roi Nabuchodonosor-le-Grand
réalisa, pour l'amour de la belle Amytis, l'une des sept merveilles
du monde : les jardins suspendus de Babylone.
Deux mille cinq cents ans plus tard, Alger-la-Blanche se dresse dans
l'éclat de sa jeune beauté, n'ayant rien à envier
aux splendeurs de la ville disparue des rives de l'Euphrate : soleil
éclatant, ciel pur. charme oriental, luxe, belles filles, et
même jardins suspendus.
Bien qu'elles semblent avoir été en proie à la
folie de construire des immeubles sans autre recherche qu'un lucre immédiat
et sans soucis de l'esthétique, les générations
précédentes et la génération actuelle ont
cependant conservé, peut-être à leur insu, le sens
de la beauté. Aussi, pour égayer le style sobre des édifices
modernes et pour leur donner cette apparence de fraîcheur inhérente
à l'idée que l'on se fait d'une ville orientale, la verdure
et les fleurs sont-elles devenues leur plus belle parure.
Rue d'Isly, sur la terrasse de l'immeuble Bielle, il existe un véritable
jardin. C'est un joli coin vert, un berceau de feuillage qui, à
la hauteur du sixième étage, étale sa douceur.
Au cur même d'Alger, dominant l'artère la plus animée
de la capitale, on est fort agréablement surpris de trouver une
telle profusion de plantes formant une voûte d'ombre dans laquelle
se détachent de jolis bouquets aux teintes vives.
En plein centre encore, rue Michelet, à la hauteur de la rue
Richelieu, il est une terrasse où croissent, comme en pleine
terre, des fleurs et des plantes vertes.
Toujours rue Michelet, mais plus haut, à l'angle de la rue Beau-Séjour,
soutenu par d'élégantes colonnes, un grand massif de verdure
s'étale au troisième étage. Des nappes de chèvrefeuille
s'échappent d'entre les balustres et retombent en odorants tapis.
Des plantes grimpantes s'élancent autour des piliers et se rejoignent,
formant une voûte de fleurs. Que dire aussi du magnifique jardin
qui coiffe l'Hôtel Aletti ? Là, le géranium pousse
en touffes épaisses, Les pensées, les pâquerettes,
de nombreuses variétés de plantes au feuillage charmant
tapissent les vastes parterres, tandis qu'une jolie fontaine de style
maure murmure doucement, donnant à l'ensemble une impression
de fraîcheur.
Mais c'est surtout vers la haute ville que se rencontrent ces merveilles.
Ce ne sont partout que fleurs odorantes, plantes grasses aux coloris
variés, aux formes bizarres, aux épines menaçantes.
Aussi, quel charme prenant, lorsque, à la tombée du jour,
on suit, en flânant, le chemin du Télemly par exemple.
A nos pieds, la ville aux mille feux scintillants, le port, la mer où
dansent les fanaux des lamparos. Au-dessus, de belles villas de style
arabe, dont les terrasses surplombantes sont parées de citronniers,
d'orangers où les fruits d'or se détachent sur le feuillage
sombre. Le bougainvillée en tapisse les murs, les hibiscus aux
rouges corolles et les délicates grappes mauves des glycines
marient leurs teintes, tandis que la brise se charge des senteurs du
chèvrefeuille.
Mais, l'un des plus charmants attraits de notre capitale est bien cette
t;nasse fleurie, dominant de ses sept étages le coquet quartier
de l'avenue de l'Oriental. La verdure, étoilée d'une profusion
de fleurettes multicolores, s'y étale en riants massifs au pied
d'une longue pergola. Les rosiers grimpants enlacent doucement les fines
colonnes, ouvrant au soleil une profusion de fleurettes aux teintes
chaudes, aux senteurs capiteuses. Des arbustes, encore jeunes, s'élancent
vers le ciel bleu, invitant à la flânerie des bandes de
passereaux bavards surpris et heureux de trouver si haut, à mi-chemin
de leur course vagabonde, ce gentil coin d'ombre et de fraîcheur.
Entouré de massifs touffus et fleuris, un grand bassin, aux céramiques
de couleurs vives, permet à de jolis poissons rouges et noirs
de s'ébattre dans une eau claire où retombent en cascatelles
bruissantes les gouttelettes irisées de multiples jets d'eau.
Au bord de la vasque supérieure, les oiseaux viennent parfois
se désaltérer, posant délicatement leurs pattes
menues sur le marbre blanc, baissant et relevant, en un geste gracieux,
leur petite tête où brillent deux yeux de jais. Les abeilles
affairées passent et repassent, chassant sans pitié les
papillons dont les ailes se confondent avec les fleurs. Et là-bas,
tout au fond, à travers les fines découpures du feuillage,
scintille la mer calme et bleue. Au-dessus, les coteaux de Mustapha
étalent leur riche damier vert et blanc, formant, jusqu'à
l'horizon, comme la continuation du jardin suspendu.
La nuit venue, l'enchantement de ce lieu se fait plus sensible. De la
terre nouvellement arrosée, des fleurs, du feuillage, s'exhale
une vapeur odorante, tandis qu'une douce clarté bleuâtre
accentue les reliefs d'une façon saisissante. Lointaines, étouffées,
les rumeurs de la grande ville montent avec peine jusqu'en ce lieu de
repos idéal. Évoquant les splendeurs orientales des villes
antiques, une raïta, tout à coup, fait vibrer l'air de ses
notes traînantes, accompagnant le monotone refrain d'une complainte
psalmodiée par les voix indolentes des indigènes occupés
aux constructions voisines. Le charme lascif des nuits algériennes
est alors plus prenant.
Qui donc oserait prétendre encore qu'Alger a perdu le cachet
exotique recherché par les touristes ? Si les exigences de la
vie moderne ont quelquefois fait commettre des erreurs, s'il est question
de construire ses grattes-ciel, il n'en est pas moins vrai que l'El-Djezaïr
d'Hussein Bey vit toujours avec sa casbah, ses mosquées, ses
zaouias et ses jardins suspendus.