LE JARDIN D'ESSAI DU HAMMA
Dès les premiers
jours de la conquête de l'Algérie, l'autorité militaire
se préoccupa de déterminer les plantes et cultures qu'il
convenait d'introduire dans notre nouvelle possession.
D'importantes collections végétales furent réunies
au Jardin
du Dey (devenu depuis Hôpital militaire}. Elles s'accrurent
rapidement, grâce, en particulier, aux végétaux
qui existaient dans les propriétés des consuls, et l'espace
ne tarda pas à devenir insuffisant.
En 1832, le jardin fut transporté au Hamma. Cet endroit n'était
alors qu'un vaste marais qu'il fallut assainir, et ce travail difficile
ne fut terminé qu'en 1880.
Le Jardin d'Essai n'occupa, tout d'abord, qu'une dizaine d'hectares.
Son premier directeur fut paraît-il, le lieutenant de vaisseau
Barnier, auquel succéda bientôt le commandant Bérard.
Ce dernier commença à agrandir et à embellir le
jardin et il est l'auteur d'une partie du tracé actuel. L'établissement
prit le titre de Pépinière centrale du Gouvernement.
En 1842, le ministère de la Guerre, voulant développer
les plantations publiques dans toutes les régions occupées,
créa un service spécial des plantations et en chargea
le directeur de la Pépinière centrale, en même temps
qu'il appelait à la tête de cet établissement M.
Hardy, l'un des agents les plus expérimentés et l'un des
praticiens les plus habiles du Muséum d'Histoire naturelle de
Paris.
En 1852, le Jardin du Hamna, qui avait, changé sa dénomination
contre celle de Jardin d'Acclimatation, n'avait alors que 29 hectares.
En 1859, il s'agrandit de la parcelle dite " du Lac ", encore
la plus belle à l'heure actuelle. En 1864, il gagne 8 hectares
dans la plaine et une vingtaine sur la colline.
Hardy, qui dirigea le Jardin d'Essai durant 26 ans, en a été
en fait, le véritable créateur. Il fut l'initiateur de
toutes les cultures nouvelles et, sous son habile direction, furent
faites de très intéressantes expériences concernant
l'introduction d'espèces végétales utiles pour
l'Algérie et les pratiques culturales adaptées aux conditions
du pays.
Malheureusement, les crédits que le Gouvernement pouvait mettre
à la disposition de l'établissement se restreignirent
à partir de 1860. L'Administration algérienne poursuivait
alors l'exécution d'un important programme de travaux publics
et tous ses efforts se portèrent de ce côté. Le
Jardin du Hamma fut négligé.
C'était l'époque où les pouvoirs publics montraient
une tendance générale, à se décharger sur
de grandes sociétés de la gestion des intérêts
généraux, et l'Administration impériale chercha
à étendre ce principe au Jardin d'Essai.
Par une convention du 6 décembre 1867, le Gouvernement concéda,
pour 49 ans, la jouissance et l'exploitation du Jardin à la Société,
générale algérienne, dont la suite fut prise, en
1877, par la, Compagnie algérienne actuelle.
Un effort sérieux fut fait par le concessionnaire et permit au
Jardin de continuer sa marche normale sous la direction de M. Charles
Rivière. Momentanément interrompu avec la guerre, son
essor reprend après 1871. Le Jardin participe à de nombreuses
expositions avec un succès qui étend au loin sa réputation.
Le rigoureux hiver de 1891 lui fut un instant nuisible, mais il se remit
rapidement, pendant que, le temps aidant, les plantations acquéraient
un superbe développement et transformaient l'ancien marais du
Hamma en un site, délicieux, admiré de tous.
Grâce à l'activité et aux relations du directeur
de rétablissement, les ventes de plantes prenaient en même
temps une extension considérable.
Désireux d'orienter plus complètement le Jardin vers des.travaux
d'ordre scientifique, M. le Gouverneur général Jonnart
entama, en 1905, des pourparlers en vue de la. résiliation anticipée
de la concession à la Compagnie algérienne. Le fait que
ces pourparlers traînèrent en longueur - en raison notamment
des laborieuses négociations auxquelles donna lieu un projet
de remise du jardin à la ville d'Alger - explique et. excuse,
dans une certaine mesure, l'abandon dans lequel l'établissement
fut laissé depuis lors. Voyant son bail sur le point d'expirer
la Compagnie algérienne s'intéressait surtout à.
la vente des plantes d'appartement et au rendement des pépinières.
Le beau parc du Hamma dépérissait lentement, au plus grand
désespoir de la population comme des touristes ' étrangers.
La reprise par la Colonie - définitivement décidée
par les Délégations financières dans leur session
de 1912 -a été réalisée le 1er janvier 1913.
Les manières de voir, parfois divergentes, qui se manifestèrent
dans la haute administration quant à la forme suivant laquelle
devait être résilié le contrat de concession à
la Compagnie algérienne, la nécessité de préciser
la situation exacte des occupants que celle-ci a laissés s'installer
sur le domaine de l'État, les difficultés inhérentes
à l'instauration de tout régime nouveau, n'ont pas été
sans créer, durant l'année écoulée, des
complications dans la marche de l'établissement qui ont pu faire
craindre à nos compatriotes non initiés de voir disparaître
le Jardin d'Essai du Hamma.
