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LE PARC ZOOLOGIQUE
Il est près d'El-Djezaïr,
l'antique nid de corsaires, au pied des coteaux boisés que n'ont
point encore gagné les quartiers fourmillants de la cité
européenne, un coin délicieux de Paradis perdu, baigné
amoureusement par le bleu tranquille de la Méditerranée
barbaresque.
Dans ce Jardin d'Essai, si familier aux Algérois, la pioche qui
détruit, le sécateur et la scie qui nivellent, ont bien
tracé déjà, sans effet heureux, les lignes géométriques
et inacclimatées des plates-bandes parisiennes. Il subsiste néanmoins
là, assez pour les yeux et pour l'esprit, des paysages où
la nature admirable de notre ciel bleu et ensoleillé se livre aux
fantaisies de son art incomparable. Dans ces bois de forêts vierges,
dans le voisinage des essences les plus diverses, au milieu des lianes,
des fourrés, dans les encorbellements d'arbustes tropicaux, en
plein rêve d'exotisme, on découvre de mystérieux recoins,
des nids d'une douce fraîcheur, des lieux de solitude et d'enchantement
faits pour qu'exquisement on aime à se retrouver seul avec son
âme, avec un livre, avec une compagne.
C'est dans ce cadre bien africain, sur un emplacement desséché
et baigné de lumière, que vivent, sans nostalgie aucune,
les pensionnaires du Parc zoologique, ici, en plein air, la basse-cour
riche en volailles de toutes espèces. Les poules noires et grises
de la Bresse, les padoues dorées et argentées, les races
anglaises bien en chair et excellentes pondeuses, picorent et courent
sans étonner les canards de Barbarie qui vont à la baignade
ou les oies stupides et les dindons lourdauds dodelinant leurs pesantes
carcasses.
Sur les eaux calmes du bassin un cygne glisse majestueux alors qu'autour
de lui, sous le grillage emprisonnant, pigeons, perruches se poursuivent
en des vols incessants. Ici la grue cendrée fait le pied... à
sa façon sous l'objectif du photographe et pose avec beaucoup d'aplomb.
Les hiboux, le grand-duc, les chouettes recherchant les coins d'ombre,
portent, dans l'immobilité, le masque plat de leur tète
où fascine l'insensibilité de leurs yeux aveuglés
par le jour. Un paon blanc fait la roue, et tout à côté,
deux autruches promènent d'un pas lourd leur précieux plumage.
Les mouettes, les éperviers, les vautours et les aigles dans les
volières, semblent s'accommoder de leur sort, loin des grands espaces,
tout aussi aisément que leurs voisins les marabouts à sac,
les ibis, les pélicans, le grave corbeau, la pie jacasseuse, les
faisans argentés et dorés.
Voici les caïmans ; ils émergent, à peine de l'eau
dormante et soufflent bruyamment au jet des viandes qu'ils engouffrent
dans une gueule fortement musclée et dentée.
A l'abri de la longue théorie de cages en ciment armé, derrière
les barreaux de fer, les singes, petits et, gros, grignotent des quignons
de pain, des fruits offerts par les visiteurs à leur gourmandise,
une guenon irascible, roule des yeux exorbités, montre ses mâchoires
bien plantées et grogne dans une pose menaçante. Sous un
chalet inondé d'un flot rutilant de bougainvillée, des magots
espiègles voltigent, grimacent et cabriolent. Les écureuils
de palmiers minuscules, non moins vifs que les chadis, vont et viennent
en un mouvement perpétuel.
Là, une odeur forte de fauves : le loup d'Égypte mêle
son hurlement aux aboiements durs du chien-loup et à la voix plaintive
des chacals mangeurs de raisins. Zina, la hyène accroupie se lève
rampante pour recevoir la caresse de son gardien. Enfin, sous le feuillage,
dans des installations ingénieuses, d'autres animaux : les cerfs
à fortes ramures, les gazelles légères, les ratons,
un furet, de gentils fennecs du désert. Les serpents grouillent
sous un vitrage et au bas d'une fosse les porcs-épics frissonnants
dressent la menace de leurs piquants. Après s'être ainsi
agréablement promené à travers un parc agrémenté
de verdure et de fleurs, on gagne la sortie en visitant les vitrines où,
étiquetés, sont ordonnés des plumes d'oiseaux variés,
des ufs de crocodiles et d'autruches, des cornes d'antilope, des
mâchoires de requins, des coquillages multiples, des madrépores,
une infinité d'objets intéressants. Et lorsque vous quittez
cet asile parfait des bêtes, Jacquot, un ara superbe sous ses couleurs
brillantes et aristocratiques, vous accompagne de son salut bavard de
perroquet.
Le Parc zoologique d'Alger n'est pas très ancien. Il a été
créé en 1900 par son directeur et propriétaire actuel
M. Joseph d'Ange.
Les débuts furent modestes. Sur l'emplacement, cédé
gracieusement par la première administration du Jardin d'Essai,
s'édifièrent l'une après l'autre toutes les installations
qu'on y trouve aujourd'hui.
