le jardin d'essai - Alger, le Hamma
Le parc zoologique

Le zoo du Jardin d'essai

Alger qui, dans son étendue, compte tant de cités diverses, se flatte d'en posséder une exclusivement réservée aux bêtes sauvages. Complantée d'arbres, sillonnée de rues auxquelles nul ne songea à donner le nom d'un lion célèbre ou d'une guenon fidèle, dotée de coquets pavillons, d'un lac en miniature, cette cité est administrée par M. Dange. Son amour pour nos frères inférieurs l'a conduit à constituer, au Jardin d'essai, un parc zoologique.

L'autre matin, en compagnie du photographe et d'un gardien, j'ai longuement visité les locataires de M. Dange. Voici les souvenirs que j'ai rapportés de ma promenade.

Couché sûr le côté, Sultan, lion de l'Atlas, suit d'un regard attendri les allées et venues de Sultane. Celle-ci, l'air attristé, songe peut-être à ses jeunes lionceaux mort-nés. Quant à moi, en regardant ce couple de grands fauves si beaux, je pense à la dévalorisation du roi des animaux.

Alors qu'avant la guerre il coûtait de 40 à 50.000 francs-or, on le paye maintenant! 2.000 francs-papier ; c'est-à-dire un peu moins qu'une hyène répugnante pour laquelle on réclame 2.500 francs ! Non loin de là, Coco et Bella, deux superbes panthères, se donnent des marques réciproques d'estime.

Pour me prouver l'affection qu'il leur porte, le gardien passe son bras nu à travers les barreaux de la cage, caresse la femelle qui feule doucement puis entrouvre la gueule du mâle pour y placer la main. Il en est de même avec les lions. Quand je demande à mon cicérone de répéter son geste avec le crocodile, il me fait Cette déclaration :

- Avec celui-là, il ne faut pas s'amuser, car d'un coup de mâchoire, il aurait bientôt fait de me rendre manchot.


*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1933. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE.

Afrique du nord illustrée du 7-10-1933 - Transmis par Francis Rambert
sur site : mai 2021

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Le zoo du Jardin d'essai

Alger qui, dans son étendue, compte tant de cités diverses, se flatte d'en posséder une exclusivement réservée aux bêtes sauvages. Complantée d'arbres, sillonnée de rues auxquelles nul ne songea à donner le nom d'un lion célèbre ou d'une guenon fidèle, dotée de coquets pavillons, d'un lac en miniature, cette cité est administrée par M. Dange. Son amour pour nos frères inférieurs l'a conduit à constituer, au Jardin d'essai, un parc zoologique.

L'autre matin, en compagnie du photographe et d'un gardien, j'ai longuement visité les locataires de M. Dange. Voici les souvenirs que j'ai rapportés de ma promenade.

Couché sûr le côté, Sultan, lion de l'Atlas, suit d'un regard attendri les allées et venues de Sultane. Celle-ci, l'air attristé, songe peut-être à ses jeunes lionceaux mort-nés. Quant à moi, en regardant ce couple de grands fauves si beaux, je pense à la dévalorisation du roi des animaux.

Alors qu'avant la guerre il coûtait de 40 à 50.000 francs-or, on le paye maintenant! 2.000 francs-papier ; c'est-à-dire un peu moins qu'une hyène répugnante pour laquelle on réclame 2.500 francs ! Non loin de là, Coco et Bella, deux superbes panthères, se donnent des marques réciproques d'estime.

Pour me prouver l'affection qu'il leur porte, le gardien passe son bras nu à travers les barreaux de la cage, caresse la femelle qui feule doucement puis entrouvre la gueule du mâle pour y placer la main. Il en est de même avec les lions. Quand je demande à mon cicérone de répéter son geste avec le crocodile, il me fait Cette déclaration :

- Avec celui-là, il ne faut pas s'amuser, car d'un coup de mâchoire, il aurait bientôt fait de me rendre manchot.

A la vue du saurien, je songe aux cambrioleurs qui, chaque nuit, viennent dévaliser mes concitoyens. Que ne demandent-ils à M. Dange de leur prêter ce gardien incorruptible. L'œil mauvais et la gueule béante, placé le soir derrière la porte d'entrée de leur appartement, il est bien certain que ce crocodile suffirait pour mettre en fuite tous les x mystérieux.

Voici les pélicans, leur cri rappelle assez celui de l'âne. Dressés soudain sur leurs pattes et entrouvrant leurs ailes puissantes, ils laissent l'impression de vouloir partir pour un très long voyage. Détendus, ils retombent lourdement dans la mare et mettent en fuite une flottille de cygnes, de sarcelles, de canards, d'ibis, de poules sultanes, ainsi qu'un goéland furieux et qui proteste à sa façon. Plus loin, l'œil mi-clos, des chacals, des renards nous observent en passant. Ici, la marche compassée, le cou dans les épaules, ce marabout à sac paraît atteint de calvitie précoce. Méchant, borné, méfiant, il guette l'objectif qui va, pour la postérité, fixer l'essentiel de ses traits. Soudain, pour remercier, le marabout décoche à la lentille que le soleil allume un coup de bec magistral. Là-dessus, il s'en va très digne, satisfait.

