le jardin d'essai - Alger, le Hamma
Le parc zoologique

Dans ce Jardin d'Essai, si familier aux Algérois, la pioche qui détruit, le sécateur et la scie qui nivellent, ont bien tracé déjà, sans effet heureux, les lignes géométriques et inacclimatées des plates-bandes parisiennes. Il subsiste néanmoins là, assez pour les yeux et pour l'esprit, des paysages où la nature admirable de notre ciel bleu et ensoleillé se livre aux fantaisies de son art incomparable. Dans ces bois de forêts vierges, dans le voisinage des essences les plus diverses, au milieu des lianes, des fourrés, dans les encorbellements d'arbustes tropicaux, en plein rêve d'exotisme, on découvre de mystérieux recoins, des nids d'une douce fraîcheur, des lieux de solitude et d'enchantement faits pour qu'exquisement on aime à se retrouver seul avec son âme, avec un livre, avec une compagne.
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*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1919. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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Afrique du nord illustrée du 15-9-1919 - Transmis par Francis Rambert
sur site : janvier 2021

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LE PARC ZOOLOGIQUE

Il est près d'El-Djezaïr, l'antique nid de corsaires, au pied des coteaux boisés que n'ont point encore gagné les quartiers fourmillants de la cité européenne, un coin délicieux de Paradis perdu, baigné amoureusement par le bleu tranquille de la Méditerranée barbaresque.

Dans ce Jardin d'Essai, si familier aux Algérois, la pioche qui détruit, le sécateur et la scie qui nivellent, ont bien tracé déjà, sans effet heureux, les lignes géométriques et inacclimatées des plates-bandes parisiennes. Il subsiste néanmoins là, assez pour les yeux et pour l'esprit, des paysages où la nature admirable de notre ciel bleu et ensoleillé se livre aux fantaisies de son art incomparable. Dans ces bois de forêts vierges, dans le voisinage des essences les plus diverses, au milieu des lianes, des fourrés, dans les encorbellements d'arbustes tropicaux, en plein rêve d'exotisme, on découvre de mystérieux recoins, des nids d'une douce fraîcheur, des lieux de solitude et d'enchantement faits pour qu'exquisement on aime à se retrouver seul avec son âme, avec un livre, avec une compagne.

C'est dans ce cadre bien africain, sur un emplacement desséché et baigné de lumière, que vivent, sans nostalgie aucune, les pensionnaires du Parc zoologique, ici, en plein air, la basse-cour riche en volailles de toutes espèces. Les poules noires et grises de la Bresse, les padoues dorées et argentées, les races anglaises bien en chair et excellentes pondeuses, picorent et courent sans étonner les canards de Barbarie qui vont à la baignade ou les oies stupides et les dindons lourdauds dodelinant leurs pesantes carcasses.

Sur les eaux calmes du bassin un cygne glisse majestueux alors qu'autour de lui, sous le grillage emprisonnant, pigeons, perruches se poursuivent en des vols incessants. Ici la grue cendrée fait le pied... à sa façon sous l'objectif du photographe et pose avec beaucoup d'aplomb. Les hiboux, le grand-duc, les chouettes recherchant les coins d'ombre, portent, dans l'immobilité, le masque plat de leur tète où fascine l'insensibilité de leurs yeux aveuglés par le jour. Un paon blanc fait la roue, et tout à côté, deux autruches promènent d'un pas lourd leur précieux plumage. Les mouettes, les éperviers, les vautours et les aigles dans les volières, semblent s'accommoder de leur sort, loin des grands espaces, tout aussi aisément que leurs voisins les marabouts à sac, les ibis, les pélicans, le grave corbeau, la pie jacasseuse, les faisans argentés et dorés.
Voici les caïmans ; ils émergent, à peine de l'eau dormante et soufflent bruyamment au jet des viandes qu'ils engouffrent dans une gueule fortement musclée et dentée.

A l'abri de la longue théorie de cages en ciment armé, derrière les barreaux de fer, les singes, petits et, gros, grignotent des quignons de pain, des fruits offerts par les visiteurs à leur gourmandise, une guenon irascible, roule des yeux exorbités, montre ses mâchoires bien plantées et grogne dans une pose menaçante. Sous un chalet inondé d'un flot rutilant de bougainvillée, des magots espiègles voltigent, grimacent et cabriolent. Les écureuils de palmiers minuscules, non moins vifs que les chadis, vont et viennent en un mouvement perpétuel.
Là, une odeur forte de fauves : le loup d'Égypte mêle son hurlement aux aboiements durs du chien-loup et à la voix plaintive des chacals mangeurs de raisins. Zina, la hyène accroupie se lève rampante pour recevoir la caresse de son gardien. Enfin, sous le feuillage, dans des installations ingénieuses, d'autres animaux : les cerfs à fortes ramures, les gazelles légères, les ratons, un furet, de gentils fennecs du désert. Les serpents grouillent sous un vitrage et au bas d'une fosse les porcs-épics frissonnants dressent la menace de leurs piquants. Après s'être ainsi agréablement promené à travers un parc agrémenté de verdure et de fleurs, on gagne la sortie en visitant les vitrines où, étiquetés, sont ordonnés des plumes d'oiseaux variés, des œufs de crocodiles et d'autruches, des cornes d'antilope, des mâchoires de requins, des coquillages multiples, des madrépores, une infinité d'objets intéressants. Et lorsque vous quittez cet asile parfait des bêtes, Jacquot, un ara superbe sous ses couleurs brillantes et aristocratiques, vous accompagne de son salut bavard de perroquet.