M. d'Ange consacra à son uvre et son temps et ses économies.
Le développement de l'établissement fut rapide; sa réputation
s'affirma vite. Une commission d'inspection de passage à Marseille,
apprenant l'entreprise de notre concitoyen, poussa jusqu'à Alger
et fut étonnée de l'importance du parc et des résultats
qu'on y avait acquis. Cette mission de savants classa en excellente place,
au catalogue général, l'unique collection zoologique de
l'Algérie et de l'Afrique. Les aménagements réservés
aux animaux étaient soignés, on entoura toujours l'élevage
des pensionnaires des précautions d'hygiène les plus sérieuses,
aussi les spécimens de la faune algérienne réunis
en une classification scientifique sont-ils dans un parfait état,
de vie et donnent-ils à ceux qui les voient l'impression d'êtres
vivant à l'état libre'.
Au Jardin d'acclimatation d'Alger la reconstitution des variétés
appauvries s'est régulièrement faite sauf cependant au cours
des cinq années de guerre. Des types, des espèces manquent
derrière les grilles ou les barreaux de fer : les ours, le mouflon,
l'orang-outang, des oiseaux nombreux ont laissé suspendus aux murs
leurs peaux et leurs plumages.
Des observations scientifiques quotidiennes sont faites par le propriétaire
et des rapports circonstanciés sont, par lui, adressés à
la Société Nationale d'Acclimatation de France. Ces recherches
fécondes, ce labeur constant et louable valurent à leur
auteur des diplômes et en 1008 une médaille de 1ère
classe.
Le plan de transformation partielle du Jardin d'Essai en pelouses métropolitaines
comprend, parait-il, la disparition du Parc zoologique dû à
l'initiative privée. Nous ne voulons point croire à une
décision aussi hâtive et inopportune. L'uvre de M.
d'Ange, si intéressante au point de vue scientifique, est une richesse
nord africaine qu'il serait imprudent de perdre volontairement, M. Jonnart,
gouverneur général de l'Algérie, en avait compris
toute l'utilité éducative, aussi l'avait il vivement encouragée
par des dons personnels. C'est ce geste qu'on devrait imiter et c'est
lui seul qui devrait inspirer l'administration pour la conservation pour
l'expansion toujours croissante de notre Parc zoologique.
Au moment où, dans l'éducation de la jeunesse, la curiosité
s'oriente vers l'observation directe, on causerait à nos enfants
un préjudice sensible en les privant, pour l'enseignement des sciences
naturelles, de la meilleure des leçons de choses, de la seule qu'il
soit permis de leur donner sur place, dans la réalité des
êtres et des objets.
En matière éducative, le livre peut être un précieux
auxiliaire, mais il ne vaut, entre les mains des élèves,
qu'autant qu'il est possible d'en compléter les leçons par
la concrétisation de l'image, de l'expérience ou de la présentation
des sujets. L'image, en l'espèce, est, un moyen bien insuffisant.
Les éléments qui permettent de fixer la réalité
échappent encore dans les spécimens conservés ou
empaillés de nos laboratoires.
Dans ces présentations fictives ou incomplètes, il manque
l'essentiel : la vie qui permet, de saisir dans les attitudes, par l'observation,
les notions les plus curieuses et les plus utiles.
L'illustration des livres écrits pour les enfants fut une très
heureuse initiative. Rien ne frappe davantage leur esprit que l'image.
Le texte le plus précis, le plus clair ne les intéressera
jamais autant que le dessin plus ou moins parlant de ce qu'on veut leur
apprendre. A leur propre imagination, une description si exacte qu'elle
soit, impose une vision et une impression étrangères. Mais
c'est leur propre pensée qui s'éveille, s'anime et acquiert
lorsqu'il leur est donné d'observer par soi-même les êtres
et les objets. Alors la vie intérieure prend une activité
personnelle que ne pourraient jamais provoquer les enseignements livresques
et les froides leçons des manuels redoutés.
A Londres comme à Paris,il ne se passe pas de jour où les
écoliers ne visitent, les serres et les aquariums du Jardin des
Plantes et du Jardin d'acclimatation.
Au Jardin d'Essai, gracieusement conduits par leurs maîtres et maîtresses,
les élèves de nos classes ont toujours eu l'accès
du parc. Ils ont pu défiler devant les cages, devant les volières
et, au cours de ces promenades inoubliables, évoquer les paysages
luxuriants des tropiques,y revivre les sarabandes des tribus de singes,
les envols de perruches, les courses folles des antilopes... toute une
vision ineffaçable et vraisemblable. Le Jardin d'Acclimatation
algérien est à sa place, élans l'unique cadre qui
convienne.
Il importe que l'impulsion qui a présidé à sa création
soit soutenue, encouragée, pour que l'établissement soit
digne de nous, de l'Algérie, de la grande France, patrie de Buffon,
de Cuvier, naturalistes immortels.
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