Grâce à l'intérêt tout spécial que
M. le Gouverneur général Lutaud n'a pas cessé de
porter au Jardin, grâce à l'activité avec laquelle
le nouveau directeur, de l'Agriculture, M. Brunel, s'est attaché
à vaincre tous les obstacles, grâce à l'intervention
de. M. Paul Morel, sous-secrétaire d'État à l'intérieur,
à la suite de l'étude de la. question à laquelle
il procéda de visu, au cours de l'été dernier,
le Jardin d'Essai a enfin pu prendre sa marche régulière.
M. Castet, le nouveau jardinier en chef, s'est appliqué appliqué
de son mieux à supprimer le chaos qui existait au Hamma à
son arrivée. L'ordre commence à y régner et déjà
l'Algérie et les Algérois n'ont plus tant à rougir
de l'état de leur établissement botanique et jardin favori.
Dans le mois de mai dernier, une Commission réunissant des représentants
des divers intérêts en présence, fut instituée
par M. le Gouverneur général pour donner son avis sur
les multiples questions concernant la reprise du Jardin, son orientation
et son organisation.
Suivant les propositions de cette Commission, d'ailleurs conformes aux
vues exprimées sur la matière par les Délégations
financières, il a été décidé, avec
l'assentiment du Gouvernement français, que la gestion du Jardin
sera assurée directement, par la Colonie, en dehors de toute
possibilité de concession à des particuliers ou des sociétés.
Cette administration incombera au Directeur de l'Agriculture, du Commerce
et de la Colonisation, assisté d'un jardinier en chef et d'un
régisseur-comptable. Prochainement sera, institué auprès
de l'établissement un Conseil de perfectionnement comprenant
des délégués des collectivités, organismes
et services locaux susceptibles d'utiliser le Jardin ou de prêter
leur concours pour sa direction et son amélioration. Le Conseil
d'administration du Muséum d'Histoire naturelle de Paris a accepté
de se faire représenter dans ce conseil, témoignant ainsi
du haut intérêt qu'il porte à rétablissement.
Il a également été entendu que, tout en conservant
sa destination de promenade publique - très fréquentée
- le Jardin devra constituer un établissement scientifique et
utilitaire pour la réunion, l'étude et la diffusion des
espèces botaniques présentant de l'intérêt
pour la Colonie, et un centre d'études pour la biologie végétale.
L'apprentissage horticole doit y être organisé dès
l'automne prochain, en vue de la préparation des jardiniers qui
font de plus en plus défaut ici. Il en résultera vraisemblablement
l'obligation de loger les apprentis dans des locaux actuels aménagé
en conséquence.
Enfin, y est également, prévue l'installation ultérieure
d'un Musée d'Histoire naturelle comprenant les collections botaniques,
zoologiques, paléontologiques, etc., concernant l'Afrique du
Nord.
Le Jardin d'Essai, au lieu de continuer à produire des fleurs
coupées et des plantes qu'il est facile de se procurer chez tous
les horticulteurs, se cantonnera surtout dans la vente des végétaux,
comme les palmiers (cocos, kentias, etc.), pour la production desquels
il se trouve dans une situation particulièrement favorable, et
dans celle des plantes qu'il y aura intérêt à faire
connaître et à répandre dans la Colonie.
Il vendra de gré à gré aux services publics, aux
collectivités, aux horticulteurs et exportateurs. Il ne fera
pas au public des ventes journalières au détail, mais
des ventes aux enchères qui auront lieu à des dates déterminées.
Les Délégations financières vont être saisies,
au cours de leur prochaine session, d'un projet de loi qui aurait pour
effet de doter le Jardin d'un budget autonome d'exploitation.
La Commission s'est prononcée à l'unanimité pour
que l'usage du Jardin soit impitoyablement refusé pour toutes
sortes de fêtes, quelles qu'elles soient, en raison des dépréciations
et dégâts qu'elles ne peuvent manquer d'occasionner.
L'amélioration de la police du Jardin a également été
reconnue indispensable.
L'Administration se préoccupe actuellement d'arrêter le
programme des modifications qu'il va y avoir lieu de faire subir à
l'aménagement du jardin, en vue notamment de l'adapter aux besoins
nouveaux et d'augmenter le plus possible son attrait scientifique et
sa beauté pittoresque.
La question se pose, en particulier, de savoir si les constructions
actuelles pourront être intégralement maintenues, si le
parc devra être remanié et étendu, s'il ne conviendrait
pas d'établir un mode de liaison entre la partie basse et la
partie haute du Jardin, etc. Cette dernière renferme des spécimens
de toute beauté d'essences dont certaines sont très rares.
Il importerait de les dégager, en même temps que de ménager
habilement dans les boisements des échappées qui mettraient
en valeur cette colline d'où l'il embrasse une vue splendide
sur la baie et la ville d'Alger. Un concours entre architectes-paysagistes
a été institué à la fin de 1913 et les travaux
des concurrents vont être remis d'ici la fin du mois, de telle
sorte que les Délégations financières puissent
se prononcer définitivement au cours de leur prochaine réunion.
Parallèlement, le service spécial des travaux de colonisation
étudie, avec l'aide du savant géologue, M. Ficheur, la
possibilité d'améliorer les ressources en eau du Jardin.
Sans doute, le programme qui sera adopté ne saurait être
de suite réalisé intégralement, mais encore est-il
que tous les Algériens et tous les amis du Jardin d'Essai du
Hamma se réjouiront d'apprendre que l'avenir de cet établissement
est assuré et que sa restauration est en excellente voie. Nous
sommes persuadés que la colonie, ne marchandera pas les crédits
indispensables pour permettre à ce Jardin de reprendre la place
qu'il n'aurait jamais dû abandonner parmi les plus beaux établissements
botaniques existant dans le monde.