Poussant des hurlements de bête qu'on égorge, M. le fourmilier proteste de son amour pour la fraîcheur et l'ombre. Pourtant, après s'être bien fait prier, il daigne se montrer. Tirant une langue noire, filiforme, de la dimension d'une longe de fouet, la queue empanachée, ce quadrupède m'examine de ses yeux minuscules, agite les oreilles, puis trouvant l'entretien suffisant, retourne à sa tanière.

Les nègres, pour qui le travail est une invention diabolique, affirment que les singes sont doués de la faculté de paroles, mais qu'ils se gardent bien d'en user dans la crainte de se voir réduits par l'homme à la nécessité de cultiver la canne à sucre. En tout cas et s'il ne parle pas, ce cynocéphale nous insulte dans son langage. Animé de passions violentes, il rêve de me mordre et se déchaîne lorsque Prince et Lili, deux chimpanzés, viennent à mes devants pour me dire bonjour. Ayant fait le salut militaire, les nouveaux arrivants me tendent une main amicale. Mari modèle, Prince cajole son épouse, l'enlace dans ses bras et l'embrasse. Pour faire un tour de promenade, il lui donne le bras, lui permet de goûter à sa tranche de melon, mais entend être seul à déguster une bouteille de limonade. Me laissant l'impression d'avoir totalement oublié la forêt ancestrale, ce quadrumane fait la joie des enfants et des grandes personnes, car très observateur et malin en diable, il singe les tics de mes semblables. En me quittant et en guise d'adieu, Prince me lance des baisers

Penchée sur une cage de vaste dimension, une fillette vient de s'extasier sur la scène suivante : un boa voisinant avec un petit cochon d'Inde. L'un et l'autre semblent parfaitement s'entendre et former une paire d'amis. Cela c'est la fiction, car en réalité il y a au fonds de cette cage les acteurs d'un drame. Le rôle du traître et de l'assassin, c'est le serpent qui le tient, le cobaye joue celui du condamné à mort.

Moi qui savait cela, j'ai préféré laisser partir l'enfant avec une belle illusion. Car si la fillette s'était attardée davantage, elle aurait vu soudain le reptile mordre sa victime, l'enlacer, la broyer et puis en faire son déjeuner.

Ailleurs, voici tout un régiment de petits oiseaux de volière. C'est à qui, par sa livrée, tiendra la première place. Parmi les veuves, les merles métalliques, les colombes poignardées, les cardinaux, les bengalis, les toucans, les épimaques, les sifflets, les étourneaux du Mexique, les loriots, les rupicoles, les guêpiers, le bengali royal tient vraiment, par son babillage et sa tenue pourprée, le rang que lui assigne son qualificatif. Et ceci me rappelle l'un d'eux qui avait pour compagne une jolie petite femelle à plumes grises et paillées.

Or voici l'histoire véridique de ce ménage de beaux chanteurs qui ne chantèrent que deux jours dans ma villa.

La reine se prit d'un tel amour pour son mari qu'elle le harcela à l'en faire mourir. Affection sauvage ! Qu'on en juge.

Par crises, soir et matin, elle lui arracha, plume à plume, tout son pourpoint, puis tout son corsage, puis tout son chef carmin.

En une huitaine, il fut presque nu comme un vers, n'ayant plus pour parure que son bec et trois ultimes plumes au coccyx. Et pas même bon à rôtir, car il devait bien peser dix grammes. Comme quoi, même chez les oiseaux, il y a parfois des rois dépossédés, déchus.

Non loin de là une hyène tourne en rond sans arrêt. Parfois, elle groupe et découvre des crocs de belle dimension. Indomptable, ce fauve, dont l'odeur fétide révulse mes narines, voudrait que s'entrouvre la porte de sa cage pour fuir les humains. Pour l'amadouer, on a tout essayé : patience, soins, matériels, distractions. Ombrageux et cruel, sournois et incapable d'affection pour qui que ce soit, il est actuellement aussi sauvage qu'aux premiers jours de sa captivité.
Plus bavardes que des laveuses, ces perruches se racontent de belles histoires dans un langage mélodieux qu'elles seules comprennent. Jaunes, bleues, vertes, blanches, mauves, bariolées, dotées d'un bon caractère, ne se fâchant jamais, elles sont très familières. Pourtant, si je le pouvais, j'aimerais emporter celle-ci qui toute menue, toute bleue, fait des grâces, minaude, sollicite mon hommage admiratif et semble dire : " N'est-ce pas que de toutes mes sœurs c'est moi la plus mignonne ? "

Sans doute, cette petite merveille ne durera pas toujours, mais toute périssable qu'elle soit, elle me donne une impression d'éternité, car sa joliesse se continuera dans d'autres petites perruches toutes aussi bleues, toutes aussi gracieuses.

Trois heures ont coulé sans que je m'en aperçoive. A regret, il va falloir prendre congé de mes amies les bêtes pour aller retrouver mes frères les humains !
Après le don de quelques friandises, au moment de leur dire au revoir, j'aperçois le regard des gibbons et des magots qui me fixent attentivement. Les yeux livrent ce qu'ils veulent. Ceux de ces singes sont là, comme une barrière devant le gouffre qu'ils dissimulent. Un gouffre : c'est le mot, ce qu'on appellera en d'autres termes, l'âme. Ce ramassis de mauvais instincts, d'inquiétudes, de souvenirs, d'espoirs, traversés d'une maigre flamme qui serait le désir du bien : une flamme sans cesse éteinte comme celle d'une bougie dans l'orage.