Le Parc zoologique d'Alger n'est pas très ancien. Il a été créé en 1900 par son directeur et propriétaire actuel M. Joseph d'Ange.

Les débuts furent modestes. Sur l'emplacement, cédé gracieusement par la première administration du Jardin d'Essai, s'édifièrent l'une après l'autre toutes les installations qu'on y trouve aujourd'hui.

M. d'Ange consacra à son œuvre et son temps et ses économies. Le développement de l'établissement fut rapide; sa réputation s'affirma vite. Une commission d'inspection de passage à Marseille, apprenant l'entreprise de notre concitoyen, poussa jusqu'à Alger et fut étonnée de l'importance du parc et des résultats qu'on y avait acquis. Cette mission de savants classa en excellente place, au catalogue général, l'unique collection zoologique de l'Algérie et de l'Afrique. Les aménagements réservés aux animaux étaient soignés, on entoura toujours l'élevage des pensionnaires des précautions d'hygiène les plus sérieuses, aussi les spécimens de la faune algérienne réunis en une classification scientifique sont-ils dans un parfait état, de vie et donnent-ils à ceux qui les voient l'impression d'êtres vivant à l'état libre'.

Au Jardin d'acclimatation d'Alger la reconstitution des variétés appauvries s'est régulièrement faite sauf cependant au cours des cinq années de guerre. Des types, des espèces manquent derrière les grilles ou les barreaux de fer : les ours, le mouflon, l'orang-outang, des oiseaux nombreux ont laissé suspendus aux murs leurs peaux et leurs plumages.

Des observations scientifiques quotidiennes sont faites par le propriétaire et des rapports circonstanciés sont, par lui, adressés à la Société Nationale d'Acclimatation de France. Ces recherches fécondes, ce labeur constant et louable valurent à leur auteur des diplômes et en 1008 une médaille de 1ère classe.

Le plan de transformation partielle du Jardin d'Essai en pelouses métropolitaines comprend, parait-il, la disparition du Parc zoologique dû à l'initiative privée. Nous ne voulons point croire à une décision aussi hâtive et inopportune. L'œuvre de M. d'Ange, si intéressante au point de vue scientifique, est une richesse nord africaine qu'il serait imprudent de perdre volontairement, M. Jonnart, gouverneur général de l'Algérie, en avait compris toute l'utilité éducative, aussi l'avait il vivement encouragée par des dons personnels. C'est ce geste qu'on devrait imiter et c'est lui seul qui devrait inspirer l'administration pour la conservation pour l'expansion toujours croissante de notre Parc zoologique.
Au moment où, dans l'éducation de la jeunesse, la curiosité s'oriente vers l'observation directe, on causerait à nos enfants un préjudice sensible en les privant, pour l'enseignement des sciences naturelles, de la meilleure des leçons de choses, de la seule qu'il soit permis de leur donner sur place, dans la réalité des êtres et des objets.

En matière éducative, le livre peut être un précieux auxiliaire, mais il ne vaut, entre les mains des élèves, qu'autant qu'il est possible d'en compléter les leçons par la concrétisation de l'image, de l'expérience ou de la présentation des sujets. L'image, en l'espèce, est, un moyen bien insuffisant. Les éléments qui permettent de fixer la réalité échappent encore dans les spécimens conservés ou empaillés de nos laboratoires.

Dans ces présentations fictives ou incomplètes, il manque l'essentiel : la vie qui permet, de saisir dans les attitudes, par l'observation, les notions les plus curieuses et les plus utiles.
L'illustration des livres écrits pour les enfants fut une très heureuse initiative. Rien ne frappe davantage leur esprit que l'image. Le texte le plus précis, le plus clair ne les intéressera jamais autant que le dessin plus ou moins parlant de ce qu'on veut leur apprendre. A leur propre imagination, une description si exacte qu'elle soit, impose une vision et une impression étrangères. Mais c'est leur propre pensée qui s'éveille, s'anime et acquiert lorsqu'il leur est donné d'observer par soi-même les êtres et les objets. Alors la vie intérieure prend une activité personnelle que ne pourraient jamais provoquer les enseignements livresques et les froides leçons des manuels redoutés.

A Londres comme à Paris,il ne se passe pas de jour où les écoliers ne visitent, les serres et les aquariums du Jardin des Plantes et du Jardin d'acclimatation.

Au Jardin d'Essai, gracieusement conduits par leurs maîtres et maîtresses, les élèves de nos classes ont toujours eu l'accès du parc. Ils ont pu défiler devant les cages, devant les volières et, au cours de ces promenades inoubliables, évoquer les paysages luxuriants des tropiques,y revivre les sarabandes des tribus de singes, les envols de perruches, les courses folles des antilopes... toute une vision ineffaçable et vraisemblable. Le Jardin d'Acclimatation algérien est à sa place, élans l'unique cadre qui convienne.

Il importe que l'impulsion qui a présidé à sa création soit soutenue, encouragée, pour que l'établissement soit digne de nous, de l'Algérie, de la grande France, patrie de Buffon, de Cuvier, naturalistes immortels.